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Journée FRB 2023 sur les recommandations – Les actes

Omniprésents et en première ligne de l’interface science-société, les sujets biodiversité font face aux difficultés de répondre à la fois aux exigences de la recherche et aux besoins de la société. À l’occasion de la Journée FRB 2023, la FRB a invité chercheurs, décideurs et acteurs de la société à se réunir pour confronter leurs besoins, leurs attentes et leurs possibilités d’action autour des recommandations.

 

 

De l’invasion au déclin : les mystères de la crépidule dans la rade de Brest

Comment est arrivée la crépidule sur les côtes françaises ?

 

La crépidule est arrivée par différents biais, mais majoritairement avec le commerce de l’huitre creuse. En important ces huitres, on a importé avec elles tout un cortège d’espèces exotiques qui étaient à l’état larvaire ou juvénile, cachées dans leurs coquilles. L’établissement de la crépidule date des années 70. Mais elle devient vraiment envahissante dans les années 80 et 90. On la retrouve sur tout le littoral français, notamment dans la rade de Brest.

 

 

 

Quand la crépidule s’est multipliée quels impacts notables a-t-elle eu sur l’écosystème ?

 

La crépidule est un gastéropode qui a besoin d’un substrat dur et lisse pour se fixer, un rocher plat ou un débris de verre par exemple. Au début de son introduction, elle en a eu besoin mais comme elle s’est mise à proliférer, elle s’est étendue sur des fonds qui étaient meubles et s’est auto-entretenue du fait que les jeunes individus se fixent préférentiellement sur les chaines d’adultes, empilés les uns sur les autres. Elle a ensuite servi de support à des espèces qui aiment les substrats durs comme les ascidies, les éponges et certains bivalves comme le pétoncle noir, lequel est par ailleurs une espèce actuellement en déclin.

 

 

Outre le fait de servir d’habitat à d’autres espèces, la crépidule a-t-elle eu d’autres effets positifs ?

 

Les crépidules sont des organismes filtreurs qui se nourrissent en filtrant l’eau pour capturer des particules de nourriture, notamment des micro-algues. En filtrant activement l’eau, elles peuvent contribuer à réduire la turbidité, limitant ainsi les efflorescences de certaines espèces du phytoplancton, en particulier des dinoflagellés.

 

 

Inversement, en quoi la crépidule a déstabilisé les écosystèmes ?

 

Pour arriver à déstabiliser un écosystème entier, il faut dépasser un certain seuil en termes de densité ou de biomasse. C’est ce qu’il s’est passé dans certaines zones où sur un mètre carré, il a pu y avoir plusieurs milliers d’individus. Or, la crépidule est un animal filtreur qui, pour se nourrir et s’oxygéner, filtre une grande quantité d’eau de mer et produit beaucoup de fèces : dans ces conditions, elle a déstabilisé l’écosystème avec un envasement des fonds, y compris les fonds sableux qui sont devenus des fonds vaseux. Plusieurs espèces de fonds sableux comme la coquille Saint Jacques ou les juvéniles de soles ont donc reculé.

 

 

Il semblerait qu’après avoir prospéré sur nos côtes ses populations diminuent.

 

Depuis le milieu des années 2000, on constate effectivement un recul de la crépidule. En rade de Brest des investigations menées entre 2013 et 2018, des prélèvements sur le terrain et des vidéos sous-marines ont permis de démontrer clairement que le stock avait très significativement diminué en particulier dans tout le bassin sud de la rade. Elle semble néanmoins s’être maintenue dans le secteur nord de la rade. Si on ne sait pas exactement pourquoi elle recule, on a suspecté néanmoins des polluants arrivés du bassin versant du sud de la rade pour expliquer son déclin. Mais souvent, un déclin est multifactoriel et prend du temps.

 

 

Le fait que la crépidule décline en fait-elle une exception parmi les espèces exotiques envahissantes ?

 

Il semblerait que d’autres espèces comme la caulerpe (Caulerpa taxifolia) en méditerranée, considérée elle aussi comme envahissante, décline naturellement. Il y a plusieurs pistes d’investigation pour chercher à comprendre pourquoi. Il y a comme un cycle qui s’observe, où au bout de 20-30 ans, on voit des espèces proliférantes décliner. Sans doute parce que petit à petit d’autres interactions avec d’autres espèces s’opèrent. Elles sont alors contrôlées soit par des parasites soit par des prédateurs qui permettent à ces espèces exotiques envahissantes de trouver une place régulée dans l’écosystème.

 

 

Est-ce une loi ?

 

Non, car en milieu marin ou terrestre, il y a plusieurs exemples d’espèces proliférantes qui ont fait basculer irréversiblement l’écosystème dans un état différent. Par exemple des oursins, qui sont des herbivores, peuvent dévorer intégralement d’immenses champs d’algues qui laissent place à des fonds complètement nus. C’est vrai aussi dans des milieux tropicaux où des étoiles de mer ont décimé des récifs de coraux. Donc parfois, passé ce « point de bascule », on assiste à l’établissement d’un tout autre écosystème.

 

 

Quel est l’état aujourd’hui de la rade de Brest ?

 

La rade n’a pas retrouvé son état écologique d’avant l’arrivée de la crépidule. Il reste toujours des traces à commencer par les amas de coquilles de crépidules mortes dans la partie sud. Certes, elles servent encore de support à certaines espèces, mais la biodiversité y est beaucoup moins luxuriante que lorsque l’on avait des bancs de crépidules vivantes. La rade est par ailleurs impactée par diverses pollutions et par des activités humaines, comme la pêche aux engins trainants qui dégradent les habitats et remettent en suspension des particules. L’écosystème évolue sans cesse, s’adapte parfois, et il reste heureusement des zones dans cette rade où les écosystèmes fonctionnent toujours bien.

Espèces exotiques envahissantes, un défi environnemental, économique et éthique

Fourmi électrique, écrevisse américaine ou frelon asiatique, sur la planète, plus de 40 000 espèces exotiques sont recensées. Que ce soit sous forme végétale ou animale, ces espèces ont été introduites par l’homme en dehors de leur aire de répartition naturelle, volontairement ou accidentellement. Leur propagation menace la biodiversité et peuvent avoir des impacts négatifs sur l’économie ou la santé humaine. Elles sont considérées par l’Ipbes comme une des principales d’extinction des espèces et l’une des cinq grandes causes globales de perte de biodiversité.

 

 

 

Défis climatiques et espèces exotiques envahissantes : un dangereux combo pour la biodiversité

Il aura fallu quelques années seulement à l’huitre creuse pour se répandre le long des côtes françaises. Originaire du Pacifique Nord-Ouest, cette huître introduite dans les années 70 en France ne se reproduisait qu’en Sud Loire. Mais à la faveur du changement climatique, sa population a explosé jusqu’à développer des populations dans les fjords norvégiens. Les températures de l’eau, plus chaudes, lui ont permis de se développer et de se reproduire bien plus efficacement, au point d’entrainer une concurrence pour les ressources alimentaires avec les huîtres indigènes et de perturber l’équilibre écologique. Pour Philippe Goulletquer, directeur de recherche à l‘Ifremer « à l’échelle marine, le changement climatique influe, sur la propagation d’espèces exotiques envahissantes en créant les conditions favorables à leur développement ».

 

La prévention des invasions biologiques : un enjeu crucial pour l’environnement

En quoi consiste la prévention ?   

 

Elle vise à mettre en place des mesures de contrôle des importations aux frontières et de biosécurité pour limiter l’arrivée de nouvelle espèces exotiques et leur déplacement. Cela nécessite un cadre réglementaire et une surveillance biologique organisée du territoire. La surveillance doit se concentrer sur les points chauds d’introduction tels que les ports et les aéroports, les voies de communication, comme les routes ou les voies ferrées, qui constituent des corridors de dispersion. Une vigilance particulière doit aussi être portée aux espaces prioritaires, tels que les espaces naturels et les aires protégées abritant des espèces patrimoniales, endémiques ou en danger qui pourraient être menacées par ces espèces exotiques envahissantes.

 

 

Combien d’espèces arrivent sur le territoire ?   

 

D’après l’indicateur de l’observatoire national de la biodiversité, depuis 1983, un département de métropole compte en moyenne 11 espèces exotiques envahissantes de plus tous les dix ans. Le cas du frelon asiatique est emblématique. Détecté pour la première fois en 2004 en France, il a depuis colonisé presque toute l’Europe. Le coût de la lutte contre cette invasion en France se chiffre à plusieurs millions d’euros par an, et s’accroit avec le temps. L’éradication aurait été possible au début de l’installation de l’espèce. Aujourd’hui ce n’est plus envisageable, on est obligé de vivre avec.   

 

 

Y a-t-il régulièrement des alertes ?

 

La pression aux frontières est permanente. Il y a déjà eu plusieurs alertes nationales d’invasions biologiques potentielles. Entre 2019 et 2021, quatre nouvelles espèces exotiques d’écrevisses problématiques pour nos cours d’eau ont été découvertes en France. Originaires d’Amérique du Nord, elles ont sans doute été introduites accidentellement, mais on ne peut pas exclure des relâcher intentionnels. En 2022, la petite fourmi de feu ou fourmi électrique a été découverte à Toulon. Cette espèce originaire d’Amérique du Sud est l’une des cinq espèces de fourmis les plus envahissantes au monde. On peut supposer qu’elle est arrivée par des bateaux militaires ou par le commerce des plantes. Bien que nous parvenions à les identifier et les détecter, il y a encore peu de réponses efficaces face à ce problème.

 

 

Lorsque l’espèce exotique envahissante est déjà installée sur le territoire comment limite-t-on son déplacement ?   

 

 Il existe des listes réglementaires et scientifiques. La liste règlementaire permet par exemple d’interdire l’importation ou la commercialisation des espèces identifiées. Pour la France métropolitaine, 94 espèces sont aujourd’hui réglementées et interdites de commerce, transport ou encore colportage. Mais on est bien loin du nombre des espèces pouvant s’installer sur le territoire. A côté de cela, il existe des listes scientifiques qui se fondent sur des inventaires, des évaluations et la caractérisation du risque. Bien que parfois soumises à discussion et débat sur la méthodologie, ces listes permettent d’orienter des actions de surveillance et de gestion sur le territoire.

 

 

Qui est en charge de construire ces listes scientifiques ?   

 

Pour la flore, se sont notamment les conservatoires botaniques nationaux qui sont en charge de produire ces listes. Aujourd’hui, on arrive à inventorier entre 600 et 900 plantes naturalisées dans chaque région. Une centaine sont considérées comme espèce exotique envahissante. Mais ce statut peut varier avec l’espace et le temps. Une espèce peut être considérée comme envahissante dans le sud par exemple, mais pas dans le nord. Elle peut l’être ou le devenir puis disparaitre. C’est par exemple le cas de la Caulerpe (Caulerpa taxifolia) qui a envahi les côtes de plusieurs pays méditerranéens dans les années 1990-2010, mais dont les populations sont aujourd’hui en forte régression. Des espèces exotiques problématiques sur le moment peuvent , après de nombreuses années, trouver leur place dans l’écosystème et fournir par exemple des services écosystémiques qui avaient disparus. Les acteurs confrontés aux invasions biologiques s’interrogent de plus en plus sur les évolutions possibles vers des « néo-écosystèmes », définis comme des assemblages hybrides et fonctionnels d’espèce indigènes et d’espèces exotiques. C’est un sujet émergent pour la recherche.

 

 

Les politiques publiques nationales sont-elles cohérentes pour répondre à cet enjeu ?

 

Pas toujours… Par exemple, dans un contexte de changement climatique, un enjeu majeur pour la forêt française est d’accroître ses capacités de résilience pour garantir la qualité et la quantité de l’ensemble des services fournis. Parmi les solutions proposées, le recours à des essences exotiques au sein « d’îlots d’avenir », plus tolérants à la chaleur et à la sécheresse, est encouragé par les pouvoirs publics. Or une part importante des espèces préconisées sont des espèces exotiques comme le robinier, le chêne rouge ou le noyer noir dont le caractère envahissant pour certaines est bien documenté en France et ailleurs dans le monde. A l’heure où les scientifiques n’ont de cesse d’alerter sur les impacts négatifs des invasions biologiques, la question de la cohérence entre nos politiques publiques nationales se pose d’autant plus.

 

 

Avons-nous en France les moyens de prévenir les invasions biologiques ?

 

Depuis quelques années, des réseaux et des groupes de travail se sont constitués et des stratégies régionales en métropole et en outre-mer ont été élaborées pour définir un cadre d’action collectif. Les résultats sont là en termes d’amélioration des connaissances, de stratégie collective, de réglementation. On sait ce qu’il faut faire. Reste la question des moyens humains, financiers et d’une volonté politique pour mettre en œuvre la prévention. Il nous faut aujourd’hui accentuer la sensibilisation des citoyens, des élus et professionnels, renforcer notre biosécurité avec plus de personnels formés aux frontières et sur le terrain et une surveillance biologique coordonnée du territoire. Enfin, il nous faut soutenir davantage la recherche pour développer des outils d’aide à la décision afin de mieux anticiper les prochaines invasions.

Réduire les impacts des changements d’usage des mers

On assiste à une augmentation des activités offshore telles que la production d’énergie, l’aquaculture, le tourisme, le développement des biotechnologies et l’exploitation minière (Stuiver et al., 2016) ou encore l’installation de plateformes multi-usages (MUPs). Ces activités font des mers européennes le théâtre d’une croissance massive des infrastructures maritimes et d’une compétition spatiale (Stuiver et al., 2016).

 

Parmi les activités offshores, la pisciculture en cages flottantes pose la question, à l’échelle européenne, des évasions (Arechavala-Lopez et al., 2018) qui recouvrent l’échappée de poissons isolés, de groupes de poissons (de quelques-uns au million), d’œufs viables et fécondés (Arechavala-Lopez et al., 2018). Elles se produisent en raison de défaillances techniques et opérationnelles (Arechavala-Lopez et al., 2018) :

  • morsure de filet par les poissons à l’intérieur ou par attaque de prédateurs à l’extérieur – environ 50 % des causes, particulièrement pour les daurades ;
  • contraintes mécaniques entrainant des trous dans les filets ou la rupture d’amarrage des cages – environ 40 % des causes, notamment lors de tempêtes ou de présence de grands mammifères marins ;
  • échappement lors des manipulations pour la collecte, le calibrage, etc. – environ 10 % des causes.

 

 

Le développement des énergies marines renouvelables (EMR) est également notable. Celles-ci peuvent fournir jusqu’à 7 % de la demande mondiale en électricité : la plupart via l’éolien offshore, l’énergie marémotrice pourrait répondre, quant à elle, à environ 0,75 % de cette demande (Fox et al., 2018). Si extraire l’énergie des courants de marées, prévisibles, est une idée séduisante, peu de sites conviennent pour les installations. Cependant, un grand nombre de dispositifs marémoteurs sont actuellement en cours de développement (Fox et al., 2018). En France, un déploiement expérimental a eu lieu au niveau du raz Blanchard, lieu de passage d’un intense courant de marée. Les principales préoccupations environnementales liées à ces dispositifs ciblent les perturbations physiques, les risques de collision, les modifications hydrographiques et la génération de bruits et de champs électromagnétiques (Fox et al., 2018). En termes de risques de pollution, on dispose de peu d’informations sur les revêtements anti-biofouling, c’est à dire contre l’encrassement biologique, qui devront être utilisés pour protéger les turbines, transformateurs et autres appareils (Fox et al., 2018).

 

 

L’augmentation du trafic maritime en général menace particulièrement les populations de cétacées, dites “espèces parapluie”, qui sont également confrontées à la perte d’habitat et aux pêcheries commerciales (Pennino et al., 2017). Le trafic maritime engendre des perturbations physiques et acoustiques qui peuvent provoquer, à court terme, des changements physiologiques et de comportement et, à long terme, des changements dans la distribution des cétacés. En outre, les collisions avec les navires sont régulièrement signalées. Des preuves de collisions ont été décrites pour 11 espèces de grandes baleines, pour lesquelles le rorqual commun (Balaenoptera physalus), était le plus fréquemment impliqué (Pennino et al., 2017). En particulier, la navigation de plaisance, en développement à travers le monde, est d’autant plus impactante, qu’elle est un des piliers de « l’économie bleue » ou la Blue Economy de l’Union européenne et a donc vocation à se développer : aujourd’hui, 36 millions de citoyens européens participeraient régulièrement à des activités de plaisance, le secteur du tourisme nautique de l’Union européenne créerait jusqu’à 234 000 emplois et génèrerait 28 milliards d’euros de recettes annuelles (Carreño et Lloret, 2021).

 

 

Enfin, du fait de l’augmentation de la population urbaine et du tourisme de masse, les zones côtières sont particulièrement touchées par une urbanisation rapide. À titre d’exemple, en région Provence-Alpes Côte d’Azur (Paca), un quart des zones qui ont été urbanisées au cours de la période 1990-2012 se trouvent dans les 15 premiers kilomètres de la côte (Doxa et at., 2017). Cette urbanisation entraine la perte d’habitats naturels. De plus, les habitats côtiers se distinguent souvent par une diversité végétale unique et une spécialisation élevée au sein de forts gradients écologiques à de petites échelles spatiales telle que l’adaptation à des niveaux stressants de salinité, de sécheresse et de température par exemple (Doxa et at., 2017). De nombreuses plantes sont donc très vulnérables à la diminution de leurs habitats : cela rend la priorisation des actions de conservation au sein des zones côtières particulièrement urgente (Doxa et at., 2017).

 

 

Les réponses des espèces à ces perturbations sont variables : un changement de comportement comme la modification des directions de nage, une augmentation de la durée de nage, une augmentation de la cohésion de groupe, des changements physiologiques telle que la respiration chez les dauphins, voire un évitement saisonnier de certaines zones (Carreño et Lloret, 2021).

 

Réduire les impacts des pollutions

Le transport des macro-déchets est aérien, fluvial ou par déversement direct. Il existe une grande variété de sources de déchets tant terrestres que marines. Les sources identifiées comme étant d’origine terrestre comprennent les décharges municipales et sauvages, les détritus des plages et zones côtières, le tourisme, les rivières et autres émissions industrielles et agricoles, les rejets provenant des égouts pluviaux et municipaux non traités. On estime que les sources terrestres contribuent actuellement à 80 % des déchets marins (Compas et al. 2019 ; Sinopli et al., 2020, Scotti et al. 2021, Madricardo et al. 2020, Grelaud et Zivery, 2020 ; Sharma, 2021). Les sources importantes d’origine maritime incluent le fret, la navigation de plaisance et militaire (notamment les croiseurs), la pêche industrielle et les installations aquacoles, mais aussi l’industrie de l’énergie.

 

Dans l’Atlantique Nord-Est, les principales sources de déchets sont liées aux activités maritimes telles que la navigation, la pêche, l’aquaculture et les installations offshore, ainsi que le tourisme côtier (e.g. bateaux de plaisances, pêche amateur) (Ospar, 2009). Aussi, la perte, l’abandon volontaire ou l’élimination des engins de pêche est la cause principale de la production de déchets par la pêche professionnelle / industrielle (Compas et al. 2019 ; Sinopli et al., 2020, Scotti et al. 2021, Madricardo et al. 2020, Grelaud et Zivery, 2020 ; Sharma, 2021). 

 

Réduire les impacts des espèces exotiques envahissantes

Le trafic maritime et l’aquaculture jouent un rôle clé important et prépondérant dans l’introduction des espèces envahissantes à l’échelle mondiale et régionale. Les différentes infrastructures existantes liées à ces activités tels que les marinas et les ports maritimes forment des réseaux denses le long des côtes et sont capables d’abriter de nombreux taxons d’espèces envahissantes. Ces infrastructures sont susceptibles d’être une source importante de propagules permettant par ailleurs la colonisation des milieux naturels voisins. Les fermes aquacoles sont également une autre source importante d’espèces envahissantes. L’algue comestible Undaria pinnatifida, originaire d’Asie et introduite en Europe dans les années 1970, est un exemple phare d’une EEE qui se développe dans les habitats avoisinants des sites aquacoles (Rotter et al. 2020). Les évènements d’introduction, dits “spillovers”, peuvent se produire à partir des sites d’aquaculture, comme illustré aussi par l’huître creuse Crassostrea gigas, une espèce originaire du nord-ouest de l’océan Pacifique. La propagation de ces espèces dans les sites naturels entraînent des modifications importantes de l’habitat, mais aussi du fonctionnement des écosystèmes. Elles peuvent également participer au développement de nouvelles maladies et de nouveaux parasites entraînant alors des modifications génétiques suite à des phénomènes d’hybridation avec les taxons indigènes (Rotter et al. 2020).

 

En mer Méditerranée, la création et l’ouverture de canaux artificiels, tel que le canal de Suez, est parmi les voies d’introduction les plus significatives, permettant la colonisation progressive des espèces, notamment d’origine indo-pacifique. Une espèce de décapode, Charybdis longicollis, a été introduite passivement, en mer Méditerranée via le canal de Suez par les courants marins, et a depuis largement établi des populations dans le bassin Levantin, la subdivision du bassin oriental de la mer Méditerranée. Une analyse prospective (cf. Tsiamis et al. 2019) a classé la gestion des populations de cette espèce comme “impossible”. Ces espèces introduites ont principalement affecté les parties orientales du bassin.

 

Le trafic maritime est une des sources importantes d’introduction. Sa particularité est qu’il touche des zones généralement plus étendues, en raison du déplacement des navires, que les introductions dues à l’aquaculture, les canaux artificiels ou les courants marins (Katsanevakis et al. 2016). Cette introduction, principalement “accidentelle”, se fait généralement par le biais des navires (navires de charge, navires rouliers, caboteurs, etc.) via les réservoirs d’eau de ballast, ou l’encrassement biologique dit  “biofouling” de la coque des bateaux (Rotter et al. 2020). Dans l‘étude de Tsiamis et al. 2019, 26 espèces sont classées comme étant prioritaires et principalement introduites par les navires (biofouling des coques et eaux de ballast) empruntant le canal de Suez comme accès à la Méditerranée. L’étude de Katsanevakis et al. 2016 recense, de son côté, les espèces introduites par la navigation maritime présentant les scores d’impact les plus élevés. En Méditerranée, les espèces introduites par les voies de navigation maritime sont celles ayant le plus d’impacts dans de nombreux sites du centre et du nord-ouest du bassin méditerranéen, y compris le littoral oriental français, comme en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et la Corse (Katsanevaki et al. 2016).

S’il participe très largement à l’introduction et l’établissement pérenne des espèces non-indigènes en mer méditerranéenne (Guzinski et al. 2018), le trafic maritime est également une des sources majeures de propagation des EEE dans d’autres régions océaniques à travers le monde.

 

Aujourd’hui, les habitats les plus à risques sont les fonds durs sublittoraux peu profonds, les fonds mous sublittoraux peu profonds et l‘espace intertidal rocheux (Katsanevaki et al. 2016).

 

Quels niveaux de référence pour la biomasse des grands herbivores dans le cadre de la restauration écologique ?

Proclamée par les Nations unies, la « décennie de restauration des écosystèmes » 2021-2030 appelle à des objectifs fondés sur des preuves pour restaurer la diversité naturelle et la biomasse des grands herbivores. C’est dans ce cadre que des chercheurs ont analysé les relations consommateur-producteur de biomasse naturelle sur un ensemble de données mondiales dans les zones naturelles.

 

Leurs analyses révèlent que les écosystèmes africains ont généralement une biomasse de grands herbivores beaucoup plus élevée que les écosystèmes du reste de la planète et que les relations consommateur-producteur y sont plus fortes.

 

Pour l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Sud, il n’y a pas de relations significatives entre la productivité primaire nette et la biomasse des grands herbivores, signe de faunes appauvries et considérablement plus faibles que prévu au regard des résultats dans les écosystèmes africains.

 

La restauration écologique et le ré-ensauvagement impliquent la restauration des processus de pâturage naturel. Les résultats indiquent qu’à l’aune de leur productivité primaire, de nombreuses réserves naturelles sont appauvries en biomasse de grands herbivores.

 

Néanmoins, sans références scientifiquement établies, les niveaux naturels de biomasse des grands herbivores sont mal compris et rarement ciblés. Alors que la surexploitation par le pâturage saisonnier du bétail domestique s’intensifie, il est urgent, quoique difficile, de parvenir à un consensus scientifique sur ce niveau de référence.

 

En attendant, les chercheurs de l’étude recommandent de gérer, ou de ré-ensauvager, les pâturages presque naturels sans objectifs de densité prédéfinis en terme de grands herbivores, mais en suivant la disponibilité des ressources naturelles fluctuantes avec une intervention de gestion minimale. La mise en place de sites expérimentaux de ré-ensauvagement avec une gestion réactive des herbivores peut faire progresser notre compréhension des processus, des seuils et niveau de référence relatifs à la densité de pâturage naturel.

 

Pour compléter cette étude, des niveaux de référence sur la densité des carnivores et la productivité primaire nette pourraient utilement compléter cette analyse.

 

La synthèse est disponible dans les ressources téléchargeables ci-dessous. 

 

 

Intensité de pressions anthropiques dans les territoires ultramarins

Les territoires ultramarins sont à la fois riches en biodiversité mais également exposés et fragiles face à l’incidence des changements globaux du fait de l’insularité de la plupart de ces territoires et des caractéristiques de leurs systèmes socio-économiques. Afin de mieux comprendre ces pressions, un Club FRB Recherche-action « Changements globaux et gestion durable de la biodiversité dans les territoires ultramarins » a vu le jour et permis cette étude. 

 

Ce travail s’est concentré sur six territoires distribués sur trois bassins océaniques (Atlantique, Pacifique et Indien) : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Mayotte, La Réunion et la Nouvelle-Calédonie. Il a permis d’explorer l’intensité de deux des cinq pressions directes identifiées par l’Ipbes, la pollution des cours d’eau et les espèces végétales exotiques envahissantes (EEE), à l’échelle de ces sites sous forme de cartographie et de dresser des liens de causalité entre chacune des pressions et différents facteurs naturels ou anthropiques.

 

La Cour européenne des droits de l’Homme et le droit à un environnement sain

À travers un décryptage de plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’article de Lucie-Anne Soubelet démontre que les pollutions, nuisances, catastrophes naturelles ou industrielles constituent l’essentiel des jurisprudences environnementales de la Cour européenne des droits de l’Homme.

 

Cet article donne matière à réflexion pour que la convention européenne des droits de l’homme intègre comme quatorzième liberté fondamentale le droit à un environnement sain, et reconnaisse la perte d’intégrité des écosystèmes, l’érosion de la biodiversité et la perte des services écosystémiques comme des atteintes aux droits de l’Homme.

 

L’article complet est disponible dans les ressources téléchargeables.

Les membres de l’Assemblée des parties prenantes de la FRB

Face à la destruction de la biodiversité, tissu du vivant et des sociétés humaines, les lieux d’interface apparaissent aujourd’hui comme des espaces indispensables pour enrayer son déclin. Ils sont ceux de réflexions portées par des expertises multi-acteurs s’appuyant sur la recherche académique, mais aussi en favorisant l’intégration des enjeux d’acteurs de la société dans l’élaboration des questions de recherche.

 

l’Assemblée des parties prenantes de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité rassemble de nombreuses structures (entreprises, syndicats, ONG, collectivités territoriales, etc.) qui sont toutes concernées par les besoins de connaissances et de recherche sur la biodiversité. Ces différents acteurs sont regroupés en 3 collèges : Public, parapublic et institutions / Secteur économique et industries / Société civile. Découvrez la liste des différents acteurs de l’Assemblée des parties prenantes de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.

 

 

Rejoindre l'Assemblée des parties prenantes

 

 

 

Liste des membres de l’Assemblée des parties prenantes : 

 

 

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  • Direction générale des Finances publiques (DGFP) -Antenne Île-de-France

 

 

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Privatiser pour mieux conserver : quelles sont les limites ?

Depuis quand une certaine tendance à la privatisation des espaces naturels s’est-elle développée ?

 

La privatisation est une idée très présente dans les politiques de conservation depuis les années 1980. Cette idée est liée au tournant néo-libéral dans les campagnes de conservation de l’environnement. Dans les pays du sud, elle était associée à des injonctions faites par les bailleurs de fonds à développer des droits de façon systématique, à la fois sur le foncier et sur les ressources. Dans l’imaginaire associé aux politiques de conservation, l’idée selon laquelle on ne peut conserver ou gérer que ce que l’on possède était très présente. Pour cela, il devait alors exister des droits de propriété sur les ressources sauvages pour qu’elles soient gérées de façon adéquate. De plus, dans ces années-là, s’opposer au marché ne semblait pas efficace. Il était plus judicieux d’envisager une exploitation durable des ressources. L’idée qu’on peut sauver la nature en l’exploitant relevait d’une question de pragmatisme. Quand on constate qu’on ne parvient pas à s’opposer aux pratiques illégales comme le braconnage, il relève du bon sens de se tourner vers des efforts de traçabilité des ressources sauvages exploitées plutôt que de tenter de prohiber ces marchés.  

 

 

Quelles ont été les premières applications de ce modèle de gestion ?    

 

Les premiers projets, très débattus, concernaient les espèces menacées de la faune et de la flore. Ces débats étaient liés à la Convention de Washington de 1973 (la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction – Cites) ou à des aspirations à déclasser certaines populations, notamment celles d’éléphants d’Afrique australe. Certains pays considéraient qu’après les efforts engagés pour le développement d’aires protégées, des populations d’éléphants étaient trop importantes au regard de la superficie des aires. Ainsi, accorder la gestion des droits de chasse à des communautés en périphérie des parcs nationaux pouvait être une solution. Or, si les populations d’éléphants ont pu augmenter, c’est avant tout grâce aux parcs nationaux.  

 

 

La mise en place de ce modèle de gestion est-il efficace ?  

 

Du point de vue de l’efficacité, la privatisation est difficilement justifiable. Il est difficile d’isoler ces effets de celles des politiques passées. Et on ne dispose pas d’évaluations de l’efficacité intrinsèque de l’outil consistant à développer des droits de propriété, cependant, il a été mis en avant pour d’autres critères. Par exemple, pour des questions d’équité et pour répondre à des mouvements sociaux. De nombreuses ONG s’élèvent contre des politiques de conservation publiques excluant les populations locales, les privant d’accès à un certain nombre de ressources. Le modèle privé propose d’accéder à des ressources économiques en échange de ressources biologiques. Malgré tout, il existe dans l’imaginaire économique dominant d’inspiration libérale l’idée selon laquelle la propriété est associée à la responsabilité et à la bonne gestion. Mais il n’existe pas de démonstration théorique de la supériorité de la propriété privée sur d’autres formes d’appropriation : cette idée est purement idéologique.  

 

 

Le modèle privé peut-il remplacer une gestion publique de l’environnement ?

 

Bien souvent, la privatisation est envisagée en complément d’efforts mis en place à travers des politiques publiques. Le but est de les prolonger sur de nouveaux espaces, car les réserves foncières allouées à la conservation sont limitées et s’appuyer sur des intérêts privés est un moyen de conserver plus de territoires. C’est ce qui est mis en avant pour justifier les projets de banques de conservation.  

 

 

Cela peut-il favoriser le développement local et les valeurs locales associées à la nature ?   

 

Exclure les populations locales des politiques et des espaces dédiés à la conservation est injustifiable d’un point de vue éthique et politique. Il existe de plus en plus de lectures décoloniales des politiques de conservation qui accusent les parcs nationaux de fonctionner sur des représentations de la conservation occidentales. Ces nouvelles lectures rejettent le principe qu’au nom de la préservation de la biodiversité, qui est un patrimoine commun de l’humanité, on impose des restrictions d’usages à des populations locales dans des États souverains. C’est une forme d’impérialisme vert.  

 

 

Il y a eu un engouement certain il y a une dizaine d’années pour ce modèle de gestion. Pourquoi cet élan s’est-il essoufflé aujourd’hui ?    

 

Comme tout ce qui touche à l’exploitation des ressources dans la perspective de les sauver ou de les conserver, il existe des limites qui sont celles des marchés. Si on décide de s’appuyer sur l’exploitation économique d’un écosystème pour en tirer des revenus suffisants utiles à une conservation à grande échelle, il faut qu’il y ait de la demande. Lorsque ces modèles ont été mis en place, les marchés n’étaient pas forcément au rendez-vous, aucune étude de marché n’ayant réellement été réalisée en amont. Pour que l’économie puisse être un argument, il faut de vrais revenus. 

 

 

Que pensez-vous des prises de positions fortes quant à la direction à prendre pour la gestion de l’environnement ? 

 

Le danger de telles propositions, c’est de les préconiser d’un point de vue globale et d’en faire des solutions. Si on associe la conservation de la forêt tropicale à l’exploitation des produits non ligneux ou des molécules naturelles qu’elle contient et qui pourraient être utilisées pour la cosmétique ou l’industrie pharmaceutique, cela signifie que des marchés doivent se développer. Il faut que la demande en ressources issues des milieux naturels soit suffisant pour devenir un levier afin de conserver l’environnement. Or, il existe des écosystèmes ayant un grand intérêt biologique en termes de diversité mais qui ne recèlent pas pour autant de produits d’intérêt pour les marchés. Il n’existe pas de corrélation entre les deux. 

 

 

Existe-t-il des exemples d’évolution de programmes basés sur un tel modèle de gestion ? 

 

Je pense au programme de gestion Gelose (Gestion localisée et sécurisée), mis en place à Madagascar et qui visait à donner aux communautés locales des droits sur la forêt et sur les ressources naturelles. Les difficultés de mettre sur pied des institutions de gestion locale se sont multipliées. Il y a eu des problèmes de gouvernance et de capture par des élites avantagées. C’est aussi ce qu’il s’est passé avec le programme Campfire qui visait à associer à la gestion de droits de chasse des populations vivant en périphérie de parcs nationaux au Zimbabwe. Le programme a fait beaucoup parler de lui, mais les résultats n’ont pas été probants. Généralement, lorsque les financements cessent, les projets disparaissent. On pourrait dire que c’est un prolongement de ce rapport colonial qu’un certain nombre d’ONG contestaient dans la gestion publique. Donner des droits d’un genre nouveau sur des usages nouveaux encadrés de manière très spécifique par des populations qui n’ont pas forcément les formes d’organisation et les instances pour se saisir efficacement de tout ça, c’est souvent difficile.  

 

 

Vers quel modèle devrions-nous nous tourner à l’avenir ?  

 

C’est difficile de renoncer à un modèle unique. L’important, c’est de ne pas tout miser sur l’économie, qui a été très présente. Il faut arrêter de penser que les arguments et incitations monétaires sont les seuls arguments perceptibles par les acteurs, qu’il s’agisse du grand public ou des politiques. Les choix d’aménagement du territoire et de conservation de l’environnement sont des questions complexes. Il faut remettre l’économie à sa place en prenant conscience que les représentations qu’on s’en fait dans le monde de la conservation sont plus idéologiques que théoriques et ne correspondent pas toujours à la réalité des pratiques économiques.

Reconnecter au vivant par les émotions : le nouveau défi de la presse naturaliste

Quel a été le point de départ à l’origine de la création de La Salamandre ?  

 

Tout a commencé par une enfance à la campagne, remplie de balades dans la nature, qui m’ont permis de satisfaire la curiosité que j’avais pour le monde du vivant. Quand j’étais enfant, j’ai très vite eu conscience que la nature déclinait, ce qui a suscité beaucoup de colère et de tristesse. Alors je me suis demandé ce que je pouvais faire, à ma modeste échelle. Et comme j’avais beaucoup de plaisir à partager cette passion pour la nature, je me suis dit que j’allais créer un petit journal avec le peu de moyens que j’avais. J’ai commencé à taper sur une vieille machine à écrire héritée de mon grand-père. J’ai d’abord écrit sur les crapauds, les pissenlits, les hirondelles, etc. Et La Salamandre est née. Depuis les choses ont bien changé ! Aujourd’hui, les jeunes feraient un podcast, une chaîne YouTube ou un compte Instagram, mais à l’époque tout ça n’existait pas encore.  

 

 

Quels sont les principaux objectifs que vous aviez en créant la revue ? 

 

Pour nous, l’objectif n’est pas que les gens connaissent la biodiversité dans ses moindres détails. On ne veut pas former de parfaits naturalistes. Notre but est de reconnecter les gens au monde du vivant en passant par les émotions. On essaie de raconter des histoires pour créer de l’empathie. En étant touché par ces histoires, le vivant reprend de la valeur.  

 

 

Comment faites-vous pour continuer à toucher le public ?  

 

Pour toucher le plus de monde, nous essayons de multiplier les formats. En plus des différentes revues que l’on propose, nous éditons entre dix et quinze livres chaque année. Nous produisons aussi des documentaires animaliers et nous organisons un grand festival annuel en Suisse. Aujourd’hui, nous essayons de mettre davantage l’accent sur le numérique pour toucher les jeunes. Une des spécificités de La Salamandre est de véhiculer un message très positif, même s’il est de plus en plus difficile. On a tous besoin de ça, de continuer à montrer le beau et le positif pour que les humains continuent à prendre soin d’eux en prenant soin de la nature.  

 

 

Pensez-vous que réapprendre au public à observer la vie sauvage peut permettre de retisser durablement les liens entre l’humain et la nature ?  Le prochain rapport de l’Ipbes consacré à l’utilisation durable des espèces sauvages traitera de l’observation de la nature comme d’une activité « non extractive ». Elle n’est donc pas sans impact… 

 

Comment peut-on se sentir concerné par quelque chose avec lequel on a complètement perdu contact ? Si je vis en ville et que je passe la moitié de mon temps les yeux collés à un écran, comment puis-je me sentir concerné par la protection de la forêt, des oiseaux et des insectes ? Il est indispensable de retisser le lien entre l’humain et la nature. Aujourd’hui, les écosystèmes naturels subissent des pressions sans précédent, la population humaine ne cesse de croitre et le simple fait d’aller dans la nature et de l’observer peut avoir un effet délétère. Pendant la pandémie de la Covid-19, les gens ont moins voyagé pendant environ 2 ans, ce qui a été une bonne chose pour la biosphère. Mais d’un autre côté, la pression sur les écosystèmes provoquée par les loisirs de plein air s’est intensifiée. Ce paradoxe-là n’est pas facile à gérer. Notre rôle est de recréer du lien en invitant les gens à sortir, certes, mais aussi à observer, à s’émerveiller et à remettre en question certains de leurs comportements et de leurs pratiques. 

 

 

Considérez-vous que l’éducation à l’environnement puisse être un réel changement transformateur ?  

 

Malheureusement, je crois que jusqu’ici, force est de constater qu’elle ne l’a pas été. Ça fait quarante ans que c’est mon métier et qu’avec mon équipe nous sensibilisons des centaines de milliers de gens, à côté de nombreuses autres organisations qui le font à plus grande échelle encore. Pourtant, le monde continue de courir à la catastrophe. Je pense qu’il faudrait changer d’échelle pour que cela devienne un changement transformateur. Dans nos sociétés occidentales, aujourd’hui, il y a un vrai problème culturel, notamment en France. La nature n’est pas considérée comme un sujet important ou même sérieux. Au premier plan, il y a la culture, toutes ces œuvres magnifiques que créent les humains. Aujourd’hui, on parle de sujets comme la protection de la ruralité ou de questions comme celles liées aux pratiques de chasses. Mais au fond, la biodiversité n’a pas l’air d’être culturellement quelque chose d’important. Ça évolue dans le bon sens, bien sûr, mais encore trop lentement. Je pense qu’il y a encore cet héritage des philosophes du siècle des Lumières qui est bien ancré dans les mentalités. Il faut comprendre qu’en détruisant la nature, on détruit l’être humain. 

 

 

Comment remédier à ce constat d’échec ?  

 

J’ai récemment rencontré le philosophe Baptiste Morizot dont je trouve la pensée très nourrissante et dont je partage le diagnostic. Le mot de « nature » accumule un peu les casseroles. Déjà la nature, c’est futile par rapport à cette magnifique culture créée par les humains. Et c’est aussi un peu infantilisant. A la rédaction, on s’en rend bien compte. Quand on présente notre travail à des personnes qui ne nous connaissent pas, ils nous répondent souvent : « Ah, c’est super ! Je vais montrer ça à mes enfants ». Or, la nature est un sujet sérieux qui concerne tout le monde. Le mot de nature est presque devenu infantilisant. Je pense que la première chose à faire est de changer le discours et de parler par exemple de « monde vivant », qui est bien plus puissant car il nous inclut directement. Ensuite, il faut être plus attentif à nos systèmes éducatifs. Il y a une véritable révolution à faire dans ce domaine.  

 

 

Participez-vous à cette révolution de l’éducation ?  

 

Complètement. Nous avons édité un livre qui s’appelle « L’école à ciel ouvert », un manuel pour les enseignants qui respecte les programmes des écoles suisses et françaises. Le propos de ce livre est de montrer aux enseignants que tout peut être appris dans la nature. On peut faire des mathématiques, de l’anglais, de la physique et de la géographie dans la forêt. Le but n’est pas juste de faire des sorties dans la nature une fois par mois pour apprendre le nom des arbres, mais de faire toute l’école en lien avec le monde vivant.  Les vertus pédagogiques sont nombreuses ! Les enfants peuvent établir un vrai lien à la nature, tout en bénéficiant d’un cadre sain et propice à l’expérience. C’est encourageant, car ce livre rencontre un grand succès, encore aujourd’hui. Ce genre d’initiative est importante, parce que là, on est sûr de toucher tout le monde. En visant les écoles, on touche aussi les adultes. On entend souvent le discours qui consiste à dire que « c’est important de sensibiliser les jeunes, car ce sont eux qui dans 20 ou 30 ans vont devoir corriger nos erreurs ». Mais on ne peut plus dire cela aujourd’hui. Les changements doivent venir maintenant. En sensibilisant les enfants, ils deviennent des alliés pour amener à des changements de comportements des adultes, peut-être de manière plus rapide qu’en sensibilisant directement les adultes. Les enfants sont un peu comme des catalyseurs de changements sociétaux. En les sensibilisant, notre cible est aussi les adultes qui sont les décideurs d’aujourd’hui.

Gestion adaptative, le bon sens loin de chez nous

Le verbe gérer, selon le dictionnaire, signifie organiser les choses en s’adaptant à la situation, et donc faire face à une réalité forcément évolutive. Dans ce cadre, l’expression « gestion adaptative » semble s’apparenter à un pléonasme. Un gestionnaire qui ne s’adapterait pas à l’évolution de son environnement n’aurait, en effet, que peu d’avenir, sauf celui de se faire qualifier de « mauvais gestionnaire », de perdre la confiance de ses mandants et, in fine, de se voir retirer la responsabilité qui lui avait été confiée.

 

Gestion adaptative : une chasse durable est-elle possible ?

Qu’est-ce que la gestion adaptative de la chasse ?

 

Cette mesure vise à ajuster les prélèvements en fonction de l’état de conservation des espèces chassées, en s’appuyant à la fois sur la concertation des parties prenantes et sur les données scientifiques. Elle a été introduite en France dans la loi du 24 juillet 2019, portant création de l’Office français de la biodiversité (OFB). Réglementairement, il y a, aujourd’hui quatre espèces soumises à la gestion adaptative : la tourterelle des bois, le grand tétras, la barge à queue noire et le courlis cendré. Mais l’idée est de l’étendre à toutes les espèces exploitées, non seulement chassables mais aussi peut-être un jour pêchables.

 

 

En quoi cette gestion diffère de ce qui était précédemment mis en place ?

 

Jusqu’à présent aucune réglementation, sauf quelques rares exceptions concernant surtout les espèces sédentaires, ne s’appliquait au nombre à prélever. La régulation des prélèvements, pour la chasse des oiseaux, se faisait essentiellement par la durée de la saison de chasse. Or avant l’arrivée de cette modalité de gestion, les chasseurs pouvaient avoir tendance à considérer certains gibiers, et notamment les oiseaux migrateurs, comme une manne infinie qu’ils pouvaient prélever à satiété. La chasse, entre le milieu du 19e et le début du 20e siècle, a pu ainsi prendre des allures industrielles pour les besoins de certaines industries comme la chapellerie : les plumes étant très prisées pour décorer les chapeaux, ou l’agroalimentaires avec les usines de conserves de canards sauvages dans le nord de l’Europe. Des millions d’oiseaux ont été prélevés à cet effet. Mais ces prélèvements illimités n’ont pas pu durer très longtemps, car les populations ont fortement diminué, atteignant a priori leurs niveaux les plus bas à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Des réglementations ont alors vu le jour. Les saisons de la chasse se sont raccourcies, certaines espèces en danger critique ont été placées sous statut de protection. La chasse d’autres espèces, comme les petits oiseaux, tel le rouge gorge, pour des raisons éthiques a été interdite. Si toutes ces régulations combinées ont permis d’atténuer le déclin de certaines espèces, il n’était pas encore question du volume des prélèvements. Un chasseur pouvait, sur une période donnée, prélever autant d’individus d’une espèce qu’il le souhaitait, pourvu que la chasse soit ouverte, et que certaines limites ne soient pas imposées localement par les sociétés de chasse.

 

 

Comment la gestion adaptative a-t-elle vu le jour ?

 

Elle a été introduite en Amérique du nord dans les années 1990 pour la chasse des oiseaux d’eau, les anatidés. À cette époque, des épisodes de sécheresse ont provoqué le déclin de certaines populations de canards et les questions qui se posaient alors étaient les suivantes : la chasse avait-elle un effet additionnel ou, comme le suggérait une étude, la chasse n’avait qu’un rôle compensatoire à la mortalité naturelle, autrement dit les oiseaux seraient morts à cette période d’une façon ou d’une autre ? Ce défaut de connaissances conduisait à l’impossibilité de proposer des quotas sur lesquels tout le monde pouvait s’accorder. Si la chasse prélève des oiseaux qui mourront par ailleurs, pourquoi alors en limiter les prélèvements ?

 

 

Comment les parties prenantes se sont accordées ?

 

Un groupe de scientifiques a proposé de mettre en place une gestion adaptative des prélèvements d’oiseaux d’eau, dans le but d’encadrer la pratique de la chasse, mais aussi d’améliorer simultanément les connaissances et l’état de conservation des espèces. Ils ont réuni différentes parties prenantes comme les instances fédérales, les chasseurs et les naturalistes pour s’accorder à la fois sur des tailles de population cibles et sur une réglementation avant le début de la saison de chasse. Les populations d’anatidés ont alors été suivies durant l’année pour être ensuite confrontées aux prédictions de différents modèles, de manière à faire évoluer la connaissance du fonctionnement du système. Si les connaissances collectées depuis 1995 ont conclu que la chasse jouait bien un rôle additif à la mortalité naturelle des anatidés, les mesures mises en place, ont permis à ces populations d’oiseaux d’aller nettement mieux. Les objectifs de taille de populations initialement visés ont été pour la plupart des espèces très largement dépassés depuis.

 

 

À partir de quand la France a-t-elle choisi d’adopter ce modèle ?

 

Au début des années 2000, en France, une grande tension agitait les défenseurs de la nature et les chasseurs. Les débats portaient sur les volumes de prélèvements ou les périodes de chasse, pour l’oie cendrée ou la tourterelle des bois par exemple. Les bons résultats de la gestion adaptative conduite en Amérique du Nord sont parvenus jusqu’en France. Ce modèle est apparu aux yeux de tous comme un modèle de gestion durable, car fondé sur les connaissances et permettant aux parties prenantes de se mettre autour d’une table et de s’accorder. La gestion adaptative a été graduellement introduite en Europe pour les différentes espèces d’oies, puis en France pour certaines espèces d’oiseaux sédentaires ou migrateurs.

 

 

Comment cette gestion a-t-elle été accueillie par les parties prenantes ?

 

Les dissensions résident dans la manière dont cette gestion adaptative doit être appliquée : faut-il utiliser tel ou tel modèle de dynamique de population ? Lorsqu’une incertitude apparaît, faut-il faire valoir le principe de précaution ? etc. De façon générale les chasseurs acceptent le principe des quotas et le suivi scientifique pour déterminer les causes premières du déclin des espèces chassées, mais ils estiment qu’ils n’en sont pas forcément directement responsables et qu’ils paient le prix pour les autres. Selon eux, il est plus facile de réglementer la chasse qui est un loisir que de modifier les pratiques agricoles qui dans bien des cas sont les causes directes du déclin des oiseaux. C’est le cas par exemple de la tourterelle des bois qui a vu ses populations chuter à cause de la perte d’habitat liées à l’agriculture. Sa taille de population est devenue si faible qu’elles ne peuvent aujourd’hui plus soutenir le prélèvement et sa chasse est actuellement suspendue.

 

 

Quels impacts concrets la gestion adaptative va avoir sur les pratiques de chasse ?

 

Elle va impliquer certaines contraintes, en particulier l’existence de quotas de prélèvements et l’obligation pour les chasseurs de renvoyer chaque année leur tableau de chasse rapidement après la fin de la saison. Mais cette gestion adaptative leur promet aussi un gibier globalement abondant grâce à la réglementation sur les prélèvements ou la période de chasse qui fluctuera en fonction de l’état et des connaissances des populations cibles.

 

 

Quand sera-t-elle appliquée aux autres espèces ?

 

Cette gestion est encouragée par l’Europe. Il est probable que dans les cinq prochaines années, elle soit mise en place pour une grande partie des 90 autres espèces qui aujourd’hui sont chassables en France.

Réduire l’impact environnemental et valoriser les pêcheurs : la combinaison gagnante pour une pêche durable ?

Quel a été pour vous le point de bascule qui vous a poussé à vouloir faire évoluer le commerce des produits de la pêche ?  

 

Au début de ma carrière d’ingénieur agro-halieute, je me suis retrouvé pendant un an sur les bateaux et j’ai pris conscience de tout ce que j’avais théorisé pendant mes études. C’est-à-dire que les pêcheurs ne savent jamais ce qu’ils vont attraper, ni quand ils vont pouvoir sortir en mer, ni même combien ils vont pouvoir vendre leurs prises : bref, ils sont soumis à une grande instabilité. Le plus souvent, j’ai rencontré des équipages déçus d’avoir trimé dans la tempête pendant plusieurs heures pour finalement très mal vendre leur produit. Certains me disaient : “Moi, je vends en direct. De cette manière, je valorise mieux mon poisson et je peux me permettre de ne pas aller en mer quand le temps est mauvais”.  

 

Qu’avez-vous mis en place pour répondre à cette prise de conscience ?  

 

Au début, pas grand-chose… Je me suis retrouvé à travailler à la direction des pêches du ministère de l’agriculture où je subventionnais des projets de recherche et développement ou d’investissements à bord de navires. Mais petit à petit, je me suis intégré dans les systèmes d’Amap et j’ai découvert ces offres de paniers avec de super produits, bons, provenant directement du producteur, bien payés et issus de pratiques vertueuses. Là, je me suis dit qu’il fallait faire la même chose avec la pêche.  

 

Quelles sont les valeurs que cherchent les consommateurs en se tournant vers vous ? 

 

Récemment, nous avons fait un sondage auprès de nos abonnés. On distingue deux cas. Les plus anciens clients nous disent que c’est la qualité du produit et le goût qui fait la différence. Je pense que l’on n’est pas tombé dans l’écueil de certains produits issus du commerce équitable ou du vin bio qui proposent de bonnes valeurs mais qui n’offrent pas de bons produits. Pour les abonnés plus récents, la différence se fait sur l’engagement de durabilité qui est associé à une certaine valeur de confiance. Aujourd’hui, les gens se méfient des labels. Nous mettons en avant des produits frais, durables et éthiques, avec derrière une véritable transparence et de vrais critères.  

 

Qu’est-ce qui fait que votre activité est durable ? 

 

D’abord, nous travaillons avec certains types de navires de manière exclusive. C’est-à-dire que nous ne mettons dans nos paniers que des produits issus de la petite pêche côtière. Concrètement, cela signifie que nous ne travaillons qu’avec des bateaux de 12 mètres au plus qui sortent à la journée uniquement et qui embarquent trois marins au maximum pour la pêche au filet. Mais nous avons aussi des critères techniques. Nous ne travaillons qu’avec des pêcheurs qui utilisent des techniques douces ou passives. Concrètement, il s’agit d’engins que l’on pose dans l’eau et que l’on revient chercher plus tard comme des hameçons, des lignes, des casiers ou des filets. Nous valorisons aussi la pêche à la main, en plongée ou à pied. Évidemment, nous refusons de travailler avec des pêcheurs qui utilisent des chaluts ou des dragues qui, selon les scientifiques, abîment les fonds marins. Nous faisons aussi attention à la sélectivité : nous achetons ce qui est pêché, même s’il s’agit de poissons peu connus par le consommateur.  

 

Comment rémunérez-vous vos pêcheurs ?  

 

Aujourd’hui, c’est assez hétérogène. Il y a les poissons les plus demandés payés quasiment au prix du marché, comme les bars, les soles ou les turbots. Et pour les espèces moins connues, nous payons beaucoup plus. Globalement, nous nous engageons à payer 20 % de plus que le marché.  

 

Qui sont les pêcheurs qui travaillent avec vous ?  

 

On rencontre des pêcheurs qui sentent que leur filière n’est pas assez valorisée. Il n’y a pas de “bio” pour la pêche, donc pas de possibilité pour les pêcheurs d’afficher clairement leurs pratiques vertueuses. Pour moi, un défaut des certifications “pêche durable”, c’est qu’elles veulent absolument raisonner à l’échelle de la pêcherie et non à celle du pêcheur. Je pense que tout pêcheur ayant des pratiques objectivement vertueuses devrait pouvoir être labellisé. Ce sont ces pêcheurs-là que l’on va chercher, ceux qui n’arrivent pas à travailler à petite échelle parce que la filière ne les met pas en valeur et ne les rémunère pas assez. On travaille aussi avec de nombreux pêcheurs qui s’installent, qui font peu de volume et pour lesquels il est plus facile de vendre aussi les espèces habituellement dénigrées par le marché.  

 

Pour les pêcheurs, ça change quoi concrètement ?  

 

Ce que nous voyons aujourd’hui avec les sondages que l’on fait auprès de nos pêcheurs, c’est que 30 % d’entre eux nous vendent des espèces qu’ils jetaient à la poubelle auparavant. En réduisant ce gaspillage, on réduit considérablement la pression sur les autres espèces habituellement plus exploitées. D’autres nous déclarent pouvoir se permettre de mettre moins d’engins en mer, de passer moins de temps à pêcher, de mettre moins de longueurs de filets, ce qui, encore une fois, réduit la pression de pêche.  

 

Est-ce que ce système peut s’étendre à une plus grande échelle et devenir un vrai changement transformateur ?  

 

C’est le rêve que l’on avait au départ. Nos objectifs premiers sont d’assurer des bons prix toute l’année et de voir, grâce à ce système de paniers qui assure l’écoulement de nos produits, que les stocks de poissons s’améliorent. D’ailleurs, nous avons des scientifiques qui évaluent actuellement notre impact en mesurant l’activité des bateaux, les quantités attrapées et les nombres de jours passés en mer. Vendre du poisson, c’est juste un moyen d’arriver à cette fin, de créer un levier en payant mieux les pêcheurs, au lieu d’attendre que les stocks de poissons soient dégradés à un tel point qu’il faille soumettre les pêcheurs à des mesures coercitives comme l’instauration de quotas parfois inadaptés et en décalage avec la réalité économique.  

 

Quels sont vos prochains challenges ?  

 

La prochaine étape, c’est d’inciter de nouveaux professionnels à se conformer à nos critères de durabilité, pour valoriser le mouvement des nouveaux pêcheurs qui s’installent et qui pratiquent la pêche à la ligne ou au casier. Il faut les aider à transformer plus en profondeur la filière. Aujourd’hui, il y a un vrai risque de rachat des petits bateaux. L’idéal serait de faire l’inverse : sanctuariser de petits bateaux, voire acheter des gros bateaux pour les transformer en petits. Le jour où l’on arrivera à obtenir un volume suffisamment important et où l’on pourra dire à un pêcheur qui fait 50 tonnes de poissons dans l’année qu’on est là pour lui, on deviendra un vrai levier.

#Presidentielle2022 – Économie et fiscalité

Économie et fiscalité, des enjeux biodiversité

 

Les pressions exercées sur la biodiversité augmentent fortement depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Elles sont causées par des déterminants qui dépendent beaucoup de la façon dont s’est développé notre modèle économique et les activités qui en découlent.

Ces modes de développement, qui ont entrainé une croissance ininterrompue de la consommation des ressources naturelles au niveau global, voire de surconsommation, mettent ainsi en péril la capacité des écosystèmes à fournir les services dont ils dépendent. En outre, la fiscalité telle qu’elle est imaginée aujourd’hui sur le territoire français est défavorable à la préservation de la biodiversité. Comme le souligne Guillaume Sainteny : “Il n’existe pas véritablement de fiscalité de la biodiversité, mais plutôt une fiscalité qui s’est historiquement construite sans tenir compte de ses effets sur la biodiversité”.

 

Sont ici compilées toutes les mesures proposées par les candidat·es qui soient de nature à peser sur les activités économiques en ayant un impact sur la biodiversité, ou mesures fiscales incitatives ou punitives liées à la biodiversité.

 

 

Les mesures des candidat·e·s :

 

N.B. Nous avons autant que possible conservé les mesures dans les termes exacts proposés par les candidat·e·s. Des modifications mineures ont cependant été apportées comme le passage des verbes à l’infinitif et la réduction de certains corpus pour en faciliter la clarté. Par ailleurs, les mesures présentées ici découlent d’un tri réalisé jusqu’au 29 mars 2022 qui peut présenter une certaine subjectivité. Pour retrouver l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de cette campagne présidentielle, seuls les programmes officiels des candidats font foi. Ils sont disponibles sur la page principale du dossier.

#Presidentielle2022 – Changement climatique et transition énergétique

Changement climatique et transition énergétique, un enjeu biodiversité

 

Convaincue que la biodiversité et le climat sont deux enjeux environnementaux complémentaires qui, s’ils s’ignoraient entraineraient des difficultés supplémentaires, la Fondation alerte sur les liens complexes entre changement climatique et déclin de la biodiversité. L’atténuation du changement climatique repose pour une large part sur la transition énergétique, c’est-à-dire l’abandon des sources d’énergie fondées sur le carbone fossile au profit des énergies renouvelables. Cet objectif national et européen majeur suscite des développements technologiques et d’importants investissements. Or les infrastructures développées peuvent avoir des impacts multiples, et surtout non anticipés, sur la biodiversité et en particulier sur le fonctionnement des écosystèmes. Il est donc aujourd’hui indispensable de concilier défi énergétique et préservation de la biodiversité.

 

Pour ces élections, les débats énergétiques sont particulièrement centrés sur les questions nucléaires, l’acceptabilité des énergies renouvelables et notamment la question des éoliennes ou encore la rénovation thermique des bâtiments. Les impacts de ces différents développements sont peu ou pas mentionnés, ce qui peut à court terme être préjudiciable à la biodiversité et par contre coup préjudiciable à la lutte contre le changement climatique.

 

 

Les mesures des candidat·e·s :

 

N.B. Nous avons autant que possible conservé les mesures dans les termes exacts proposés par les candidat·e·s. Des modifications mineures ont cependant été apportées comme le passage des verbes à l’infinitif et la réduction de certains corpus pour en faciliter la clarté. Par ailleurs, les mesures présentées ici découlent d’un tri réalisé jusqu’au 29 mars 2022 qui peut présenter une certaine subjectivité. Pour retrouver l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de cette campagne présidentielle, seuls les programmes officiels des candidats font foi. Ils sont disponibles sur la page principale du dossier.

#Presidentielle2022 – Santé

La santé, un enjeu biodiversité

 

L’érosion massive de la biodiversité et de ses services écosystémiques menacent la santé humaine de multiples façons. En premier lieu par le biais de notre alimentation : sa diversité, sa qualité nutritionnelle dépendent de la diversité biologique et d’écosystèmes fonctionnels. Ensuite, la perte de biodiversité aggrave les évènements climatiques extrêmes, perturbe la capacité des écosystèmes à stocker du carbone, à épurer l’eau, l’air et les sols, à réguler les pathogènes, entrainant des décès et des pertes de qualité de vie. L’effondrement du vivant, enfin, impacte le bien-être humain par la perte des possibilités d’apprentissages, d’inspiration, la perte de l’identité liés aux paysages et des expériences physiques et psychologiques en lien avec le nature.

 

La pandémie récente a mis en lumière les liens entre notre santé et la déforestation, le braconnage et le commerce d’animaux et de végétaux sauvages, le changement climatique, la faible diversité génétique et spécifique dans les champs et les élevages, ou encore la croyance que c’est en décimant des populations, en perturbant des écosystèmes, que l’on va réduire les maladies.

 

Les maladies émergentes, comme Zika, Chikungunya, les résurgences croissantes de maladies anciennes, comme la grippe aviaire, la brucellose et autres zoonoses, sur le territoire national, menaçant la viabilité de certaines filières agricoles montre l’importance de la question. Ces pandémies proviennent de divers pathogènes transportés par des réservoirs animaux mais leur émergence est en très grande partie due à un manque de compréhension des milieux sauvages, une mauvaise gestion de ces derniers, une trop faible diversité chez les espèces cultivées, élevages.

 

 

Les mesures des candidat·e·s :

 

N.B. Nous avons autant que possible conservé les mesures dans les termes exacts proposés par les candidat·e·s. Des modifications mineures ont cependant été apportées comme le passage des verbes à l’infinitif et la réduction de certains corpus pour en faciliter la clarté. Par ailleurs, les mesures présentées ici découlent d’un tri réalisé jusqu’au 29 mars 2022 qui peut présenter une certaine subjectivité. Pour retrouver l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de cette campagne présidentielle, seuls les programmes officiels des candidats font foi. Ils sont disponibles sur la page principale du dossier.

#Presidentielle2022 – Droit et gouvernance

Droit et gouvernance, des enjeux biodiversité

 

La prise en compte de la biodiversité et l’établissement de mesures visant à améliorer sa conservation suppose divers cadres légaux, administratifs et de gouvernance.

Les compétences associées à cette mission peuvent être imaginées à différentes échelles de territoire : locale, régionale, nationale, ou même transférée aux niveaux européen et international. En outre, la coopération entre États, les partenariats à renforcer ou à tisser, ou encore le dosage d’interventionnisme peuvent faire l’objet d’une redéfinition stratégique.

 

Sont listées ci-dessous les mesures envisagées par les candidat·es ayant trait à ce maillage politique, juridique et administratif, de nature à redessiner ou réaffirmer les contours de cette gouvernance de la biodiversité.

 

 

Les mesures des candidat·e·s :

 

N.B. Nous avons autant que possible conservé les mesures dans les termes exacts proposés par les candidat·e·s. Des modifications mineures ont cependant été apportées comme le passage des verbes à l’infinitif et la réduction de certains corpus pour en faciliter la clarté. Par ailleurs, les mesures présentées ici découlent d’un tri réalisé jusqu’au 29 mars 2022 qui peut présenter une certaine subjectivité. Pour retrouver l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de cette campagne présidentielle, seuls les programmes officiels des candidats font foi. Ils sont disponibles sur la page principale du dossier.

#Presidentielle2022 – Agriculture et pêche

Agriculture et pêche, des enjeux biodiversité

 

Mal gérée, trop intensive, l’agriculture peut entrainer pollution, érosion des sols et de la biodiversité sauvage, transformation des habitats et déforestation, réduisant d’autant plus, à terme, le potentiel productif. Et ce, alors que les besoins alimentaires vont croissant. L’évolution de la demande des consommateurs et les incertitudes face au changement climatique nécessitent de remettre les fonctionnements écologiques au cœur de l’agrosystème, afin de rendre notre agriculture plus durable, tout en préservant et valorisant l’ensemble de ses diversités.

Par ailleurs, on observe une chute drastique des populations de poissons, notamment due à une surexploitation de certaines espèces, déclins des points chauds de diversité marine tels que les récifs coralliaires en raison du changement climatique, des pollutions, voire du tourisme, d’où la nécessité de proposer des mesures de protection à l’égard de la biodiversité marine et aquatique.

 

Nous avons ici regroupé l’ensemble des mesures qui ont pour objectifs d’enrayer de manière directe l’érosion de la biodiversité en lien avec l’agriculture et la pêche. Les mesures favorisant une transition écologique s’intégrant à la thématique identifiée et ayant un impact indirect sur l’érosion de la biodiversité ont également été recensées ci-dessous.

 

 

Les mesures des candidat·e·s :

 

N.B. Nous avons autant que possible conservé les mesures dans les termes exacts proposés par les candidat·e·s. Des modifications mineures ont cependant été apportées comme le passage des verbes à l’infinitif et la réduction de certains corpus pour en faciliter la clarté. Par ailleurs, les mesures présentées ici découlent d’un tri réalisé jusqu’au 29 mars 2022 qui peut présenter une certaine subjectivité. Pour retrouver l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de cette campagne présidentielle, seuls les programmes officiels des candidats font foi. Ils sont disponibles sur la page principale du dossier.

#Presidentielle2022 – Recherche

Des enjeux liés à la recherche sur la biodiversité

 

Comprendre le comportement des différentes espèces, les interactions entre elles et avec les êtres humains, l’évolution des écosystèmes, des espèces, des individus, des gênes, l’histoire du vivant sur notre planète, établir des modèles et scénarios pour mieux anticiper l’impact de notre empreinte sur le vivant pour les années à venir sont autant de pré-requis pour une cohabitation soutenable et une préservation efficace de la biodiversité.

Pour protéger la biodiversité, il est primordial de la connaitre. Dans cette optique, le développement et le financement de la recherche ainsi que son accessibilité au plus grand nombre sont des éléments primordiaux pour protéger la biodiversité. Ceci entre en résonance directe avec les missions principales de la Fondation, à savoir soutenir la recherche, agir avec et diffuser les connaissances.

 

Les mesures compilées ici et proposées par les candidat·es sont relatives à la recherche, au développement et à l’innovation autour des questions environnementales et de biodiversité. Il est ainsi question de l’organisation de la recherche, des moyens qui y seront alloués, des priorités de recherche (tant en termes de milieux que de finalités).

 

 

Les mesures des candidat·e·s :

 

N.B. Nous avons autant que possible conservé les mesures dans les termes exacts proposés par les candidat·e·s. Des modifications mineures ont cependant été apportées comme le passage des verbes à l’infinitif et la réduction de certains corpus pour en faciliter la clarté. Par ailleurs, les mesures présentées ici découlent d’un tri réalisé jusqu’au 29 mars 2022 qui peut présenter une certaine subjectivité. Pour retrouver l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de cette campagne présidentielle, seuls les programmes officiels des candidats font foi. Ils sont disponibles sur la page principale du dossier.

#Presidentielle2022 – Utilisation des espèces sauvages

Utilisation des espèces sauvages, un enjeu biodiversité

 

Les espèces sauvages sont soumises à l’utilisation par l’humain à différentes fins : de subsistance, commerciales, récréatives ou culturelles. Les activités de prélèvement telles que la pêche, la chasse, la cueillette et l’exploitation des forêts naturelles par opposition aux plantations sont les principales formes d’utilisation des espèces sauvages.

Au niveau mondial, l’Ipbes estime qu’il s’agit d’une des cinq causes majeures perte de biodiversité. Il est donc nécessaire de garantir une exploitation durable des organismes afin d’enrayer l’érosion du vivant.

 

Les mesures listées ci-après sont celles qui nous ont paru concerner directement les espèces sauvages (terrestres ou maritimes, animales ou végétales), en adressant les conditions de leur utilisation.

 

 

Les mesures des candidat·e·s :

 

N.B. Nous avons autant que possible conservé les mesures dans les termes exacts proposés par les candidat·e·s. Des modifications mineures ont cependant été apportées comme le passage des verbes à l’infinitif et la réduction de certains corpus pour en faciliter la clarté. Par ailleurs, les mesures présentées ici découlent d’un tri réalisé jusqu’au 29 mars 2022 qui peut présenter une certaine subjectivité. Pour retrouver l’intégralité des mesures proposées dans le cadre de cette campagne présidentielle, seuls les programmes officiels des candidats font foi. Ils sont disponibles sur la page principale du dossier.

Les récifs coralliens cernés par les impacts anthropiques et les changements globaux

Du 9 au 11 février s’est tenu à Brest le premier One Ocean Summit, un sommet international qui a permis de concrétiser des engagements en faveur de la protection des mers et des océans. Les écosystèmes marins sont en effet menacés à la fois par des facteurs globaux (tels que le réchauffement de l’eau et l’acidification des océans), mais aussi par des facteurs locaux (tels que la pêche, la pollution lumineuse ou encore la navigation). Les facteurs de pression étant directement associés aux activités humaines, les écosystèmes les plus éloignés des humains devraient intuitivement subir moins d’impacts et constituer des refuges plus sûrs pour la biodiversité. Cette idée est d’ailleurs confortée par plusieurs études scientifiques qui démontrent l’existence d’une corrélation claire entre l’état des écosystèmes et leur distance par rapport aux grandes villes (Figure 1). Pour cette même raison, les zones les plus éloignées sont aussi considérées comme des réservoirs potentiels de biodiversité qui peuvent préserver les écosystèmes en cas d’extinction importante.

 

Fig1_Score_Reef_Strona_2021

Figure 1. L’impact des activités anthropiques, ou leurs conséquences (tels que la pêche, la pollution) sur les communautés des poissons des récifs coralliens diminue avec l’éloignement aux activités humaines. Chaque point correspond à une zone de récifs coralliens à une résolution spatiale de 1 × 1 degré de latitute/longitude. Modifié de Strona et al. 2021b (CC BY 4.0).

 

 

Cependant, des études menées au sein du projet de recherche Score-Reef, co-financé par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) à travers son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab), l’Office français de la biodiversité (OFB) et le Ministère de la transition écologique (MTE), montrent que la réalité est tout autre lorsque l’on prend en compte la dépendance des poissons vis-à-vis des récifs coralliens.

 

Analyse scientifique des indicateurs de la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB)

L’ONB produit et diffuse des indicateurs et cartes permettant de suivre l’état de la biodiversité, les pressions qu’elle subit et les réponses apportées aux problèmes qu’elle affronte. Les indicateurs et cartes facilitent le dialogue, la prise de décision et l’évaluation des stratégies mises en œuvre en faveur de l’environnement.

 

En 2012, l’ONB a décidé de les regrouper et de les mettre à disposition des utilisateurs potentiels en créant une base de données en ligne et en libre accès : Indicateurs de BioDiversité en Base de Données (i-BD²).

Comme les indicateurs ne fournissent que des informations parcellaires, l’ONB a rapidement souhaité bénéficier d’un regard extérieur sur ceux présentés dans i-BD². La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) a ainsi été sollicitée pour examiner leur pertinence scientifique, leur comportement au regard des caractéristiques des jeux de données et les biais pouvant apparaître dans leur construction ou leur calcul.

 

La mission confiée aux experts mobilisés par la FRB permet d’apporter un regard critique sur la base de critères scientifiques mais aussi sur les forces et les faiblesses des indicateurs afin de proposer soit des améliorations des indicateurs existants, soit la création de nouveaux indicateurs, soit l’arrêt de l’utilisation de certains.

Dans tous les cas, il s’agit d’expliquer aux utilisateurs les limites d’utilisation de chaque indicateur et carte. Retrouvez ci-dessous la liste des indicateurs et cartes évalués, les rapports par exercice ainsi que la publication “Évaluation scientifique des indicateurs : le développement d’une méthode originale” .

L’approvisionnement en bois venant des forêts guyanaises peut-il être durable ?

Couverte à 95 % de forêts, la Guyane française représente un enjeu essentiel en termes de régulation du climat et des flux de carbone. C’est aussi potentiellement un réservoir considérable de bois d’œuvre. Le bois exploité est en grande partie destiné à la construction ou à la rénovation résidentielle pour des marchés locaux ou exporté dans les Antilles françaises. La production s’y élève chaque année à 80 000 m3, ce qui en fait, en plus de l’enjeu socio-économique associé à la régulation du climat, un des principaux secteurs économiques de la région. L’Office national des forêts (ONF), qui en est le gestionnaire, est chargé du choix des massifs à exploiter, de la construction des dessertes forestières et de l’application des principes de gestion durable. En particulier, il désigne les arbres à abattre puis les vend à des concessionnaires qui en font eux-mêmes l’exploitation. Car dans ces forêts naturelles, c’est-à-dire à l’état sauvage, la production se fait par exploitation sélective. Seuls quelques grands arbres d’intérêt commercial sont exploités comme l’angélique, le gonfolo et le grignon franc. Ces espèces représentent à elles seules trois quarts de la production, alors qu’au moins 90 essences sont technologiquement utilisables, mais avec encore peu de débouchés dans la filière bois. Le reste de la forêt est laissé à une régénération naturelle, avec un cycle de coupe fixé à 65 ans. Malheureusement, les populations d’individus de taille exploitable de ces espèces cibles ne se renouvellent pas au rythme auquel elles sont exploitées. En effet, on constate qu’elles pourraient être épuisées après un ou deux cycles d’exploitation. Pour maintenir les fonctions écologiques essentielles comme la régulation du climat ainsi que la production de bois de ces forêts tout en préservant les massifs forestiers inexploités sur le long terme, une solution serait de diversifier la liste d’espèces exploitées1. Pour ce faire, il est nécessaire de changer les habitudes dans les marchés publics, en parvenant à ce que les architectes maîtrisent aussi l’usage des essences moins connues et en développant des solutions techniques adaptées à leur utilisation 

 

Les systèmes alimentaires des peuples autochtones : un lien fort aux espèces sauvages comme réponse à la crise des régimes alimentaires

Comment définissez-vous les systèmes alimentaires des peuples autochtones ?   

 

D’abord, il est important de définir ce qu’est un peuple autochtone. Il s’agit d’un statut revendiqué par certaines communautés, juridiquement reconnu par les Nations Unies, sur la base d’un certain nombre de traits. Un de ces traits est un lien fort et ancien avec un territoire qui se traduit par une connaissance approfondie de ses ressources, de leur diversité et de leurs usages (alimentaires, médicaux, etc.). Un autre de ces traits est que ces peuples autochtones se définissent comme porteurs d’une relation et d’une sensibilité particulières au monde dans lequel ils vivent, relation qui s’inscrit dans un ensemble de valeurs respectueuses du vivant. 

 

 

Combien de personnes constituent l’ensemble de ces communautés ? 

 

On estime qu’ils sont un peu moins de 500 millions. Contrairement à une idée un peu ancienne et caricaturale, il n’existe que très peu de chasseurs-cueilleurs dans ces communautés. Cependant, ces communautés revendiquent des systèmes alimentaires reposant sur des ressources locales et sur une dimension collective très forte : à la fois dans l’accès aux ressources souvent gérées de façon collective, mais aussi dans le travail de production, de préparation et dans le partage des aliments. Ces communautés entretiennent des dispositifs de solidarité alimentaire. Mais ces systèmes alimentaires créent non seulement du lien social, mais aussi un lien au vivant. Ils sont la plupart du temps biocentriques et, à l’inverse de systèmes anthropocentriques, ne sont pas focalisés sur l’humain.  

 

 

Où sont généralement situées ces communautés ?  

 

Elles se situent souvent dans des zones protégées. Un tiers de la surface mondiale couverte par les zones protégées est occupé par ces communautés. Dans ces zones, ces communautés revendiquent une souveraineté alimentaire, c’est à dire le droit d’accéder aux ressources locales pour préserver leurs pratiques alimentaires et toutes les valeurs bio culturelles qui y sont rattachées.  

 

 

Quel est le lien des communautés autochtones aux espèces sauvages ?  

 

Pour vous répondre, je citerais le Livre Blanc/Whipala sur les systèmes alimentaires des peuples autochtones qui dit : “Depuis des millénaires, les peuples autochtones protègent leur environnement et sa biodiversité”. Ces savoirs et ces pratiques sont revendiqués comme durables. Les systèmes alimentaires autochtones contribuent à la construction de la biodiversité à travers l’agriculture et au maintien des ressources non domestiques par des pratiques d’exploitations durables. Mais attention, le sauvage, dans ces systèmes, ce n’est pas que du gros gibier. On se focalise parfois sur les grandes espèces emblématiques, mais les ressources alimentaires sauvages ce sont aussi des plantes, des insectes, des poissons, etc. La revendication des peuples autochtones d’être à la fois protecteurs et utilisateurs de la biodiversité est parfois mal comprise et l’équilibre est souvent fragile et difficile à maintenir.    

 

 

Pourriez-vous donner un exemple ? 

 

Prenons l’exemple des BaTonga, une population située au Zimbabwe, de part et d’autre du Zambèze. Des études montrent toute l’importance des ressources sauvages dans leur alimentation. Celle-ci se remarque à plusieurs niveaux. D’une part par la contribution à la diversité alimentaire et notamment par le nombre d’espèces consommées. En effet, les BaTonga exploitent 60 espèces animales dont 18 sauvages. Pour les plantes, c’est plus de la moitié des espèces consommées qui sont sauvages, 37 sur un total de 58. À titre de comparaison, on sait que l’alimentation mondiale basée sur le secteur agroalimentaire ne repose essentiellement que sur une dizaine d’espèces végétales et une dizaine d’espèces animales. D’autre part, les ressources sauvages sont importantes car l’alimentation des BaTonga est culturellement riche de ces espèces. Plus de la moitié des préparations culinaires répertoriées par l’étude inclut des ingrédients sauvages. Enfin, ces ressources permettent de réduire la vulnérabilité des BaTonga face aux crises. Pendant la pandémie mondiale de Covid-19, ils ont eu un recours accru aux ressources alimentaires sauvages, ils ont cueilli des fruits, chassé des oiseaux, etc. Ceci a permis de limiter l’impact des pénuries et des baisses de revenus liées à la pandémie.  

 

 

En quoi l’étude de ces systèmes peut-elle favoriser la durabilité du système alimentaire global ? 

 

Les peuples autochtones revendiquent des systèmes alimentaires durables. Ces systèmes sont sans doute porteurs de solutions à considérer pour répondre à la crise actuelle des systèmes alimentaires. Mais c’est peut-être moins leur rapport aux aliments, bases de leur alimentation, que leur rapport culturel qui doit nous inspirer. La principale cause de la crise que l’on traverse actuellement est la perte de sens de notre alimentation. Comme le signale le sociologue Claude Fischler, nous consommons des “objets comestibles non identifiés”. La distanciation entre les mangeurs et les aliments a des conséquences néfastes sur nos interactions avec le vivant, sur ce que l’on se croit “autorisé” à faire. Je suis particulièrement attachée à un certain nombre de concepts qui permettent de repenser nos systèmes alimentaires comme celui d’écologie de l’alimentation qui est un domaine très intéressant. Repenser notre alimentation comme un moyen de se relier les uns aux autres, de redonner une valeur aux relations sociales qui peuvent se tisser à travers l’alimentation, c’est revendiquer une qualité du lien avec les non humains et enfin redonner un sens au vivant. Je crois que, face à la domination de la rationalité technico-économique, ces préoccupations sont associées à de la sensiblerie et donc évacuées de nos réflexions. Mais il faut redonner sa place à l’intime et à l’affectif dans notre lien à la biodiversité. Ce que nous apportent les systèmes alimentaires des peuples autochtones, c’est la possibilité de renforcer ce lien à travers l’alimentation. Pour qu’ils soient durables, le “sensible” doit être intégré pleinement à nos systèmes alimentaires. 

 

 

Un parallèle existe-t-il entre ces systèmes autochtones et les pratiques d’exploitation ou de consommation en France ?  

 

Je pense qu’il y a énormément de mouvements sociaux en France qui visent à redonner un sens à l’alimentation. L’industrie a séparé les mangeurs des aliments, mais les consommateurs se mobilisent désormais pour essayer de recréer du lien. Il existe de nombreux exemples : les Amap qui visent à recréer le lien entre producteur et consommateur, le commerce équitable, les références au “local”, etc. De nombreux consommateurs du monde occidental se réapproprient de cette manière leur ancrage dans leur espace social et biophysique. Le parallèle entre les revendications des peuples autochtones et celles des nouveaux consommateurs du monde occidental est évident et va dans le même sens.   

 

 

Développer des systèmes plus proches du sauvage, comme les systèmes autochtones, est-il une stratégie levier pour la durabilité des régimes alimentaires ?  

 

Avec les maladies émergentes, le sauvage est perçu de façon accrue comme une menace. L’image du consommateur qui mange un animal sauvage et génère une pandémie mondiale est très présente dans les esprits. Au-delà de ce cliché, je pense que la consommation d’animaux sauvages dans les métropoles asiatiques par exemple, peut aussi être interprétée comme une forme de résistance à une réduction de la biodiversité. Garder une place au sauvage dans notre alimentation est une façon de garder un lien fort et direct avec le vivant. Bien sûr, ce n’est pas facile, surtout face aux enjeux de conservation. Je vis en France dans une zone envahie par les sangliers. Il y a eu des tentatives de créer des filières de viande sauvage, ce qui n’a pas été facile à cause des normes sanitaires strictes et des effets possibles d’une chasse commerciale. De plus, la chasse est de plus en plus difficile à accepter moralement, notamment parce qu’elle a perdu sa fonction alimentaire. Favoriser la diversité des aliments, les produits de la chasse et de la cueillette dans les systèmes alimentaires, présente certains intérêts. Même de façon très ponctuelle, cela peut être un moyen d’entretenir un lien sensible avec le vivant, qui peut aider à la conservation de la biodiversité.

Le développement de la cueillette de plantes sauvages sur le territoire français : conditions et enjeux de la durabilité

Bien que la cueillette de plantes sauvages remonte aux origines de l’humanité, il aura fallu attendre les années 2010 pour que le monde académique et de la conservation se penchent sur la question. En cause, une explosion de la demande en produits naturels, des désirs de retour à la nature et un marché du sauvage en pleine expansion. Cette pratique s’est fortement développée aussi bien dans les sociétés occidentales, pourtant davantage tournées vers les médicaments de synthèse, que dans certains pays du Sud où l’offre et l’usage de produits naturels sont importants. Le regard porté sur les plantes s’est transformé avec l’émergence des discours autour de la valeur économique de la biodiversité et plus généralement des valeurs attribuées à la nature. Cette dynamique est-elle compatible, au moins en France, avec le réservoir de plantes sauvages présent dans l’espace rural et le maintien de la biodiversité ?

Conserver la nature en Nouvelle-Calédonie : un enjeu complexe entre science et contexte socio-culturel

Quel est le lien spécifique qui existe entre les populations de Nouvelle-Calédonie et la nature ?

 

Pour répondre à cette question, il faut faire un petit détour par le langage. Il n’y a pas de terme pour dire « nature » dans les langues kanak. La dichotomie entre nature et culture n’existe pas. Il s’agit plutôt de liens qui unissent les éléments, humains et non humains. Il s’agit donc pour les hommes et les femmes d’entretenir tous ces liens, entre le requin et le lézard, l’homme et l’igname, la femme et le cocotier, et tout ce qui nous lie à la « terre-mer ». Quand on est kanak, la « terre » ou la « nature », s’étend de la montagne jusqu’au récif, voire au-delà. Cela inclut les vivants et les morts, le monde visible et invisible.

 

Le lien qui unit les populations de Nouvelle-Calédonie avec la nature est très fort, car tout est lien. Aussi, ce lien est entre autres entretenu par la connaissance commune des toponymes, c’est-à-dire des noms de lieux. Chaque toponyme renferme la mémoire du lien d’un clan à la terre et toute son histoire. Grâce à ces toponymes, le lien au territoire persiste à travers les générations.

 

 

N’y a-t-il qu’une seule perception de la nature ?

 

Sur l’archipel calédonien aujourd’hui très multiculturel et métissé, on ne peut pas dire qu’il n’y a qu’une seule perception de la nature. Ce que je peux observer, c’est que les premiers habitants d’ici, les Kanak qui constituent aujourd’hui un peu plus de 40 % de la population ont réussi à partager leur vision du monde, leurs liens forts à des éléments non-humains notamment. Même si cela n’est pas toujours évident pour tous, il y a une certaine reconnaissance de la diversité des savoirs et des représentations de la nature. Chaque communauté a apporté ces manières de voir et nombreuses sont les personnes qui se sont construites en intégrant un peu de cette diversité.

 

 

La gestion de l’environnement prend-elle en compte ces spécificités socio-culturelles de la Nouvelle-Calédonie ? 

 

Au début, dans de nombreux pays du monde, gérer l’environnement consistait à “mettre la nature sous cloche”. Aujourd’hui, on intègre de plus en plus à la fois les habitants, leurs valeurs et leurs pratiques. En Nouvelle-Calédonie, les trois provinces possèdent chacune leur propre code de l’environnement. Celui de la province des îles Loyauté, habitées par une grande majorité de Kanak, a été rédigé il y a seulement trois ans. En amont, des travaux de recherche en sciences de la nature et en sciences sociales ont été menés afin de prendre en compte les enjeux écologiques ainsi que les spécificités des populations et du territoire. Pour vous donner un exemple, avec des collègues écologues, ethnologues et géographes, j’ai mené un travail sur les roussettes, de grandes chauves-souris, qui sont considérées comme des ancêtres dans certains clans et sont globalement très importantes d’un point de vue culturel. Notre travail a été fait pour que puissent être rédigées des réglementations qui s’appuient sur la vision des habitants, sur les pratiques préexistantes et sur les enjeux écologiques. Les règles sont pensées non pas pour protéger une biodiversité seule mais bien la biodiversité et la société. Par ailleurs, dans les codes de la province Sud et de la province Nord rédigés depuis plus longtemps, il est prévu que des dérogations soient possibles pour le prélèvement d’espèces comme la tortue verte à des fins coutumières (pour des mariages, des deuils, des intronisations de chefferies, etc.).

 

 

Existe-t-il une volonté d’intégrer les décideurs locaux dans la gestion des sites naturels ? 

 

Il y a un certain effort d’intégration des décideurs et des acteurs locaux. Pour donner un exemple, six sites de Nouvelle-Calédonie sont inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco. Les comités de gestion de chaque site sont généralement composés de représentants locaux (associations locales, coutumiers, femmes et hommes de l‘endroit). On considère volontiers que les acteurs locaux ont un rôle à jouer, mais selon les lieux, ils sont plus ou moins impliqués et écoutés. Il reste du travail à mener pour réellement prendre en compte leur parole et leurs visions.

 

 

Comment concilier les enjeux liés au contexte socio-culturel et les enjeux écologiques ?

 

Je vais utiliser un exemple pour vous répondre. Depuis quelques années, nous menons un projet appelé Espam sur le milieu marin, financé par la Fondation de France et la province des Iles Loyauté. L’objectif a été de travailler sur la diversité des valeurs que les habitants accordent aux territoires marins, en particulier aux animaux marins. L’idée est que si on connaît mieux les valeurs que les gens accordent aux espèces, et donc au territoire, et que l’on parvient à les faire reconnaître par le plus grand nombre, il sera possible de créer des politiques environnementales qui intègrent tant les enjeux écologiques que les enjeux culturels et sociaux. Elles seront ainsi plus ajustées et mieux comprises par tous.

 

Dans le cadre de ce programme, en plus de mener des entretiens longs avec les Calédoniens (de plus de 4 heures parfois), nous avons déployé un questionnaire très court contenant deux questions : “Quels sont les animaux marins emblématiques pour vous ?” et “Pourquoi ?”. Plus de 130 espèces différentes ont été citées, ce qui illustre nombre conséquent d’espèces importantes pour les populations locales. Nous avons créé une base de données nourrie de ces réponses sur les espèces et les valeurs que leurs accordent les habitants. 201 raisons différentes ont été données que nous avons classées en 22 grands thèmes. En Nouvelle-Calédonie, la fonction nourricière accordée aux animaux marins a été très largement citée, puis leur importance coutumière et leur statut d’espèce menacée ou à protéger. Ces résultats ont montré que les valeurs socio-culturelles sont prégnantes. Nous devons donc en tirer des leçons, cesser de tout vouloir traduire en valeur monétaire et créer des indicateurs multiples agrégeant des indicateurs sociaux, économiques et culturels. Trouver les outils à ces fins reste encore un défi mais nous pensons que ce projet apporte sa petite pierre à la réflexion.

 

 

Un des prochains enjeux soulevés par l’Ipbes est d’atteindre un changement transformateur. L’évaluation des valeurs associées à la nature, qui devrait sortir cet été, peut-elle être une des voies pour cela ?

 

 

 QU’EST-CE QU’UN CHANGEMENT TRANSFORMATEUR ?

 

Il s’agit d’une proposition de l’Ipbes qui résulte d’une analyse des causes de déclin de la biodiversité et des échecs politiques de sa préservation ces dernières décennies. Un changement transformateur est défini comme une réorganisation fondamentale et systémique des facteurs économiques, sociaux, technologiques, y compris les paradigmes, les objectifs et les valeurs.

 

>> En 2021, la FRB a consacré sa Journée annuelle à débattre de cette notion. + d’infos

 

 

L’idée sous-jacente est qu’il est possible de faire évoluer les valeurs qu’on porte aux choses et notamment à la nature. Il ne s’agit pas de faire converger les différentes valeurs, mais bien de faire valoir leur diversité. Celles-ci ont toujours évolué et on se rend plus compte aujourd’hui de l’existence de différentes manières de penser les choses. Notre mobilité entre les continents, entre les îles, s‘est accélérée et étendue, ce qui conduit aujourd’hui à avoir des territoires habités par une grande diversité de populations ; et chacune établit un lien spécifique avec la terre qu’elle habite. Le système des valeurs caractérisant un territoire devient plus complexe et plus riche. Selon moi, on peut profiter de cette richesse et de cette complexité afin d’analyser la diversité des valeurs, et ce qui conduit chacun à faire évoluer son système de valeurs, notamment pour renforcer ces liens avec les éléments de la nature. J’aime penser que notre objectif n’est pas de protéger l’environnement ou la société, mais bien l’ensemble : les liens humains-natures, les liens entre les humains et les non-humains. Si on arrive à identifier ces changements transformateurs et les manières institutionnelles, collectives et individuelles de les favoriser, on pourra alors renouveler un lien sain entre la biodiversité et la société. Pour préserver cet ensemble, il faut les penser ensemble. La vision kanak du monde, marqués par les liens, peut nous aider. L’attention portée à maintenir ces liens dans le présent doit guider nos actions.

Redéfinir nos rapports à la nature pour mieux la conserver : entretien avec Frédéric Ducarme, chercheur en philosophie

Comment définiriez-vous la notion de « nature » ?

 

« Nature » est un terme difficile à définir, parce qu’il est très large, très inclusif. Ce terme a pu être manipulé pour servir des fins diverses. La « naturalisation », par exemple, est un très bon moyen de faire passer n’importe quelle idée politique puisque si je dis « c’est naturel » et que vous affirmez le contraire, je peux vous taxer d’être contre-nature. La nature s’est donc parfois teintée de cette dimension normative et morale qui l’a rendue d’autant plus politique et « fourre-tout ». Il est donc nécessaire d’une part d’avoir une idée précise de ce que l’on met derrière ce mot pour mieux la préserver et d’autre part de le faire évoluer pour en faire sortir les nouveaux enjeux pertinents.

 

 

Peut-on considérer que « sauvage » et « nature » sont des idées qui se superposent ?

 

Assimiler la nature au sauvage est caractéristique des pays de culture coloniale, comme l’Australie ou les États-Unis. Lorsque les colons sont arrivés, ils ont appelé « sauvage » et « vierge » des territoires qui ne l’étaient en fait pas tant que cela, mais qu’ils ont perçu comme tels. Leur vision teintée de créationnisme leur faisait dire « nous sommes l’Homme, nous sommes la culture, nous sommes la civilisation et nous nous opposons au sauvage, nous mettons le chaos en ordre ». Ainsi, le sauvage revêt deux visions caricaturales : soit il est pensé comme hostile, chaotique, devant être contrôlé, soit il est pensé comme positif, voire naïf, comme une virginité intacte, non souillée et dont il s’agirait de préserver l’innocence. Ce sont des représentations que les États-Unis ont beaucoup mondialisées du fait de son influence depuis 1945. Mais ça n’est pas du tout la vision qu’on en a en France, colonisée beaucoup plus tôt par Homo sapiens. Après la dernière glaciation, ils faisaient partie des premières espèces pionnières qui ont conquis les terres : les écosystèmes en France se sont donc élaborés précocement à leur contact. Il en est de même pour l’Afrique par exemple. L’assimilation de la nature au sauvage est une vision très récente, très romantique et très américaine et il faut toujours situer une vision dans son contexte. Et au lieu d’opposer de manière si binaire le sauvage et le domestique, on peut dessiner un continuum bien plus subtil en distinguant du plus artificiel au plus naturel, l’urbain, le rural, l’agricole, le forestier, le sauvage et enfin le « vierge » – les deux extrêmes étant l’exception, et cette catégorisation n’ayant rien de normatif.

 

 

Peut-on selon vous définir la nature selon les valeurs que l’être humain lui associe ?

 

La nature ne se définit pas forcément directement en termes de valeurs. En revanche, l’humanité va y trouver ou y projeter de la valeur, qui n’est sans doute pas présente de manière immanente. Il existe deux approches de ces valeurs. La première a eu beaucoup de succès à la fin du XXe siècle : elle s’articule autour de la notion de « valeur intrinsèque », c’est-à-dire qu’on attribue une valeur homogène à la nature dans son entièreté. Donc faire du mal à la nature ou à ses constituants est moralement répréhensible. Le problème, c’est qu’une fois qu’on a dit ça, on n’a rien dit. Parce que si toute la nature a de la valeur de manière égale, ça n’aide pas à faire des choix et à privilégier des modes d’action. La seconde approche propose de hiérarchiser ces valeurs, c’est-à-dire d’admettre que des choses ont plus de valeur que d’autres et de distinguer plusieurs types de valeurs.

 

 

 

L’IPBES DISTINGUE TROIS PRINCIPAUX TYPES DE VALEURS1

 

> Les valeurs instrumentales, qui indiquent si quelque chose a une valeur utilitaire avec un but précis.
Ex : le bois en tant que combustible ou matériau.

 

> Les valeurs relationnelles, qui découlent de l’importance du lien entre les individus ou les sociétés et les autres animaux ou aspects du monde vivant, ainsi qu’entre les individus eux-mêmes, reflétées par les institutions formelles et informelles. 
Ex : la valeur symbolique de l’aigle à tête blanche, emblème des Etats-Unis.

 

> Les valeurs intrinsèques, qqui représentent les valeurs indépendantes de toute expérience ou évaluation humaine. Ces valeurs sont vues comme une propriété inhérente de l’entité (par exemple, un organisme) et ne sont pas attribuées ou générées par des évaluateurs extérieurs (tels que les humains). Chaque être vivant est porteur et garant de sa propre valeur. 

 

 

Que pensez-vous de la typologie utilisée par l’Ipbes ?

 

Je pense que la valeur intrinsèque ne fait pas bon ménage avec les autres types de valeurs, instrumentales et relationnelles, qui sont variables et mesurables, alors que la valeur intrinsèque ne l’est pas, elle ne dialogue pas avec les autres. Dans le système que je voudrais proposer, je parle plutôt de valeur d’existence : c’est-à-dire de partir du principe que l’existence est préférable à la non-existence, la vie à la mort. Quand on n’a aucun intérêt économique ou utilitaire à éliminer un élément de la nature, que ce soit un individu, une espèce ou n’importe quoi d’autre, il est préférable moralement de ne pas le faire. Mais on finit toujours par devoir faire des compromis parce qu’il faut bien manger, se nourrir, se vêtir, se protéger, etc. Donc qu’est-ce qui justifie qu’on doive prendre la décision d’éliminer des éléments de la nature, en outrepassant cette valeur d’existence ? Qu’est-ce qui justifie de manger du rhinocéros plutôt que de la salade ?

 

D’un autre côté, la dichotomie entre valeurs instrumentales et non instrumentales s’applique mal à la nature. Elle est très moralisatrice. Car c’est moins le côté instrumental qui compte que l’effet de notre interaction. Quand je m’émerveille devant un récif coralien, c’est très instrumental – c’est d’ailleurs une industrie. L’important, c’est que je ne lui fasse pas de mal. Inversement, il y a des pratiques non instrumentales qui, par désintérêt, peuvent détruire la nature. Certains peuvent détruire la nature par simple négligence et déconsidération. Je pense donc que le couple destructeur / non destructeur (conséquentialiste) est plus pertinent dans notre rapport à la nature qu’une opposition morale du type instrumental/non (déontique), dont la nature se fiche bien.

 

 

L’absence de consensus concernant la définition de la notion de nature et les difficultés à identifier et à faire cohabiter ces multiples valeurs sont-elles un frein à la protection de la nature ?

 

Est-il souhaitable qu’on tombe tous d’accord ? La pluralité est importante. C’est ce qui fait évoluer une pensée ou ce qui amène à la préciser. On est face à un problème complexe, qui transcende les disciplines universitaires, il est normal que des gens avec des schémas de pensée différents se mettent autour de la table et débattent. Aujourd’hui, les enjeux et les outils de réflexion évoluent, donc il est nécessaire de réfléchir ensemble pour que la conservation de la nature s’améliore dans le temps. Il faut être capable de répondre aux questions « Qu’est-ce qu’on conserve ? », « Au nom de quoi ? » et « Dans quel objectif ? ». Si je dispose de 100 000 euros pour la conservation de la nature, est-ce que je les donne à une association pour la protection du rhinocéros blanc ? Est-ce que je dois l’investir dans la recherche en écologie fonctionnelle ? Est-ce que je dois plutôt acheter une forêt et planter des arbres ? Financer un parti politique ? Tous ces choix reposent sur différentes valeurs. Dans ce sens, il est très important de dégager des méthodes d’identification et d’évaluation des valeurs de la nature, comme tente de le faire l’Ipbes.

 

 

Quelle méthode adopter : essayer de redéfinir la nature dans une vision partagée qui tenterait d’englober un maximum de valeurs, ou plutôt considérer chaque conception de la nature de manière contextuelle, en tenant compte du territoire et de la culture ?

 

Les deux. Redéfinir le concept de nature implique aussi de l’ouvrir et l’analyser pour voir ce qu’il y a dedans. D’un point de vue sémantique, on peut isoler au moins quatre composants de la nature. C’est d’abord une productrice de ressources qu’il faut veiller à renouveler durablement. C’est aussi un écosystème : un ensemble d’espèces qui partagent un milieu et entretiennent des interactions complexes. Mais c’est aussi un patrimoine : on a le jardin des Plantes, le bocage normand, les bords de Loire, etc., qu’il s’agit de conserver et de transmettre. Et enfin il y a la nature comme biosphère, c’est-à-dire comme planète prise dans son ensemble avec son climat et ses nombreux autres paramètres, dont d’infimes variations peuvent nous éradiquer rapidement. Tous ces composants doivent entrer en compte dans la conservation de la nature. Mais parfois, on voit apparaître des controverses de « spécialistes ». Pour caricaturer, penser la conservation en tant que physicien, c’est peut-être irriguer le Sahara et planter des eucalyptus transgéniques sur des millions de kilomètres pour stocker du carbone, et hop ! On a conservé la nature. Mais des biologistes verraient peut-être cela comme une hérésie. C’est notamment pour cela qu’a été créé l’Ipbes, qui se veut être un Giec de la biodiversité, mais animé par des biologistes. Pour inclure cette dimension de biologie et de biodiversité dans la conservation de la nature même à grande échelle.

 

 

Comment la science peut-elle intégrer les savoirs locaux à la réflexion scientifique sur la nature ?

 

Que la science globale prenne en compte toute la multiplicité des savoirs locaux est une nécessité. Mais je me méfie de la mise dos à dos de la science moderne et des connaissances et savoirs locaux. La science moderne s’est nourrie, historiquement, d’une multitude d’éléments issus du monde entier : elle n’est pas, comme on l’entend parfois chez certains relativistes, une vulgaire ethnoscience européenne. La science a toujours cherché à intégrer un maximum de savoirs et à sélectionner les plus satisfaisants sur des bases rationnelles. La science moderne doit sans doute plus à la Chine ou au monde arabe qu’au Portugal ou à la Slovaquie : elle s’est concentrée en Europe à certaines périodes, mais ce n’est plus du tout le cas. Le but est donc d’assurer la participation de tous les savoirs du monde à cette science : pour la pharmacie, par exemple, l’ethnobotanique est d’une importance capitale. D’autre part, les cultures locales, elles, se doivent d’être prises en compte dans les formes et buts que se fixe la conservation de la nature dans ses réalisations locales.

 

 

Quelle est la prochaine étape ?

 

Ce qui compte avant tout aujourd’hui ce sont des outils intellectuels pour l’action. L’Ipbes a le mérite de s’inscrire dans cette démarche. Ça fait 3 000 ans qu’on réfléchit de manière spéculative à la philosophie de la nature, mais aujourd’hui, elle doit s’inscrire dans une action avec des objectifs qu’il va falloir définir, questionner et justifier.

 

 

 

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1         Preliminary guide regarding diverse conceptualization of multiple values of nature and its benefits, including biodiversity and ecosystem functions and services, 2015, IPBES/4/INF/13 

 

Aménagement urbain et évaluation des services écosystémiques en Île-de-France : le projet Idefese

L’approche par services écosystémiques peut se révéler très intéressante pour la prise en compte de la biodiversité dans les évaluations socio-environnementales et dans les documents d’aménagement, en ce qu’elle peut être plus facilement appropriable par des acteurs peu sensibilisés aux enjeux de préservation de la biodiversité et des écosystèmes. Disposer d’indicateurs de services écosystémiques à l’échelle des territoires permettrait d’améliorer l’évaluation des décisions d’aménagement, en particulier si ces indicateurs sont cartographiés sur le territoire à des échelles fines (ex. échelle communale ou départementale par exemple).

 

C’est l’objet du projet Idefese conduit entre 2018 et 2020 dans la région Île-de-France (cas d’étude pilote), qui vise à proposer aux acteurs de l’aménagement urbain (services déconcentrés de l’État, de collectivités locales ainsi que des aménageurs, associations, bureaux d’étude, etc.) des méthodes d’évaluation pour une meilleur intégration des services écosystémiques dans leurs politiques publiques d’aménagement.

 

Découvrez l’article complet dans les ressources téléchargeables.

Réintroduction d’espèces sauvages et bénéfices pour les territoires : l’exemple de la réintroduction des vautours fauves dans les parcs naturels régionaux du Vercors et des Baronnies provençales

L’érosion de la biodiversité est dans certains territoires un enjeu majeur en raison de la disparition d’espèces de faune sauvage remplissant des fonctions écologiques clés. Diverses solutions peuvent être envisagées pour enrayer cette érosion et restaurer les fonctions écologiques des écosystèmes. Parmi ces solutions, les réintroductions et les renforcements de populations d’espèces de faune sauvage peuvent s’avérer particulièrement pertinentes. Longtemps perçues comme des actions ayant pour unique objectif l’amélioration de l’état de conservation de certaines espèces, elles peuvent avoir bien d’autres avantages pour les territoires.

 

En France, les premières actions de réintroductions et de renforcements de populations d’espèces de faune sauvage ont été mises en place durant le 20e siècle afin de reconstituer des populations d’espèces disparues ou pour renforcer celles en mauvais état de conservation. Les premières réintroductions de bouquetins dans les Alpes datent par exemple de 1910. Depuis, castors, tortues cistude, ours bruns ou encore différentes espèces de vautours ont été concernés par ces programmes. Les vautours fauves, par exemple, ont subi une période d’intenses pressions qui a conduit à leur disparition du sol français à la fin du 19e siècle. Dans les années 1970, dans le Massif Central, puis dès 1996 dans les Alpes, les premiers succès écologiques de réintroduction de ces oiseaux sont intervenus dans des paysages écologiques marqués par l’exode rural, la déprise agricole1, le retour de la forêt, la multiplication des grands herbivores et le retour des grands prédateurs.

 

Dans le cadre de l’Évaluation française des écosystèmes et services écosystémiques (Efese), qui vise à développer les outils d’évaluation nécessaires pour accompagner la transition écologique de la société française, l’amélioration des relations entre les populations et la faune sauvage au sein des territoires représente en enjeu crucial pour la transition écologique. Ainsi, en avril 2021, une étude2 de l’Efese s’est intéressée aux fonctions écologiques et services écosystémiques liés à la réintroduction des vautours fauves3 dans les parcs naturels régionaux (PNR) du Vercors et des Baronnies provençales. Cette étude propose en particulier une méthode d’évaluation destinée à aider les gestionnaires d’espaces naturels à identifier des pistes et des leviers d’action pour préserver la biodiversité en passant par la mise en valeur écologique, économique, sociale et culturelle des espèces. Pour ce faire, la méthode d’évaluation utilisée dans l’étude s’appuie sur un retour d’expérience de près de 25 ans du projet de réintroduction du vautour fauve dans ces deux parcs naturels régionaux.

 

Cet article présente les principaux résultats de l’étude Efese. Les différentes analyses ont été réalisées à partir de données récoltées dans la zone d’étude “Baronnies-Vercors”, soit une centaine de communes principalement de la Drôme, des Hautes-Alpes et de l’Isère. Cet ensemble forme un territoire de moyenne montagne (entre 234 m et 2 341 m d’altitude) d’environ 2 500 km2, dont la population de vautours fauves est estimée à 1 000 individus en vol en 2018.

 

1/ Bref aperçu de l’écologie du vautour fauve

 

En métropole, quatre espèces de vautours cohabitent : le vautour fauve (Gyps fulvus), le vautour moine (Aegypius monachus), le vautour percnoptère (Neophron percnopterus) et le gypaète barbu (Gypaetus barbatus). Les quatre espèces de vautour sont spécialisées dans la consommation de cadavres d’animaux qu’ils soient sauvages ou issus de bétail d’élevage. Ils constituent à eux quatre une guilde de rapaces nécrophages et se nourrissent uniquement d’animaux morts. Chaque espèce est spécialisée dans la consommation d’une partie bien particulière du cadavre.

Le vautour fauve se nourrit des muscles et viscères, le moine consomme les tendons, cartilages et peaux, le gypaète quasi-exclusivement les os et enfin, le percnoptère grappille les restes. Lors d’une “curée” (terme désignant le moment où les vautours se nourrissent d’un cadavre), des dizaines de vautours fauves éliminent en quelques minutes un cadavre de brebis et en quelques heures celui d’une vache. Un vautour fauve adulte consomme en moyenne 200 kg de cadavres par an.

 

Source : Rapport Efese sur la réintroduction des vautours dans les parcs naturels régionaux du Vercors et des Baronnies provençales, p.38.

 

Solutions climat : attention aux impacts sur la biodiversité

Les mesures prises pour l’atténuation du changement climatique doivent être évaluées en fonction de leurs avantages et de leurs risques globaux et non pas seulement selon leur bilan carbone. Les solutions examinées ci-dessous peuvent toutes entrer en concurrence avec le maintien des espaces naturels (par la rupture des continuités écologique ou la perte des habitats) et pour certaines, avec la production alimentaire (par exemple par l’intensification non durable de l’agriculture sur les espaces agricoles restants) et la santé humaine (par la pollution qu’elles génèrent).

 

Les évaluations d’impact environnemental de ces projets d’aménagement ou de construction d’infrastructure doivent donc mieux intégrer la biodiversité et notamment les impacts sur les espèces migratrices et leur participation à la fragmentation des habitats. Elles doivent aussi intégrer des évaluations de leur impacts sociaux comme les conflits d’usage des terres. Les mesures qui reposent sur le vent, l’eau, les plantes, mais qui présentent des impacts importants sur la biodiversité ne peuvent être qualifiée de solutions fondées sur la nature, car ces dernières doivent minimiser leurs impacts négatifs sur la biodiversité.

 

Les mesures destinées à faciliter l’adaptation au changement climatique peuvent, dans la pratique, être inadaptées et entraîner des conséquences préjudiciables et imprévues pour la biodiversité. Par exemple, l’augmentation de la capacité d’irrigation est une stratégie courante pour renforcer la capacité d’adaptation de l’agriculture au climat, mais elle présente des risques considérables pour la biodiversité des eaux douces et les populations, notamment la salinisation des sols à long terme, la baisse des niveaux d’eau et des conflits d’utilisation de l’eau1.

 

Les cultures génétiquement modifiées, qui sont plus tolérantes à la chaleur et au stress hydrique, ainsi que les cultures qui utilisent l’eau plus efficacement sont des solutions technologiques couramment proposées pour l’adaptation au changement climatique. Cependant ce type de culture présentent un large éventail de risques environnementaux. Elles ne sont déployées que pour quelques espèces, caractères, et donc leur déploiement à large échelle est porteur d’uniformisation. Par ailleurs, les gènes des cultures OGM résistantes à la sécheresse pourraient se propager aux espèces sauvages apparentées, altérant leur capacité compétitive et ayant ainsi un impact sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes2. 

 

 

ZOOM SUR :
BIODIVERSITE ET TRANSISTION ENERGETIQUE, DES LIAISONS DANGEREUSES

 

L’énergie nucléaire constitue un important contributeur mondial à une électricité à faible teneur en carbone, en particulier dans son utilisation comme substitut direct du charbon. Seule l’hydroélectricité apparaît plus efficiente que l’énergie nucléaire, mais elle dépend géographiquement de la présence de cours d’eau3. La plus importante préoccupation environnementale, néanmoins, concernant l’énergie nucléaire est d’une part le risque d’accidents à fortes conséquences, longues, même si leur fréquence estimée est très faible -mais non nulle-, et d‘autre part la production de déchets à longue durée de vie dont l’élimination est aujourd’hui impossible. Ces deux dangers doivent être traités pour que la filière nucléaire soit une alternative crédible aux autres sources d’énergies. 

 

>> Pour aller plus loin : 

Journée FRB 2017 – Biodiversité et transition énergétique – Enquêtes sur des liaisons dangereuses 

#ScienceDurable – Liens entre énergies renouvelables et biodiversité

#ScienceDurable – Énergie renouvelable et biodiversité : les implications pour parvenir à une économie verte

 

 

Les solutions fondées sur la nature : comment optimiser les politiques climat et biodiversité ?

>> Pour aller plus loin :

Note du CS – Avis du Conseil scientifique de la FRB sur les « solutions fondées sur la nature »

 

 

SFN

Les Solutions fondées sur la nature représentent un concept englobant
diverses approches fondées sur les écosystèmes2.

 

 

Les solutions fondées sur la nature peuvent être distinguées selon la typologie suivante :

  • Intervention nulle ou minimale dans les écosystèmes, avec pour objectif de maintenir ou d’améliorer le bénéfice tiré des services écosystémiques.
  • Gestion durable des écosystèmes et des paysages pour optimiser de manière ciblée certains services écosystémiques.
  • Gestion des écosystèmes de manière très intrusive ou création de nouveaux écosystèmes pour maximiser certains services écosystémiques.

 

 

 

FRB_Figure_solutions_fondées_sur_la_nature

Figure : Représentation schématique des différentes approches
dans les solutions fondées sur la nature3.

 

 

Trois grands types de solutions sont définis, selon le niveau d’ingénierie ou de gestion appliqués à la biodiversité et aux écosystèmes (axe horizontal), et le nombre de services fournis, de groupes d’acteurs ciblés et le niveau probable de maximisation des services ciblés fournis (axes verticaux). Des exemples de solutions fondées sur la nature sont fournis pour les différents types. Les étiquettes des axes sont interchangeables : il ne faut pas voir le type 3 comme “meilleur” que le type 1. Les trois types sont complémentaires.

 

 

Biodiversa+, le réseau européen de financement de la recherche sur la biodiversité et les solutions fondées sur la nature, est impliqué dans le développement de NetworkNature, une plateforme européenne et mondiale qui permet à toutes les parties intéressées d’accéder et de contribuer à des connaissances et à des compétences de pointe et innovantes sur les solutions fondées sur la nature. Biodiversa+ finance également des projets de recherche sur ces thématiques. 4 exemples sont proposés ci-dessous. 

 

 

D’après les exemples présentés ci-dessous, nous constatons que de nombreux exemples d’actions destinées à arrêter, ralentir ou inverser la perte de biodiversité peuvent simultanément ralentir de manière significative le changement climatique anthropique. Toutefois, il existe des exceptions importantes à une relation positive entre la préservation de la biodiversité et l’atténuation du climat. Par exemple, il a été démontré que la réduction de la fréquence des incendies de forêt, peut réduire considérablement la biodiversité en raison de la dépendance de nombreuses espèces sauvages à ce type de perturbations cycliques. La réintroduction d’espèces animales clés dans le cadre des efforts de ré-ensauvagement peut également réduire les stocks de carbone par une augmentation de la prédation ou du pâturage.

Changement climatique et lacs – La synthèse de données pour mieux comprendre les impacts des tempêtes sur la température des lacs

Les lacs jouent un rôle central dans nos sociétés et offrent de nombreux services à l’Homme, appelés « services écosystémiques », comme l’approvisionnement en eau douce et en nourriture, le maintien d’habitats pour la biodiversité, les transports ou encore les loisirs. Cependant, bien que nous dépendions fortement de ces services, nous ne savons pas aujourd’hui à quel point les lacs peuvent être affectés par le changement climatique et l’intensification des phénomènes météorologiques qui en découle. Alors que l’on sait que les tempêtes affectent l’écologie des lacs et leur biodiversité, l’enjeu est d’en découvrir les mécanismes.

 

Co-financé par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) au sein de son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) et par le centre d’analyse et de synthèse John Wesley Powell de l’U.S. Geological Survey, le projet de recherche Geisha a permis de réunir une équipe de 39 scientifiques de 20 pays différents pour mettre en commun leurs données et ainsi étudier les effets des tempêtes sur le phytoplancton des lacs et les caractéristiques de son habitat tels que la température, les nutriments et la lumière. Après avoir alerté dès mars 2020 sur les conséquences du manque de connaissance des impacts des tempêtes sur les lacs (voir le communiqué de presse « Ce que nous ne savons pas (sur les lacs) pourrait nous nuire »), les chercheurs travaillent désormais sur l’étude de différents paramètres.

 

Publiée quelques semaines avant la 26e Cop Climat, leur dernière étude révèle que les fortes tempêtes ne provoquent pas de changements drastiques des températures comme on pouvait l’imaginer. En effet, l’équipe a examiné l’impact des tempêtes sur la température de 18 lacs dans 11 pays en utilisant des données météorologiques, des données hautes fréquences (plusieurs sur une même journée), mesurée à différentes profondeurs de la colonne d’eau et a montré que les tempêtes ne provoquent pas de refroidissements des lacs. Les changements de température de l’eau sont même parfois plus extrêmes au sein d’une même journée entre le jour et la nuit que lors d’une tempête.

 

Une tempête sur le lac Supérieur (Amérique du nord). Crédit photo : Jessica Wesolek, Centre de recherche et d’éducation sur l’eau douce de l’Université d’État du lac Supérieur.

 

“Dans les lacs, les changements de température induits par les tempêtes étant globalement minimes, les tempêtes impacteraient les animaux et plantes au travers de la modification d’autres paramètres sensibles aux tempêtes, comme par exemple la lumière ou les concentrations en nutriments. », a déclaré Jonathan Doubek, professeur adjoint à la Lake Superior State University, et ancien post-doctorant du groupe de recherche Geisha. L’impact des tempêtes sur la biodiversité des lacs pourrait donc probablement être dû à la modification d’autres paramètres déterminants pour la croissance et la reproduction des organismes y vivant ou y séjournant. Ces résultats représentent un progrès concret dans la compréhension de la façon dont les lacs sont impactés par les tempêtes.

 

“L’étude du professeur Doubek souligne l’utilité de partager et combiner des données : nous avons pu découvrir que l’effet des tempêtes sur les températures des lacs n’est peut-être pas aussi fort que nous le pensions auparavant”, a déclaré Jason Stockwell, professeur et directeur du Rubenstein Ecosystem Science Laboratory de l’université du Vermont et un des porteurs du projet Geisha. “Le pouvoir du travail d’équipe collaboratif mondial pour mettre en commun les données et les idées nous permet de mieux comprendre comment notre planète fonctionne et pourrait fonctionner à l’avenir, poursuit-il. Nous avons besoin de ces informations pour protéger les écosystèmes et la santé humaine”.

 

En effet, avec la crise majeure que traverse la biodiversité, le besoin de synthèse des données scientifiques en écologie n’a jamais été aussi fort. Mises en commun, ces données existantes peuvent alimenter des problématiques inédites, faire avancer significativement les fronts de connaissances et fournir des recommandations pour les décideurs. Depuis sa création en 2010, le Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) permet la collecte et la mise en commun de jeux de données déjà existants dans le domaine de la biodiversité et l’élaboration de méthodes statistiques complexes pour proposer un état des lieux de la biodiversité et en modéliser le devenir. Situé à Montpellier, le Cesab propose un environnement de travail idéal en offrant des conditions propices à la production scientifique et est au cœur d’une des communautés scientifiques les plus dynamiques au monde en écologie (l’université de Montpellier a été classée première université mondiale dans le classement de Shanghai en écologie en 2018 et en 2019).

Le meilleur du virtuel et du présentiel pour permettre aux centres de synthèses de relever les défis liés à l’érosion de la biodiversité

En novembre 2020, un édito publié dans Nature Ecology and Evolution, « Online meetings for the win », suggère un changement des mentalités dans l’organisation des interactions dans le monde de la recherche vers encore plus de virtuel. En effet, en raison de la pandémie de Covid-19, les instituts, laboratoires et programmes de recherches ont dû s’adapter rapidement. Particulièrement concernés, les centres de synthèse – dont le Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la FRB – ont dû proposer aux groupes, constitués de chercheurs de toutes nationalités, des réunions entièrement virtuelles. Malgré des bénéfices à ces réunions en distanciel, notamment en matière de bilan carbone, les directeurs de plusieurs centres de synthèses internationaux alertent : bien que ces réunions virtuelles aient permis à l’activité scientifique de continuer pendant la pandémie, elles ne peuvent toutefois pas remplacer les réunions en présentiel.

 

Avec la crise majeure que traverse la biodiversité, le besoin de synthèse des données scientifiques en écologie n’a jamais été aussi fort. Le travail sans précédent, entamé par les experts internationaux au sein de l’Ipbes, visant à évaluer l’état actuel de la biodiversité et de sa contribution aux sociétés humaines, se base sur des études déjà publiées dans des journaux scientifiques et des bases de données déjà constituées. Les centres de synthèses sont parmi les acteurs principaux de cette dynamique puisqu’ils permettent à des groupes de chercheurs internationaux de se réunir pour synthétiser les connaissances et données sur la biodiversité. Ces réunions de travail permettent non seulement de produire des synthèses de résultats existants, mais ils sont aussi des lieux de créations de nouvelles idées et/ou méthodes.

 

Dans ces centres, la dynamique typique d’un groupe de travail implique des interactions productives et variées pendant douze heures par jour et jusqu’à cinq jours consécutifs, alors que les sessions virtuelles perdent de leur efficacité après quelques heures, les participants se fatiguant de devoir fixer un écran. Si les réunions virtuelles peuvent fonctionner pour des tâches courtes et bien délimitées, elles sont moins adaptées aux discussions non structurées et libres – et ont donc du mal à créer la cohésion sociale nécessaire aux percées créatives. Finalement, ce que la crise Covid-19 a révélé le plus, notent les directeurs de centre, c’est que la créativité en recherche est liée autant (si ce n’est plus) aux interactions sociales entre chercheurs qu’à leur qualités scientifiques intrinsèques. 

 

La transition entre les réunions en présentiel et celles entièrement virtuelles a été brutale. En revanche, les centres de synthèses envisagent maintenant une transition inverse progressive vers un retour à la collaboration en personne, à mesure que les mesures de santé publique vont s’assouplir et que les voyages redeviendront possibles. Des modèles hybrides de collaboration peuvent combler le fossé qui sépare les réunions en présentiel et, en fin de compte, favoriser une plus grande productivité dans un avenir post-pandémique. Bien que certains de ces modèles soient déjà encouragés par les centres de synthèse, une généralisation permettra d’aider au développement de nouveaux projets, et de renforcer la collaboration entre les centres de recherche, l’évaluation collective et l’émergence de nouveaux types d’appels à projets transnationaux, etc.

 

Figure_Srivastava (2021)

 Figure : Un example de modèle hybride de collaboration : les équipes de recherche de chaque région se réunissent simultanément en présentiel et ces “centres régionaux” se coordonnent également virtuellement entre eux. © 2021, Springer Nature Limited

 

Cette approche, combinant le meilleur du virtuel et du présentiel, pourrait à terme évoluer vers un modèle permettant de surmonter les limites de financement, d’accroître l’intégration mondiale de la recherche tout en contribuant à réduire les émissions de carbone liées aux déplacements des chercheurs ; et ceci en maintenant le potentiel de promotion de l’intelligence collective que sont les centres de synthèse. Ainsi, en tirant parti du meilleur des deux mondes (présentiel et virtuel), les directeurs des centres de synthèse font le pari de pouvoir sortir renforcés de cette crise.

Le putois, ce grand inconnu

Sa mauvaise réputation le précède. On l’accuse de sentir mauvais, de « crier fort », et plus récemment de sexisme au travers du personnage de Pepe le Putois. Et pourtant du putois, puisqu’il s’agit de lui, on ne connait rien ou presque. C’est le constat fait par le chercheur Sébastien Devillard et son équipe qui ont reçu la bourse Barbault et Weber « Ecologie Impliquée » 2021 pour combler ce manque de connaissance : « Le putois est une espèce difficile à observer et à étudier car c’est un animal cryptique1 et nocturne qui vit en faible densité sur des territoires où mâles et femelles ne se croisent qu’à l’occasion de la reproduction », précise le chercheur.

 

 

La fiche d’identité du putois est donc assez sommaire. À l’âge adulte, ce petit mustélidé pèse entre 600 grammes et 1,5 kg, a le régime alimentaire d’un omnivore majoritairement carné et vit dans des milieux ouverts et boisés, souvent à proximité de zones humides. « Or ce que l’on constate, poursuit Sébastien Devillard, c’est que depuis 30 ou 40 ans, les zones humides et les ripisylves2, qui sont leur habitat de prédilection, se dégradent de façon continue. Il y a fort à parier que cela a impacté et impacte encore les populations de cette espèce. »

 

 

Si son statut de conservation n’est pas considéré comme à risque par l’UICN, c’est encore une fois par manque de connaissances estime le chercheur : « Lorsque l’UICN ne dispose pas du nombre exact d’individus vivant sur un territoire pour en suivre l’évolution temporelle, elle regarde si l’aire de distribution de cette espèce a diminué indépendamment des densités de populations ». Or le putois est toujours présent en Europe sur une aire de distribution qui semble stable, raison pour laquelle, l’UICN ne l’a pas classé pas comme espèce menacée. « Pourtant, poursuit le chercheur, les études locales réalisées par des naturalistes à l’aide de pièges photographiques, ou par des organisations nationales chargées de la collecte des indices de présence, telles que les observations visuelles ou les cadavres de bord des routes suggèrent que le nombre de ces indices de présence est en baisse continue depuis une vingtaine d’années, particulièrement dans les zones humides. » Pour changer son statut de conservation et justifier de la mise en place de programmes de conservation in situ, les scientifiques vont devoir adopter une démarche de biologie de conservation qui étudiera l’utilisation de l’espace du putois et la taille de ses populations.

 

 

L’équipe de recherche s’est donc engagée à comprendre comment ce petit mustélidé utilise et sélectionne son habitat, en particulier sa dépendance aux zones humides et aux zones protégées. Sur le domaine de la Fondation Pierre Vérots dans l’Ain, l’équipe de recherche a prévu d’équiper trois putois de collier GPS pour suivre leurs déplacements et identifier les déterminismes de son utilisation de l’espace. « C’est une première mondiale, souligne le chercheur. Pendant longtemps nous avons été limités par la taille des colliers GPS qui nécessitaient de grosses batteries pour fonctionner et assurer un suivi suffisamment long pour avoir des informations utiles. » En écologie, la règle veut que les animaux ne puissent pas être équipés de collier dépassant 3 à 5 % de leur poids. Jusqu’alors, seuls les mammifères plus gros, à partir de quelques kilogrammes et jusqu’aux girafes ou aux éléphants bénéficiaient de ce type de suivi pour respecter la dimension éthique et de bien-être animal. La miniaturisation des batteries a changé la donne : « Une fois les putois équipés, nous pourrons nous rendre chaque semaine sur le terrain pour télécharger les données qui nous donneront des informations extrêmement fines et jamais égalées sur l’utilisation de l’espace par cette espèce. »

 

 

Car la technique est révolutionnaire à plus d’un titre. Auparavant, les données récoltées provenaient de colliers émetteurs VHF utilisant les ondes radio. Pour localiser les individus étudiés, les scientifiques devaient se rendre plusieurs fois par semaine dans le milieu et réaliser une triangulation en se plaçant à trois endroits différents pour capter le signal des colliers émetteurs. « Cette technique de radiopistage classique ne permettait pas d’avoir plus de 2 à 3 localisations par semaine ». Grâce aux colliers GPS, les scientifiques vont pouvoir désormais avoir des données sur l’occupation de l’espace du putois et sur son rythme d’activité tout au long de la journée.

 

 

Ce projet n’est que la première étape d’une ambition plus grande : « Si on parvient à montrer que ce dispositif fonctionne, on pourra élargir notre zone d’étude et équiper plus d’animaux. » L’objectif ? Obtenir plus de données et réaliser des analyses de survie, qui permettront alors de faire des modèles démographiques pour estimer la taille de population localement et le taux d’accroissement de la population. Parallèlement les chercheurs souhaitent déployer un protocole de piégeage photographique pour estimer la densité locale des putois. Les scientifiques pourront ainsi proposer de nouveaux arguments pour l’étude de son statut de conservation et peut-être aussi changer le regard que porte notre société sur ce petit mustélidé au fond si discret.

 

 

Tribune – Biodiversité : « Il faut inscrire le putois sur la liste des animaux protégés »

Face au déclin préoccupant des effectifs en France et parce que la protection de la biodiversité passe par des mesures concrètes, un collectif de scientifiques et de personnalités engagées demande dans une tribune au « Monde » la signature immédiate d’un arrêté ministériel protégeant cette espèce. Consulter la tribune

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1 Une espèce cryptique est une espèce qui ne voit que très rarement en nature du fait de son rythme d’activité, de sa faible densité de population et de son mode de vie à l’écart des activités humaines biologiques.
2 La végétation bordant les milieux aquatiques.

Un prix pour la biodiversité des arbres en Méditerranée : la science des arbres phylogénétiques mise au service de la conservation

Une étude issue du projet de recherche Woodiv, co-financé par le Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et le Labex OT-Med, a récemment été reconnue par la Société botanique de France comme étant le meilleur article scientifique publié en 2020 dans la revue Botany Letters. Les auteurs de l’étude ont reçu le prix Jussieu, d’une valeur de 5 000 €, qui a pour vocation de soutenir la recherche en botanique.

 

Les travaux menés par Cheikh Albassatneh et ses collègues ont permis de produire, pour la première fois, un arbre phylogénétique des différents genres d’arbres présents en Méditerranée européenne, genres identifiés par le consortium dans l’article de Médail et al. (2019). Cette représentation, qui tire son nom du grec phylon pour « famille » et genesis pour « création », figure les liens de parentés entre les êtres vivants, afin de retracer et dater les principales étapes de l’évolution des organismes depuis un ancêtre commun.

 

Les chercheurs ont ainsi étudié les 64 genres d’arbres indigènes de l’Europe méditerranéenne et construit un arbre phylogénétique basé sur leurs séquences ADN chloroplastiques [1]. Ils ont ensuite comparé cet arbre phylogénétique avec un autre, basé cette fois sur les caractéristiques biologiques, aussi appelées traits fonctionnels.

 

Zoom sur les traits fonctionnels

Les traits fonctionnels, liés au type de reproduction (pollinisation, fleurs hermaphrodites ou unisexe) ou au type de dispersion des graines, sont souvent utilisés comme indicateurs de biodiversité. Ils permettent de caractériser à la fois les menaces qui pèsent sur la diversité taxonomique (c’est-à-dire les différentes espèces ou genres d’arbres) et celles qui pèsent sur la diversité fonctionnelle (c’est-à-dire liée aux différents traits biologiques).

 

Ces deux méthodes de classification des êtres vivants ont fourni des résultats différents, montrant que la diversité fonctionnelle n’est pas prédictible par la diversité phylogénétique ou taxonomique, et vice versa.

 

De plus, contrairement à l’arbre basé sur les traits fonctionnels, la fréquence au sein des genres des espèces classées comme vulnérables par l’UICN [2] est distribuée au hasard dans l’arbre phylogénétique (basé sur les séquences d’ADN), hormis pour certains taxons particulièrement mal connus. Ainsi, les causes de la vulnérabilité des arbres de Méditerranée ne sont pas seulement liées à la façon dont ils ont évolués au cours du temps. Elles sont essentiellement à rechercher dans des menaces plus globales se manifestant dans l’ensemble de la Méditerranée (par exemple, changement d’utilisation des terres, incendies, etc.). Les stratégies de conservation des arbres de Méditerranée ne peuvent donc pas se focaliser uniquement sur certains groupes et doivent envisager une réduction générale des impacts affectant leurs habitats.

 

La phylogénie permet d’aller encore plus loin pour alimenter les stratégies de protection et de conservation des arbres forestiers méditerranéens. Une nouvelle étude issue du même projet de recherche Woodiv a été publié le 7 février dernier dans la revue Diversity and Distributions. Des chercheurs ont utilisé l’arbre phylogénétique des 64 genres d’arbres méditerranéens pour en évaluer la variabilité spatiale, dans 643 parcelles de 50 km x 50 km sur tout le bassin méditerranéen européen (voir Figure). Ils montrent que le sud de l’Espagne, Chypre et certaines îles de la mer Égée contiennent des zones d’une diversité phylogénétique disproportionnellement grande et identifient ces zones comme des cibles prioritaires pour la conservation des arbres forestiers européens.

 

Figure article woodiv Fev 2021

Figure : Carte de diversité génétique relative. Les zones en bleu clair et en bleu foncé, indiquent une diversité phylogénétique des genres euro-méditerranéen significativement plus forte qu’attendue. A l’inverse, les zones rouges et marrons, indiquent une diversité phylogénétique des genres euro-méditerranéens significativement plus faibles qu’attendue.

 

Les données utilisées dans ces deux études sont issues d’une base de données construite par les chercheurs du projet Woodiv et mise à disposition de la communauté scientifique. Elle fait l’objet d’une publication dans Nature Scientific Data et rassemble plus de un million de données de présence, phylogénétiques et écologiques pour les arbres indigènes de Méditerranée européenne.

 

[1] Les chloroplastes sont les éléments cellulaires responsables de la photosynthèse

[2] L’Union internationale pour la conservation de la nature est l’une des principales organisations non gouvernementales mondiales consacrées à la conservation de la nature. Elle classe les espèces selon leur risque d’extinction, de « préoccupation mineure » à « éteint » en passant par « quasi menacée », « vulnérable » ou encore « en danger ».

 

#ScienceDurable – Biodiversité et transition énergétique – Enquêtes sur des liaisons dangereuses

En 2017, la Journée FRB visait à illustrer certaines incohérences entre la mise en œuvre de la transition énergétique et la prise en compte des enjeux associés à la biodiversité, puis à montrer les pistes de mobilisation des acteurs, des citoyens et des décideurs politiques et l’apport de la science pour une transition énergétique, écologique et solidaire. 

 

L’atténuation du changement climatique repose pour une large part sur la transition énergétique, c’est-à-dire l’abandon des sources d’énergie fondées sur le carbone fossile au profit des énergies renouvelables. Cet un objectif national et européen majeur suscite des développements technologiques et d’importants investissements. Or les infrastructures développées peuvent avoir des impacts multiples, et surtout non anticipés, sur la biodiversité et en particulier sur le fonctionnement des écosystèmes. Il est donc aujourd’hui indispensable de concilier défi énergétique et préservation de la biodiversité, cette dernière étant essentielle pour assurer le devenir de l’Humanité et garantir son bien-être. Retrouver les comptes-rendus de la journée dans les ressources ci-dessous. 

La diminution de la pêche en mer du Nord permet un regain des communautés de poissons

Bonne nouvelle pour la biodiversité marine de la mer du Nord ! Alors que la biodiversité mondiale connait une crise majeure [1], une étude publiée la semaine dernière dans Proceedings of the Royal Society B montre que l’abondance de la plupart des espèces présentant des stratégies écologiques originales vivant en mer du Nord augmente à mesure que la pression de la pêche diminue et que les océans se réchauffent.

 

La résistance et la résilience des écosystèmes marins face au changement climatique et aux activités humaines sont des préoccupations majeures, notamment car ces écosystèmes assurent toute une série de services essentiels à l’Homme. La pêche par exemple permet de nourrir plus de 10 % de la population mondiale. Le maintien des stocks halieutiques constitue donc aujourd’hui un défi majeur face à une demande accrue. Optimiser la gestion de la pêche est plus que jamais indispensable et nécessite de mieux connaître la réponse des communautés de poissons face aux diverses variations de leur environnement, qu’elles soient d’origine anthropique ou naturelle.  

 

Coordonnée par des chercheurs français et américains et co-financée par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) dans le cadre de son Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) et par le groupe Électricité de France (EDF), cette étude apporte des éléments de réponse en se basant sur un travail de synthèse conséquent, rassemblant 33 ans d’enquêtes scientifiques sur l’ensemble de la mer du Nord ! L’objectif ? Caractériser et comprendre la dynamique des communautés de poissons de la mer du Nord dans un contexte de réchauffement des eaux et de réduction progressive de l’intensité de pêche [2].

 

 

L’enjeu de l’originalité fonctionnelle (ou de la diversité des fonctions)

 

L’équipe de chercheurs s’est notamment intéressée aux espèces originales de par leurs caractéristiques biologiques et écologiques que sont les espèces « fonctionnellement distinctes ». Pour cela, elle a étudié les données issues de campagnes scientifiques et les caractéristiques écologiques des espèces de poissons vivant en mer du Nord : leur régime alimentaire, leur âge à maturité sexuelle, la taille de leurs œufs, leur positionnement dans la colonne d’eau, etc. – autant d’éléments qui donnent des indications sur le rôle écologique de ces espèces dans leur écosystème. Pour ce travail, les chercheurs sont partis du principe que les espèces fonctionnellement distinctes – c’est-à-dire les espèces ayant des caractéristiques uniques comme, par exemple, une maturité sexuelle très tardive ou un régime alimentaire particulier par rapport aux autres espèces  – peuvent soutenir des rôles écologiques importants et potentiellement irremplaçables, et ainsi contribuer de manière disproportionnée au fonctionnement des écosystèmes.

 

En conséquence, les chercheurs distinguent à la fois des espèces fonctionnellement distinctes – par exemple le requin-hâ (Galeorhinus galeus) ou la grande castalogne (Brama brama) – et des espèces fonctionnellement communes – par exemple le rouget barbet (Mullus surmuletus) ou le grondin gris (Eutrigla gurnardus). Les chercheurs ont aussi montré que les espèces fonctionnellement distinctes se caractérisent par une maturité sexuelle tardive, une progéniture peu nombreuse et des soins parentaux importants, beaucoup étant des requins et des raies qui jouent un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire marine.

 

 

Les résultats

 

Durant ces 30 dernières années, l’abondance de la plupart des espèces étudiées a augmenté, et ce, principalement en raison d’une pêche moins intense. Plus précisément, c’est principalement dans le sud de la mer du Nord, là où la pêche était historiquement la plus intense, que l’abondance des espèces fonctionnellement distinctes a le plus augmenté. C’est une bonne nouvelle pour les écosystèmes marins et une démonstration que les efforts de limitation des pressions liées à la pêche finissent par payer, surtout pour les espèces les plus fonctionnellement distinctes qui sont généralement non ciblées par les pêcheries mais malgré cela très sensibles à la pêche suite aux prises auxiliaires (voir figure).

 

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Figure : Les espèces ayant les caractéristiques les plus originales, et étant donc les plus fonctionnellement distinctes, sont les plus vulnérables face à la pêche, certaines d’entre elles étant aussi parmi les plus menacées selon l’UICN. Le statut UICN est représenté par couleur (CR = en danger critique d’extinction, rouge foncée; EN = en danger, rouge; VU = vulnérable, orange; NT = quasi-menacée, jaune; LC = préoccupation mineure, vert; DD = données insuffisantes, gris)

 

Nous devons cependant poursuivre nos efforts vers une gestion durable de ces milieux fragiles, notamment parce que parmi les espèces les plus distinctes, certaines d’entre elles sont considérées comme menacées d’extinction selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et ont vu leur abondance diminuer au cours des 30 dernières années en mer du Nord, comme le pocheteau gris (Dipturus batis) et l’aiguillat commun (Squalus acanthias).

 

Enfin, l’équipe de chercheurs souligne l’importance de l’inclusion d’une composante fonctionnelle dans les plans de gestion pour permettre d’assurer une conservation plus pertinente des espèces et des écosystèmes.

 

 

[1] Dans son rapport de 2019, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) évoque près d’un million d’espèces animales et végétales menacées d’extinction si aucune mesure n’est prise pour freiner cette tendance.

[2] La réduction progressive de l’intensité de la pêche s’est faite suit à la mise en place, dans les années 1990, d’une réglementation basée sur l’application de quotas en vue d’une exploitation durable.

#ScienceDurable – L’agroécologie, l’agriculture de demain ?

Julie de Bouville : Qu’est-ce que l’agroécologie ?  

 

Sandrine Petit-Michaut : L’agroécologie scientifique est une branche de l’écologie consacrée aux écosystèmes aménagés par les agriculteurs. Elle vise à comprendre la façon dont fonctionne les milieux naturels domestiqués par l’homme, et ce dans toute leur complexité : les interactions entre les végétaux, les hommes et les animaux mais aussi les éléments biologiques, physiques, climatiques, etc. C’est une approche holistique qui tend à la fois à analyser la façon dont les pratiques agricoles modifient les écosystèmes, mais surtout à apporter des solutions en s’appuyant sur la biodiversité.

 

 

Julie de Bouville : Comment la biodiversité peut-elle être employée dans l’agriculture ?

 

Sandrine Petit-Michaut : Il y a de nombreuses façons, mais l’une d’elle est de se servir de prédateurs pour diminuer la présence de nuisibles dans les champs. C’est ce qu’on appelle le contrôle biologique par conservation. Les carabes sont par exemple de grands alliés pour les agriculteurs. Ces petits coléoptères consomment des limaces et des pucerons, mais sont aussi de grands consommateurs de graines d‘adventices. Nous avons calculé que ces insectes peuvent absorber jusqu’à 4 000 graines par mètre carré et par jour, ce qui représente une consommation de 50 % des graines produites par les adventices. Plus il y a de carabes dans une parcelle cultivée et plus le renouvellement du stock de graines d’adventices diminue.

 

 

Julie de Bouville : Comment favoriser la présence de tels alliés ?

 

Sandrine Petit-Michaut : Dans une étude récente que j’ai menée à INRAEnous avons étudié les taux de prédation de pucerons, d’œufs de Lépidoptères et de graines d’adventices au champ en fonction de la structure du paysage et de l’usage de pesticides. Nous avons montré que moins l’on utilisait de pesticides et plus les paysages autour des champs étaient variés, plus la prédation des pucerons dans les parcelles augmentait. En effet l’usage des pesticides peut impacter les espèces alliéesDans le cas d’un usage modéré ou faible de pesticides, on montre que le contrôle biologique par conservation est plus efficace si les parcelles se situent dans des paysages comprenant de nombreux habitats semi-naturels pour les espèces alliées.  

 

 

Julie de Bouville : Suffit-il d’avoir des paysages variés autour des cultures pour réduire les intrants ?

 

Sandrine Petit-Michaut : Non ce n’est évidemment pas suffisant. Néanmoins, des paysages qui abritent beaucoup de cultures de différente nature et des habitats semi-naturels seront plus à même de fournir le gîte et le couvert à de nombreux organismes utiles. De plus, quand il y adifférentes cultures dans un paysage, cela signifie souvent que les agriculteurs font pousser une diversité de cultures sur une même parcelle au cours des années. Cette diversité de la rotation est un bon moyen d’éviter les infestations de nuisibles, et permet donc de réduire l’usage de pesticides. Certaines façons de conduire les cultures peuvent être intéressantes. Prenons l’exemple des carabes qui pondent leurs larves dans les sols. Si les sols des champs sont trop travaillés, le risque est de tuer les larves. Un champ de blé conduit en agriculture de conservation, dont le principe est de réduireconsidérablement le travail du sol, sera donc plus favorable à ces coléoptères qu’un champ de blé voisin régulièrement labouré.

 

 

Julie de Bouville : Est-on à même de mesurer l’efficacité de tels systèmes ?

 

Sandrine Petit-Michaut : Les systèmes agroécologiques sont difficiles à évaluer car nous avons vu qu’ils reposent sur de nombreux facteurs et organismes qui interagissent entre eux. Les effets du déploiement de ces systèmes à l’échelle du paysage est encore plus complexe. Néanmoins, sur la base de suivis sur le long terme dans différents paysages, on observe des tendances qui peuvent alimenter des modèles et nous permettent de faire des projections. On peut par exemple estimer dans quelle mesure l’ajout de haies ou la diversification des cultures dans un paysage permettrait d’augmenter le nombre de carabes. Mais les modèles ne sont pas suffisants pour convaincre les agriculteurs du bien fondé de nos affirmations, nous devons aussi passer par le terrain de l’expérimentation pour prouver nos affirmations. 

 

 

Julie de Bouville : Avez-vous justement des terrains d’expérimentation ?

 

Sandrine Petit-Michaut : En France, INRAE a installé à Bretenière, non loin de Dijon, la plateforme CA-SYS qui vise à concevoir et à évaluer des systèmes agroécologiques sur une exploitation de 120 hectares. L’objectif est de remplacer les pesticides en s’appuyant sur la biodiversité, cultivée et sauvage, comme moyen de lutte contre les bioagresseurs, en favorisant les auxiliaires, mais aussi pour améliorer la fertilité des sols, en favorisant les organismes dans le sol. En plus de la baisse de l’usage des pesticides, nous cherchons aussi à réduire l’utilisation d’intrants comme l’eau ou l’azote afin de proposer des systèmes agricoles multi performants d’un point de vue agronomique, économique, environnemental et social. La plateforme se donne entre cinq à dix ans pour parvenir à trouver des équilibres écologiques favorables à l’agriculture. Aujourd’hui beaucoup d’agriculteurs sont intrigués et passent sur la plateforme voir ce que nous faisons. C’est encourageant.  

#ScienceDurable – Le mystère du riz éternel révélé

De la diversité à perte de vue 

 

À compter de 2008, l’équipe de recherche part, chaque année, dans les terrasses de Yuan Yang caractériser le riz : « nous avions dans l’idée que la résistance de ce riz tenait à sa diversité » précise Jean-Benoît Morel. Pour vérifier cette hypothèse, les scientifiques prélèvent dans une centaine de champs plusieurs plants de riz et les séquencent. Et ce qu’ils découvrent se révèle extraordinaire : « La diversité des riz des terrasses est complètement fractale, à toutes les échelles y compris dans chaque parcelle de champs. » poursuit le scientifique. Les chercheurs la comparent alors aux 3 000 variétés de riz séquencées dans le reste du monde « et ce que l’on a constaté, c’est que ce riz à un niveau de diversité qui approche 80 % du niveau de diversité des riz mondiaux ». Mieux encore, l’analyse de 400 génomes du Yuan Yang leur fait penser que ces variétés sont très anciennes : « On a l’impression que c’est un riz qui a peut-être même été cultivé avant les autres, il y a plusieurs milliers d’années ».

 

 

Les gènes de l’immunité, les meilleurs des antidotes  

 

Jean-Benoît Morel et son équipe poursuivent leur enquête et réalisent des tests pour déterminer les gènes sous pression de l’environnement, comprenez des gènes dont la forme fluctue en fonction des pressions extérieures que la plante subit : « On a constaté que les seuls gènes qui répondaient à ce critère étaient les gènes de l’immunité. » Autrement dit la seule pression détectée à laquelle s’adapterait en permanence le riz est la pression exercée par les agents pathogènes. « Le déploiement de systèmes immunitaires très différents entre les riz cultivés à Yuan Yang a poussé l’agent pathogène à se spécialiser sur chaque type de riz, l’empêchant de passer facilement de l’un à l’autre » commente le scientifique. 

 

Dans les terrasses du Yuan Yang, la sélection naturelle darwinienne joue donc à plein régime. Lorsque les champignons parviennent à s’attaquer à certains plants de riz, les autres plants disposent de gènes pour y faire face. Les plants sensibles aux pathogènes diminuent tandis que les autres, insensibles, croissent. Ce sac et ressac, permis par la diversité au sein de l’espèce, offre donc au riz d’avoir le meilleur antidote.

 

 

La diversité comme bien commun 

 

Mais la diversité du riz n’explique pas tout. La longévité des terrasses réside entre les mains de la population locale qui depuis des millénaires sème et travaille le riz. Pour comprendre la façon dont la population Hani gère sa diversité, l’équipe de recherche a fait appel à des sociologues pour mener l’enquête. Trois règles sociales ont été identifiées : 

 

  • La première est que les semences des variétés traditionnelles sont échangées et jamais vendues. 
  • La seconde est qu’un agriculteur qui refuse de donner des semences est considéré comme un paria. 
  • Et la troisième est que le choix des semences par un agriculteur ne résulte d’aucune concertation collective : c’est à lui que revient la décision de semer de la façon dont il le souhaite.

 

« À elles seules, ces règles permettent spontanément d’instaurer dans ce territoire un accès illimité, immédiat et très peu couteux, à un large stock de semences maintenues in situ. » 

 

 

Vers une agriculture européenne résiliente et durable ?  

 

Ce modèle serait-il d’une façon ou d’une autre transposable en Europe ? « Dans les terrasses, on a estimé qu’il fallait maintenir une vingtaine de gènes de résistances différents, cela n’est évidemment pas généralisable, car les socio-écosystèmes ne sont pas les mêmes, mais cela donne un ordre d’idée. » Lorsque l’on sait qu’en France seules quelques variétés de riz sont cultivées, le chemin semble encore long pour avoir une agriculture résiliente et durable. « En France, les agriculteurs qui cultivent le blé commencent néanmoins à suivre cette tendance, souligne le chercheur. Aujourd’hui, 12 % des surfaces de blé sont cultivées avec plus d’une variété par parcelle. » Les sorties de ce travail de recherche vont permettre d’aider les agriculteurs à constituer des mélanges de variétés durables et pertinentes. Une autre idée que souhaiterait faire passer Jean-Benoît Morel serait de sensibiliser les agriculteurs à la diversité comme bien commun. « Si on ne la conserve pas, les agents pathogènes sauront développer des contre-attaques. ». Mais les agriculteurs ne sont pas les seuls à convaincre : « Il y a de puissants verrous notamment du côté de la filière qui n’a pas intérêt à proposer de nombreuses variétés, mais à privilégier une variété qui rapporte beaucoup au détriment d’autres variétés qui ne représenteraient que des micros marchés. »

 

La diversité fait pourtant partie des solutions de demain « Or le problème est qu’il n’y en a de moins en moins en France. Pour l’étudier, il faut aller la chercher ailleurs, dans les pays du sud notamment » rappelle Jean-Benoît Morel. Dans ces pays, celle-ci est encore active, de nombreux paysans la travaillent au quotidien.  « INRAE est en train d’identifier avec le Cirad des chantiers communs au sud dans cette perspective. L’enjeu est à la fois de protéger les cultures et de voir comment transposer leurs solutions chez nous. » Car, vous l’aurez compris, de la diversité découle l’éternité.

#ScienceDurable – L’agriculture croît dans les mathématiques

Réduction des pesticides et engrais, prédiction des récoltes, adaptation au changement climatique… Les défis posés à l’agriculture sont multiples et les mathématiciens ont des solutions à apporter. Focus sur leurs travaux à l’occasion du Salon de l’agriculture qui s’est tenu à la Porte de Versailles en mars dernier.

 

 

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#ScienceDurable – Réchauffement climatique : une situation d’urgence pour les céréales africaines

Le réchauffement climatique impacte les productions agricoles en Afrique de l’Ouest… depuis déjà une vingtaine d’années ! Si de nombreux travaux prévoyaient une baisse des rendements agricoles de 10 à 15 % en 2050 dans ces régions du fait de l’élévation des températures, aucune ne s’intéressait jusqu’alors à la situation actuelle. Deux climatologues de l’UMR Espace-Dev, Benjamin Sultan et Dimitri Defrance, viennent de publier une étude sur ce sujet en collaboration avec un laboratoire japonais, spécialisé dans les simulations environnementales.

 

 

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#ScienceDurable – Combiner les politiques agricoles de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour concilier biodiversité et sécurité alimentaire

Répartir les efforts entre la production de biocarburants, une transition vers des régimes alimentaires moins carnés et la reforestation de pâture serait une bien meilleure option pour l’agriculture de demain que de miser uniquement sur une seule de ces stratégies. Cette combinaison permettrait d’allier à la fois des objectifs de sécurité alimentaire, de préservation de la biodiversité et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, selon une étude publiée par le Cirad et ses partenaires dans Environmental Research Letters.

 

 

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#ScienceDurable – À Toulon, habitats artificiels à la rescousse des poissons

Les ports sont aussi des écosystèmes

 

Contre la paroi du quai, des plongeurs font descendre dans les profondeurs trois murs végétaux de roselières de 150 mètres carrés. Ces herbiers artificiels reproduisent les habitats des espèces marines locales en imitant les caractéristiques des herbiers de posidonie méditerranéens. Ils ont été conçus pour abriter les juvéniles de plusieurs espèces locales de poissons. Au pieds de ces herbiers, des blocs de bétons, réalisés en impression 3D, sont accrochés pour recréer des cavités dans lesquels les poissons devenus un peu plus grands s’abriteront. Marc Bouchoucha, responsable du projet et membre du laboratoire Environnement Ressources Provence-Azur-Corse de l’Ifremer explique : « Les ports ont rarement été perçus comme des écosystèmes, ils ont été très souvent envisagés sous l’angle économique ou culturel, mais peu sous l’angle écologique. Or, ce que nous constatons, c’est qu’ils ont majoritairement été construits sur des petits fonds côtiers abrités, qui ont, pour les poissons, des fonctions écologiques très importantes. »

 

 

Comprendre le cycle de vie des poissons

 

Le cycle de vie des poissons est en effet tel qu’ils pondent au large, voient leurs œufs flotter et être portés par les courants, puis éclore. Au niveau des côtes, les larves trouvent abri dans les herbiers. Les juvéniles s’y développent et, avant d’atteindre le stade adulte, quittent les roselières pour s’abriter, un peu plus bas, dans de petits rochers. Une fois arrivés à maturité, les poissons rejoignent le large pour y accomplir le reste de leur cycle.

 

« Aujourd’hui, ce cycle de vie est particulièrement bousculé par les taux d’artificialisation du pourtour méditerranéen qui ne cesse de croitre depuis les années 1950. Dans certaines zones comme Monaco, on atteint même des taux d’artificialisation à 90 % souligne Marc Bouchoucha. »

 

 

Restaurer les fonctions écologiques des ports

 

Le chercheur et son équipe ont donc pour objectif de limiter l’impact de l’artificialisation sur le cycle de vie des poissons en réparant certaines fonctions écosystémiques dégradées . « Mais avant cela, il a fallu nous assurer que les conditions environnementales étaient satisfaisantes ». Une attention particulière a été portée à la contamination chimique en Méditerranée. « Sur ce point, les réseaux de surveillance et les études mis en œuvre par l’Ifremer sur les masses d’eau côtières au cours des 20 dernières années ont montré que la tendance globale est à l’amélioration. » Les indicateurs sont donc « au vert » : pas de hausse significative des niveaux de contamination ; des niveaux constants en contaminants et inférieurs aux normes de qualité environnementale pour la grande majorité des sites suivis ; certes il reste quelques foyers de contamination historique dans certains secteurs identifiés, mais globalement les efforts d’assainissement des dernières décennies ont porté leurs fruits. « Les conditions étaient donc réunies pour restaurer efficacement le milieu. »

 

 

Un suivi de grande précision

 

En s’inspirant des habitats naturels, la société Seaboost a recréé les habitats des juvéniles. Pour s’assurer de leur efficacité, les scientifiques ont prévu de réaliser des suivis à grande échelle. Ceux-ci sont effectués à différents niveaux. Tout d’abord dans les ports, pour s’assurer que ces habitats ne soient pas colonisés par des espèces envahissantes issues des bateaux provenant du monde entier. Puis sur les espèces elles-mêmes, pour comprendre comment ces populations s’adaptent à ce milieu pollué et sonore. Enfin, dans les zones naturelles, pour voir comment les poissons se développent : «Nous devons pouvoir scientifiquement prouver que de telles installations contribuent à l’amélioration des populations naturelles, souligne Marc Bouchoucha ». Tous les moyens sont mobilisés pour assurer le suivi « On a installé à demeure des caméras sur les récifs pour filmer en continu les poissons, on a couplé cela avec des logiciels de reconnaissance automatique issus de l’intelligence artificielles pour nous permettre d’identifier et de compter les poissons. L’ADN environnemental est aussi utilisé pour étudier la biodiversité difficilement observable à l’œil nu, comme les espèces dites cryptiques qui, sur le plan morphologique, ne présentent aucune différence, mais qui, d’un point de génétique, présentent des différences notables. »

 

Dans les années à venir, d’autres ports devraient mettre en place ces nurseries de poisson. Cette nouvelle est accueillie avec prudence par Marc Bouchoucha : « La restauration est un outil qui ne doit pas servir à justifier la dégradation d’habitats naturels. Il est important de rappeler qu’elle est en général utilisée lorsque l’on n’a plus d’autres solutions. La protection doit toujours primer sur la restauration. »

#ScienceDurable – Urbanisme : pourquoi nous devons passer du concept de ville à celui d’écosystème urbain

L’approche biodiversitaire

 

Philippe Clergeau, chercheur au Muséum national d’histoires naturelles de Paris et spécialiste de la nature en ville constate « Les politiques de verdissement des villes sont évidemment une bonne chose, à la fois pour la qualité du cadre de vie et pour la reconnexion des citadins avec la nature. Néanmoins, on remarque que ce sont trop souvent les mêmes espèces qu’on emploie en milieu urbain au risque de les voir un jour disparaître. » Ainsi les platanes alignés dans de nombreuses villes françaises pour leur résistance à la pollution ou la sécheresse se retrouvent aujourd’hui menacés par la maladie du Chancre et risquent de connaître le même destin que l’Orme dans les années 60, décimé par un champignon pathogène. « Le problème n’est pas l’espèce en tant que telle, souligne Philippe Clergeau, mais le fait que ce soit une monoculture. » À l’approche monospécifique, le scientifique répond par l’approche « biodiversitaire ». « Si les grandes pelouses, les alignements de platanes ou les toitures de sedum constituent autant de monocultures qui pourront se révéler fragiles face aux aléas climatiques ou sanitaires, à l’inverse, la diversité d’espèces ayant des relations entre elles s’avère bien plus résistante ; elle apporte une certaine stabilité aux chaînes alimentaires, aux paysages urbains. Une ou des espèces peuvent disparaître sans que toute la plantation soit détruite. » S’inspirer du fonctionnement de la nature et de sa complexité fait donc partie des pistes pour rendre les villes plus durables.

 

 

Le biomimétisme source d’inspiration pour les architectes

 

D’ores et déjà dans le monde de l’architecture, les praticiens dissèquent le fonctionnement des habitats ou des plantes pour bâtir leurs immeubles. À Harare, capitale du Zimbabwe, l’architecte Mike Pearce s’est inspiré des termitières pour construire un centre d’affaire sans air conditionné : en y laissant l’air circuler par une multitude de petits trous, il a permis à la température du bâtiment de se réguler d’elle-même sans jamais dépasser les 27°. D’autres bâtisseurs, tels que les frères Vernoux, respectivement architecte et biologiste, créent des bâtiments vertueux inspirés de la phyllotaxie, comprenez la façon dont les végétaux disposent et arrangent leurs feuilles pour favoriser au mieux la récupération de la lumière. Aujourd’hui, leurs bâtiments construits en forme de spirale gagnent en énergie.

 

Mais le scientifique Philippe Clergeau invite à aller plus loin. « Ce biomimétisme appliqué aux objets ou aux bâtiments, doit pouvoir s’appliquer à l’urbanisme. » L’idée centrale est, à l’image des écosystèmes, de privilégier un fonctionnement circulaire qui permet à la fois l’auto-entretient et le maintien des espèces. « Si on a une platebande de fleurs par exemple, il va falloir l’entretenir, biner, sarcler, arroser régulièrement pour la maintenir en bon état. L’approche « biodiversitaire » va en revanche nous permettre d’éviter cela. L’idée est de reconstituer un petit écosystème : en utilisant des couvres sols, on va conserver plus d’humidité dans le sol, limiter les espèces envahissantes et la faune qui va s’y développer permettra de reconstituer une litière. La gestion en sera d’autant plus réduite ». Le scientifique appelle à ouvrir les lentilles de nos jumelles et à penser cette bio inspiration à l’échelle de la ville.

 

 

Penser la ville comme un écosystème

 

Dès à présent des projets urbains tendent à s’approcher de ce principe d’ « urbanisme écosystémique ». Ainsi aux États-Unis, à Portland, un plan d’urbanisme prenant en compte l’écosystème a-t-il été pensé pour le quartier de Lloyd. L’idée de départ était de se rapprocher du fonctionnement de l’écosystème préexistant: une forêt de conifères. Des mesures ont été prises pour établir une base théorique représentant le profil écologique du site avant la présence humaine. L’objectif était de réaménager le quartier, inverser les impacts environnementaux négatifs et redonner certaines fonctionnalités écologiques au lieu.

Avant la présence humaine, 90 % de la forêt était composée d’un couvert arboré abritant de très nombreuses espèces. Le plan d’urbanisme a prévu d’augmenter le couvert forestier indigène de 30 %, de planter des végétaux diversifiés à la fois dans les sols et sur les murs des façades, de créer 8000 mètres carré de « parcelles » de forêt de conifères et de fournir un habitat aquatique grâce à la collecte des eaux pluviales. La collecte des eaux de pluie a aussi été étudiée pour répondre à 100 % de la demande en eau potable. Le plan envisageait d’utiliser les bâtiments, paysages et systèmes techniques pour imiter la récupération d’eau de la forêt tout en permettant une multiplication par cinq de la densité urbaine. Enfin, l’énergie solaire et les cycles du carbone ont été pris en compte pour s’approcher des conditions d’utilisation de l’énergie solaire par la forêt et réduire les émissions de carbone aux niveaux d’avant le développement. Le quartier ainsi conçu n’était alors plus pensé comme une ville, mais plutôt comme un écosystème urbain dans lequel devait se déployer un système social et économique. 

 

En dépit de leur théorisation, ces types d’approches demeurent encore à l’état de projet et trop souvent la biodiversité n’est pas un des axes majeurs de la réflexion : « On reste beaucoup sur les flux et le métabolisme. Le vivant est encore peu pris en compte, déplore Philippe Clergeau. » Bien que les scientifiques soient au début des recherches d’opérationnalité, les connaissances pour s’engager dans ce type de projets sont bien réelles. « La plupart des municipalités l’ont bien compris, les trames vertes et bleues ne sont pas toujours une science exacte permettant aux musaraignes ou hérissons d’arriver en centre-ville, mais elles font partie d’un ensemble de projets qui tendent doucement mais sûrement à créer une nouvelle forme de milieu urbain résilient et évolutif. »

 

 

POUR EN SAVOIR PLUS

 

Clergeau P. (coord.) (2020) Urbanisme et biodiversité, vers un paysage vivant structurant le projet urbain. Apogée ed.

Blanco E. et al. (soumis) Urban ecosystem-level biomimicry and regenerative design: Linking ecosystem functioning and urban built environments. Sustainability

#ScienceDurable – Faut-il totalement repenser la ville ?

La densité humaine facilite la propagation des virus. Retraçant l’histoire des liens entre urbanisme et préoccupations sanitaires, le philosophe Thierry Paquot nous invite dans ce podcast à repenser la configuration des villes, jouer la complémentarité avec la nature et réfléchir à ce que signifie à notre époque une ville à « échelle humaine ».

 

 

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#ScienceDurable – Les « forêts urbaines », essentielles aux villes de demain

Les zones urbanisées occupent environ 10 % des surfaces terrestres, une proportion qui ne cesse de croître. Ces espaces constituent les milieux de vie de plus de 50 % de la population mondiale et contribuent de manière importante au changement climatique.

 

Face à ces réalités, des efforts de plus en plus importants sont engagés dans de nombreuses villes pour améliorer la qualité de vie et limiter les contributions de ces espaces aux changements globaux, grâce notamment à des plans d’adaptation au changement climatique et en faveur de la biodiversité.

 

Parmi ces actions, l’accroissement de la place accordée aux arbres, avec l’objectif d’évoluer vers de véritables « forêts urbaines », représente une contribution majeure.

 

 

 

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#ScienceDurable – Comment faire de votre jardin un havre de biodiversité

Pour celles et ceux qui ont la chance de posséder un coin de verdure, la période de confinement a offert l’occasion de jardiner, s’adonner à l’exercice physique ou simplement – aujourd’hui plus que jamais – de contempler. Contempler la végétation généreuse en ce printemps avancé, son cortège de pollinisateurs virevoltant autour des premières fleurs ; contempler les oiseaux chanteurs donnant fièrement de la voix.

 

Pourtant, tous les jardins ne connaissent pas la même vitalité. Ils sont d’abord le reflet des paysages alentour : un jardin bordé de monoculture hypertraitée abritera une biodiversité certainement plus pauvre, malgré l’effet refuge dont pourront bénéficier quelques espèces. Mais le degré d’attractivité tient beaucoup à nos comportements. Ce sont nos pratiques qui garantissent la bonne santé du jardin et des écosystèmes qu’il renferme.

 

 

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Publication de la note sur la biodiversité du Conseil d’analyse économique (CAE) – Interview d’Harold Levrel, économiste de la biodiversité

Vous avez publié il y a un mois une opinion intitulée D’une économie de la biodiversité à une économie de la conservation de la biodiversité sur le site de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Que vous inspire la publication du Conseil d’analyse économique1 (CAE) qui pour la première fois publie une note sur la biodiversité ?

 

Pour la communauté des économistes, c’est une réelle avancée car c’est le premier rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) sur la thématique biodiversité. Par ailleurs, le diagnostic proposé est concret et les solutions proposées adaptées à la crise que subit le monde vivant. Notre pays qui héberge une biodiversité exceptionnelle à la fois en métropole et dans ses territoires et ses départements d’outre-mer a une responsabilité de premier plan.

 

 

Êtes-vous en accord avec les conclusions du Conseil d’analyse économique ?

 

Oui tout à fait. Le rapport fait le constat que la biodiversité s’effondre et s’interroge sur la raison pour laquelle on ne parvient pas à stopper cette érosion. Il pointe notamment du doigt les subventions dommageables à la biodiversité, qui sont aujourd’hui nombreuses. Le Conseil cite par exemple la fiscalité sur les terrains non bâtis qui encouragent les propriétaires à construire pour gagner de l’argent. Le Conseil souligne aussi le besoin majeur de renforcer la séquence “Éviter Réduire Compenser” (ERC). Il y a aujourd’hui trop de dérogations, trop de manquements à la loi sur ce sujet. Tant qu’il n’y a pas de sanction, les aménageurs ne chercheront pas à mettre en place des stratégies visant à réduire leur empreinte sur les écosystèmes naturels, à investir dans de l’ingénierie écologique pour réduire leurs impacts. Ils pointent aussi comme autre dysfonctionnement les mille feuilles réglementaires autour de la protection de la biodiversité qui posent des problèmes de gouvernance. Tout cela fait partie d’un constat partagé avec celui que nous faisons dans l’Opinion publiée sur le site de la FRB.

 

 

Quels sont vos points de divergence ?

 

La note du Conseil d’analyse économique souligne, à plusieurs reprises, que c’est le manque de prise en compte de la valeur économique de la biodiversité qui est une des origines du problème. Certes, il est évident que les bénéfices fournis par la biodiversité sont considérables, mais ils restent de nature collective et tous les travaux qui ont détaillé la nature et les montants de ces bénéfices depuis plus de 20 ans n’ont pas réussi à convaincre les entreprises d’investir dans la biodiversité. Prenons l’exemple des produits pharmaceutiques. Dans les années 1990, le discours était le suivant : c’est en investissant dans la préservation de la biodiversité sauvage – notamment dans les pays du Sud – que l’on réussira à trouver de nouveaux médicaments dont le secteur pharmaceutique pourra tirer des bénéfices. 30 ans plus tard, on constate que le coût de la recherche sur ces dîtes molécules naturelles est trop élevé. La R&D pharmaceutique a totalement réinvesti ses recherches dans la chimie. Un autre secteur où l’on constate un net recul de l’utilisation des ressources naturelles, c’est le textile. On est passé de 41 % de la production mondiale en 2008 à moins de 30 % en 2018. La note du Conseil souligne ce manque d’investissement des entreprises, mais elle ne propose pas pour autant un changement d’approche – dans le champ de l’économie de la biodiversité – sur le sujet. C’est notre constat de départ dans la note d’opinion de la FRB : la biodiversité s’avère moins utile ou moins rentable que prévue pour le monde de l’entreprise, tout du moins à court-terme, c’est-à-dire l’échelle de temps à laquelle raisonnent les entreprises.

 

 

Que faudrait-il faire alors, selon vous, pour que le secteur économique prenne en compte efficacement la biodiversité ?

 

Nous pensons qu’il faut mettre la biodiversité au cœur du projet économique. En reconnaissant la nature comme composée d’entités que l’on veut maintenir pour elles-mêmes et non pas pour ce qu’elles valent économiquement. La nature n’a pas besoin d’être pensée comme un capital ou un actif, mais comme une entité qui bénéficie de droits à être préservée. Cela ne veut pas dire qu’on personnifie la nature mais plutôt qu’on lui reconnait des droits à être réparée lorsqu’elle subit des dommages, des préjudices écologiques issus d’activités humaines. Ce droit existe cependant déjà. Cette année, dans les calanques par exemple, des braconniers ont été sanctionnés au titre du préjudice écologique et ont dû payer le coût nécessaire pour réparer ce qu’ils avaient pris à la nature. Mais il faut admettre que ce type de décision est encore très rares et, malheureusement, les délits environnementaux sont ceux pour lesquels on constate le plus faible taux de sanction, sous prétexte que l’on aurait recours à une “écologie punitive”. Il nous semble, de notre côté, qu’il s’agit surtout de respecter un principe de responsabilité et de réciprocité vis-à-vis d’une nature qui nous donne tout mais à qui on ne restitue jamais rien.

 

 

Comment ce droit pourrait-il se traduire d’un point de vue économique ?

 

La nature ne doit plus être évaluée sur la base d’équivalence en valeurs économiques, mais sur celle d’équivalence en valeurs écologiques. D’un point de vue comptable, la nature n’est plus un actif que l’on fait entrer dans les comptes des entreprises, des administrations ou des ménages, mais une entité à part avec laquelle on effectue des transactions et pour laquelle on crée des comptes spécifiques de créances et de dettes. Si une entreprise utilise – ou détruit – des populations animales sauvages pour sa production, elle va générer une dette vis-à-vis de la nature. Il faut que dans ses comptes, cette dette apparaisse et que dans les comptes de la nature, on puisse rendre visible la créance dont elle bénéficie. Le remboursement peut se faire alors par la restauration écologique ou par tout investissement de l’entreprise qui permette à la biodiversité de se régénérer (si on est dans une situation où la nature peut se régénérer). Tout cela peut aussi être créateur de nouveaux emplois et de croissance, comme cela a été observé à chaque fois que l’État a décidé d’investir dans la protection de biens publics – comme les monuments historiques ou encore l’approvisionnement en eau – ou de réguler des marchés qui détruisait ces biens publics.

 

 

Vous donnez en somme à la nature des droits pour se défendre…

 

Oui, car ce qu’omet le Conseil dans sa note, c’est la puissance des lobbies dans les négociations où la conservation de la biodiversité est en jeu. Or il est important de rappeler que les transitions écologiques des secteurs économiques sont le fruit de négociations où les défenseurs de la nature ne pèsent pas, ou très peu. Les arguments autour de la création d’emplois, de la croissance, de la crise que connaît un secteur, etc. sont toujours ceux qui vont peser le plus. À l’échelle des territoires, ils sont portés par les secteurs économiques et défendus par les préfets et les élus locaux. Au sein des multinationales par les directions financières ou des ressources humaines. De l’autre côté, qui défend la nature ? Le ministre de l’environnement, les associations, certaines administrations déconcentrées pour les territoires, les directions de l’environnement ou du développement durable pour les multinationales. Mais au fond, soyons clair, ces acteurs pèsent peu dans ces négociations. C’est pourquoi une approche par le droit de la biodiversité à être véritablement représentée et défendue lors des négociations qui s’opèrent à différentes échelles territoriales et organisationnelles pourraient faire évoluer les choses en matière de transition écologique de notre système économique.

 

 

La recherche économique sur la biodiversité peut-elle contribuer à cette transition écologique ?

 

Au niveau des instituts de recherche et des universités, nous avons besoin d’économistes qui connaissent mieux l’écologie scientifique et les modèles qui y sont associées, comme le propose en partie l’économie écologique. Par ailleurs, de nombreuses innovations, facilitant l’analyse des conditions d’une transition écologique de l’économie, peuvent être attendues en matière de comptabilité, d’ingénierie technico-économique, de planification territoriale et sectorielle, d’économie du droit, etc. Du point de vue de la R&D, il y a aussi la nécessité de renforcer les compétences au sein de nombreux secteurs économiques. Il est par exemple aujourd’hui compliqué d’accompagner un agriculteur dans une transition écologique qui nécessite de changer la structure de son exploitation, à utiliser des solutions fondées sur la nature et à utiliser de l’ingénierie écologique pour maintenir des rendements importants tout en renonçant aux pesticides ou à certains outils mécaniques. Il y a aussi un besoin d’économistes en mesure de travailler à la fois sur des modèles standards de business model, mais aussi capable d’évaluer les coûts et des méthodes associées à certaines réglementations environnementales pour réduire les risques de contentieux et proposer des solutions opérationnelles.

 

 

Le plan de relance proposé par le gouvernement vous parait-il prendre suffisamment en compte la biodiversité ?

 

100 milliards d’euros sont annoncés pour relancer l’économie française dont 30 milliards pour la transition écologique. C’est bien, mais le problème est que cette transition écologique est avant tout énergétique. 11 milliards sont investis dans les transports, 9 milliards dans l’industrie énergétique, 7,5 pour le bâtiment et le logement, et quasi rien pour la biodiversité. Par ailleurs, ce que l’on constate depuis 20 ans, c’est une baisse des investissements privés en matière de protection de la biodiversité, comme le souligne la note du Conseil d’analyses économique d’ailleurs. L’État a donc un rôle majeur à jouer. Un vrai plan de relance écologique pourrait être un plan de relance fondé sur des espaces de restauration naturelle comme pour les forêts ou les prairies. L’avantage lorsque qu’on a des logiques d’investissement dans la biodiversité, c’est d’en voir très vite les effets. Il suffit de restaurer une zone humide ou de mettre en réserve intégrale un écosystème marin pour tout de suite voir des résultats. C’est très concret. Et pour conclure sur une note économique : les emplois qui accompagneraient ces investissements sont non délocalisables et les personnes qui vivent à proximité de ces espaces peuvent bénéficier de plein d’opportunités associées à cette nouvelle biodiversité…

 

1. Le Conseil d’analyse économique réalise, en toute indépendance, des analyses économiques pour le gouvernement et les rend publiques. Il examine les questions qui lui sont soumises par le Premier ministre et par le ministre chargé de l’économie et peut procéder de sa propre initiative à l’analyse prospective de questions économiques qu’il estime pertinentes pour la conduite de la politique économique du pays. Il est composé d’économistes universitaires et de chercheurs reconnus.

#ScienceDurable – La disparition des poissons migrateurs n’est pas inéluctable

Au cœur de l’été, la nouvelle est presque passée inaperçue. Et pourtant, à travers le monde, les populations de poissons migrateurs (saumon, anguille, alose, esturgeon…) ont chuté de 76 % en près de 50 ans. Un pourcentage vertigineux, mis en lumière par un rapport inédit publié en juillet dernier par plusieurs ONG. Or ce déclin n’est pas inéluctable. De nombreuses équipes de recherche, comme celle de l’INRAE où travaille Patrick Lambert, luttent au quotidien pour conserver les poissons migrateurs.

 

 

Quelles sont les principales causes du déclin des poissons migrateurs ?

 

Ce sont les cinq pressions identifiées par l’Ipbes qui sont responsables de cette chute des populations : le changement climatique, la pollution, la surexploitation des ressources, ici la pêche, la perte d’habitat, en particulier les barrages, et les espèces envahissantes. Toutes cumulées, ces pressions impactent les poissons migrateurs qui voient leur population se réduire à un rythme alarmant d’année en année.

 

 

Existent-ils des solutions pour enrayer leur déclin ?

 

Il n’y a pas de solutions simples. Pour enrayer le déclin, il faut pouvoir agir sur toutes les causes. Si certaines actions, comme la lutte contre le changement climatique et la pollution, vont profiter indirectement aux poissons migrateurs, il est également possible de mettre en place des actions ciblées pour les protéger. Par exemple les passes ou ascenseurs à poissons vont permettre aux migrateurs de franchir les barrages et leur permettre ainsi d’atteindre les lieux de reproduction. Nous pouvons aussi inciter les pouvoirs publics à réduire l’effort de pêche. Le plan national anguille, mis en place en 2009, vise, par exemple à réduire drastiquement la pêche à l’anguille.

 

 

Le renforcement de population est aussi une solution proposée par la recherche. Vous et votre équipe travaillez notamment sur la dernière population au monde d’esturgeon européen vivant dans l’estuaire de la Dordogne et de la Garonne.

 

En effet, cette espèce fréquentait tous les cours d’eau d’Europe, de l’Espagne à l’Allemagne en passant par les îles britanniques, au début du XIXe. Or depuis un siècle, on assiste à son déclin. La dernière reproduction naturelle a eu lieu en 1994. À cette date, nous avons réussi à récupérer quelques individus et nous les avons aidés à se reproduire. Ces poissons mesurent 2 mètres et effectuent des milliers de kilomètres, les tenir en captivité est un vrai défi. Il a fallu ensuite attendre 15 ans pour que leurs portées atteignent leur maturité sexuelle et se reproduisent à leur tour. En 2007, nous avons relâché 6 000 individus, mais cela n’était pas assez. Nous estimons que seule une dizaine a survécu. En 2012, nous avons relâché 700 000 larves. C’est cet ordre de grandeur que nous devons atteindre pendant quelques années si nous voulons espérer que suffisamment d’esturgeons survivent. Cette année, des pêcheurs nous ont signalé un individu de plus d’1m50 près des zones de reproduction. Peut-être un animal de 2007. On a donc des signes encourageants mais l’histoire n’est pas encore écrite.

 

 

Le fait que tous ces poissons soient issus des mêmes géniteurs et soient par conséquent frères ou cousins ne posent-ils pas un problème de diversité génétique qui risque à moyen terme d’affaiblir leur espèce ?

 

C’est effectivement un risque. Nous avons dû pour répondre à cette question, mener des travaux de génétique. Les résultats sont plutôt encourageants, car avons constaté qu’originellement leur diversité génétique était faible. Nous faisons néanmoins tout notre possible lors de la reproduction assistée pour choisir les mâles et les femelles les plus différents possibles. Ce type de restauration ne pose pas seulement des questions de recherche génétique, elle pose aussi des questions liées à l’éthologie, la toxicologie ou encore au climat.

 

 

Quels sont justement les outils que la recherche peut mobiliser pour répondre à ces questions aussi complexes ?

 

Il y a toute une réflexion à mener sur l’approche intégrative, c’est-à-dire l’approche qui combine différentes disciplines comme ici l’éthologie, la toxicologie ou encore l’étude du changement climatique (cf exemple encadré). L’idée est d’intégrer toutes les questions soulevées par ces disciplines dans des modèles pour prédire le devenir des populations de migrateurs. Ces résultats nous aideront à discuter avec les décideurs et le public au niveau national, mais aussi au niveau international, car nombre de ces espèces parcourent de grandes distances et traversent les frontières. La volonté politique doit également être transfrontalière.

 

 

L’APPROCHE INTÉGRATIVE – QUAND L’ÉCOTOXICOLOGIE RENCONTRE L’ÉCOLOGIE. PAR OLIVIER GEFFARD, INRAE

 

« Nous développons des approches qui permettent de diagnostiquer la présence de contaminants dans les milieux et leurs effets. Nous travaillons notamment avec une équipe de INRAE sur le cas de l’alose, un poisson migrateur qui disparait d’un de ses bassins de reproduction en Gironde. Nous cherchons à vérifier si leurs frayères, c’est-à-dire les endroits où ces poissons vont se reproduire, sont de qualité chimique suffisante pour permettre le développement embryonnaire. Pour cela, nous avons développé une approche ex situ (hors du milieu naturel) basée sur la dérivation d’eau de la rivière pour l’étudier. Nous avons ainsi l’avantage d’être en conditions contrôlées de laboratoire, avec de l’eau de la rivière qui coule en continu. Nous avons disposé des embryons de l’alose dans ce canal et attendons de voir s’ils se développent correctement. Nous en sommes au tout début de l’expérience. Si les aloses se développent bien nous aurons prouvé que le milieu n’est pas contaminé et il faudra alors expliquer pourquoi ces poissons migrateurs disparaissent de ce bassin. »

#ScienceDurable – Projet Life Adsorb : optimiser le traitement des eaux du périphérique parisien

Centré sur un prototype innovant situé dans le bois de Boulogne à l’ouest de Paris, le projet Life Adsorb va tester de nouveaux modes de dépollution des eaux issues principalement du ruissellement pluvial du périphérique avec de rares contributions d’eaux usées. L’objectif du projet est de réduire de 95 % la pollution minérale et organique, c’est à dire de macro et micro polluants. La solution proposée sera transférable à des sites densément urbanisés tel que le site parisien mais aussi également à des sites plus ruraux.

 

 

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#ScienceDurable – Quelles solutions pour éviter la propagation de l’antibiorésistance dans l’environnement ?

Si l’environnement contient naturellement des bactéries antibiorésistantes, les activités humaines peuvent tout à la fois les favoriser ou les éliminer par le traitement des rejets et déchets. 

 

Depuis 2017, la FRB accompagne un projet ambitieux de synthèse scientifique visant à faire le bilan des solutions efficaces pour éviter que la résistance aux antibiotiques ne continue à se propager dans l’environnement. Une revue systématique de la littérature scientifique menée en 2019 par Anaïs Goulas, post-doctorante, appuyée par les experts d’un consortium piloté par l’Inserm, avec notamment l’Inrae (anciennement Inra)  et le CNRS et des experts méthodologiques, a permis d’évaluer les connaissances actuelles sur les effets de différentes stratégies sur la réduction de l’antibiorésistance, évaluée par la quantification et la qualification des bactéries résistantes aux antibiotiques, gènes de résistance aux antibiotiques ou éléments génétiques mobiles. 

 

Les principaux résultats de cette revue systématique ont été présenté dans un résumé pour décideurs disponible via le lien suivant. 

 

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#ScienceDurable – Le déploiement de la biologie de la conservation

Apparue au milieu des années 1980, cette jeune science invite à identifier les espèces et les écosystèmes menacés, diagnostiquer les causes de leur déclin, proposer, tester et valider des moyens d’y remédier : « Jusqu’alors, c’était l’affaire de naturalistes passionnés, de gestionnaires d’espaces protégés ou d’ONG, souligne le biologiste de la conservation François Sarrazin. Depuis, les scientifiques les aident à identifier les priorités et améliorer les pratiques de conservation, à comprendre leurs causes de succès et d’échecs. » Là où le gestionnaire s’empare d’une action à une échelle locale, le scientifique peut apporter le recul statistique sur un grand nombre d’opérations et permet d’améliorer les pratiques à une échelle plus globale. 

#ScienceDurable – Des loups, des cerfs… et nous

Alors que la biodiversité est en péril sur notre planète, le retour des loups en Amérique du Nord et en Europe, notamment en France, pourrait avoir de quoi réjouir. Pourtant, les médias et l’opinion publique se focalisent sur la mortalité engendrée dans les troupeaux : « Les effets négatifs de la présence des loups, comme le nombre de moutons tués, sont visibles et faciles à attester. Des effets positifs existent, mais ils sont souvent indirects et donc difficiles à mettre en évidence », souligne Jean-Louis Martin1, co-auteur avec Simon Chamaillé-Jammes2 et Donald M. Waller3 d’une synthèse4 inédite sur les enjeux posés par la cohabitation entre cerfs, loups et humains. Cette synthèse s’appuie sur leurs propres travaux et sur les dernières études disponibles. Les chercheurs y alertent sur la nécessité de prendre du recul pour mieux apprécier toute l’étendue des enjeux que pose cette cohabitation.

 

 

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1 Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS / Univ. Montpellier / Univ. Paul Valéry Montpellier / EPHE / IRD)

2 Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE – CNRS / Univ. Montpellier / Univ. Paul Valéry Montpellier / EPHE / IRD)

3 Université du Wisconsin

4 Martin et al. 2020 Deer, wolves, and people: costs, benefits and challenges of living together Biol.Reviews

 

 

#ScienceDurable – Sous les tropiques, la lutte biologique peut limiter la déforestation et l’érosion de la biodiversité

Une lutte biologique bien menée en agriculture peut ralentir la déforestation et prévenir la perte de biodiversité. C’est ce que vient de montrer une équipe internationale comprenant des entomologistes, des biologistes de la conservation, des agro-écologistes et des géographes. Les résultats de cette étude ont été publiés dans Communications Biology – Nature.

 

 

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#ScienceDurable – L’écologie « relationnelle » pour repenser les rapports entre l’homme et son environnement

Il est toutefois intéressant de constater que le terme, peu importe son contexte d’utilisation, s’est longtemps ancré dans un même et unique rapport au monde : l’appréhension de ce qui est autre par le seul prisme de la division entre deux mondes, celui de l’humain et celui de la nature. Plusieurs auteurs ont depuis contesté cette posture.

 

Les auteurs de cet article proposent de remettre en perspective ces critiques pour cheminer vers un nouveau champ d’études à explorer dans le domaine de l’écologie. Soit la découverte et les potentialités offertes par l’étude des liens entre l’humain et le non-humain, qu’ils nomment « écologie relationnelle ».

 

 

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#ScienceDurable – Déforestation à Madagascar : concilier développement et conservation de la biodiversité

L’île a perdu 44 % de ses forêts naturelles depuis les années 50 et le rythme de la déforestation s’accélère. Avec 90 % d’espèces endémiques, c’est une biodiversité unique qui est menacée de disparition. L’enjeu de la Grande île est de concilier la sauvegarde de son patrimoine naturel et la lutte contre la pauvreté. Un défi de taille qui nécessite des actions menées sur plusieurs fronts. Les recherches du Cirad et de ses partenaires accompagnent le pays dans ce sens au travers de plusieurs projets. Revue de détails à l’occasion de la journée internationale des forêts, le 21 mars.

 

 

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#ScienceDurable – Dans le laboratoire du MNHN, les vers parasites source d’étude et d’inspiration médicale

Les parasites impressionnent aussi bien par leurs capacités d’adaptation que leur taux de multiplication souvent extraordinaire, ou encore leurs modes de circulation efficaces dans tous les écosystèmes …. Le MNHN en détient une des plus grandes collections au monde : « La collection des Vers Parasites du Muséum a été principalement constituée entre 1960 et 1990 sur la base du matériel récolté par le laboratoire dirigé par le Professeur Alain Chabaud, au cours de missions réalisées à l’étranger, précise la parasitologue. Depuis, on vient nous consulter dans le monde entier pour les étudier ou les identifier » Ainsi Coralie Martin se souvient du cas de ce jeune brésilien de 16 ans qui avait un vers de 10 cm traversant l’œil. Le vers était à la fois situé dans la chambre postérieure et antérieure de l’œil. « Ce qui était étonnant, c’est que ce parasite se retrouvait généralement chez les oiseaux, mais pas chez l’homme souligne la scientifique ». Après enquête, les chercheurs ont découvert que le jeune garçon travaillait sur les poteaux électriques ou nichaient de nombreux oiseaux. « Nous supposons que ces nids étaient infestés de puces et de tiques porteuses du parasite, c’est ainsi que la transmission a pu se faire. » Après le diagnostic posé, les chercheurs ont pu affirmer que ce cas était accidentel et que le risque était ponctuel et limité. « Ce type de conclusions, seuls les parasitologues peuvent les poser, pas les médecins qui n’ont pas ces connaissances poursuit Coralie Martin. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de pouvoir travailler ensemble ».

 

Depuis quelques années, les collaborations pluridisciplinaires se multiplient au travers d’initiatives comme One Health. Née du constat que 60% des maladies humaines infectieuses connues ont une origine animale, One Health invite à une approche collaborative entre les grands secteurs scientifiques pour prévenir et contrôler les infections.  En ces temps troublés, ou les crises sanitaires se multiplient, la chercheuse Coralie Martin, se surprend même à rêver de voir ressusciter des professions qui disparaissent sûrement : « Faire appel à des taxonomistes1 spécialistes des moustiques par exemple aurait pour avantage d’aider à déterminer les zones à risque ou circulent les pathogènes, mais aussi et surtout à identifier les espèces qui en sont porteuses. » Car pour le paludisme comme pour la maladie de Lyme, tous les moustiques ou toutes les tiques ne sont pas porteurs du parasite pathogène.  « Une réponse fine et mesurée des experts permettrait d’éviter de graves erreurs sur l’environnement, comme ce fut le cas dans les années 60 avec l’emploi massif de DDT dans la lutte contre le paludisme poursuit la chercheuse. » L’emploi du pesticide a eu en effet pour conséquence de s’accumuler dans l’environnement et d’avoir des effets délétères sur la reproduction des oiseaux au point d’être à l’origine du célèbre livre de Rachel Carson « Printemps silencieux » qui fustigeait l’emploi massif des biocides sur l’environnement.

 

L’étude de la biologie des parasites dans la faune sauvage permet aussi d’extrapoler les connaissances en travaillant en laboratoire pour apporter des informations utiles à la médecine humaine et vétérinaire. « Nous avons été un des premiers laboratoires à développer des modèles d’étude du paludisme chez la souris avec l’agent pathogène Plasmodium précise Coralie Martin. » Une avancée majeure pour la compréhension du fonctionnement d’une des maladies humaines les plus répandues au monde. Présents dans les glandes salivaires du moustique, les parasites sont injectés à l’homme lors de repas sanguin de l’insecte. Ils envahissent d’abord le foie pour se multiplier et donner plusieurs milliers de parasites qui circulent dans le sang. C’est cette phase sanguine qui est responsable des symptômes et la cible des principaux médicaments antipaludiques.

 

Si l’étude des parasites est porteuse d’espoir pour guérir des parasites, la compréhension de leur fonctionnement est aussi source d’espoir pour la recherche médicale « On touche ici au biomimétisme précise Coralie Martin. On espère en effet pouvoir utiliser certaines molécules que les parasites produisent pour abaisser la réponse immunitaire de l’organisme qu’ils occupent et lutter ainsi contre certaines maladies auto immune. » Si, longtemps, les chercheurs se sont intéressés à quelques groupes présentant une menace immédiate pour la santé humaine ou pour celle des espèces domestiquées, les recherches sur le monde des parasites révèlent depuis peu de temps pourquoi ils représentent une dimension fascinante de la vie par leur capacité adaptative et les promesses de traitements thérapeutiques. L’étude de leur diversité permettra dans les années à venir des avancées majeures pour la santé humaine et la compréhension toujours plus fine du monde du vivant.

 

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1 La taxinomiste a pour objet de décrire les organismes vivants et de les regrouper en entités appelées taxons afin de les identifier, les nommer et les classer.

#ScienceDurable – S’inspirer de la nature pour prévenir les pandémies

Pour le chercheur du CNRS, et du Cirad, Serge Morand, cette sur-mobilité n’est pas seulement responsable des crises environnementales, mais elle est aussi responsable des crises sanitaires que nous vivons aujourd’hui : « Avant les années 60, une épidémie restait habituellement confinée à un ou quelques pays étroitement liés. Par la suite, les épidémies sont devenues de plus en plus pandémiques. » Ainsi la dengue, les coronavirus, le chikungunya sont autant d’épidémies devenues pandémiques en se propageant à l’échelle planétaire grâce à l’ultra mobilité des marchandises et des personnes. Pour l’écologue de la santé, une des causes majeures est notamment due à l’augmentation du trafic aérien : « Le nombre total de passagers est passé d’environ 330 millions en 1970 à plus de 4 milliards en 2017 : une augmentation de 1 200 % ! » Les foyers secondaires d’infection apparaissent ainsi en des temps records dans des pays connectés les uns aux autres.  

 

 

Prendre modèle sur les écosystèmes résilients 

Dans un récent article scientifique intitulé  Les risques d’accélération des maladies infectieuses dans l’Anthropocène, Serge Morand et un de ses confrères ont notamment démontré que les pays les plus impactés par les épidémies ont paradoxalement tendance à faire partie des pays les plus riches. Ainsi trouve-t-on les États-Unis à la première place des pays les plus touchés, suivis par le Royaume-Uni, l’Inde, le Canada, le Japon, la France se situant, quant à elle, à la 9e place de ce triste palmarès, juste avant l’Italie et derrière l’Espagne. « La mondialisation a accéléré les interconnexions entre les villes de la planète qui deviennent les points centraux du départ − Wuhan en Chine avec la crise du coronavirus − et de l’arrivée des épidémies, souligne le chercheur. Enrayer ces pandémies nous oblige donc à repenser la mobilité et à réorganiser nos territoires. » 

 

Parmi les solutions évoquées par Serge Morand, une idée prend modèle sur les écosystèmes résilients : « On a constaté que les épidémies se propagent dans des territoires homogènes, urbains. »  Cette homogénéisation se retrouve dans l’agriculture ou la sylviculture avec les monocultures, des territoires modelés par l’homme, très peu résilients aux maladies et aux invasions biologiques. « A contrario, les territoires en mosaïques, c’est à dire composés d’une multitude d’entités hétérogènes formant le paysage, sont, on le sait, d’un point de vue écologique très résilients. Mon pari, poursuit le chercheur, est le suivant : si ces écosystèmes diversifiés sont bons pour la santé animale ou végétale, pourquoi ne le seraient-ils pas pour l’homme ? »

 

Si de très nombreuses études se sont penchées ses dernières années sur les bienfaits de la nature sur le bien être humain, aucune n’a pour le moment réussie à prouver qu’un paysage diversifié dans son ensemble améliorait la santé humaine. « On a néanmoins des faisceaux d’indices qui montrent que vivre à proximité de la nature est bon pour la santé, poursuit Serge Morand » Ainsi une équipe de recherche a montré que lorsque l’environnement est peu diversifié, notamment en plantes, le microbiote1 humain est moins riche en bactéries utiles à notre système immunitaire, rendant ainsi notre organisme moins résilient et sujet à des maladies auto immunes s’accélérant avec l’âge. « Le système immunitaire des humains a besoin d’être éduqué au contact d’antigènes véhiculés par des bactéries que l’on retrouve dans l’eau potable de milieux naturelles, mais aussi par tous les animaux qui les portent. »

 

Si les liens entre biodiversité et santé humaines doivent être encore explorés, l’écologie de la santé livre néanmoins plusieurs enseignements pour contrer la densité, vectrice d’épidémie « Il faut se servir de la biodiversité en ville comme d’un pare feu pour se préserver des rongeurs ou des insectes réservoirs de virus ou bactéries. Il faut s’inspirer des régulations écologiques qui jouent dans les milieux riches en biodiversité. » Une équipe de recherche s’est ainsi intéressée aux « paysages de la peur » des rongeurs, et plus précisément aux formes particulières d’habitat que ces animaux ressentent comme dangereux. L’intérêt supplémentaire de cette méthode est d’éviter la dératisation par produits chimiques.

 

 

S’inspirer des organisations de la nature pour limiter les dommages de l’extrême interconnexion

Se servir de la biodiversité pour réguler les espèces donc, mais aussi s’inspirer des organisations de la nature pour limiter les dommages de l’extrême interconnexion : « c’est l’idée de la modularité. Il faut organiser de l’espace de façon à compartimenter les réseaux d’interactions entre les humains. » Rendre les territoires plus autonomes, c’est ce qu’offre dès à présent les écoquartiers. Ces territoires à échelle humaine proposent commerces, jardins, bureaux, activités sportives et sociales. « On pourrait même imaginer qu’en période de crise, ces quartiers se ferment évitant ainsi de mettre toute une ville en confinement. »

 

La modularité de la ville, comme en écologie, crée la résilience et invite à une vie plus sédentaire. « Car à terme, le scénario le plus durable est de diminuer, voire d’inverser les taux de mobilité mondiale, surtout s’il fait partie intégrante d’un mouvement beaucoup plus important visant à la durabilité planétaire en réduisant l’empreinte environnementale » conclut Serge Morand. Comme le montre l’expérience de la pandémie actuelle, seule une réduction considérable des taux de mobilité et de contact permet de ralentir et d’arrêter ce virus terriblement contagieux.

 

 

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1 Le microbiote est l’ensemble des micro-organismes – bactéries, virus, parasites, champignons non pathogènes, dits commensaux – qui vivent dans notre organisme. Dans l’organisme, il existe différents microbiotes, au niveau de la peau, de la bouche, du nez…  Le microbiote intestinal est le plus important d’entre eux pour un poids de 2 kilos !

#ScienceDurable – ZooCov, un projet pour mieux prévenir la transmission du coronavirus de l’animal sauvage à l’homme

Le commerce des espèces sauvages et la consommation de viande d’animaux sauvages jouent un rôle dans la transmission de pathogènes des animaux aux humains. C’est ce que révèle notamment la crise actuelle liée au Covid-19. L’augmentation de la consommation d’animaux sauvages, en particulier en Asie du Sud-Est, constitue ainsi une menace croissante pour la santé publique. Le projet international ZooCov, coordonné par le Cirad, entend développer un système flexible et intégré de détection précoce de la transmission du virus entre l’animal sauvage et l’être humain. Sélectionné par l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre d’un appel spécifique aux recherche sur les coronavirus, il contribuera à prévenir de futures pandémies de zoonoses.

 

 

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#ScienceDurable – Peut-on prévenir les épidémies grâce aux animaux ?

L’épidémie de Covid-19 questionne en profondeur notre rapport aux animaux. Dans un podcast proposé par le CNRS, Frédéric Keck, anthropologue, directeur de recherche au CNRS, directeur du laboratoire d’anthropologie sociale de l’EHESS (unité CNRS/Collège de France/EHESS), nous rappelle l’importance de maintenir le lien avec la faune qui nous entoure, afin de percevoir plus rapidement les signes précurseurs de maladie chez ceux qu’il appelle « les sentinelles des pandémies ».

 

 

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#ScienceDurable – Changement climatique : les promesses du microbiome

Pour le microbiologiste Francis Martin, chercheur à l’INRAE, exploiter l’arbre seul n’est pas suffisant : « Pour bien assimiler le carbone, la plante a besoin de tout son cortège d’espèces microbiennes associées, ainsi que des bactéries, des collemboles1, des nématodes et autres petits animaux de la rhizosphère2 qui assurent le cycle du carbone dans les sols. » Dans ce processus de recyclage, chacun a son rôle à jouer. Mais certains microorganismes se révèlent clé.  « Les champignons symbiotiques ont en effet une place privilégiée dans la récupération du carbone, poursuit Francis Martin. Ils créent l’interface entre la racine de la plante et le reste de la communauté microbienne du sol. Ils sont les répartiteurs du carbone vers leurs propres réseaux de filaments fongiques. » Un quart du carbone de la photosynthèse est ainsi redistribuée aux communautés microbiennes du sol par les champignons mycorhiziens. 

 

Si ces découvertes laissent entrevoir la possibilité pour les forestiers de sélectionner le microbiome3 et l’associer aux arbres pour les rendre plus performant dans leur capture du carbone, la vision du microbiologiste est tout autre : « le meilleur des systèmes est déjà en place. Et ce depuis des millions d’années… » En effet, dans les forêts primaires ou peu anthropisées réside une très grande diversité d’espèces. Chaque arbre vit avec 200 à 300 champignons symbiotiques bénéfiques, qui jouent chacun un rôle bien spécifique. Certains sont spécialisés dans l’absorption de l’azote, d’autres du phosphate ou des microéléments, d’autres encore protègent la racine des pathogènes. « Donc ces systèmes naturels qui ont évolué depuis des dizaines de millions d’années, ont atteint un optimal écologique que les forestiers auront bien du mal à imiter. » Ainsi, laisser les forêts revenir à leur état naturel, ne plus couper les arbres, ne plus ramasser le bois mort, laisser la diversité des champignons et des autres organismes se développer est l’une des solutions pour atténuer le changement climatique. Cette gestion durable pourrait d’ailleurs être développée sur près du 20 % du territoire européen grâce au réseau Natura 2000.

 

« En revanche, dans certains cas, comme dans celui de la sylviculture intensive, où les plantations forestières sont utilisées pour la production industrielle du bois, il est envisageable d’associer aux arbres un cortège de champignons symbiotiques mycorhiziens4 spécifique pour stimuler fortement leur croissance initiale » souligne Francis Martin. Ces champignons symbiotiques mutualistes5, appelés champignons mycorhiziens, se rencontrent à l’automne dans les forêts. Ainsi, le Cèpe de Bordeaux, les Chanterelles, la Truffe, l’Amanite tue-mouche font partie de ce groupe de champignons stimulant la croissance des arbres … « Ce que l’on récolte à l’automne en forêt n’est autre que l’organe sexuel de ce réseau fongique de filaments – le mycélium – qui vit en interaction avec la plante. Nous voyons seulement la partie émergée de l’iceberg ».

 

#ScienceDurable – Les écosystèmes côtiers, puits de carbone bleu

Qu’appelle-t-on le carbone bleu ? 

 

Le carbone bleu correspond au carbone séquestré par les écosystèmes côtiers végétalisés. Les marais salés, les mangroves, ou encore les herbiers, sont autant d’écosystèmes susceptibles de capter le carbone sur le court terme, environ une dizaine d’années, dans leur biomasse et sur des temps encore plus longs, des milliers d’années, dans leurs sédiments. Contrairement aux sols terrestres, ces sédiments côtiers ont tendance à s’étendre avec l’augmentation du niveau de la mer On constate donc que la séquestration de carbone par les sédiments et les végétaux augmentent au cours du temps, en particulier lorsque ces écosystèmes sont sains et en bonne santé.

 

 

 

Ces écosystèmes sont-ils tout aussi efficaces que les forêts dans la séquestration du carbone ?  

 

On sait que les marais salés, les mangroves ou les herbiers stockent le carbone 10 à 20 fois plus que les forêts tempérées ou boréales. Lorsque que les forêts séquestrent moins de 10 g de CO2 par mètre carré et par an, les écosystèmes côtiers en retiennent 100 à 200 g. Néanmoins ces écosystèmes représentent une partie moins importante de la surface du globe que les océans ou les forêts. Si certaines études indiquent qu’on obtient un stockage de carbone équivalent aux forêts, les travaux se poursuivent pour mieux quantifier cette séquestration et la part du carbone relâchée vers l’atmosphère.  

 

 

 

Comment comptabiliser le carbone stocké puis relargué ? 

 

C’est extrêmement complexe. Nous travaillons avec d’autres scientifiques à la meilleure compréhension du rôle des zones côtières dans ce cycle du carbone. La principale difficulté vient du fait que nous avons une très forte hétérogénéité spatiale et temporelle. Les échanges de carbone interviennent au niveau de multiples interfaces terrestre-aquatique. Si on sait par exemple que l’océan côtier représente un puits de carbone incontestable grâce à sa production primaire phytoplanctonique, les estuaires émettent, quant à eux, d’importantes quantités de CO2 vers l’atmosphère du fait de l’intense minéralisation de la matière organique qui existe dans ces eaux turbides, c’est-à-dire troubles, limitant la photosynthèse. Entre ces écosystèmes, se trouvent les marais et les vasières intertidales1. Là, de multiples échanges horizontaux et verticaux de carbone existent au sein et entre les compartiments terrestre, aquatique et atmosphérique aux échelles du jour et de la nuit, de la marée, de la saison et de l’année. Ces échanges particulièrement complexes et dynamiques ne peuvent alors être appréhendés que de façon intégrative et multidisciplinaire en faisant appel à des équipes de géographes, de géologues ou d’écologues pour mieux préciser leurs statuts de puits ou source de carbone. 

 

 

 

Il semblerait néanmoins que la biodiversité marine joue un rôle clé dans la séquestration du carbone.  

 

Incontestablement si les débats portent sur la qualification des processus et la quantification des échanges, ils ne retirent rien aux services écosystémiques que nous retirons de cette biodiversité. Si son érosion se poursuit, la capacité à capturer efficacement le carbone de l’atmosphère pourrait être compromise, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre et d’intensifier l’acidification des eaux côtières. Malheureusement, ces écosystèmes ne sont pas épargnés par le changement d’usage des terres. D’après les chiffres de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), on sait par exemple que chaque année, près de 2 % des mangroves disparaissent et contribuent au relâchement de 120 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. 

 

 

 

Est-il possible de restaurer cette biodiversité ?  

 

Depuis les années 1990, les surfaces des herbiers marins ont diminué de moitié à travers le monde. Ceci est à la fois dû à des pressions anthropiques, mais aussi à une pression de parasitisme. Pour protéger ces zones, un certain nombre d’actions ont été mises en place, comme aux États-Unis sur la côte de Virginie où se trouve le site de South Bay choisi pour faire partie d’un vaste projet de restauration des herbiers initié au début des années 2000. À partir d’un simple vestige découvert dans une baie en bord de mer au large de la côte est, The Nature Conservancy et le Virginia Institute for Marine Science ont diffusé plus de 72 millions de graines pour aider à accélérer la propagation naturelle de la zostère (Zostera marina), qui couvre aujourd’hui 13,5 km2. Une étude publiée dans Plos One a montré que ces prairies sous-marines restaurées devraient accumuler du carbone à un taux comparable à celui mesuré dans les prairies sous-marines naturelles. C’est extrêmement encourageant.

 

 

« Préserver les forêts marines pour contribuer aux équilibres de la biodiversité côtière »

par Thierry Thibaut, Maître de Conférences, Aix-Marseille Université, Mediterranean Institute of Oceanographie (MIO), Marseille. Travaillant sur le projet Marfor de Biodiversa.

 

 

« Si les forêts marines d’algues (kelps) ne jouent pas un rôle direct dans l’atténuation du changement climatique, elles y contribuent largement en permettant à la biodiversité côtière de se maintenir. Comme les forêts terrestres, elles abritent un très grand nombre d’espèces. Les forêts sous-marines de Kelps géants, par exemple en Californie, font plus de 40 mètres de haut et sont considérées comme le plus haut niveau trophique du monde avec ses sept à huit niveaux. Lors de perturbations d’origine naturelle ou antropique , plus la biodiversité est importante, plus l’écosystème a la possibilité de se régénérer. De même, lorsque l’écosystème est peu diversifié, les chances de le voir se reconstituer sont faibles. Ainsi assiste-t-on dans certaines zones abimées à des dénudements presque totaux, à cause d’herbivores comme les oursins qui y prolifèrent. Les forêts marines maintiennent donc de haut niveau de services écosystémiques, dont l’atténuation du changement climatique, en contribuant à préserver les écosystèmes côtiers qui sont pour certains des puits de carbone (herbiers de plantes à fleurs marines). C’est entre autres pour cela qu’il faut les préserver à un moment où on assiste à des déclins dans toutes les mers et tous les océans de ces écosystèmes côtiers, notamment en raison de la destruction irrémédiable des habitats due à la construction de ports, de marinas, parkings, mais aussi au surpâturage des herbivores et à une augmentation des températures. »

 

 

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1 Zone au-dessus du niveau de l’eau à marée basse et sous l’eau à marée haute en d’autres termes, des vasières se situant dans le secteur des marées.

#ScienceDurable – Du blé africain contre le changement climatique

Les paysans africains pourront bientôt lutter tout à la fois contre les causes et contre les conséquences du changement climatique avec leur production de céréales. « Une solution très pragmatique pour contrer l’effet de serre, formulée en objectif chiffré dans l’initiative “4 pour 1000” [voir encadré ci-dessous], consiste à piéger une partie du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique dans la matière organique des sols , explique le pédologue Vincent Chaplot. Pour ce faire, les plantes cultivées qui emmagasinent de grandes quantités de carbone dans leurs parties non-récoltées sont de très bons outils. Avec une équipe de l’université du Kwazulu-Natal (Afrique du Sud), nous étudions en ce sens les espèces communes de blé exploitées en Afrique. Il s’agit de caractériser celles qui stockent le mieux le carbone malgré les conditions de stress hydrique justement induites par le changement climatique. »

 

 

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#ScienceDurable – Océans, des labos géants

De l’échantillon moléculaire au balayage satellite, les spécialistes du milieu marin déploient un arsenal multi-échelles pour observer et caractériser mers et océans. Avec l’aide des populations et usagers de la mer, ils scrutent en permanence ces étendues salées qui couvrent les deux tiers de la planète. Les données qui en résultent bénéficient à la compréhension et la gestion de nombreuses questions : variation du climat, fonctionnement des écosystèmes, préservation de la biodiversité, gestion des ressources vivantes, lutte contre les facteurs de dégradation…

 

 

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#ScienceDurable – L’ADN des poissons récifaux se dévoile

Mieux identifier les espèces de poissons pour optimiser la gestion des ressources et mieux comprendre leur écologie. Tels sont deux des enjeux du barcoding ADN, l’analyse de fragments ADN permettant de déterminer l’espèce à laquelle appartient un individu. A l’aide de cette approche, une équipe de scientifiques menée par l’IRD vient de produire un nouveau jeu de données de barcodes des poissons récifaux de Nouvelle-Calédonie, complétant une base de données commune aux océans Indien et Pacifique. Ils ont identifié 805 espèces sur trois sites différents : Île de La Réunion et Madagascar, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française.

 

« Le barcoding est un outil très utile car il permet d’identifier les poissons à n’importe quel stade de développement, explique le généticien Philippe Borsa. Nous avons ainsi pu mettre en lumière la diversité cryptique des espèces de cette région, jusqu’ici sous-estimée. Une espèce autrefois identifiée comme unique peut en fait regrouper plusieurs espèces aux caractéristiques différentes : le barcoding peut aider à les distinguer. »

 

 

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#ScienceDurable – L’ADN environnemental au secours de la biodiversité des fonds marins

Sur environ 1.8 millions d’espèces décrites à ce jour, moins de 250 000 sont marines. Or, les dernières estimations suggèrent que 60 à 80 % de la biodiversité de notre planète se cache en fait sous la surface des océans. Largement méconnue et difficile d’accès, cette biodiversité phénoménale n’échappe pas aux impacts des activités humaines. Pour mieux connaître et donc protéger ces espèces et leurs milieux de vie, l’Ifremer a lancé en 2016 le projet Pourquoi pas les abysses ?. Objectif : accélérer l’inventaire des espèces qui peuplent les grands fonds marins grâce à l’ADN environnemental.

 

 

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#ScienceDurable – Pour des aires marines protégées efficaces

Une étude parue dans la revue Frontiers in Ecology and the Environment indique que seule 1,4 % de cette surface est en réalité intégralement protégée, alors que les aires intégralement protégées sont considérées comme les moyens de protection les plus efficaces. Selon Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRS, et coauteur de l’article, « on constate à la fois dans la littérature scientifique et sur le terrain que non seulement les aires marines intégralement protégés sont minoritaires, mais qu’en plus, sur toutes celles qui existent, une infime minorité fonctionne. » Pour le chercheur, l’explication est simple : « les aires protégées qu’elles soient marines ou terrestres sont aujourd’hui trop souvent conçues uniquement sur des pré-requis écologiques, alors qu’elles devraient être pensées également en termes socio-écologiques. » Autrement dit pour protéger la biodiversité, il faudrait avant tout comprendre comment les hommes interagissent avec elle pour trouver les meilleures solutions de préservation. Fort de cette intuition, le chercheur et son équipe ont développé une méthode socio-écologique pour identifier les outils de gestion (dont les aires protégées) les plus à même d’être efficaces.

 

#ScienceDurable – La permaculture de la mer

En pratique, l’aquaculture multi-trophique intégrée consiste à inclure dans les écosystèmes aquacoles des organismes de niveaux trophiques inférieurs, comme de petits invertébrés, capables d’ingérer les rejets organiques, sources de pollution environnementale : « Les effluents d’élevage génèrent des nutriments (carbone, azote et phosphore). Ils peuvent, dans certains cas, s’accumuler dans le milieu et engendrer une réduction de la disponibilité en oxygène néfaste pour les espèces benthiques présentes à proximité. » poursuit la chercheuse. À l’heure où la demande mondiale de produits aquatiques est passée de 9,9 kg par habitant et par an à 18,6 kg en moins d’un demi-siècle, parvenir à un modèle durable devient un enjeu majeur pour le secteur aquacole « d’autant que cet accroissement n’est pas assuré par les pêcheries traditionnelles mais par l’aquaculture » poursuit Myriam Callier.

 

Afin de limiter les impacts sur l’environnement, l’Ifremer et dix autres instituts de recherche européens ont mené le projet IMTA-Effect. Leur objectif : évaluer les différents systèmes d’intégration des systèmes d’aquaculture multi-trophique intégrée dans des pays aussi différents que la France, le Portugal, la Roumanie et la Grèce. « Nous avons cherché à comprendre comment optimiser la chaine trophique entre le poisson, les microalgues, les mollusques et les détritivores, poursuit Myriam Callier. Nous avons travaillé sur chaque espèce pour bien comprendre sa biologie et son rôle dans les écosystèmes piscicoles. » Le choix de l’espèce extractive à intégrer est évidemment fonction du service de bioremédiation recherché.

 

Le projet IMTA-Effect s’est notamment concentré sur un ver polychète marin (Hediste diversicolor), détritivore, qui se nourrit des excréments des poissons. « On connait sa biologie, précise la chercheuse. Il vit dans des milieux naturellement riches en matière organique, tolère de faible concentration en oxygène et de fortes variations de température. Il a l’avantage de pouvoir aussi être valorisé comme appât de pêche. Son élevage en aquaculture multi-trophique intégrée pourrait permettre de diminuer son exploitation, car il est lui-même péché dans le milieu naturel. » Par ailleurs, son étude, à la fois réalisée en laboratoire et en milieu contrôlé, a permis de comprendre dans différentes conditions environnementales sa capacité de bioremédiation. « Nous sommes désormais en mesure de dire exactement combien de rejets de poisson le polychète marin peut ingérer au mètre carré. »

 

La difficulté est que chaque système d’élevage est spécifique. Répondre aux besoins de chaque espèce, surveiller les températures, les changements de saisons sont autant de facteurs à prendre en compte pour harmoniser les écosystèmes. Dans sa forme la plus complexe, un système en aquaculture multi-trophique intégrée peut comprendre jusqu’à quatre compartiments extractifs à équilibrer : les espèces autotrophes (macro et microalgues), les filtreurs (ex. bivalves), les détritivores (ex. polychètes, concombre de mer et autres invertébrés benthiques) et les bactéries. « Les résultats de ces études permettent de paramétrer des modèles qui serviront par la suite à prédire la capacité de bioremédiation de chaque maillon trophique et de tester différents scénarios, comme l’effet d’un changement de température » souligne la chercheuse.

 

À une échelle plus fine, le chercheur de l’Ifremer Cyrille Przybyla s’est lui intéressé au compartiment des microalgues qui ont pour particularité de purifier l’eau des bassins, mais aussi d’être potentiellement des aliments pour les poissons. Un enjeu majeur lorsque l’on sait que l’aquaculture impacte les stocks de petits poissons sauvages pêchés. Réduits en farine et en huile, ils sont utilisés pour nourrir principalement les poissons des fermes et plus largement certains animaux d’élevages ou domestiques. Pour alléger les pressions sur cette biodiversité marine, de très nombreux instituts de recherche à travers le monde se sont lancés dans une course pour sélectionner l’algue qui serait en mesure de devenir une source d’alimentation alternative pour le poisson d’élevage. « Notre démarche dans le projet MARINALGAE4Aqua, est tout autre, précise Cyrille Przybyla. Nous avons décidé de laisser faire la nature, en favorisant une polyculture algale naturelle. ». Pour cela, les effluents sont laissés en bassin ouvert permettant à la nature de mettre sa diversité locale au service de l’épuration de l’eau d’élevage et de la nutrition en aquaculture. « Ce n’est pas une seule algue qui vient se développer sur les effluents, mais toute une prairie de microalgues dont la diversité change en fonction des saisons. » Ces microalgues ont néanmoins des valeurs protéiques et lipidiques bien réelles. Cyrille Przybyla et son équipe sont arrivés à récolter 5kg de farine sèche, fertilisée par les effluents sortant des bassins d’aquaculture, qu’ils ont réussi à réinjecter dans l’alimentation du poisson « On a substitué 20% des farines et huiles de poissons dans la composition de l’alimentation des élevages. On est parvenu à améliorer la durabilité de l’aliment en se basant sur le principe de l’aquaculture multi-trophique intégrée, sans qu’il y ait de conséquence sur la croissance et le bien-être des poissons. » L’aquaculture multi-trophique intégrée peut donc se décliner sur le modèle des poupées russes et permettre à la filière aquacole d’opérer sa transition environnementale pour devenir la grande source d’alimentation durable qui participera de façon substantielle à nourrir de 8,5 milliards d’humains en 2030.

 

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Auteur : Julie de Bouville

Relecteurs : Myriam Callier, Cyrille Przybyla, Hélène Soubelet, Jean-François Silvain, Pauline Coulomb

 

Comment le vieux porc Souabe a rendu leur dignité aux éleveurs allemands de Hohenlohe

Au début des années 1980, Rudolph Bühler, un jeune ingénieur agronome allemand, rentre au pays reprendre la ferme familiale après quelques années passées en Asie à travailler dans l’humanitaire. Pleins d’idéaux et d’envies, le jeune Bühler se lance dans l’agriculture paysanne pour explorer des pistes alternatives à l’industrie agroalimentaire qui promet des profits élevés avec des races importées jugées plus productives. Ainsi sur le territoire de Hohenlohe, les producteurs de porcs élèvent depuis quelques temps un cochon venant de Hollande jugé plus productif que les races locales car produisant plus de viande mais néanmoins mal adapté à son environnement, car souvent malade et traité aux antibiotiques.

     Convaincu par ses années passées sur le terrain que les variétés locales supportent bien mieux la nourriture et le climat régional que les animaux importés, Rudolph Bühler s’allie à d’autres agriculteurs pour sauver de l’extinction une ancienne race porcine locale – issue d’un croisement entre le cochon chinois Meishan importé au 19e siècle – et une race allemande. Bien vite leur petite production se développe. Les journaux locaux titrent « Une viande de porc qui a du goût ! ».

     Fort de leur succès, les agriculteurs vont plus loin et établissent un système de tarification communautaire : les prix de la viande et les montants de production sont fixés en commun. Mais les coûts de production des porcs souabes sont environ 12 % plus élevés que pour les autres races dîtes « industrielles ». Au lieu de devenir un fardeau économique pour les éleveurs ceux-ci redistribuent une partie de leur bénéfice au réseau comme un soutien financier. Ces mesures garantissent ainsi un revenu stable et une juste part des bénéfices, tout en permettant une stabilité dans le processus de production.

 

Pour le chercheur en science politique Brendan Coolsaet, qui porte le projet JustConservation du Cesab de la FRB, ce cas est devenu un sujet d’étude.

     « Ce qui m’a intéressé chez les éleveurs allemands de Hohenlohe, c’est qu’il s’agissait d’un cas européen qui différait radicalement du système dominant, autant dans sa dimension agricole que dans sa dimension politique. » Pour le chercheur, prendre en compte ce type d’alternative permet d’apporter des solutions en matière de conservation de la biodiversité. « Je me suis inspiré des travaux sur la justice sociale et environnementale pour étudier le combat de ces éleveurs pour la conservation du porc Souabe. Je me suis particulièrement intéressé au concept de la « reconnaissance », qui je pense est clé pour tenter de comprendre les nouveaux mouvements sociaux pour l’environnement en général, et pour la conservation de la biodiversité en particulier. En effet, reconnaître et respecter la différence ce n’est pas seulement une question éthique ou morale, la recherche montre comment la reconnaissance des différences culturelles dans le contexte de la conservation permet d’apporter des solutions alternatives utiles, voir même vitales. » La conservation de la biodiversité agricole est à ce titre un bon exemple.

     Elle nécessite des connaissances agronomiques propres au milieu, que les agriculteurs ont progressivement perdues avec la modernisation. « L’agriculture industrielle a standardisé et centralisé les connaissances et les pratiques agricoles à travers le monde, et a conduit à un déclin massif de la biodiversité agricole, » poursuit Brendan Coolsaet. Reconnaître d’autres pratiques permet l’émergence d’alternatives, qui dans le cas du cochon Souabe sont à la fois respectueuses de l’environnement, du bien-être animal et des communautés rurales.

 

Afin de faire reconnaître leurs pratiques, les éleveurs allemands de Hohenlohe se sont employés à créer des espaces d’apprentissage collaboratifs autogérés et à s’associer à des universités allemandes pour lancer un projet commun dans le cadre du programme de recherche Horizon 2020 de l’Union européenne, en étudiant les liens entre les aliments traditionnels comme l’herbe et l’amélioration de la qualité de la viande par exemple. Rudolf Bühler ne s’est pas arrêté là.

     Cet été, invité par l’ONU au Forum politique de haut niveau pour le développement durable, l’éleveur a appelé à ce que les objectifs de développement durable (ODD) soient mis en œuvre au niveau local et d’ajouter que le passage à l’agriculture biologique et la gestion naturelle ne suffisait pas : « l’agriculture doit aller de pair avec une économie solidaire axée sur le bien-être animal et la justice sociale, en particulier sur la scène internationale. »

   En attendant, le porc Souabe fait des petits. Aujourd’hui, près de 1 500 fermes en Allemagne élèvent ce vieux cochon sauvé de l’extinction.

Des fiches pays relatives à la réglementation APA

À la date du 9 juillet 2019, 117 pays sont Parties au Protocole de Nagoya, 62 États ont mis en place des mesures d’APA et 16 ont établi un « certificat de conformité internationalement reconnu » .

En effet, le fait qu’un État soit Partie au Protocole ou pas, ne présage pas de l’existence ou de l’absence de réglementations internes en matière d’APA.

 

  • Liste de pays qui ne sont pas parties au Protocole de Nagoya :

(Europe) Chypre, Estonie, Grèce, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovénie, Serbie.

(Hors Europe) Algérie, Australie, Brésil, États-Unis, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Ghana, Grèce, Nigeria, Russie, Turquie, Venezuela, etc.

 

  • Liste des pays non parties au Protocole de Nagoya mais signataires au Protocole de Nagoya :

(Europe) Chypre, Grèce, Irlande, Italie, Lituanie, Roumanie , Serbie, Slovénie.

(Hors Europe) Algérie, Australie, Bangladesh, Brésil, Cape Vert, Colombie, Costa-Rica, Le Salvador, Ghana, Grenade, Maroc, Nigéria, Pologne, Somalie, Thaïlande, Tunisie, Ukraine, Yémen.

 

  • Liste de pays de l’Union européenne n’ayant pas réglementé l’accès aux ressources génétiques relevant de leur souveraineté et le partage des avantages découlant de leur utilisation mais disposant de réglementation déclinant le volet Conformité du Protocole de Nagoya en application du Règlement UE 511/2014 :

Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Croatie, Danemark, Estonie, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède.

 

Dans le cadre du projet d’accompagnement de la mise en œuvre du Protocole de Nagoya, la FRB a établi, avec un comité de coordination et de rédaction, un ensemble de fiches-pays qui a vocation à être complété petit à petit.

Ces fiches-pays reprennent les éléments du site officiel ABS Clearing-House, plateforme d’échange d’informations sur le dispositif d’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages découlant de leur utilisation, ainsi que les informations échangées entre les membres du groupe de travail sur l’APA et par les points focaux nationaux pour certains pays.
Les informations peuvent être inégales, cela est dû au niveau d’information disponible sur le site ABS Clearing-House et si les informations ont été traduites en anglais. Les retours d’expérience des utilisateurs permettront d’alimenter les informations concernant la procédure APA.

 

Le document est téléchargeable dans les ressources ci-dessous. 

Pourquoi maintenir la diversité génétique des animaux domestiques ?

À travers le monde, 14 espèces animales produisent 90 % des protéines consommées par les humains. Les processus d’intensification et de standardisation de la production agricole poussent à une certaine uniformisation de ces espèces. Une spécialisation toujours plus importante de ces animaux est alors recherchée et aboutit à une grande inégalité dans l’usage de ces races : certaines populations de vaches, sélectionnées par exemple pour leur grande production laitière, sont présentes partout dans le monde alors que des populations plus locales voient leurs effectifs baisser ou disparaissent. Cet appauvrissement de la diversité génétique pourrait avoir des conséquences importantes pour le futur de la production et les services rendus par les écosystèmes pâturés par des herbivores domestiques, en l’absence d’herbivores sauvages en nombre et avec une diversité suffisante. Alors comment maintenir une telle diversité ? Par quels acteurs passe cette conservation ? Pour quel rôle au sein des écosystèmes ? Anne Lauvie, chargée de recherche en gestion territoriale des populations animales locales à l’Inra nous éclaire sur les enjeux de la diversité génétique chez les animaux domestiqués.

« Éviter, Réduire, Compenser » : trois clés pour limiter l’artificialisation des terres

La perte de biodiversité sur les territoires français et européens est maintenant actée. Que ce soit la perte de 30 % des espèces d’oiseaux communs en 15 ans dans les campagnes françaises (communiqué du MNHN, 2018), où la chute de plus de 75 % de la biomasse d’insectes en seulement 27 ans en Allemagne (Hallmann et al. 2017), les signaux d’alarmes sont tirés. Malgré ces alertes, l’artificialisation des terres – un des grands facteurs du déclin de la biodiversité – continu inlassablement, et ce dans toutes les régions. D’après une étude du Commissariat général au développement durable, 40 % de l’artificialisation en France se fait dans des zones où le taux de vacance de logements augmente fortement et 20 % dans des communes dont la population décroit. En l’absence de besoin apparent, comment expliquer la poursuite de ce phénomène ? Charlotte Bigard, chercheuse au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (UMR CEFE), conduit des travaux à l’interface entre la recherche et l’aménagement. Elle nous explique les limites et les perspectives de la séquence Éviter-Réduire-Compenser, outil réglementaire majeur pour maintenir le lien entre aménagement et biodiversité.

Les abeilles, ces grandes mathématiciennes !

Une gageure lorsque l’on sait que derrière ce chiffre se cachent plusieurs niveaux de complexité. En effet, concevoir le « 0 », c’est être en mesure de comprendre qu’il est le reflet d’un ensemble parfaitement vide. C’est ensuite intégrer qu’il est un chiffre comme un autre, en allant jusqu’à comprendre son positionnement de manière logique dans une suite croissante ou décroissante de nombres.

La difficulté d’appréhension de la notion chez l’homme aura notamment été révélée lors d’une étude, menée en 2013, auprès d’enfants de maternelle2. Des scientifiques ont proposé un test sur tablette à vingtaine d’écoliers de 4 ans. Des formes contenant des points apparaissaient à l’écran et les enfants devaient indiquer tactilement la forme avec le moins de points. En cas de réussite, un soleil illuminait l’écran tandis qu’en cas d’échec, un écran noir s’affichait. Les chercheurs se sont ainsi rendus compte que, pour ces jeunes enfants ayant appris à compter, il n’y avait pas de difficulté à classer les chiffres les uns par rapports aux autres (de 1 à 4). Cependant, à l’intégration d’une forme vierge, beaucoup confondaient « 0 » et « 1 ». Des études chez les primates ont révélé des résultats similaires. Chez l’Homme, la compréhension de ce que représente le 0 n’est donc pas innée mais bien acquise au cours du développement.

 

Étonnamment, les abeilles n’ont pas semblé rencontrer ces mêmes difficultés. L’expérience a été menée par la chercheuse française Aurore Avarguès-Weber et ses collègues australiens3, et les résultats ont été publiés le mois dernier dans la revue Science4. S’il avait été précédemment démontré que ces insectes savaient compter de 1 à 5, les scientifiques les ont cette fois entraîné à compter de 5 à 1. Pour cela, des « cartes » sur lesquelles figuraient de 1 à 5 points étaient disposées sur un mur. À leur entrée dans l’espace dédié, les abeilles devaient alors voler vers la carte présentant le moins de points et se poser sur la plateforme attenante. Là, une boisson leur était proposée : sucrée en cas de bonne réponse, amère en cas de mauvaise.
Après s’être ainsi assurés que les insectes avaient intégré les notions de « inférieur » et de « supérieur », ils ont ajouté une carte sans point à l’expérience. À la surprise de l’équipe de recherche, les abeilles n’eurent pas de difficulté à identifier la carte vide comme une carte inférieure à 1.

 

« Pour la première fois, nous démontrons que des animaux invertébrés sont capables de comprendre des concepts complexes, là où certaines espèces de vertébrés rencontrent des difficultés, explique la chercheuse française. C’est une avancée inédite et qui ouvre pleins de nouvelles questions : comment le cerveau de ces insectes, bien plus petit que le nôtre fait-il pour intégrer cette notion complexe ? Mais aussi, quelle est l’utilité les abeilles tirent-elles de ce concept dans leur quotidien ? »

 

 

1. Ce n’est qu’entre le IIIe et le Ve siècle que ce chiffre a été intégré tel qu’on le connait aujourd’hui.

2. Dustin J. Merritt, Elizabeth M. Brannon, Nothing to it: Precursors to a zero concept in preschoolers, Behavioural Processes, Volume 93, 2013, Pages 91-97, ISSN 0376-6357, https://doi.org/10.1016/j.beproc.2012.11.001.

3. L’équipe est franco-australienne, un atout pour « bénéficier » de deux étés par an et pouvoir travailler en extérieur avec les abeilles toute l’année.

4. Scarlett R. Howard, Aurore Avarguès-Weber, Jair Garcia, Andrew Greentree, Adrian G. Dyer. Bees extrapolate ordered relations to place numerosity zero on a numerical continuum, Science, 2018. DOI : 10.1126/science.aar4975

Réglementation française sur l’accès et le partage des avantages (APA)

La loi française vise les accès et les activités initiés après l’entrée en vigueur de la loi du 9 août 2016, qu’ils soient réalisés par des utilisateurs français ou étrangers.

 

Elle prévoit que l’État français est le fournisseur des ressources génétiques se trouvant sous sa souveraineté, sous réserve des compétences des collectivités d’outre-mer. Il est le bénéficiaire des avantages, qui sont dans la pratique versés à l’Office français de la biodiversité (OFB).

 

Elle met en place différentes procédures d’APA en fonction de la ressource et de l’utilisation envisagée (formulaire de déclaration ou d’autorisation), voire de leur provenance (métropole, outre-mer).

 

Elle établit une procédure spécifique pour l’accès et l’utilisation des CTA détenues par les seules communautés d’habitants présentes en Guyane et à Wallis et Futuna.

 

Elle prévoit des dispositions sur le partage des avantages – monétaire et non monétaire –, le transfert des ressources, des sanctions pénales et financières.

 

Des formulaires de déclaration et de demande d’autorisation sont disponibles auprès du ministère en charge de l’environnement, à l’adresse suivante : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/acces-et-partage-des-avantages-decoulant-lutilisation-des-ressources-genetiques-et-des-connaissances

 

Réglementation européenne sur l’accès et le partage des avantages (APA)

Le Réglement (UE) n°511/20141 du 16 avril 2014 établit les règles concernant le respect des obligations portant sur l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. Ce règlement s’applique aux ressources génétiques provenant des pays qui ont ratifié le Protocole de Nagoya.

 

Il a été complété par le règlement d’exécution (UE) 2015/18662 qui est entré en vigueur le 9 novembre 2015.

 

Il existe un document d’orientation (2016)3 sur le champ d’application et les obligations essentielles du règlement (UE) n° 511/2014 du Parlement et du Conseil relatif aux mesures concernant le respect par les utilisateurs dans l’Union.

Le règlement européen n°511/2014 s’applique aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées lorsque :

  • le pays fournisseur est partie au Protocole de Nagoya ;
  • le pays fournisseur a mis en place une réglementation APA sur ses ressources génétiques et ses connaissances traditionnelles associées ;
  • l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles est postérieur au 12 octobre 2014. Néanmoins, il faut vérifier dans la réglementation du pays que la période antérieure n’est pas couverte ;
  • l’activité de recherche et de développement a lieu dans l’Union européenne.

 

Les exclusions concernent :

  • les ressources génétiques et connaissances traditionnelles associées acquises avant octobre 2014 ;
  • les ressources génétiques humaines. Les pathogènes humains, les parasites et autres organismes associés porteurs de matériel génétique sont couverts par le règlement n°511/2014 ;
  • les zones situées au-delà des juridictions nationales ;
  • les échanges de matières premières ;
  • les ressources génétiques couvertes par d’autres instruments : Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA), Cadre de préparation en cas de grippe pandémique (PIP Framework).

 

Afin de respecter l’obligation de diligence nécessaire, les utilisateurs doivent prendre des mesures pour tracer, documenter, conserver et transférer les informations liées à l’utilisation des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées. La documentation doit être conservée 20 ans après la fin de l’utilisation.

 

Pour démontrer la diligence nécessaire, il est possible de faire référence à un certificat de conformité reconnu à l’échelle international (CCRI) ou d’obtenir les informations suivantes :

  • la date et le lieu d’accès ;
  • la description ;
  • la source ;
  • les droits et obligations liés à l’accès et au partage des avantages, y compris pour les applications et la commercialisation ultérieures ;
  • le permis d’accès ;
  • les conditions convenues d‘un commun accord.

 

Les utilisateurs de ressources génétiques ont pour obligation de déclarer qu’ils ont fait preuve de diligence nécessaire à différents moments :

  • À la réception de financements externes pour les travaux de recherche, qu’ils soient de source privée ou publique. Les activités menées par une structure sur ses fonds propres ne sont pas visées ;
  • Lors de la mise sur le marché d’un produit mis au point à partir d’une ressource génétique ou d’une connaissance traditionnelle associée.

 

L’autorité compétente vis-à-vis de la réglementation européenne est le ministère en charge de la recherche :

  • C’est auprès d’elle que les déclarations s’effectuent, au stade de financement de travaux de recherche ;
  • Elle contrôle le respect des règles par les utilisateurs et met à disposition le registre des contrôles effectués ;
  • Elle demande et contrôle l’inscription des collections au registre européen ;
  • Au stade de la mise sur le marché d’un produit, c’est le ministère chargé de l’environnement qui est l’autorité compétente.

 

Les sanctions prévues dans la loi française sont financières et peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement.

1. Règlement (UE) n°511/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32014R0511
2. Règlement d’exécution (UE) 2015/1866 de la Commission du 13 octobre 2015 portant modalités d’application du règlement (UE) no 511/2014 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le registre des collections, la surveillance du respect des règles par l’utilisateur et les bonnes pratiques https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32015R1866&from=EN
3. Document d’orientation sur le champ d’application et les obligations essentielles du règlement (UE) n°511/2014, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52016XC0827(01)&from=FR

Les milieux marins et littoraux français et leurs services : une évaluation dans le cadre du programme EFESE

La France bénéficie d’un très riche ensemble d’écosystèmes marins et côtiers répartis sur l’ensemble du globe. Ceux-ci recèlent une biodiversité exceptionnelle dont on estime que 80% se situe dans les territoires ultra-marins. Avec un total de 55 000 km2, la France détient la quatrième plus grande surface de récifs coralliens au monde.

Les écosystèmes agricoles : une évaluation dans le cadre du programme EFESE

Depuis son émergence au Néolithique, l’agriculture modèle les écosystèmes afin de les rendre plus productifs et de couvrir les besoins croissants de la population humaine en produits végétaux et animaux. Les écosystèmes agricoles se caractérisent donc par un fort degré d’anthropisation qui résulte des actions de reconfiguration des milieux et de gestion des sols et de la biomasse par les agriculteurs. La tendance constatée depuis les années 1950 en France est à l’agrandissement de la taille moyenne des exploitations, à la réduction du nombre d’espèces cultivées et à la simplification des structures paysagères. Tous ces facteurs entrainent une baisse de la diversité biologique et de l’abondance des espèces associées aux écosystèmes agricoles.

Évaluer l’état de santé des milieux aquatiques en Outre-mer : des outils basés sur la biodiversité

Une biodiversité exceptionnelle peuple les cours d’eau et les eaux marines des outre-mer français. Près de 500 espèces de poissons évoluent dans les fleuves et criques de la forêt amazonienne de Guyane ; plus de 150 variétés de coraux composent les récifs de Mayotte et de La Réunion ; un millier de taxons de diatomées, algues microscopiques unicellulaires, habite le fond des cours d’eau des Antilles, de Mayotte et de La Réunion. Cette nature exubérante subit pourtant les pressions des activités humaines et peut en être fortement impactée. Les rivières des territoires insulaires de la Guadeloupe, de la Martinique, de Mayotte et de La Réunion pâtissent notamment d’importants prélèvements d’eau qui réduisent drastiquement sa disponibilité pour la vie et la migration des espèces. Les activités d’orpaillage en Guyane induisent destruction du milieu naturel, asphyxient des rivières par les boues et pollution au mercure. À Mayotte, les détergents et lessives utilisées par les lavandières génèrent une pression chimique importante sur les invertébrés benthiques, organismes qui peuplent le fond des cours d’eau.

 

Pour rendre compte des altérations subies par les écosystèmes aquatiques et les communautés animales et végétales qui les composent, et ainsi pouvoir alerter et agir pour leur protection, la Directive cadre sur l’eau (DCE) a amené à développer des outils pour la surveillance des milieux aquatiques. Cette directive européenne, adoptée en 2000, vise à maintenir ou restaurer leur bon état écologique. En faisant des communautés biologiques les sentinelles de la qualité des eaux, elle a érigé la biodiversité en « juge de paix » de la surveillance et de la reconquête de l’état des rivières, des lacs et des eaux littorales.

La pollution des écosystèmes et l’antibiorésistance, deux questions étroitement liées

Chaque année en France, plus de 150 000 personnes sont infectées par des bactéries multirésistantes, c’està-dire résistantes à plusieurs antibiotiques, comme par exemple certains staphylocoques dorés en milieu hospitalier (Carlet & Le Coz, 2015). Ce phénomène, qualifié d’antibiorésistance, provient principalement de notre utilisation fréquente d’antibiotiques pour soigner les humains et les animaux d’élevage, mais pas uniquement. Le rôle de notre environnement dans ces échanges bactériens fait l’objet de nouvelles recherches. Les résidus d’antibiotiques dans les eaux usées, le contact de la faune sauvage avec les bactéries multirésistantes et même la pollution causée par d’autres biocides, tels que les désinfectants, sont des facteurs de propagation de la résistance aux antibiotiques. Marion Vittecoq, chargée de recherche en écologie de la santé à l’Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes (Tour du Valat), revient sur ces problématiques encore à l’étude.

Nourrir la planète sans l’uniformiser : les dangers de la pollution à l’azote

L’azote, bien que majoritaire dans notre atmosphère (78 % de l’air), est un élément limitant de la croissance pour les règnes animal et végétal dans de nombreux écosystèmes (Vitousek & Howarth, 1991). Il y a sur Terre beaucoup d’azote inerte (N2), mais peu de composés azotés réactifs comme le nitrate (NO3), l’ammonium (NH4) et l’ammoniac (NH3) qui sont les principales formes assimilables par les plantes, à l’exception de quelques familles botaniques comme les légumineuses fixant l’azote atmosphérique grâce aux symbioses avec des bactéries. Ceci amène un paradoxe évident qui resta longtemps indépassable : l’azote est partout sur la planète mais naturellement accessible seulement par quelques organismes qui conditionnent l’ensemble de l’accès à cette ressource pour toute la chaîne du vivant. Le cycle de l’azote, naturel comme anthropique, fut donc au départ basé sur une économie du recyclage de l’azote contenu dans les matières organiques en décomposition.

 

Les assolements1 dès le Moyen-Âge, les pratiques agricoles cherchant à bénéficier au mieux des fumures animales, la collecte des « boues, racluns et immondices urbaines » dans les villes du monde témoignent de ce souci historique et général de réinjecter cet engrais « naturel » dans les sols (Barles, 2005). Jusqu’au début du 20e siècle, « le fumier était or » selon les mots de Victor Hugo dans Les Misérables, invitant les villes à fumer la plaine au lieu de le jeter aux égouts « en empestant les eaux et en appauvrissant les sols ». Et puis, il y a un siècle, deux chimistes allemands inventent les engrais minéraux et le procédé Haber-Bosch qui permet la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air et l’hydrogène. C’est peu dire que cette histoire fût un succès. Associés à de nouvelles techniques culturales et de nouvelles variétés de pesticides, les engrais chimiques produits à échelle industrielle ont permis la révolution verte et l’intensification agricole mondiale, accroissant les rendements et permettant à de nombreuses régions de s’approcher de l’autosuffisance alimentaire. Cependant, les coûts environnementaux et sociaux de l’agriculture industrielle ont longtemps été ignorés. Ils se sont cumulés à d’autres coûts liés à d’autres transformations concomitantes : l’accroissement des combustions d’hydrocarbures d’origines domestique et industrielle a multiplié les apports d’une autre source d’azote réactif, les oxydes d’azote, dont certaines formes comme le protoxyde d’azote (N2O) entrent dans la catégorie des gaz à effet de serre. La durabilité de ce système est aujourd’hui mise en question à mesure que la dégradation de la qualité des eaux de surface et souterraines ou encore que l’impact sur les sols et la biodiversité se font sentir (Gowdy & Baveye, 2019).

 

« Fermons le robinet avant de chercher à éponger l’inondation de plastiques »

Nos sociétés auraient développé une forme d’addiction au plastique, symbole de modernité d’hier devenu fléau environnemental. La mise au point du celluloïd par les frères Hyatt remonte à 1869 mais l’utilisation massive des plastiques débute seulement après la seconde guerre mondiale et se révèle déjà problématique : entre 1950 et 2015, 8,3 milliards de tonnes de plastiques ont été produits. Plus de 79 % sont déjà devenus déchets (Geyer et al., 2017) et s’accumulent dans les décharges ou en pleine nature. Ils contaminent ainsi les eaux et les sols de nombreux écosystèmes, affectant directement ou indirectement la santé humaine et animale. Aujourd’hui, sur l’ensemble du globe, on compte en moyenne 15 tonnes de déchets plastiques accumulés par kilomètre carré, sur terre comme sur mer. Nathalie Gontard, directrice de recherche dans l’unité « ingénierie des agro-polymères et technologies émergentes » à l’Inra, nous présente les enjeux et les implications de cette pollution globale qui nécessite un changement important des pratiques et une baisse de la consommation.

 

Contribution de la FRB au Grand débat national

À l’initiative du Président de la République, le gouvernement a engagé un Grand débat national pour permettre à toutes et tous de débattre de questions essentielles pour les français. La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), avec l’appui de son conseil scientifique, a répondu à cet appel en contribuant au thème de la transition écologique. La FRB propose 7 axes d’actions publiques prioritaires pour diminuer notre empreinte écologique aux interfaces entre :

  • Alimentation,
  • Climat,
  • Transition énergétique,
  • Modes de consommation,
  • Logement et urbanisation,
  • Transport,
  • Libre évolution de biodiversité et bénéfices pour la santé humaine.

 

Consultez la contribution ci-dessous 

Le cachemire à petits prix : un commerce qui coûte cher aux écosystèmes mongols

Selon une étude fondée sur des données satellitaires, un très fort recul de la végétation dans les steppes mongoles est en cours. Il serait largement dû à l’augmentation du bétail dans le pays. Si les variations des précipitations jouent un rôle important, le surpâturage paraît en être la cause principale. Cette baisse de biomasse végétale est loin d’être homogène sur l’ensemble du territoire, et pose encore question. Cependant, dans les zones limitrophes du désert de Gobi, on attribue plus de 80 % de la perte de végétation au cheptel. Et sur l’ensemble du pays, c’est une perte de 12 % de territoire végétalisé qui a été comptabilisée entre 2002 et 2012 (Hilker et al., 2014). Cette dégradation de la steppe se traduit par une désertification qui prend notamment sa source dans le développement d’un commerce lucratif : celui du cachemire.

Si, depuis la sortie de la Mongolie du bloc soviétique en 1990, les produits de l’élevage comme la viande et la laine ont connu un effondrement de leurs prix, le cachemire, lui, se porte bien et l’élevage des “chèvres cachemires” s’est accru.

Quel avenir pour les plantes et leur utilisation pour notre santé ?

Si la Chine et l’Inde exploitent toujours les ressources naturelles pour se soigner, l’industrie pharmaceutique repose elle principalement sur des produits synthétisés. Cette tendance est-elle un atout ou un risque supplémentaire pour la préservation de la biodiversité ? Bruno David, directeur du département Recherche substances naturelles aux laboratoires Pierre Fabre, nous éclaire sur les usages et le devenir de ces ressources.

Au Brésil : grandes incertitudes sur la protection de la forêt amazonienne

Le Brésil reste marqué culturellement par son passé colonial de conquête du territoire. L’expansion du front pionnier vers le nord et l’ouest s’est faite au détriment de la forêt. L’appropriation est, elle, passée par la conversion des écosystèmes forestiers en terres agricoles ou en pâturages. La forêt n’est pas tant défrichée pour ses ressources – la productivité y est faible – mais plutôt comme réservoir de terres libres. Avec les préoccupations environnementales grandissantes, la forêt représente un gisement mondial de biodiversité et de carbone, et le Brésil doit à présent répondre de la déforestation de l’Amazonie aux yeux de l’opinion internationale.

 

Aussi, lors de chaque conférence internationale, sur la diversité biologique comme sur le changement climatique, le Brésil ne perd pas une occasion de revenir sur sa grande réussite : l’important recul de la déforestation de sa forêt amazonienne entre 2004 et 2014, passée de 27 772 km2 à 5 012 km2 par an, soit une réduction de 82 % de la surface annuelle défrichée (cf. graphique ci-dessous). Dans le même temps, la contribution des émissions de CO2 liées à la déforestation est ainsi passée de 71 % du total des émissions du Brésil à 33 %. Si l’on peut relativiser ces chiffres en pointant le choix opportun des dates de référence, le report de la déforestation sur le Cerrado1 et sa reprise récente en Amazonie, il importe de comprendre les clés de cette réussite, particulièrement dans le contexte actuel où la protection des forêts est remise en cause et fait à nouveau peser la menace d’un point de non-retour pour les écosystèmes.

GRAPHIQUE – Déforestation annuelle dans l’Amazonie légale brésilienne (AMZ)
http://www.obt.inpe.br/prodes/dashboard/prodes-rates.html

 

Jusqu’à la veille du Sommet de la Terre tenu à Rio en 1992, la déforestation de l’Amazonie est la conséquence des politiques d’intégration régionale : développement des infrastructures et fronts pionniers agricoles sont impulsés par le gouvernement fédéral et forment un “arc de déforestation” qui s’avance dans le massif amazonien à partir du sud et de l’est. Cependant, le Brésil peut déjà témoigner de son souci de protéger sa forêt tropicale à l’ouverture du Sommet, à travers plusieurs initiatives. L’une d’entre elles, le Programme de contrôle par satellite de la déforestation en Amazonie légale2 (Prodes) de l’Institut brésilien de recherches spatiales (INPE) a été créé en 1988. Ce programme a permis de connaître l’état des forêts et de suivre son évolution sur le temps long, apportant une vraie crédibilité à la démarche. Et dès 1991, les scientifiques brésiliens alertent sur le processus de déforestation et prédisent une savanisation de l’Amazonie, alors déboisée à 8 %. En 1989, l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles (IBAMA), chargé de la protection de l’environnement, est créé avec des pouvoirs législatifs et de police. Un ministère de l’Environnement sera mis en place à l’occasion du Sommet de la Terre en 1992.

 

Quelques années plus tard, le programme pilote pour la préservation des forêts tropicales, le PPG7, est engagé à l’initiative des pays du G7 et de l’Union européenne, lorsque l’image de “l’Amazonie en flammes” émeut l’opinion internationale, à la suite de la publication du chiffre record de 29 059 km2 de forêts disparues en 1995. En 1996, le président Cardoso édite une mesure provisoire qui modifie le code forestier, portant de 50 % à 80 % la surface des propriétés privées en forêt amazonienne devant rester en réserve de végétation originelle. Il interdit aussi provisoirement la conversion des forêts en terres agricoles. En 2000, le Système national des unités de conservation de la nature (SDUC) est promulgué. Malgré ces différentes initiatives, la déforestation se poursuit sous l’effet des dynamiques régionales et du manque de coordination politique.

Les poissons d’eaux profondes : à pêcher avec grande modération

L’exploitation non-durable des espèces est la deuxième cause du déclin global de la biodiversité, après le changement d’utilisation des terres. Elle est aussi probablement une des plus évidentes à résoudre, via des règlementations pertinentes. En se fondant sur les connaissances scientifiques, elles permettent de mieux gérer le prélèvement des espèces et d’ainsi assurer le renouvellement naturel des ressources. Le secteur des pêches notamment dispose de nombreux outils. Mais comme le révèle le cas des poissons d’eaux profondes, des mesures tardent parfois à être prises, mettant en danger les équilibres des écosystèmes et compromettant donc également la durabilité des activités.

 

Ses poissons vivant à plusieurs centaines de mètres de profondeur se sont retrouvés sur nos étals à la fin des années 1980. Les populations de morues, de lieus noirs et de merlus en mer du Nord et à l’ouest de l’Écosse connaissent un déclin de leur biomasse en raison de leur surexploitation, ce qui provoque une baisse de rentabilité des pêcheries françaises de haute-mer. Les chalutiers se tournent alors vers les espèces vivant plus en profondeur, entre 800 et 1 500 mètres, telles que le grenadier de roche (Coryphaenoides rupestris), le sabre noir (Aphanopus carbo) et l’hoplostèthe orange, ou empereur (Hoplostethus atlanticus) (Charuau et al., 1996). À la même époque, la consommation de poisson évolue vers une demande plus importante de filets de poissons au détriment de l’achat de poissons entiers. Cette évolution des modes de consommation permet la mise sur les marchés de filets de ces poissons d’eaux profondes, alors que présentés entiers, leur aspect aurait probablement été peu engageant pour les consommateurs. Plusieurs espèces de requins profonds sont quant à elles présentées sous forme de saumonette (requins étêtés, vidés et pelés).

 

Dès la fin des années 1990, certaines populations de poissons profonds montrent à leur tour des signes de déclin. Dans certaines zones, les captures d’hoplostèthes oranges, d’abord abondantes, se sont effondrées au bout de 12 à 18 mois d’exploitation seulement, révélant que pour cette espèce la pêche peut extraire une forte proportion de la biomasse1 en seulement quelques mois.

Le réchauffement climatique, un bouleversement pour les écosystèmes et les scientifiques

Le changement climatique n’est pas un état problématique passager, mais bien une situation pérenne qu’il va falloir considérer dans sa globalité. Il nécessite une adaptation importante des écosystèmes et de ceux qui les étudient. Sous nos latitudes tempérées, ces changements prennent une signification particulière en modifiant la longueur relative des saisons. Or, l’arrivée du printemps rythme le cycle annuel de toute la biodiversité. La remontée printanière des températures s’accompagne d’une reprise explosive de la végétation. Les jeunes feuilles fournissent une nourriture de qualité pour une multitude d’invertébrés herbivores, aux premiers rangs desquels, les chenilles de papillons. Eux-mêmes sont alors consommés par des carnivores. Ce formidable accroissement de la biomasse va, en particulier, permettre aux prédateurs de se reproduire. Ce phénomène est cependant éphémère : les jeunes pousses tendres se chargent rapidement de tanin et deviennent indigestes. On assiste ainsi à un pic d’abondance de nourriture et chaque niveau de la chaîne alimentaire tente de se synchroniser sur le pic dont il dépend.

Dans des océans en mutation, la pêche doit devenir durable

À mesure que le climat se réchauffe, les températures des mers augmentent également. Du plancton aux oiseaux, en passant par les poissons, ce phénomène modifie significativement toutes les composantes des écosystèmes marins. Un des effets les plus documentés de ce réchauffement est la migration des espèces vers les pôles, qui se traduit par une diminution de la biodiversité marine dans la zone intertropicale. Mais de nombreux autres facteurs influent sur les communautés d’espèces, notamment leur exploitation non-durable par la pêche. Cette dernière est alors responsable d’impacts très négatifs sur les populations de poissons, dont la diminution a aussi une incidence négative sur les oiseaux marins (Cury et al., 2011 ; Grémillet et al., 2018). Une proportion croissante de ces populations – un tiers des espèces pêchées en 2015 – est surexploitée, tandis que 60 % sont exploitées à leur maximum, et seules 7 % des populations sont sous-exploitées (FAO 2018). Or, l’océan reste une source essentielle d’approvisionnement en protéines pour des millions de personnes dans le monde, notamment dans les pays en développement.

 

Il est donc urgent de mettre en place une gestion soutenable des pêches, au moment même où les impacts négatifs du changement climatique rendent la tâche encore plus complexe : certains modèles prévoient une diminution de la biomasse des poissons allant jusqu’à 25 % d’ici la fin du siècle, si les émissions de gaz à effet de serre devaient s’intensifier (Lotze et al., 2018). Pour estimer les impacts des changements climatiques combinés à ceux des pratiques de pêche, une équipe de scientifiques menée par Caihong Fu (DFO, Canada) et Yunne-Jai Shin (IRD, France) a étudié neuf écosystèmes marins dans le monde entier. L’équipe s’est appuyée sur des modèles mathématiques développés pour chaque écosystème, et les a utilisés comme des laboratoires virtuels. En manipulant ces outils, les chercheurs ont pu explorer la manière dont le système évolue lorsque le changement climatique et la pêche entrent en interaction. L’objectif du projet est d’apporter un éclairage scientifique à la prise de décisions afin d’adapter les politiques de gestion des pêches au changement climatique.

#ScienceDurable – La forêt : une véritable alliée dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

En 1954, le livre de Jean Giono, “L’Homme qui plantait des arbres”, peignait l’histoire d’un berger écologiste. Jour après jour, tout en menant ses moutons, il enterrait des graines d’arbres au hasard de ses chemins, et, après des années, des paysages entiers étaient de nouveau couverts de forêts. Cette fable de l’action de l’Homme dans la durée est évocatrice et inspirante. En 2006, le programme des Nations Unies pour le développement lançait la Campagne pour planter un milliard d’arbres qui à ce jour revendique plus de 15 milliards d’arbres plantés.

 

Aujourd’hui l’enjeu de la forêt est associé à celui des changements climatiques. Planter des arbres aide sans nul doute à lutter contre ces changements. Lorsqu’ils grandissent, les arbres fixent le dioxyde de carbone, le principal gaz à effet de serre. Sans les forêts mondiales, le réchauffement de la planète serait deux fois plus rapide. L’accumulation de carbone concerne non seulement les arbres, mais aussi les sols, qui séquestrent près de la moitié du carbone d’un écosystème forestier. Seulement, la captation du carbone par les forêts ne suffit pas, à elle seule, à endiguer le changement climatique. De plus, dans les années à venir, ces changements pourraient avoir un effet adverse sur les forêts.

Où s’arrêtera l’invasion du frelon à pattes jaunes, Vespa velutina ?

Les invasions biologiques de ces dernières décennies en Europe montrent que leur contrôle a posteriori est souvent impossible et que les discours d’éradication sont des leurres. Parmi ces invasions, celle du frelon asiatique est des plus spectaculaires. Aussi appelé frelon à pattes jaunes, Vespa velutina fait partie de la famille des Vespidae qui regroupe plus de 5 000 espèces (guêpes et frelons) qui peuvent être sociales ou solitaires. Les stades juvéniles des frelons sont principalement carnivores ; aussi les adultes sont bien connus pour la prédation qu’ils exercent sur de nombreux insectes afin de nourrir leurs larves, affectant ainsi l’entomofaune1. À ce titre, Vespa crabro, le frelon européen, est reconnu comme un insecte auxiliaire efficace en agriculture en consommant par exemple des pucerons.

 

Vespa velutina, quant à lui, est entré en France en 2004 dans le sud-ouest, près d’Agen (Rortais et al., 20102 ; Monceau et al., 2014), probablement par une cargaison d’articles exotiques. Bien que le premier témoignage sur ces insectes soit venu d’un producteur de bonsaïs (Villemant et al., 2006), la probabilité que le frelon soit entré par des containers d’une chaîne de grands magasins spécialisés dans ces produits nous paraît plus sérieuse. Dès l’année suivante, des apiculteurs locaux commencent à enregistrer la prédation d’abeilles domestiques sur leurs ruches. Très vite, les quelques nids de frelons deviennent plusieurs milliers en Nouvelle Aquitaine. L’expansion se déploie vers l’ouest, le long des réseaux hydriques, aboutissant à de très fortes populations.

 

Des scientifiques ont cherché à identifier la provenance des populations envahissantes (Arca et al., 2015) grâce à un travail de génétique. Les conclusions de l’étude sont claires : tous les individus collectés en France jusqu’en 2011 proviennent d’une seule fondatrice fécondée par quatre mâles issus de la province du Jiangsu en Chine. Quatorze ans après cette introduction, le nombre de colonies en France ne peut plus être quantifié. En 2018, un peu moins de 3 000 nids ont été détruits en Gironde (source D. Gerguouil, GDSA 33) et 5 000 dans la Manche (J. Constantinidis, destructeur de colonies de ferlons, 55).

À l’ombre de la mondialisation, les épidémies se propagent

À la fin des années 1860, le corps expéditionnaire anglais d’Abyssinie – aujourd’hui Éthiopie – importe de Bombay, capitale de leur colonie des Indes, 8 000 zébus afin de nourrir les troupes coloniales installées dans la corne de l’Afrique (Spinage, 2003). Le bétail s’avère contaminé par l’agent de la peste bovine1, le Rinderpest virus, un virus apparenté à celui de la rougeole. L’introduction du virus fut foudroyante, occasionnant une mortalité de plus de 80 % des ongulés sauvages d’Afrique, notamment dans la plaine du Serengeti, situé en Tanzanie, près du Lac Victoria. Le bétail domestique ne fut pas épargné. Principale ressource des sociétés de pasteurs éleveurs, sa mortalité par la peste bovine occasionna une des plus terribles famines jamais observées au Soudan et en Éthiopie.

 

L’histoire de l’introduction de la peste bovine en Afrique a ceci d’exemplaire qu’elle s’inscrit dans le cadre des premières grandes mondialisations associées au colonialisme européen, qui facilitèrent les échanges intercontinentaux et les mouvements des humains, des animaux, des végétaux et de leurs parasites et maladies infectieuses. Son étude nous renseigne sur les conséquences des introductions sur la diversité biologique, le fonctionnement des écosystèmes locaux et les effets cascades difficilement prévisibles sur l’économie, le bien-être et la santé des sociétés locales.

Face aux espèces envahissantes, la diversité est notre alliée

Dans un monde globalisé où les humains sont présents sur tous les continents et où les échanges se sont multipliés, les espèces animales et végétales voyagent avec eux. Intentionnellement ou non, des espèces sont introduites dans de nouveaux écosystèmes, parfois très éloignés de leur origine. Si ce phénomène n’est pas récent, la tendance de ces cinquante dernières années est claire : une étude parue dans la revue Nature Communications indique que, depuis le XIXe siècle, plus d’un tiers des introductions se sont déroulées après 1970, soit un rythme d’introduction de 50% supérieur depuis cette date. Et ce rythme accru ne semble pas faiblir (Seebens et al., 2017). Certaines de ces espèces – qualifiées d’exotiques par leur provenance – s’adaptent à leur nouveau milieu, puis se multiplient et font concurrence aux espèces autochtones. Lorsque l’entrée dans la compétition d’une espèce exotique est établie, elle est alors qualifiée d’ “envahissante” (Colautti & MacIsaac, 2004). Ce phénomène n’a rien d’anodin : ces espèces exotiques envahissantes seraient la 4e cause de perte de biodiversité dans le monde, avec des effets comparables à ceux liés à l’impact de l’Homme sur les habitats naturels. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les forêts de l’hémisphère nord (Murphy & Romanuk, 2014). D’après un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN, 2015), 354 espèces étaient directement menacées par des espèces exotiques envahissantes en Europe, soit 19 % de l’ensemble des espèces en danger.

Action n°11 : Je limite ma consommation d’huile de palme

L’île de Bornéo a perdu un tiers de ses forêts primaires1 entre 1973 et 2015 (Gaveau et al. 2016). C’est bien en Indonésie, plus qu’en Amazonie, que la disparition des forêts primaires est la plus rapide, avec 840 000 hectares perdus par an en 2012 (Margono et al. 2014). La plantation industrielle de palmiers à huile (Elaeis guineensis) y constitue l’une des principales causes de déforestation, avec la production de pâte à papier et de bois (Abood et al. 2015). Dans ce pays, premier producteur d’huile de palme avant la Malaisie, la superficie totale plantée en palmiers a été multipliée par sept en une vingtaine d’années (Carlson et al. 2012).

 

L’huile de palme est l’huile la plus produite dans le monde avec 70 millions de tonnes (USDA 2018). Elle est destinée à l’industrie alimentaire2 et à la production de cosmétiques3, de produits d’entretien, d’agro-carburants et d’électricité. La déforestation associée touche non seulement l’Asie, mais aussi l’Amérique latine et l’Afrique (Varsha et al., 2016). Au niveau mondial, sa production représente 8% de la déforestation imputée aux cultures, après le soja (19%) et le maïs (11%) (Union Européenne, 2013). Si le problème affecte des contrées lointaines, l’Union Européenne est le deuxième importateur et le troisième consommateur d’huile de palme au niveau mondial (USDA, 2018). Et cette consommation intensive n’est pas sans conséquence sur les plantes et les animaux dans les pays producteurs.

 

“Le déclin le plus sévère des orangs-outans a eu lieu dans des environnements détériorés par la récolte de bois et par les plantations industrielles d’huile de palme.”

 

Parmi les 193 espèces menacées par la production d’huile de palme, il faut citer l’orang-outan (Pongo pygmaeus), en danger critique d’extinction selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (Ancrenaz et al., 2016). Une étude internationale s’est tout récemment intéressée à l’influence de l’extraction de ressources naturelles, y compris l’huile de palme, sur ces primates (Voigt et al., 2018). Les auteurs sont allés sur le terrain compter les nids que ces grands singes construisent pour s’abriter la nuit. À l’aide de ces données et de modèles informatiques, ils ont estimé à 100 000 le nombre d’orangs-outans tués entre 1999 et 2015. Si la cause principale du déclin des primates est la chasse illégale, la moitié des orangs-outans de l’île de Bornéo se trouvait en 2015 dans des habitats dégradés par la récolte de bois, les plantations industrielles et la déforestation (Voigt et al., 2018). Le déclin le plus sévère a eu lieu dans ces environnements détériorés. Mais est-ce là la seule espèce victime de l’huile de palme ? Qu’en est-il de l’impact sur la biodiversité de façon plus générale ?

 

“Dans les plantations de palmiers à huile, l’abondance des chauves-souris insectivores diminue, faute de proies, et les oiseaux “spécialistes” disparaissent.”

 

Des chercheurs ont compilé et analysé 25 articles scientifiques consacrés aux conséquences de la production d’huile de palme sur la biodiversité. D’après leurs résultats, les plantations de palmiers à huile abritent, sans surprise, un nombre d’espèces (richesse spécifique) inférieur à celui de forêts primaires et secondaires (Savilaakso et al., 2014). Certaines espèces voient leur abondance diminuer, comme la plupart des chauves-souris insectivores, faute de proies. Les plantations défavorisent également les espèces d’oiseaux les moins répandues et les plus exigeantes en termes de conditions environnementales et de ressources (oiseaux dits spécialistes). Cette disparition des oiseaux spécialistes dans les plantations s’expliquerait par une végétation au sol réduite par rapport aux forêts. En outre, les conditions plus chaudes et sèches qui règnent dans ces plantations nuisent à certaines espèces de fourmis, de coléoptères et d’abeilles. D’où un impact très probable sur les services écosystémiques tels que la pollinisation, le contrôle des ravageurs de culture et le fonctionnement des sols (Savilaakso et al., 2014).

 

Un mode de gestion adapté pourrait réduire ces conséquences néfastes sur la biodiversité. En effet, des études ont démontré que le nombre d’espèces d’oiseaux était supérieur dans les plantations des petits producteurs, en comparaison avec celles des industriels (Azhar et al., 2011, dans Savilaakso et al., 2014). La recherche devrait aussi se pencher sur l’effet des standards de certification durable tels que RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil).  En effet, ce dernier, qui rassemble depuis 2004 des entreprises et des ONG, fait l’objet de vives critiques, portant sur des principes et critères trop peu contraignants qui favoriseraient les industriels au détriment des petits producteurs, des sanctions trop peu dissuasives et pas assez appliquées en cas de non respect, ainsi que des problèmes de traçabilité (FIAN/CNCD, 2018). Cela explique en partie des initiatives de boycott, parmi les consommateurs, de tout produit contenant de l’huile de palme, labellisée ou non.

 

“Les huiles de coco et de coprah sont elles aussi produites dans les pays tropicaux et prennent potentiellement la place de forêts.”

 

Cependant, les alternatives les plus fréquentes à l’huile de palme ne sont pas non plus sans incidence sur la biodiversité. Dans les cosmétiques, les huiles de coco et de coprah (chair de la noix de coco) sont elles aussi produites dans les pays tropicaux et prennent potentiellement la place de forêts. Dans l’alimentation, les huiles de colza et de tournesol, certes cultivées en Europe, le sont souvent de façon intensive et nécessitent, comme le souligne un récent rapport de l’UICN, des surfaces plus vastes pour une production équivalente (Meijaard et al. 2018). Alors qu’il est parfois compliqué de modifier les processus industriels (en termes de quantités disponibles ou de caractéristiques physico-chimiques requises), les consommateurs peuvent choisir de diversifier les sources d’huiles dans les produits quotidiens et  privilégier certaines huiles, telles que l’olive, la noix, l’amande, l’argan, les pépins de raisins ou les noyaux d’abricot, parfois locales et plus durables. Le label Agriculture biologique de l’Union Européenne reste alors un outil précieux pour se repérer.

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1 Les forêts primaires sont relativement préservées des activités humaines et concentrent une biodiversité particulièrement riche. Les forêts secondaires, en revanche, ont généralement repoussé après la destruction d’une forêt primaire. Forêts primaires et secondaires sont détruites pour les plantations.

2 L’huile de palme alimentaire est parfois mentionnée dans la composition sous les termes imprécis de « graisse végétale » et « huile végétale ».

3 Dans la composition des cosmétiques, l’huile de palme est indiquée par la mention Elaeis guineensis Oil. Ses dérivés les plus courants : Sodium Palmate, Isostearyl Palmitate et Palmitate d’Isopropyl. Les dérivés suivants en sont souvent issus, sauf mention contraire du fabricant : Lauryl Glucoside, Sodium Lauryl Sulfate, Cetearyl Alcohol, Glyceryl Distearate, Isopropyl Myristate, Dodecanol(en gras, partie du nom indiquant le lien possible avec l’huile de palme).

Action n°10 : Je privilégie le papier et le bois durables

Meubles, papier, emballages cartonnés… Tous ces produits du quotidien proviennent des forêts et ont souvent parcouru des milliers de kilomètres jusqu’à nous. Ainsi, une table peut avoir été fabriquée en Chine à partir de bois français – chêne, hêtre, sapin, épicéa – ou bien de bois tropicaux d’Afrique centrale ou d’Amérique du sud – hévéa, teck, wenge. Le papier, que chaque employé de bureau consomme à hauteur de 70 à 85 kg par an (ADEME), subit une transformation si importante qu’on en oublierait presque qu’il provient pour une large part de fibres de bois. Si les certifications ne renseignent pas les acheteurs sur la provenance ni sur les traitements appliqués, elles ont au moins le mérite – et c’est là leur objectif – de favoriser des pratiques forestières qui nuisent le moins possible à l’environnement.

 

“Les certifications favorisent des pratiques forestières nuisant le moins possibles à l’environnement”

 

Les principaux labels, FSC (Forest Stewardship Council) et PEFC (Programme for the Endorsement of Forest Certification schemes) (voir encadré) garantissent que le bois utilisé pour un produit est issu d’une exploitation forestière qui respecte les lois locales, le bien-être des travailleurs et celui des communautés d’habitants, tout en préservant la biodiversité, les services et les valeurs associés aux écosystèmes. Leurs cahiers des charges prévoient de privilégier au maximum les essences locales, de conserver le bois mort au sol et les vieux arbres, ou encore de limiter le recours aux fertilisants. Reste à savoir ce que valent réellement ces certifications, quelle est leur réalité et comment sont réalisés les contrôles de conformité aux cahiers des charges.

 

Une équipe de recherche a comparé plusieurs standards de certification : celui du FSC, et deux autres reconnus par le PEFC en Amérique du nord, le Sustainable Forestry Management (SFM) et le Sustainable Forestry Initiative (SFI).

Leurs résultats montrent que le FSC propose des critères écologiques et sociaux plus performants, en particulier pour préserver les espèces rares et menacées, interdire ou limiter la conversion de forêts naturelles en plantations, et protéger les peuples autochtones. Le SFM et le SFI nord-américains reconnus par le PEFC s’avèrent quant à eux plus efficaces en termes de productivité et de longévité économique (Clark & Kozar 2011). Cependant, ces résultats sont à considérer avec prudence, puisqu’il ne s’agit que de critères prévus en théorie par chaque standard, et non de leurs effets réels, dont l’étude nécessiterait des données de terrain. De façon générale, les principes et critères du FSC seraient plus contraignants, alors que ceux du PEFC donneraient aux entreprises davantage de flexibilité (Auld, Gulbrandsen & McDermott 2008).

 

L’adoption de meilleures pratiques forestières est d’autant plus importante que plus de la moitié des espèces sur Terre vivent dans les forêts. Or chaque année, 3,3 millions d’hectares de forêts sont perdus (FAO 2015), et ce, y compris en Europe, notamment dans la taïga russe. Certaines forêts font place à des champs ou à des villes, tandis que d’autres persistent mais sont exploitées, ou bien converties en plantations d’arbres pour produire des meubles, du papier ou encore de l’énergie. Les  plantations représentent aujourd’hui 7 % des couverts boisés du monde.

 

“Il y a en moyenne 29% d’espèces en moins dans les forêts gérées en comparaison à celles non gérées”

 

Des chercheurs ont étudié l’impact de la gestion des forêts, d’origine ou de plantation, sur leur biodiversité. Ils ont montré que les forêts gérées ont en moyenne une richesse spécifique – nombre d’espèces – de 29 % moins grande que celle des forêts non gérées (Chaudhary et al. 2016). Ainsi, les plantations établies pour la production de bois sont les moins diversifiées avec  un nombre d’espèces réduit de 40 % par rapport aux forêts non gérées. Ce qui n’est guère surprenant lorsque l’on sait que la quasi-totalité des plantations sont des monocultures.

Les modes de gestion sont également très importants en terme d’impact sur la biodiversité. Une coupe claire, qui consiste à raser intégralement une zone, diminue le nombre d’espèces présentes en forêt de 22 %.  La sélection conventionnelle en forêt tropicale, qui implique de ne couper que les arbres les plus grands et de meilleure qualité, le réduit de 13 %. Au contraire, la gestion par rétention – qui consiste à laisser sur-place quelques groupes d’arbres – ou encore, la sélection en forêt tempérée ou boréale – qui ne coupe que les arbres matures, créant des différences d’âge entre les individus  et l’exploitation à faible impact – qui revient à sélectionner chaque arbre à abattre et guider sa chute pour en limiter les dégâts, dans le cadre d’un plan précis –  altèrent beaucoup moins la biodiversité (Chaudhary et al. 2016).

 

“Gérer la forêt, c’est en modifier la structure d’âge des arbres, favoriser certaines essences, changer sa température, sa luminosité, son humidité, … des perturbations qui se répercutent sur tout l’écosystème”

 

Gérer la forêt, c’est en effet modifier la structure d’âge des arbres, favoriser certaines essences, mais aussi changer sa température, sa luminosité ou encore son humidité. Tous ces paramètres influent sur les êtres vivants qui la peuplent. Les perturbations se répercutent alors sur tout l’écosystème. Ainsi, des coléoptères, champignons, lichens et mousses participent à la décomposition du bois mort et dépendent de sa présence. Les souches et les branches coupées ou cassées forment pour eux des abris importants, mais également des moyens de déplacement ou des sites de nidification et d’alimentation pour d’innombrables oiseaux et mammifères. Dans les forêts boréales de Scandinavie, le retrait des résidus de bois sur le sol a réduit le nombre d’espèces de coléoptères (Gunnarsson et al. 2004) et affecté les espèces « spécialistes », dépendantes de ressources particulières (Nittérus et al. 2007). En effet, ces éléments, de moindre qualité pour l’industrie, sont de plus en plus souvent récoltés afin de produire de l’énergie ou bien des matériaux transformés comme le papier et les panneaux de particules. Pourtant, mieux vaudrait les laisser dans la forêt afin qu’ils jouent leur rôle pour la biodiversité (Bouget et al. 2012).

 

En attendant de pouvoir déterminer l’impact réel des labels FSC et PEFC sur la biodiversité, ceux-ci permettent tout de même à chacun d’encourager des pratiques plus durables dans ses achats de meubles en bois ou de papier (van Kuijk, Putz & Zagt 2009).

 

Le Forest Stewardship Council (FSC), association à but non lucratif créée en 1993 par des associations de protection de l’environnement, des commerçants et producteurs de bois et d’autres parties prenantes, offre un cahier des charges international. Initialement conçu pour les forêts tropicales, le label FSC s’applique désormais également aux forêts boréales et tempérées, et il se décline en trois catégories selon les produits : « 100 % issu de forêts bien gérées », « Mixte – papier issu de sources responsables » (mélange de bois issu de forêts FSC et de matériaux recyclés) et « Recyclé – fabriqué à partir de matériaux recyclés ».

 

Le Programme for the Endorsement of Forest Certification schemes (PEFC), fondé par des propriétaires forestiers européens en 1999, reconnaît quant à lui un ensemble de standards dont chacun est défini à l’échelle d’un pays.

 

En 2014, les forêts certifiées PEFC et FSC représentaient respectivement 6,3 % et 4,5 % des forêts du monde. Les forêts ne sont pas contrôlées directement par le FSC ni par le PEFC, mais par des organismes certificateurs indépendants. Les audits sont réalisés, pour chaque exploitation, tous les ans (FSC) ou bien de façon aléatoire (PEFC).

 

Action n°9 : Je préfère le poisson durable

Les Français consomment en moyenne plus de 30 kg par an de « poisson » (au sens commercial ou alimentaire, c’est-à-dire englobant poissons, mollusques et crustacés aquatiques). Dans l’Union Européenne, les ¾ de la consommation sont pêchés tandis qu’¼ est élevé, et à l’échelle mondiale, l’aquaculture assure un peu plus de la moitié de l’approvisionnement, le reste provenant de la pêche en eaux marines et continentales. L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation (FAO)1 estime qu’1/3 des stocks2 halieutiques sont surexploités, c’est-à-dire soumis à une intensité de capture qui excède leur capacité à se renouveler. Si certaines espèces – telles que le thon rouge – se portent mieux grâce à des mesures de régulation de la pêche, d’autres sont au bord de l’effondrement et se retrouvent pourtant dans nos assiettes. Les travaux de recherche et rapports d’expertise scientifique peuvent cependant guider nos choix.

 

“Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation, 1/3 des stocks halieutiques sont surexploités.”

 

Préférer les poissons d’élevage à leurs équivalents sauvages n’est pas toujours une solution, car les seconds sont nécessaires pour nourrir les premiers. Plus précisément, plusieurs espèces de « petits pélagiques » sauvages (anchois, harengs, sardines, etc., aussi appelés « poissons fourrage ») entrent dans la composition de l’aliment des espèces carnassières d’élevage comme le saumon, ou encore les crevettes tropicales. Il faut un à plusieurs kg de poissons fourrage pour produire un kg d’une espèce d’élevage (dans le cas du saumon norvégien, environ 1 kg pour 1 kg). Les petits pélagiques « pèsent » près de 40 % des captures marines mondiales. Outre leur utilisation partagée, voire concurrente, entre fabrication d’aliments pour animaux d’élevage et consommation humaine (Majluf et al. 2017), ils sont aussi des proies indispensables aux prédateurs dans les écosystèmes marins.

 

Ainsi, la surpêche des petits pélagiques peut entraîner des conséquences dramatiques pour de nombreuses espèces de poissons, de mammifères et d’oiseaux marins comme le thon rouge de l’Atlantique, le manchot de Humboldt, le pétrel géant et la baleine à bosse (Pikitch et al. 2012, 2014). Or, les poissons fourrage, dont la vulnérabilité a été confirmée par des travaux scientifiques dans le cadre du projet Emibios, sont particulièrement affectés par les impacts combinés de la pêche et des changements climatiques (Travers-Trolet et al. 2014, Fu et al. 2018). Il ne faut cependant pas oublier que 30 % de la production aquacole mondiale de poissons d’élevage ne nécessite aucun apport d’aliment incluant du poisson fourrage : il s’agit en majorité de la carpe argentée et de la carpe à grosse tête. Il en est de même pour la culture des mollusques bivalves, principalement les moules, huîtres et palourdes.

 

Le maquereau et le hareng, ayant autrefois connu la surexploitation, auraient à présent des stocks suffisamment reconstitués pour que l’on puisse en recommander l’achat, d’autant plus que les qualités nutritionnelles des petits pélagiques sont avérées. Chez le poissonnier, plutôt que la dorade rose, classée comme quasi-menacée par l’Union internationale pour la conservation de la nature, il semblerait préférable de choisir la dorade grise ou la dorade royale3. Et plutôt que pour le thon rouge, dont l’état s’est certes amélioré mais reste fragile, mieux vaudrait opter pour la bonite à ventre rayé, également appelée « thon listao ». Les situations de ces espèces peuvent néanmoins basculer si les consommateurs ou les industriels se tournent trop massivement vers elles ! Pour acheter durable, le site www.ethic-ocean.org propose des guides pratiques et documentés, des fiches et une application mobile.

 

“Le label MSC est décerné aux pêcheries qui s’engagent à assurer une gestion durable des stocks afin d’éviter la surpêche.”

 

L’aquaculture étant assimilée à une activité agricole — ce qui n’est pas le cas de la pêche, les produits qui en sont issus peuvent être certifiés « Agriculture biologique », ce label ne tenant toutefois pas pleinement compte de leur incidence sur les écosystèmes marins. Concernant les poissons, mollusques et crustacés sauvages, le label MSC4 est décerné aux pêcheries qui s’engagent à assurer une gestion durable des stocks afin d’éviter la surpêche, et à ne pas détériorer les milieux aquatiques, par ailleurs très variés.

 

Car l’impact sur la ressource en elle-même n’est pas le seul qu’il faut considérer. Les fonds marins abritent les poissons dits « benthiques », à l’image des diverses espèces de raies, de soles et de plies (ou carrelets), ou encore de la baudroie commune, dont la queue est appelée « lotte ». D’autres poissons, dits « démersaux », vivent à proximité du fond, à l’instar du merlu commun5 et des différentes espèces de « gadidés », une famille de poissons dont le plus connu est la morue, ou cabillaud, et qui comprend également le merlan, le haddock et le colin d’Alaska (ce dernier atteignant le plus gros volume de capture parmi les poissons destinés à la consommation humaine).

 

La capture des poissons et de coquillages benthiques et démersaux nécessite des techniques qui raclent les sédiments marins (dragues et chaluts). La faune, constituée de coraux, d’éponges, de vers et de crustacés, est d’autant plus affectée que les engins pénètrent profondément dans le fond marin (Hiddink et al. 2017). Le temps mis par les écosystèmes pour se remettre des effets du chalutage varie entre près de deux ans et plus de six ans (Hiddink et al. 2017).

 

“La biodiversité de la petite faune est réduite de moitié dans les sédiments chalutés des grands fonds méditerranéens.”

 

Dans les sédiments régulièrement chalutés des grands fonds (-200 m et au-delà) du nord-ouest de la mer Méditerranée, la petite faune voit son abondance réduite de 80 % et sa biodiversité réduite de moitié (Pusceddu et al. 2014). Le renouvellement de la matière organique, processus crucial dans les écosystèmes benthiques, y est de 37 % plus lent. Or, le chalutage concerne des habitats toujours plus profonds, où l’impact est encore plus sévère et persistant (Clark et al. 2016). En Manche et au sud de la Mer du Nord, cette pratique affecte en particulier les espèces à durée de vie longue, du fait de leur croissance plus lente et de leur maturité plus tardive (Rijnsdorp et al. 2018). Cependant, pour certains poissons, plusieurs modes de pêche sont possibles. Mieux vaut alors choisir, par exemple, un bar de ligne plutôt qu’un bar de chalut.

 

Parmi les poissons dont les stocks sont largement surexploités figurent les espèces d’esturgeons (et leurs œufs, le caviar), l’espadon reconnaissable à son long rostre en forme d’épée, et surtout de nombreuses espèces de requins. D’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), un quart des raies et des requins sont fortement menacés d’extinction (Davidson et al. 2016, Dulvy et al. 2017). Il semble alors paradoxal que, selon la FAO, les débarquements (quantités rapportées au port) de requins et de raies aient décliné de près de 20 % en une décennie, après un pic en 20036.

 

“D’après l’UICN, un quart des raies et des requins sont fortement menacés d’extinction.”

 

En fait, si les pêcheurs capturent moins de requins et de raies, c’est bien parce que ces animaux se font plus rares dans les océans, et non parce que des mesures de régulation les y incitent ou obligent. En étudiant la situation dans 126 pays, des chercheurs ont en effet conclu que les débarquements de raies et de requins étaient étroitement liés à la demande des consommateurs, entraînant la pression de pêche sur les ressources, plutôt qu’à une meilleure gestion de leurs stocks. Ainsi, les pays présentant les plus forts déclins, Pakistan, Sri Lanka et Thaïlande, ont des côtes densément peuplées et exportent davantage de viande de raie et de requin (Davidson et al. 2016).

 

À l’heure où le commerce des produits issus de la mer est mondialisé et où 68 % des denrées alimentaires animales d’origine aquatique de l’Union Européenne sont importées (EUMOFA 2017), favoriser les produits locaux permet de diminuer le coût écologique du transport de l’océan à l’assiette. Et, à l’image des fruits et légumes, ils se consomment aussi de saison, selon leur période de reproduction (au cours de laquelle il faut éviter de les pêcher).

 

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1 Voir la récente édition du rapport biennal de la FAO (SOFIA 2018 : « La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture), publié dans les 6 langues de l’ONU et téléchargeable à l’adresse :
http://www.fao.org/documents/card/en/c/I9540FR.

2 Le stock correspond à l’ensemble des individus d’une espèce susceptibles d’être pêchés, dans une zone géographique donnée.

3 Espèce carnivore sauvage, la daurade royale est aussi, avec le loup (ou bar), un produit « phare » de l’aquaculture en Méditerranée.

4 Le Marine stewardship council (https://www.msc.org/fr) est une ONG fondée par une entreprise, Unilever, et par le Fonds mondial pour la nature (WWF), mais indépendante de ces derniers depuis 1999. Aujourd’hui, 315 pêcheries sont certifiées MSC dans le monde, dont une dizaine en France.

5 Les merlus sont aussi appelés « colins », même s’ils sont assez différents du « colin d’Alaska » (gadidé).

6 Les captures de requins et de raies sont souvent déclarées par groupes d’espèces et non par espèce. On connaît des exemples où l’effondrement de l’une ou de plusieurs d’entre elles a été masqué par un report d’effort sur d’autres (Iglésias et al. 2010)

Action n°8 : Je repense ma consommation de viande

Sur Terre, si l’on considère la masse totale des êtres vivants, sept oiseaux sur dix sont des volailles, et six mammifères sur dix appartiennent à la catégorie du bétail – principalement bovin et porcin (Bar-On Philips & Milo, 2018). Un constat saisissant et révélateur du poids de l’élevage au niveau mondial, en particulier pour la viande1. Tous les ans, plus de 65 milliards d’animaux domestiques sont abattus dans le monde, dont 1 milliard en France. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, l’artificialisation, l’industrialisation et l’intensification ont touché l’ensemble des modes de production des aliments. Ainsi, la production globale de viande a quintuplé dans la deuxième moitié du XXe siècle, atteignant près de 330 millions de tonnes en 2016 (FAO, 2018). Et si la consommation a néanmoins baissé depuis quelques années en France, avec 84 kg par personne et par an (FranceAgriMer, 2018), ce n’est pas le cas dans les pays en transition, qui tendent à rattraper les tonnages consommés dans les pays du nord.

 

Parmi les alternatives à des régimes riches en produits carnés, outre les régimes de type végétarien (sans viande) et végétalien (sans aliments d’origine animale, y compris lait, œufs et leurs dérivés), le « flexitarisme » consiste à manger moins de viande mais à en privilégier la qualité. En effet, les cycles de production, plus lents dans les pâturages extensifs, ne sont pas suffisants pour que chacun puisse en consommer plus de deux à trois fois par semaine. Du point de vue de la santé, ce rythme correspond aux recommandations nutritionnelles de ne pas dépasser 500 grammes de viande rouge par semaine (ANSES2, 2017). Qu’il s’agisse de viande ou d’alternatives végétales, il est également possible de choisir de consommer des produits labellisés (agriculture biologique) ou issus de la vente directe à la ferme.

 

“L’élevage occupe 70 % de toutes les terres agricoles et 30 % de la surface terrestre globale, et motive une grande partie de la déforestation en Amazonie.”

 

Ces perspectives de changement du comportement alimentaire sont d’autant plus cruciales que la production de viande à grande échelle accapare les terres. À l’heure où la biodiversité subit la perte et la dégradation des habitats naturels, les animaux domestiques pâturent sur plus d’un quart de la surface des continents (hors glaciers), et un tiers des terres arables sont consacrées à cultiver leur alimentation. Au total, l’élevage occupe 70 % de toutes les terres agricoles et 30 % de la surface terrestre globale, et motive une grande partie de la déforestation dans des régions comme l’Amazonie (Steinfeld et al., 2006). Toutefois, cette activité constitue un moyen de subsistance important dans des territoires impropres à la culture de plantes comestibles pour l’Homme. En l’absence de grands herbivores, il s’agit aussi d’un mode de gestion de l’espace qui entretient des milieux ouverts, notamment en montagne.

 

“En moyenne, produire 1 kg de viande de bœuf revient à émettre plus de 46 kg d’équivalents CO2 dans l’environnement.”

 

Le pâturage trop intensif contribue néanmoins à la compaction et à l’érosion du sol, la dégradation des terres menaçant aujourd’hui directement la vie de plus de 3,2 milliards d’êtres humains (IPBES, 2018). En outre, l’élevage représente plus de 14 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial (Gerber et al., 2014) et 12 % en France (Peyraud, 2011). Ce secteur d’activité émet notamment du méthane, issu de la fermentation dans l’estomac des animaux lors de leur digestion, et du protoxyde d’azote, issu de la fertilisation des champs de blé, de maïs et de soja destinés à nourrir les animaux. En moyenne, dans le monde, produire 1 kg de viande de bœuf revient à émettre plus de 46 kg d’équivalents CO2 dans l’environnement (Gerber et al., 2014). Un chiffre deux à quatre fois plus bas en France et qui dépend fortement du mode d’élevage (Peyraud, 2011), mais toujours plus élevé pour la viande que pour les céréales, les légumes ou les œufs.

 

En plus de son rôle dans le changement climatique, l’élevage contribue à la disparition des  espèces sauvages par l’accaparement des ressources en eau. D’après l’Institut de l’UNESCO pour l’éducation relative à l’eau, en comptant l’eau bue par les animaux ainsi que le volume utilisé pour cultiver leurs aliments, il faut plus de 15 400 litres pour obtenir un kg de viande bovine, la plus gourmande en eau (Mekonnen & Hoekstra, 2010) [soit cinq à dix fois plus que pour les céréales, les légumes et les œufs], ou encore 550 litres d’eau, hors eau de pluie [soit 2,5 fois plus que pour les céréales] (Peyraud, 2011). Un chiffre plus faible lorsque l’animal se nourrit exclusivement d’herbe sur un terrain non irrigué. La production intensive de viande est également susceptible de générer des pollutions (voir encadré ci-contre).

 

“Il faut plus de 15 400 litres d’eau pour obtenir un kg de viande bovine, ou 550 litres hors eau de pluie.”

 

En compilant et en analysant 63 études scientifiques, des chercheurs britanniques ont identifié 14 régimes alimentaires qui réduiraient potentiellement l’occupation des sols et les émissions de gaz à effet de serre de 70 à 80 %, et diminueraient l’usage d’eau de moitié (Aleksandrowicz et al., 2016). Une alimentation végétarienne ou végétalienne serait ainsi bénéfique, de même que la substitution partielle de la viande et du lait par des produits d’origine végétale tels que les légumineuses (haricots, par exemple). Ces dernières ont l’avantage de contenir les acides aminés essentiels complémentaires de ceux renfermés par les céréales et nécessaires à un bon équilibre alimentaire. Or, leur empreinte écologique sur les ressources en eau est six fois plus faible que celle des protéines bovines (Mekonnen & Hoekstra, 2010).

 

“14 régimes alimentaires, végétarisme, végétalisme et flexitarisme, réduiraient l’occupation des sols et les émissions de gaz à effet de serre de 70 à 80 % et diminueraient l’usage d’eau de moitié.”

 

Cependant, d’autres chercheurs rappellent qu’évaluer la performance environnementale des régimes est complexe, puisqu’il faut prendre en compte les changements d’usage des terres, le stockage de carbone par le sol, et surtout, la variété des aliments consommés et la diversité des systèmes agricoles (Ridoutt, Hendrie & Noakes, 2017).

 

Une étude allemande a également démontré que le comportement alimentaire est influencé par les émotions, par les normes sociales et par la dissonance cognitive, c’est-à-dire lorsque les savoirs et les valeurs d’une personne sont en contradiction avec ses actes (Stoll-Kleeman & Schmidt, 2017). L’élevage et la consommation de viande font aussi partie des traditions culturelles dans de nombreux territoires. Les régimes diminuant ou excluant les produits carnés seraient donc plus faciles à adopter dans une société les ayant déjà intégrés dans ses pratiques ou son histoire, ou lorsque l’offre commerciale en alternatives attractives et équilibrées est suffisante.

 

Les pollutions de l’eau générées par l’élevage

La production intensive de viande est susceptible de générer des pollutions. Avec les effluents domestiques, les effluents agricoles constituent l’une des causes majeures des proliférations d’algues vertes (ou ulves) sur nos côtes. Les nutriments ingérés par les animaux se retrouvent dans leurs déjections, épandues dans les champs sous forme de fumier ou de lisier. Lorsqu’ils sont en excès, ces nutriments, notamment l’azote et le phosphore, ne sont pas absorbés par les plantes et se retrouvent soit dans les nappes phréatiques, soit dans les rivières, entraînés par les pluies ou par l’érosion des sols. Les rivières enrichissent alors l’océan, favorisant le développement excessif des algues vertes qui viennent ensuite s’échouer sur les plages (Pinay et al., 2017).

Par leur présence excessive, ces algues impactent la biodiversité en causant la disparition de certaines espèces de mollusques, de vers marins et de poissons. En émettant des gaz toxiques, méthane et hydrogène sulfuré, elles nuisent aussi aux activités telles que la conchyliculture et, potentiellement, à la santé humaine. Les écosystèmes ainsi affectés peuvent basculer brutalement dans un état difficilement réversible. La forte densité des cheptels, notamment de porcs et de volailles en Bretagne, accentue le processus (Pinay et al., 2017).

 

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1 L’action ici présentée est focalisée sur la viande d’animaux terrestres et exclut donc les poissons et autres organismes aquatiques, qui font l’objet d’une action distincte.

2 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

Action n°7 : Je jardine sans pesticides

Près des ¾ des Français possédant un terrain jardinent régulièrement (Ifop / MEEDDM, 2010). Or, depuis janvier 20171, les collectivités locales et les établissements publics n’ont plus le droit d’utiliser de pesticides de synthèse pour entretenir les espaces verts dont ils ont la responsabilité2. Ainsi, en attendant l’interdiction de l’usage de ces substances par les jardiniers amateurs en 2019, ces derniers constituent la principale source de pesticides en milieu urbain. Une étude basée sur des données de sciences participatives s’est intéressée aux insectes qui visitent les fleurs des jardins privés. Selon celle-ci, les insecticides et les herbicides ont un impact négatif sur l’abondance des papillons et bourdons : les premiers atteignent directement les pollinisateurs, tandis que les seconds agiraient de façon indirecte en diminuant la disponibilité en ressources – nectar et pollen (Muratet & Fontaine, 2015).

 

« Les pesticides bio nuisent moins à la biodiversité, mais tout dépend des doses utilisées »

 

Pour préserver la biodiversité, serait-il alors préférable d’utiliser des pesticides autorisés en agriculture biologique ? Si ces produits nuisent moins à la biodiversité par rapport à leurs équivalents conventionnels, cela dépend toutefois étroitement des doses utilisées. Le cuivre de la bouillie bordelaise, par exemple, s’accumule dans les sols. Si l’on manque encore d’études sur son utilisation dans les jardins des particuliers, des travaux existent dans le cas des territoires agricoles. D’après l’expertise scientifique collective (ESCo) menée par l’Inra et par l’Institut technique de l’agriculture biologique (Inra / Itab, 2018), les sols viticoles européens contiennent jusqu’à 500 mg/kg de cuivre, contre 3 à 100 mg/kg dans les sols naturels. Les plantes cultivées peuvent alors en pâtir, de même que la biodiversité des sols : le cuivre fortement concentré nuit aux communautés de microbes et aux collemboles, des hexapodes proches des insectes.

 

Alors comment vaincre les ravageurs des cultures sans pesticides ? Le contrôle biologique peut faire partie des solutions, en utilisant des substances naturelles, comme le pyrèthre, insecticide extrait des chrysanthèmes, ou en favorisant des espèces « auxiliaires » qui parasitent ou consomment les ravageurs. Coccinelles, chrysopes, syrphes (mouches à bandes jaunes et noires), micro-guêpes, hérissons, vers nématodes sont d’utiles auxiliaires de culture. Il est possible d’en élever certains, comme les coccinelles, puis de les relâcher, mais sans certitude qu’ils resteront dans un lieu donné. En revanche, adapter le jardin et sa gestion pour qu’il leur soit favorable permet d’inciter les auxiliaires à venir chez soi et à y rester. Reste alors à diversifier les plantes de nos espaces extérieurs, et à former des réseaux de balcons et de jardins entre lesquels les organismes circulent librement.

 

« Des espèces « auxiliaires », coccinelles, chrysopes, syrphes ou hérissons, parasitent ou consomment les ravageurs »

 

D’autres solutions fondées sur l’observation des milieux s’avèrent aussi prometteuses. Des chercheurs suédois (Ninkovic et al., 2013) ont illustré la façon dont le comportement des ravageurs varie en présence de leurs prédateurs. Ainsi, les pucerons se laissent tomber au sol pour échapper aux coccinelles. En effet, ces dernières laissent derrière elles une trace chimique, telle une odeur, que détectent leurs proies. Les scientifiques ont donc placé des pucerons du merisier à grappes (Rhopalosiphum padi, un ravageur de céréales) au centre de boîtes de pétri dont seul un côté avait été mis en contact avec une ou plusieurs coccinelles à sept points (Coccinella septempunctata, l’espèce la plus commune en Europe). Il y avait alors significativement moins de pucerons du côté fréquenté par les coccinelles, un comportement d’évitement plus ou moins fort selon le nombre et le sexe des coccinelles ayant laissé leur odeur dans la boîte. La perspective de ce résultat permettrait d’envisager un jour de traiter les jardins et les cultures avec des odeurs de prédateurs.

 

Des techniques agricoles innovantes comme la permaculture visent également à cultiver autrement, sans produits de synthèse et sans utilisation de carburants fossiles (Guégan & Leger, 2015). Le concept de permaculture, développé dans les années 1970 par les australiens Mollisson et Holmgren, est issu de l’écologie scientifique et s’applique de façon concrète sur le terrain. Ses méthodes consistent à aménager et à piloter les écosystèmes dans une vision globale du site, de son fonctionnement et de sa dynamique, et ce en accord avec des aspirations sociales, écologiques et économiques. Des outils tels que ceux de la permaculture pourraient être adaptés aux jardins ou espaces verts urbains, afin d’élargir encore le champ des possibles pour jardiner sans pesticides.

 

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1 Plan français Ecophyto II, loi Labbé du 06 février 2014 et article 68 de la loi de transition énergétique.

2 Avec une exception pour certains espaces à contraintes particulières comme les installations électriques.

Action n°6 : Je reste sur les « sentiers battus »

Que se passe-t-il pour une plante lorsqu’elle se fait marcher dessus ? La question peut sembler triviale, et pourtant elle fait l’objet de recherches scientifiques. Car dans les milieux les plus fragiles, notamment en montagne, toute activité humaine influence les écosystèmes. D’après une analyse qualitative de la littérature scientifique consacrée à l’impact du piétinement sur la végétation montagnarde (Martin & Butler 2017), les plantes les moins résistantes sont les arbustes qui, par leur taille, se retrouvent facilement sous les semelles des promeneurs mais dont la croissance est moins rapide que celle des herbes graminées (Yorks et al. 1997; Hill & Pickering 2009 dans Martin & Butler 2017). En marchant sur les plantes, les randonneurs les cassent, les écrasent et parfois les déracinent. Si certaines repoussent, d’autres meurent. Les plantes piétinées sont, en moyenne, moins hautes, et possèdent des feuilles moins grandes. Leur activité de photosynthèse est fragilisée et, par voie de conséquence, leur production de réserves nutritives également (Pickering & Growcock 2009 dans Martin & Butler 2017). En outre, elles produisent moins de graines, ce qui nuit à leur reproduction et donc, potentiellement, à la survie de leur espèce (Rossi et al. 2006, 2009 dans Martin & Butler 2017).

 

“La compaction du sol conduit au ruissellement des eaux à la surface, participant à l’érosion”

 

Si un piétinement modéré peut favoriser certaines plantes en éliminant celles avec lesquelles elles étaient en compétition, en revanche, le nombre total d’espèces observées – appelé richesse spécifique – diminue (Cole 2004). Le piétinement compacte également le sol dont la porosité se trouve réduite. En effet, le sol est à la fois composé de matière, mais aussi de vides appelés « pores », par lesquels l’eau de pluie s’infiltre. La compaction du sol conduit donc au ruissellement des eaux à la surface du sol qui emportent avec elles des particules de sol, participant ainsi à l’érosion. Ce phénomène est accéléré, en milieu montagnard, par la pente (Martin & Butler 2017). Des sols plus compacts sont aussi moins favorables à la germination et à la croissance de certaines plantes, puisque leurs racines peinent à circuler pour trouver des nutriments (Alessa & Earnhart 2000 dans Cole 2004). Par contre, ils en favorisent d’autres comme le rumex, la renoncule rampante, le pissenlit ou le chardon des champs (Ducerf 2013).

 

“La prévalence des maladies atteignant les coraux de Koh Tao est trois fois plus élevée dans les récifs régulièrement explorés par les touristes”

 

Dans l’eau aussi, les voyageurs causent des dégâts en s’éloignant des sentiers sous-marins ou en fréquentant des écosystèmes fragiles sans contrôle. La plongée sous-marine ainsi que le snorkeling ou randonnée palmée peuvent nuire aux récifs coralliens. Si les effets directement destructeurs de ces activités sont largement documentés par les scientifiques au moins depuis les années 1980, des travaux plus récents s’intéressent à des impacts indirects et moins évidents. Ainsi, des chercheurs australiens (Lamb et al. 2014) ont montré que la prévalence des maladies atteignant les coraux de l’île thaïlandaise de Koh Tao était trois fois plus élevée dans les récifs régulièrement explorés par les touristes que dans les récifs moins exposés. Et ce, en particulier pour une affection appelée SEB (skeletal eroding band), à laquelle les coraux abîmés sont plus vulnérables lorsqu’ils se trouvent dans des zones où la fréquentation est forte. Pour les auteurs, cela indique l’existence de facteurs de stress additionnels, causés par la randonnée palmée et la plongée, qui facilitent la progression de cette maladie. Limiter le nombre de visiteurs autorisés dans les espaces les plus sensibles s’avère donc parfois nécessaire. Pour préserver la biodiversité, tout particulièrement dans les aires protégées, mieux vaut rester sur les « sentiers battus », qu’ils soient terrestres ou marins.

Action n°5 : Je participe à un suivi de la biodiversité

« Je compte les papillons. C’est un peu comme une chasse au trophée, alors moins j’utilise d’insecticides, plus j’ai de chances d’en voir ». Ce témoignage provient d’une enseignante francilienne impliquée dans l’Opération papillons, un programme de sciences participatives lancé en 2006 par le Muséum national d’Histoire naturelle et l’association Noé dans le cadre de Vigie-Nature et qui a déjà rassemblé plus de 10 000 bénévoles. De tels programmes servent aux chercheurs en écologie à analyser un grand nombre de données recueillies selon des protocoles standards, et donnent lieu à des travaux scientifiques. Par exemple, l’Opération papillons a permis d’étudier les effets de l’urbanisation, de l’utilisation de pesticides dans les jardins privés et de l’aménagement du paysage sur les populations de lépidoptères (Muratet & Fontaine 2015). Mais leur point fort réside ailleurs : mieux connaître la biodiversité pourrait conduire à la protéger davantage.

 

“Un cercle vertueux : Plus les observateurs identifient les papillons, plus ils y font attention, et mieux ils les reconnaissent”

 

Selon une étude du Muséum national d’Histoire naturelle (Cosquer et al. 2012), 85 % des observateurs de papillons interrogés disent avoir appliqué des pratiques de jardinage bénéfiques aux lépidoptères, comme la plantation d’espèces de fleurs nourricières, la réduction du recours aux pesticides et de la fréquence de la tonte, ou encore la création de friches. Si les citoyens impliqués dans les suivis préservent les organismes qu’ils répertorient, cela a pour effet collatéral de biaiser les données. Cependant, ce biais peut-être pris en compte afin de garantir la rigueur scientifique. Si la plupart des contributeurs n’avaient aucune connaissance des papillons avant de commencer à les compter, leur participation à l’Opération leur a permis d’en acquérir et de devenir plus attentifs à leur environnement. Ils ont également pris conscience de l’appartenance de ces insectes à tout un écosystème, riche et dynamique. En outre, plus les observateurs sont capables d’identifier les papillons, plus ils y font attention, et plus ils parviennent à les reconnaître : un véritable cercle vertueux.

 

Comment tester si la contribution aux sciences participatives améliore les capacités d’observation ? Cette question a fait l’objet d’un article dans la revue Plos One (Kelling et al. 2015). eBird est un programme de suivi des oiseaux à l’échelle mondiale créé par le Cornell lab of ornithology aux États-Unis, dans lequel les observateurs remplissent et soumettent à une base de données en ligne la liste des oiseaux qu’ils ont repérés et identifiés en un temps et un lieu donnés. Or, à mesure du temps passé à observer les oiseaux sur un lieu, le nombre d’espèces listées par chaque participant augmente, jusqu’à un maximum qui correspond à la totalité des espèces présentes autour de lui. Mais la vitesse de cette accumulation varie, indiquant les compétences de chacun. Conformément à l’hypothèse des chercheurs, les différences entre les participants sont plus fortes dans le cas des oiseaux les plus discrets. Ils ont ainsi mis en évidence qu’une participation accrue à eBird augmentait cette vitesse, et donc les capacités d’observation.

 

Opération papillons, Observatoire des bourdons, Sauvages de ma rue… autant d’outils pour aider les scientifiques à suivre la biodiversité au cours du temps”

 

Opération papillons, mais aussi Opération escargots, Observatoire des bourdons, SPIPOLL (suivi photographique des insectes pollinisateurs), Sauvages de ma rue (plantes), Oiseaux des jardins et BioLitt (observatoire du littoral) constituent autant d’outils pour aider les scientifiques à comprendre et surtout à suivre la biodiversité au cours du temps, tout en transformant notre regard sur celle-ci. De nouveaux programmes de sciences participatives utilisent même des applications sur smartphone, à l’instar de BirdLab du MNHN et de NaturaList de la LPO. S’impliquer dans l’un d’entre eux est un excellent point d’entrée pour mieux comprendre et mieux aimer la biodiversité.

Action n°4 : Je refuse les plastiques, car le recyclage ne suffit pas

Souvent trop fins ou usés, 70 % des détritus plastiques ne sont pas recyclés (Commission européenne 2017). Une grande part finit alors dans les milieux aquatiques. Empruntant les cours d’eau, ou disséminés à partir de décharges littorales, ils rejoignent les océans et les déchets qui s’y trouvent déjà, tels que les filets de pêche. Des chercheurs ont simulé ce processus pour déterminer l’ampleur de cette contribution (Lebreton et al. 2017). Ainsi, ils estiment que les rivières drainent chaque année dans les océans entre 1,15 et 2,41 millions de tonnes de plastique. Les 20 rivières les plus polluantes constituent deux tiers de cette masse, la plupart d’entre elles se trouvant en Asie (Lebreton et al. 2017).

 

Dans le monde, la production globale de résines et de fibres plastiques est passée de 2 millions de tonnes en 1950 à 380 millions de tonnes en 2015. Sur cette période, 8,3 milliards de tonnes ont été produites au total, dont les trois quarts sont devenus des déchets (Geyer et al. 2017). Parmi les plastiques les plus couramment utilisés, aucun n’est biodégradable (Geyer et al. 2017). Les emballages en constituent une grande part, et leur recyclage reste à améliorer. Ainsi, on trouve des débris plastiques dans la totalité des principaux bassins océaniques.

 

“Dans les récifs envahis par les déchets plastiques, le risque de maladie des coraux est multiplié par 20.”

 

Certaines espèces, telles que les tortues marines, confondent ces déchets avec leurs proies. D’autres ingèrent des organismes eux-mêmes contaminés. Les récifs coralliens sont aussi particulièrement touchés par cette pollution plastique. D’après une équipe internationale dont les résultats sont parus cette année, le plastique favorise la colonisation des récifs par des microbes pathogènes (Lamb et al. 2018). L’étude, qui porte sur 159 récifs d’Asie et du Pacifique, montre que dans les récifs envahis par les déchets plastiques, le risque de maladie des coraux est multiplié par 20, accentuant ainsi la dégradation de cet habitat complexe qui héberge de nombreuses espèces de poissons (Lamb et al. 2018).

 

Rejetés à la mer, les grands débris de plastique sont soumis aux rayons UV, aux contraintes mécaniques des vagues et aux agressions biologiques qui progressivement les fragmentent en pièces de plus en plus petites (Cózar et al. 2014) : les « microplastiques » (moins de cinq millimètres), puis les « nanoplastiques » de moins d’un micron (millième de millimètre). Ces minuscules débris, formés d’une variété de composés1 et additifs2, agrègent des microorganismes et diverses molécules dont les polluants organiques persistants comme les PCB et certains pesticides. Ils sont facilement ingérés par les animaux marins, affaiblissant leur croissance et leur reproduction (Galloway et al. 2017). Des résultats expérimentaux récemment obtenus par des chercheurs américains (Allen et al. 2017) suggèrent qu’une espèce de corail filtre préférentiellement les particules de plastique non recouvertes d’un film microbien, les auteurs invoquant un effet « phagostimulant » (qui stimule l’alimentation).

 

“Les microplastiques sont facilement ingérés par les animaux marins, affaiblissant leur croissance et leur reproduction”

 

Les formes de vie microscopiques des océans réagissent également à la présence de ces déchets. L’expédition Tara Méditerranée, coordonnée par l’Observatoire océanologique de Villefranche-sur-mer (UPMC-CNRS), a recueilli un grand nombre d’échantillons marins. Dans une étude qui vient de paraître, des chercheurs de l’Observatoire océanologique de Banyuls (UPMC-CNRS) et leurs collègues ont montré, à partir de ces échantillons, que les débris plastiques en mer Méditerranée abritaient des communautés de bactéries différentes de celles qui vivent librement dans l’eau ou accrochées à des particules organiques (Dussud et al. 2018). Ces communautés forment un ensemble appelé « plastisphère ». Certaines bactéries ne peuvent vivre que sur des déchets plastiques et exploitent spécifiquement ce nouvel habitat (Dussud et al. 2018). De tels travaux sont essentiels pour mieux comprendre la façon dont les communautés microbiennes réagissent au plastique en milieu marin.

 

Les microplastiques

© Alexandra TER HALLE / IMRCP / CNRS Photothèque

“Microplastique, colonisé par une communauté bactérienne appelée biofilm, observé en microscopie électronique à balayage. L’image est colorisée. Le biofilm qui se développe sur le plastique est visible en couleurs. Les plus gros objets sont des diatomées. Ce débris de plastique a été collecté dans le gyre océanique de l’Atlantique nord, zone où s’accumulent les déchets plastiques flottants, en mai 2014 lors des expéditions 7e Continent. Le biofilm est une communauté bactérienne qui se développe sur les microplastiques flottant en mer, il a été baptisé “plastisphère”.”

 

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1 polyéthylènes (PE), polypropylènes (PP), chlorures de polyvinyle (PVC), polystyrènes (PS, dont expansé, EPS), polyuréthanes (PUR) et polytéréphtalates d’éthylène (PET). Au-delà de leur « durée d’utilité » variable selon l’usage – de relativement brève pour le packaging (PE, PP) à longue pour le bâtiment (PVC) –, ces matériaux deviennent des déchets à « longue durée de vie » omniprésents dans l’environnement en l’absence de recyclage.

2 tels que le bisphénol A, le nonylphénol et les phtalates.

Action n°3 : Je cultive des plantes favorables à la biodiversité

En près de trois décennies, les populations d’insectes volants ont chuté d’environ 80 % en Allemagne. Cette situation probablement très similaire à celle de notre pays a été dévoilée par une étude internationale en 2017 (Hallmann et al. 2017). Si l’agriculture est principalement mise en cause à travers l’usage de pesticides et d’engrais de synthèse, la destruction et la dégradation des habitats de façon plus large figurent en bonne place parmi les facteurs impliqués dans les pertes de biodiversité tant au niveau mondial qu’européen (IPBES 2018). Selon une étude fondée sur des données de sciences participatives (observatoire des papillons des jardins du Muséum national d’Histoire naturelle), l’urbanisation diminue fortement le nombre d’espèces et l’abondance des papillons (Fontaine et al. 2016). Mais à l’échelle locale, nos jardins et balcons pourraient changer la donne.

 

En effet, les plantes nectarifères et pollinifères produisent respectivement du nectar et du pollen. Aussi dites “mellifères” – car les abeilles domestiques peuvent transformer leur nectar en miel – elles favorisent également d’autres pollinisateurs comme les papillons. Les auteurs de cette étude (Fontaine et al. 2016) ont montré que les espèces de papillons les plus affectées par l’urbanisation étaient aussi les plus sensibles aux pratiques de jardinage. Planter des végétaux riches en nectar peut donc aider ces espèces vulnérables en contrebalançant en partie les effets délétères de l’urbanisation. Centaurées, lavande, ronces, framboisier, valériane, trèfles, lierre et plantes aromatiques forment alors des oasis pour les papillons dans un paysage globalement défavorable. D’autres plantes peuvent même être absolument indispensables lorsque l’espèce de papillons leur est inféodée, comme l’ortie, essentielle à des papillons tels que la petite tortue (Aglais urticae), le vulcain (Vanessa atalanta) ou, dans une moindre mesure, le Robert-le-Diable (Polygonia c-album). En revanche, le buddleia, une espèce exotique envahissante, attire les papillons mais ne leur offre pas autant de ressources alimentaires que les plantes citées précédemment.

 

“Les fleurs discrètes du lierre regorgent de nectar et de pollen avant l’hiver.”

 

Si de nombreuses plantes nectarifères et pollinifères exhibent des fleurs colorées ou parfumées telles que les chèvrefeuilles, la lavande, les bleuets et les digitales, d’autres essences parfois décriées recèlent de surprenants bienfaits. Ainsi, le lierre, une plante à la mauvaise réputation, fleurit en automne. Ses fleurs discrètes regorgent de nectar et de pollen avant l’hiver. Deux chercheurs britanniques se sont penchés sur le sujet en 2013 (Garbuzov & Ratnieks 2013). Outre les abeilles domestiques, dont près de 90 % du pollen collecté provenait du lierre, cette plante nourrit aussi une grande diversité de pollinisateurs sauvages. Parmi eux figurent des bourdons, des guêpes, des papillons et surtout des syrphes, ces mouches parfois confondues avec les guêpes dont elles imitent la forme et les bandes noires et brunes. En outre, les oiseaux affectionnent particulièrement les baies du lierre.

 

D’autres chercheurs britanniques ont mis en évidence la préférence des bourdons pour des espèces végétales méconnues du public, à l’instar de la ballote, ou peu appréciées par les jardiniers, à l’image du lamier blanc – souvent pris à tort pour une ortie et pourtant non urticant (Carvell et al. 2006). D’après leur inventaire, trois quarts des plantes fréquentées par ces insectes sont en déclin au niveau local, notamment les espèces les plus importantes comme le trèfle des prés (Carvell et al. 2006). Si les prairies non semées – qui se régénèrent naturellement – offrent parfois aux bourdons des ressources plus abondantes, celles qui sont entretenues selon un standard environnemental contiennent des plantes qui fleurissent plus tôt dans l’année, essentielles aux reines qui partent fonder leur nid (Lye et al. 2009). Chacun pourrait donc, dans son jardin, agir pour les pollinisateurs en favorisant deux types d’espaces complémentaires : des zones où l’on sème des plantes qui leur sont utiles, et d’autres laissées libres d’évoluer (friches).

 

“Jardins et balcons forment un corridor écologique pour les graines, oiseaux, arthropodes et petits mammifères.”

 

En plus des ressources alimentaires qu’elles offrent aux pollinisateurs, les plantes peuvent entrer dans un fonctionnement écologique à l’échelle des paysages. Les parcs urbains constituent par exemple des ensembles d’habitats dans lesquels des espèces animales et végétales vivent. Les jardins et balcons, adjacents ou proches les uns des autres, peuvent aussi former un «  corridor » permettant aux graines, oiseaux, arthropodes et petits mammifères de passer d’un ensemble d’habitats à un autre. Le tout forme un réseau connecté, parfois indispensable au bon équilibre écologique de ces milieux fragmentés par les activités humaines. En étudiant les araignées et les coléoptères dans quatre villes franciliennes (Vergnes et al. 2012), des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle ont montré, en particulier pour l’une des familles de coléoptères étudiées, que le nombre d’espèces et l’abondance étaient moins élevés dans les jardins isolés que dans ceux connectés à un corridor. Ils ont ainsi mis en évidence le rôle des corridors écologiques pour maintenir la biodiversité « ordinaire » dans des paysages très fragmentés.

 

À l’heure où plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes, où les campagnes s’uniformisent du fait de l’intensification agricole et où la biodiversité s’effondre, nos espaces verts, jardins, balcons ou terrains privés pourraient devenir des « oasis » de biodiversité (dont l’association Humanité et Biodiversité s’est fait le porte-parole avec les Oasis Nature, rejoignant ainsi l’initiative des Refuges LPO initiée en 1921) qui permettraient à celle-ci de s’adapter, au moins pour partie, aux pressions anthropiques croissantes.

 

Valérianes (en haut à gauche), centaurées comme le bleuet (en haut au centre), lavandes (en bas à gauche), fleurs de lierre (en bas au centre) et ballote (à droite) attirent les papillons, les abeilles, les bourdons, les syrphes, etc. Avec une diversité de plantes sur les balcons et dans les jardins, chaque pollinisateur y trouve son compte.

Action n°2 : J’évite les crèmes solaires néfastes pour la vie marine

Depuis près d’une quinzaine d’années, l’impact des crèmes solaires sur les coraux est dans le viseur des chercheurs. La première étude d’envergure remonte à 2008 (Danovaro et al. 2008). Les scientifiques se sont notamment penchés sur les zooxanthelles, qui vivent en symbiose avec les coraux. Ces petites algues ont pour particularité de tirer leur énergie des rayons du soleil par photosynthèse, et d’apporter aux coraux des nutriments essentiels. Si les algues meurent ou quittent la colonie de corail, cette dernière blanchit et succombe. L’étude, réalisée en laboratoire et in-situ dans différentes mers du monde, conclut que quels que soient le lieu et la concentration testée de crème solaire, cette dernière a systématiquement abouti à un rejet par les coraux de mucus contenant des zooxanthelles, rejet suivi d’un blanchissement complet dans les 96 heures (Danovaro et al. 2008). Un phénomène d’autant plus rapide que la température du milieu était élevée.

 

“Les larves de coraux exposées à l’oxybenzone s’ossifient de façon anormale et s’enferment dans leur propre squelette.”

 

En testant séparément différents composants présents dans les crèmes solaires, les auteurs ont montré que certains d’entre eux, des filtres organiques à UV comme le butylparaben et l’oxybenzone, se révélaient particulièrement néfastes, sans toutefois en expliquer le mécanisme précis. Or, selon une étude de Downs et al. (2016), à la lumière, l’oxybenzone détruit directement les zooxanthelles tandis qu’à l’obscurité, les coraux se mettent à les digérer. En outre, lorsque les larves de coraux sont exposées à cette substance, elles s’ossifient de façon anormale et s’enferment alors dans leur propre squelette. De plus, l’oxybenzone induit des lésions dans leur ADN. Les filtres minéraux (oxydes de zinc ou de titane) sous forme de nanoparticules seraient eux aussi toxiques pour la vie aquatique, car ils produisent des molécules appelées ROS (reactive oxygen species) qui détruisent les cellules (Lewicka et al. 2013 dans Wood 2018). Des études sont en cours pour évaluer leur effet sur les récifs coralliens (Tagliati et al. non publié, dans Wood 2018).

 

Il reste à savoir si les concentrations de crème solaire dans l’eau autour des récifs, probablement plus faibles que celles testées par les chercheurs en 2008, sont suffisantes pour entraîner de tels effets. Des études sont en cours. Cependant, certains blanchissements dans le monde semblent déjà ne pouvoir être expliqués que par la fréquentation des récifs par des touristes (Wood 2018). De prochaines études devraient aussi s’intéresser aux effets de ces produits à l’échelle de récifs coralliens entiers, voire d’écosystèmes, et non seulement aux effets distincts de chaque molécule, mais plutôt à leur « effet cocktail » lorsqu’elles agissent en mélange, comme c’est le cas en milieu naturel. Ces recherches seront cruciales : elles devront permettre de caractériser le risque de diminution de la résilience des coraux spécifiquement dû à ce stress écotoxicologique, sachant que les récifs sont déjà affaiblis par le réchauffement, l’acidification, ou encore par les ravages causés par l’étoile de mer Acanthaster, un redoutable « brouteur » de corail.

 

“Les récifs sont déjà affaiblis par le réchauffement, l’acidification, ou encore par les ravages causés par l’étoile de mer Acanthaster.”

 

Les filtres minéraux, lorsqu’ils ne sont pas formulés en nanoparticules, pourraient constituer une option plus favorable aux récifs – ce qui reste à confirmer par la science. Aujourd’hui, des crèmes solaires sont ainsi déclarées spécifiquement sans composants nuisibles aux coraux. Si aucun label n’existe encore pour certifier ces allégations, celles-ci marquent une volonté de certains industriels de prendre en compte l’impact de leurs produits sur la biodiversité. Cette démarche est à saluer.

 

© Lauric Thiault

Les récifs coralliens n’occupent que 0,1 % de la surface des océans, et représentent pourtant 30 % de la biodiversité marine mondiale. Les filtres contenus dans les crèmes solaires peuvent causer le blanchissement des coraux. Cependant, ce sont bien les changements globaux, avec la hausse des températures des océans, qui menacent le plus les récifs sur notre planète.

Action n°1 : Je mange bio

En France, près des ¾ de la population consomment des aliments bio au moins une fois par mois (Agence Bio / CSA 2018). Si la motivation principale des acheteurs de produits bio est de “préserver leur santé” (69 % des répondants), la seconde est de “préserver l’environnement” (61 %). Mais l’agriculture biologique répond-elle à ces objectifs ? En 2014, une équipe de recherche (Tuck et al. 2014) a analysé près d’une centaine d’études publiées au cours des trois dernières décennies en comparant des systèmes d’agriculture biologique avec des systèmes agricoles conventionnels. En moyenne, le nombre d’espèces présentes dans le milieu, appelé richesse spécifique, est d’un tiers supérieur en bio par rapport à l’agriculture conventionnelle (Tuck et al. 2014). Il faut toutefois considérer ce résultat avec précaution, du fait de données hétérogènes. En effet, si le nombre d’espèces est toujours plus élevé en bio qu’en agriculture conventionnelle, il varie en fonction du type de cultures. Ainsi, la différence entre bio et conventionnel est plus élevée dans un champ de céréales – où les pesticides sont très fréquents – que dans un verger (Tuck et al. 2014).

 

Selon cette étude, les plantes présentes dans l’environnement  bénéficient davantage de l’agriculture biologique que les oiseaux, les arthropodes et les micro-organismes (Tuck et al. 2014), peut-être  en raison d’un usage plus massif d’herbicides dans les cultures conventionnelles. Cependant, d’autres éléments de biodiversité seraient probablement favorisés par l’agriculture biologique, en particulier les oiseaux, dont les pesticides diminuent les ressources alimentaires. De façon plus globale, sur les 38 études consacrées à l’impact de la réduction des engrais, herbicides et autres pesticides dans plusieurs pays européens répertoriées par des chercheurs, 34 ont montré un effet positif sur certains invertébrés, plantes et oiseaux (Dicks et al. 2018).

 

Si les pratiques de l’agriculture bio s’illustrent par l’interdiction ou la limitation stricte de l’usage d’engrais synthétiques et de pesticides, elles présentent aussi d’autres avantages pour la biodiversité. Les rotations de cultures permettent par exemple de contrôler les ravageurs, tandis que l’usage de compost, d’engrais animal ou végétal enrichit les sols.

 

“Il serait possible de nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains en 2050 avec 100 % d’agriculture biologique, à condition de réduire le gaspillage alimentaire et de limiter la consommation de produits d’origine animale.”

 

Consommer bio permet donc bien d’agir en faveur de la biodiversité. Mais ce type de consommation pourrait-il se généraliser ? En effet, d’après ses détracteurs, l’agriculture biologique présenterait des rendements insuffisants pour subvenir aux besoins d’une planète à la démographie galopante (Connor 2008). Une idée répandue que réfute une étude publiée en novembre dernier par la revue Nature Communications (Muller et al. 2017). D’après les chercheurs, il serait possible de nourrir plus de 9 milliards d’êtres humains en 2050 avec 100 % d’agriculture biologique, à condition de réduire le gaspillage alimentaire et de limiter la consommation de produits d’origine animale. Par ailleurs, les travaux de Vincent Bretagnolle et son équipe sur la zone atelier « Plaine et Val de Sèvre » depuis 1994 démontrent que réduire les apports d’herbicides et d’engrais azotés de 30 à 50 % peut être effectué sans réduction des rendements (Gaba et al. 2016). De même, d’autres chercheurs ont estimé qu’il était possible, dans près de deux tiers des 946 fermes françaises étudiées, de réduire la quantité de pesticides de 42 % sans aucun effet négatif sur la productivité ni sur la rentabilité économique (Lechenet et al. 2017).

 

Il serait donc possible, en termes de rendement, de se tourner vers le bio. Outre le bénéfice pour la biodiversité, c’est aussi notre santé, voire même nos capacités mentales, que nous protégerions. Le quotient intellectuel (QI) de certaines populations humaines aurait baissé de deux points par décennie, d’après des études danoises et norvégiennes, dont une toute récente (Bratsberg & Rogeberg 2018). Or, une cause plausible d’une telle diminution réside dans l’interférence de certains polluants environnementaux – notamment des pesticides contenus dans les aliments – avec l’action des hormones thyroïdiennes (Bellanger et al. 2015). Ces dernières jouent un rôle crucial dans la myélinisation des nerfs, processus qui accélère la transmission entre les neurones. C’est pourquoi l’exposition à ces substances allonge probablement notre temps de réaction face aux situations. Selon Barbara Demeneix, professeure au Muséum national d’Histoire naturelle, interrogée par France Culture, manger bio constituerait une bonne solution en attendant d’adopter des mesures législatives contre ces polluants. En outre, manger bio préserverait notre système cardio-vasculaire. La proportion de personnes souffrant d’un syndrome métabolique – un ensemble de troubles, dont l’hypertension artérielle, qui augmentent les risques cardio-vasculaires et de diabète de type II – est d’environ 12 % chez ceux qui se nourrissent le plus fréquemment d’aliments bio, contre plus de 20 % chez ceux qui n’en consomment que très peu (Baudry et al. 2017).

 

En France, à la suite des États généraux de l’alimentation, le gouvernement a annoncé l’attribution d’une enveloppe de 1,1 milliard d’euros sur cinq ans pour financer le programme Ambition bio 2022. Objectif : atteindre 15 % de surface agricole utile cultivée en bio et 20 % de produits labellisés bio en restauration collective publique (ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation 2018). Des mesures nécessaires pour préserver notre environnement et notre santé.

 

 Les labels Bio


Derrière chaque label se cache un cahier des charges. AB France et Agriculture biologique européenne ont les mêmes exigences, interdisant l’utilisation des pesticides de synthèse. Ils fixent aussi un pourcentage maximum de 0,9 % d’OGM, et les produits transformés doivent contenir au moins 95 % d’ingrédients certifiés bio. D’autres labels, bio ou écologiques (“écolabels”), vont plus loin, en imposant par exemple une provenance nationale, des pratiques spécifiques favorisant la biodiversité, la fertilité des sols et le bien-être animal ou encore des revenus équitables pour les producteurs. Entre deux produits bio, préférons les denrées locales et de saison.

L’huître creuse du Pacifique : de l’assiette à la recherche contre le cancer

Malgré leurs capacités remarquables, les ostréiculteurs français font face, depuis le début du 20e siècle, à d’importantes vagues de mortalité chez les huîtres. Le responsable ? Un virus (ostreid herpes virus 1 OsHV-1) particulièrement virulent évoluant dans l’eau de mer. Pour pallier à ce problème, il a été décidé d’importer dans les années 1970 des huîtres creuses du Pacifique (Crassostrea gigas) : une espèce particulièrement robuste vivant dans l’estran, la zone du littoral agitée par les marées.

Si cette nouvelle espèce s’est révélée plus résistante au virus sous l’eau, la mortalité dans les élevages ostréicoles est restée élevée… alors que faire ?

 

Un poste est ouvert à l’Ifremer, dans les années 2000, pour mener des recherches et tenter de mieux comprendre à la fois le fonctionnement du virus et les stratégies de défenses mises en place par l’huître. C’est ainsi que la scientifique Charlotte Corporeau, après une thèse en embryologie humaine et 8 années de recherche en biologie médicale, a commencé à s’intéresser à Crassostrea gigas. Rapidement, elle découvre que l’animal survit dans ce milieu difficile notamment en activant et désactivant un mécanisme alternatif de croissance cellulaire qui permet au mollusque de poursuivre son développement aussi bien à marée haute qu’à marée basse. La découverte est double puisque ce même mécanisme est détourné par le virus meurtrier pour son propre développement !

 

L’”effet Warburg”, c’est ainsi qu’il se nomme, se met en place dans les cellules en situation de stress et leur permet de continuer à se multiplier lorsque les conditions du milieu ne sont plus favorables. Elles n’utilisent alors plus uniquement la respiration pour se diviser, mais également la fermentation, qui nécessite beaucoup plus de glucose, mais moins d’oxygène. Cet effet est par ailleurs bien connu en médecine humaine, puisqu’il s’avère être l’une des huit caractéristiques des cellules cancéreuses. À la différence de l’huître, l’Homme est incapable de désactiver le processus, ce qui entraine la prolifération des cellules “défectueuses”.

 

Ainsi, l’huître creuse du Pacifique, importée pour la consommation, est aujourd’hui devenue une piste de recherche dans le traitement du cancer ! Comprendre comment l’animal active et désactive l’effet Warburg et quels rôles jouent les facteurs physiques comme la température sont les deux questions auxquelles va désormais tenter de répondre Charlotte Corporeau, grâce au soutien de l’Ifremer et la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer.

#ScienceDurable – De l’importance de la nature en ville pour notre santé mentale

Le monde qui nous entoure influence notre bien-être et notre santé mentale. D’après plusieurs travaux de recherche, les adultes exposés aux espaces verts sont moins sujets aux maladies mentales telles que la dépression, l’anxiété ou le stress. Les espaces verts pourraient devenir de véritables outils thérapeutiques face aux troubles mentaux (TDAH, dépression, troubles du comportement et troubles anxieux).
Face à ce constat, comment penser la ville de demain ?

 

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Mieux connaître la biodiversité européenne pour mieux la protéger : l’exemple des récifs coralligènes méditerranéens

À l’instar des récifs coralliens des pays tropicaux, les récifs coralligènes, dénommés ainsi pour le corail rouge qu’ils abritent, ont tout pour devenir un emblème pour les pays côtiers Méditerranéens. En effet, la riche et belle biodiversité qu’ils abritent présente un intérêt de conservation en soi, mais aussi des avantages pour la pêche et le tourisme. Les connaissances sur ces écosystèmes sont longtemps restées par­cellaires, mais se développent aujourd’hui, soulignant la beauté et la vulnérabilité de ces habitats.

 

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La régulation de la pêche européenne a-t-elle sauvé le thon rouge ?

De nombreux stocks de poissons des mers et océans du globe ont longtemps été – et sont encore – surexploités, notamment en Méditerranée. Cette surexploita­tion représente un gaspillage des ressources naturelles et aussi une menace pour la biodiversité. Cependant, des travaux de recherche montrent qu’une partie des espèces pêchées vont mieux, grâce aux mesures de régulation de la pêche. C’est le cas pour les thons rouges de Méditerranée et de l’Atlantique Est. Ces bons ré­sultats ont d’ailleurs incité la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) a autoriser l’augmentation des quotas de pêche pour cette espèce . La question posée est alors : « le thon rouge peut-il supporter cette augmentation des quotas » ?

 

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L’exploitation des ressources halieutiques : pressions sur les écosystèmes marins, état des pêcheries, impacts sur la biodiversité et aménagement de ses usages

En 2015, l’offre de poissons, mollusques et crustacés (collectivement appelés « poisson ») a atteint le chiffre record de 20,3 kg par personne en moyenne. Le poisson demeure l’un des produits alimentaires de base les plus échangés au monde avec comme premier importateur l’Union européenne, devant les Etats-Unis, la Chine et le Japon.

 

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Des aires marines protégées en haute mer : l’Europe pionnière

La mise en place d’aires marines protégées est l’une des mesures phares de conservation de la biodiversité marine. Il s’agit principalement de définir un espace au sein duquel les activités humaines pourront être restreintes et la lutte contre la pollution renforcée, dans l’objectif de protéger un écosystème particulièrement remarquable ou sensible.

 

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Un trésor au fond du jardin… Les mares, “points chauds” de la biodiversité

Alors que le monde change en termes de climat, de paysages, d’usage de l’eau et de politiques environnementales, les mares sont des « points chauds » de biodiversité. Elles abritent en effet une grande diversité d’espèces et de caractéristiques, ou « traits », biologiques (cycle de vie, physiologie, morphologie, comportement, préférences, etc.). En outre, elles jouent un rôle essentiel dans la fourniture de services écosystémiques.

 

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De la pollution aux obstacles sur les cours d’eau : comment lever les barrages à la biodiversité ?

Des ruisseaux le long des jardins aux fleuves qui traversent les villes, les cours d’eau façonnent nos paysages et forment des habitats essentiels pour la biodiversité aquatique. Les milieux humides et les services qu’ils rendent ont fait l’objet d’une évaluation à l’échelle française (Efese) qui paraîtra au cours du premier trimestre 2018.

 

Jérémy Devaux, chargé de mission « Eau et milieux aquatiques » au ministère de la Transition écologique et solidaire a coordonné cette évaluation nationale et nous en présente ici, en avant-première, quelques éléments.

 

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#ScienceDurable – Plaidoyer pour les forêts mélangées

La déforestation massive est une réalité sur l’ensemble des continents. Longtemps cantonnée aux forêts tropicales humides du bassin de l’Amazone et de l’Asie du Sud Est, elle concerne maintenant le bassin du Congo et même l’Europe, où la taïga russe est touchée. Dans son rapport de 2015 sur l’état de la ressource forestière dans le monde, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que 3,3 millions d’hectares de forêts sont perdus chaque année, soit 6 hectares ou encore 9 terrains de football chaque minute. Les sources non gouvernementales sont encore plus pessimistes, évaluant la perte de surface forestière à 30 millions d’hectares en 2016.

 

 

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Les zones humides : des réservoirs de biodiversité à préserver

Dans le monde, 64 % des zones humides ont disparu depuis le début du XXe siècle. Si les grands projets d’infrastructures et d’urbanisation ainsi que l’intensification de l’agriculture ont conduit à l’assèchement de ces zones, nos sociétés prennent aujourd’hui un peu plus conscience de la nécessité de les préserver. Ainsi, 74 % des Français se sont montrés favorables à l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, situé sur une zone humide. A l’occasion de la journée mondiale des zones humides et en lien avec le prochain rapport de l’Ipbes sur l’état de la biodiversité en Europe, Pierre Caessteker, chargé de mission à l’Agence française pour la biodiversité (AFB), revient sur les effets bénéfiques de ces écosystèmes, essentiels au cycle de l’eau et à la biodiversité.

 

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Des chimpanzés pharmaciens

Au cœur des forêts congolaises et ougandaises, les chimpanzés malades se livrent à un véritable travail de pharmacien ; ils sélectionnent avec minutie des plantes qu’ils utilisent, selon le contexte, pour nettoyer leurs plaies, réguler leur digestion ou encore soulager leurs maux. Un individu infesté par des parasites s’éloigne de façon inhabituelle de son groupe pour mastiquer de l’écorce d’Albizia, un arbre qui ne fait pourtant pas partie de son régime alimentaire habituel. Peu de temps après, il est guéri et ses selles ne présentent plus de trace du parasite.

 

Les chimpanzés ne se contenteraient pas de se soigner ; ils pourraient également prévenir les maladies. Il leur arrive ainsi de mastiquer les feuilles très amères de Trichilia rubescens, celles-ci n’ayant pourtant aucune valeur nutritive. Ces feuilles contiennent des molécules qui peuvent les protéger du paludisme. Comme les plantes médicinales peuvent s’avérer toxiques lorsqu’elles sont consommées en grande quantité, il faut donc que les chimpanzés dosent la quantité ingérée en fonction de leurs besoins, de leur condition physique et des propriétés de la plante. Dans plus d’un tiers des cas, les plantes qu’ils sélectionnent sont similaires à celles utilisées par les Hommes en médecine traditionnelle dans des contextes semblables.

 

Ces quelques exemples témoignent de la capacité des chimpanzés à choisir des plantes ou parties de plantes qui contribuent au maintien ou à l’amélioration de leur santé, et à éviter celles qui pourraient empirer leur état. Ces conclusions ont pu être formulées grâce à la mobilisation de plusieurs expertises. Les analyses vétérinaires des fèces couplées à des observations comportementales fournissent ainsi des indications précieuses sur l’état de santé des animaux. En mettant ces données en relation avec celles issues de la récolte et l’analyse botanique, biologique et chimique des plantes sélectionnées par les primates, l’équipe de recherche de Sabrina Krief a mis en évidence la capacité d’automédication chez les grands singes.

 

La consommation de plantes médicinales se vérifie même dans le cas de chimpanzés orphelins élevés par l’Homme et relâchés en milieu naturel, ce qui amène à s’interroger sur l’origine de cette capacité. L’apprentissage se fait-il par transmission de savoir entre générations ou individus d’un même groupe ? Résulte-t-il d’un phénomène de mimétisme ou d’un apprentissage individuel par essai-erreur ? Quelle est la part innée de cette capacité ? Pour tenter de répondre à ces questions, Sabrina Krief et son équipe ont mené des études comparatives chez plusieurs espèces de grands singes africains, en milieu naturel comme en captivité. Celles-ci confirment l’existence d’essai-erreur individuel mais également l’importance de la transmission sociale dans le choix des substances à activités biologiques chez les chimpanzés.

 

Cette faculté des chimpanzés à adapter leur alimentation en fonction de leur état de santé est une belle découverte en matière de comportement animal ; elle s’avère également être une source d’espoir en termes de santé humaine. A ce jour, les Hommes n’ont en effet exploré qu’environ 10% des plantes à la fois pour leurs propriétés chimiques et biologiques. L’observation des choix médicinaux des chimpanzés permet de découvrir plus rapidement des plantes aux principes actifs intéressants, qui pourraient servir à la création de nouveaux remèdes. Encore faut-il que ces mêmes hommes ne détruisent pas les forêts tropicales, trésors de biodiversité et habitat des chimpanzés, aujourd’hui menacés de disparition dans un futur proche !

Les coraux : de performantes machines à remonter le temps

Les coraux peuvent fournir des informations sur les variations de certains paramètres au cours du temps, tels que la température des eaux de surface, la salinité ou encore la présence de pollutions d’origine humaine. Comment de simples échantillons de coraux permettent-ils de recueillir autant d’informations ?

 

Les coraux massifs du genre Porites sp. sont les plus fréquemment utilisés en paléoclimatologie. Ces organismes, vivant à faible profondeur, sont particulièrement sensibles aux variations physico-chimiques de leur milieu. Leur squelette calcaire, qui peut atteindre plusieurs mètres de diamètre, incorpore tout au long de leur croissance des éléments chimiques contenus dans l’eau de mer environnante. La radiographie de ce squelette permet d’établir la chronologie de leur croissance. Celle-ci se matérialise, à la manière des cernes d‘un arbre, sous la forme d’une alternance saisonnière de bandes sombres et de bandes claires de périodicité annuelle. Ainsi, l’analyse des éléments chimiques suivant l’axe de croissance du corail apporte des informations sur les variations des paramètres environnementaux et des pollutions anthropiques au cours du temps.

 

Radiographie d’un squelette calcaire de Porites (© IRD-C.E. Lazareth)

 

L’originalité de l’utilisation des coraux par rapport à d’autres archives (carottes sédimentaires ou de glace, stalagmites, etc.) réside dans leur précision temporelle ; en effet, ils permettent d’obtenir des données à une résolution plus fine, à l’échelle mensuelle. Par ailleurs, les Porites forment des colonies très denses à durée de vie longue. Celles-ci permettent de reconstituer des séries temporelles des variations environnementales qui dépassent parfois les 100ans. Grâce à certains fossiles datant du Trias, il est même possible de retracer les conditions climatiques et chimiques des océans pour des périodes géologiques très anciennes. Cela permet de valider ou de réfuter les résultats des modèles servant à estimer les variations futures du climat.

 

Une raison de plus pour protéger ces témoins du passé !

Biodiversité et Agriculture : séparation ou réconciliation ? Une question centrale, des réponses contingentes

Le devenir de l’agriculture et de la biodiversité sont intimement liés. Les impacts de l’agriculture sur la biodiversité sont massifs : transformation des habitats, prélèvements de biomasse et d’eau (plus de 80 % des prélèvements dans ces deux cas), eutrophisation et écotoxicité, émissions de gaz à effet de serre.

Réciproquement, la biodiversité est indispensable à l’agriculture. Elle contribue au maintien de la diversité des ressources génétiques des espèces cultivées et élevées, elle est nécessaire au fonctionnement des agroécosystèmes, à la fertilité des sols et à la pollinisation. Elle offre par ailleurs des perspectives agronomiques majeures, en termes de maintien et d’amélioration du contrôle biologique des ravageurs, d’accroissement de la fertilité des sols, de contribution potentielle à la sécurité alimentaire, de réduction de la pauvreté dans le monde agricole et plus largement rural. En conséquence, si les enjeux liés à la conservation de la biodiversité n’apparaissent directement que dans l’ODD 15, on peut cependant retrouver leur présence indirecte dans près de la moitié des ODD, notamment ceux concernant l’agriculture (ODD 1, 2, 8, 10, 12 et 13).

 

Face à la diversité des enjeux qui lient agriculture et biodiversité, des réponses contrastées sont proposées. C’est notamment l’alternative entre séparation des espaces agricoles et des territoires dédiés à la biodiversité (land sparing en anglais) ou la réconciliation au sein des milieux ruraux des enjeux de production alimentaire et de conservation de la biodiversité (land sharing en anglais). Dans cet article, les auteurs reviennent brièvement sur ces deux options et examinent les points de controverse qui semblent représentatifs des enjeux de la transition écologique.

 

 

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Un remède qui fait mouche pour soigner la biodiversité

Finalement, c’est une petite abeille tout droit venue de Sumatra qui s’est avérée être le bon remède. Cibdela janthina, dite “la mouche bleue”, a suivi depuis 1997 toute une batterie de tests menés par le Cirad, avant d’être déclarée apte à soigner la biodiversité réunionnaise. Ce petit hyménoptère a la particularité de s’attaquer exclusivement au genre Rubus, dont fait partie la vigne marronne. Suite à son introduction sur l’île en 2007, les résultats ne se sont pas faits attendre ; 700 hectares autrefois colonisés ont aujourd’hui été rendus à la nature ! La vigne marronne ne prospère désormais plus qu’au-delà de 1 200 mètres d’altitude, dans les zones difficilement accessibles pour la mouche bleue.

 

La lutte biologique contre une population envahissante s’apparente au test d’un nouveau traitement. Elle doit être étudiée, adaptée, spécifique. Parfois c’est une réussite, comme ce fut le cas pour la vigne marronne avec la mouche bleue. Dans d’autres cas, le traitement agit de la manière voulue mais entraîne des effets secondaires désastreux.

 

Être en mesure de soigner la biodiversité sans jouer au savant fou est une des ambitions du projet Coreids, développé au Cesab et porté par le chercheur en écologie François Massol et Patrice David. Il analyse à la loupe le fonctionnement des écosystèmes ; quelles sont les différentes espèces qui contribuent à leur équilibre ? Comment interagissent-elles ? Quels pourraient être les effets d’un perturbateur comme ce fut le cas avec la vigne marronne ? Tous ces éléments permettront, à terme, de mieux comprendre et anticiper les menaces qui pèsent sur la biodiversité… pour mieux prévenir et moins guérir.

Au gré des vagues : le voyage de l’albatros hurleur à travers le monde

Si vous vous allongez sur un matelas de mousse, les pieds qui pendent depuis une falaise haute de 200 mètres, sous un ciel sub-antarctique gris et venteux, vous entendrez le piétinement de l’albatros hurleur (Diomedea exulans) alors qu’il se prépare à décoller pour son long voyage. Le vent s’engouffre dans ses ailes d’une envergure de 3 mètres de long et élève l’oiseau gigantesque dans les airs, le propulsant pour un nouveau voyage dans les vastes étendues de l’Océan Austral.

 

Son incroyable voyage dure plusieurs mois pendant lesquels il fait le tour du globe. Pour nous, l’océan austral est un endroit difficile d’accès, dangereux même, mais pour les albatros, les conditions de vent extrêmes sont une aubaine. Leurs corps profilés et leurs longues ailes étroites leur donnent la possibilité d’utiliser le vent comme nul autre oiseau, extrayant l’énergie des vagues pour se maintenir aéroportés. Ce mode de locomotion est si efficace que les oiseaux peuvent voyager pendant des milliers de kilomètres sans battre une seule fois des ailes !

 

Que se passe-t-il pendant ce long voyage ? Comment l’oiseau navigue-t-il autour du globe ? Où trouve-t-il sa nourriture ?

 

 

Grâce à un petit enregistreur de données parfois relié aux satellites et qui est porté par l’oiseau, ces questions trouvent progressivement leurs réponses. L’appareil fournit des emplacements très précis plusieurs fois par jour. A l’aide de ces données combinées avec celles issues d’autres albatros, de phoques et de manchots, les chercheurs du groupe d’analyse et de synthèse « RAATD » pourront identifier quelles zones de l’immense Océan Austral sont particulièrement importantes pour tous ces animaux et, ainsi, mieux guider la conception de nouvelles stratégies de gestion pour protéger l’oiseau, ses descendants, et son écosystème pour de nombreuses générations à venir.

 

Le rat taupe nu : l’habit ne fait (vraiment) pas le moine

En apparence, le rat taupe nu n’a rien pour plaire. Il n’est ni grand, à peine 33 cm de long, ni imposant, tout juste un petit kilo, ni beau avec sa peau fripée et ses dents saillantes. Par contre, sa physiologie est une énigme que les chercheurs tentent de décrypter depuis plusieurs années. En effet, non seulement il vit 10 fois plus longtemps que ses congénères murins, mais il reste fertile jusqu’à sa mort, résiste aussi aux polluants les plus agressifs et il ne développe jamais de maladies. Récemment, des scientifiques ont aussi démontré qu’il pouvait survivre près de 20 minutes sans oxygène.

 

L’ambition de la Fondation pour la recherche en physiologie, dont le siège est situé à Woluwe-Saint-Lambert en Belgique, est de créer le premier élevage de rat taupe nu au niveau mondial pour promouvoir les recherches sur les mécanismes de protection développés par cet animal.

En effet, cette petite souris nue qui vit dans les sous-sols de l’Afrique de l’est est un excellent modèle pour étudier les mécanismes du vieillissement, du cancer, des maladies cardiovasculaires ou neurodégératives et des maladies liées à l’âge pour à terme, lutter contre l’ensemble de ces pathologies chez l’Homme.

Ce petit animal est un bon exemple des extraordinaires services que la biodiversité peut rendre à l’humanité. Préserver le potentiel de découvertes scientifiques passe donc par la préservation de la biodiversité en milieu naturel.

Lire l’avenir dans le marc de Broméliacées

Et si la biodiversité nous permettait de lire notre avenir ? C’est le constat de l’équipe de Régis Ceregino, chercheur à l’université de Toulouse qui étudie à la loupe les broméliacées. Nombre de ces plantes à fleur contiennent de petits réservoirs d’eau de pluie qui abritent algues, bactéries, champignons, larves d’invertébrés et petites grenouilles. Véritables versions miniatures des lacs, les broméliacées ont, entre autres avantages, de répondre rapidement au changement. Alors qu’il faut des dizaines voire des centaines d’années à un grand lac pour réagir à une mutation, les broméliacées répondent, quant à elles, en quelques semaines.

 

Ainsi suffit-il de manipuler leur environnement pour simuler une déforestation ou le changement climatique. De leur réponse, les chercheurs tirent des règles écologiques. Lorsqu’ils simulent le changement climatique où les pluies se font rares, les broméliacées s’assèchent. Les premières espèces à être touchées sont les petits prédateurs qui vont alors relâcher la pression sur leurs proies. Les conséquences vont être nombreuses, y compris pour l’homme. Dans ces systèmes stagnants se trouvent des larves de moustiques qui, en l’absence de prédateur, risquent de pulluler, et potentiellement transmettre des virus. La morale de l’histoire ? La biodiversité est un ensemble d’espèces en interaction. L’élimination d’espèces dans un contexte de changement global peut avoir des conséquences en cascade et un coût (très) élevé pour la société.

Un drôle d’objet rampant non identifié

Je vis dans les sous-bois et suis composé d’une seule cellule de 10 mètres carré, je ne suis ni un animal, ni une plante, ni un champignon, ni une bactérie, je résiste au feu, mais je crains la lumière ou la congélation, je cicatrise en deux minutes, j’ai 720 types sexuels et plus de 1000 espèces, je suis dépourvu de système nerveux, mais je sais résoudre des problèmes : qui suis-je ?

 

Il s’agit d’un amibozoaire du genre Physarum surnommé le blob.
Cet organisme primitif de un milliard d’années présente des caractéristiques extraordinaires y compris en terme d’apprentissage et de mémorisation qui lui permettent de résoudre des problèmes d’accès à la nourriture de façon extrêmement rapide et efficace.

 

Cet organisme est étudié depuis plusieurs années par Audrey Dussutour, chercheuse au CNRS (Université Toulouse III – Paul Sabatier) qui cherche à évaluer ses capacités “d’habituation”, une forme d’apprentissage rudimentaire qui semble être très développée chez les blobs.
Un ouvrage grand public est sorti fin avril 2017 aux éditions Equateur-science et présente sur un mode vulgarisé les dernières avancées scientifiques incroyables sur la biologie et les capacités d’adaptation de cet organisme très particulier.
(À se procurer ici ou )

#ScienceDurable – Menaces futures sur la biodiversité et pistes pour les réduire

Les changements environnementaux associés aux activités humaines impactent la biodiversité terrestre. Aujourd’hui, 80 % des espèces de mammifères et d’oiseaux sont menacées par les pertes d’habitats associées à l’agriculture. En “Asie”1, en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud tropicale, ces espèces présentent des risques d’extinctions majeurs qui, sans important changement de pratiques, atteindront des niveaux sans précédent au cours des prochaines décennies. Ces menaces – mais aussi les pistes pour les réduire – ont été examinées par l’équipe de David Tilman dans l’article Prédiction des menaces futures sur la biodiversité et pistes pour les réduire paru dans la revue Nature au mois de juin. D’après les auteurs, la combinaison des solutions présentées pourrait annuler entre la moitié et les deux-tiers des risques prévus en 2060 pour ces animaux.

 

Deux facteurs principaux sont corrélés avec un risque d’extinction des mammifères et les oiseaux : l’accroissement des surfaces cultivées et le revenu par habitant. Ces facteurs sont étroitement liés à la croissance démographique à l’origine de l’augmentation de la demande en protéines animales et par voie de conséquence de la demande en terres agricoles, de la destruction des habitats et de leur fragmentation. La région « Asie », dont le PIB a été multiplié par 7 ces 30 dernières années, voit ainsi le risque d’extinction de ses grands mammifères porté à 62 % au cours des 5 prochaines décennies.

 

Par ailleurs, entre 2010 et 2060, la population humaine devrait croître de 3,2 milliards d’habitants, dont 1,7 milliards en Afrique sub-saharienne.

 

Les auteurs ont calculé la demande de terres pour chaque pays en 2060 et le taux de besoin de terres par pays, ceci sous l’hypothèse « business as usual ». Les Land Demand ratio les plus élevés sont attendus en Afrique sub-saharienne. Les pays de cette région devront disposer de 380 à 760 % de terres agricoles supplémentaires en 2060. 710 millions d’ha de terres agricoles seront nécessaires sur la planète dont 430 en Afrique sub-saharienne, une surface équivalent à celles des Etats-Unis.

 

Pour prévoir les risques en 2060, les auteurs ont réalisé une projection en prenant en compte ces taux de changement d’usage des terres et les prévisions de revenu par habitant envisagés pour 2060 pour les régions les plus à risques, c’est à dire l’Asie, l’Afrique subsaharienne et l’Amérique du Sud tropicale. Pour plus de la moitié des pays concernés de ces régions, les menaces d’extinction seront sans précédent. Selon les régions, et selon les tailles de mammifères et d’oiseaux les risques d’extinction devraient croître d’une à deux catégories de la liste rouge de l’UICN.

 

Dans l’objectif de réduire de tels risques, les auteurs distinguent deux grands types de mesures, d’une part la poursuite et l’expansion des pratiques de conservation basées sur les aires protégées et d’autre part des actions qui privilégient des changements de pratiques humaines susceptibles de réduire l’impact de l’homme sur la nature.

 

Quatre pistes sont présentées par les auteurs :

  • Poursuivre les programmes de conservation : ceux-ci ont permis de sauver 31 espèces d’oiseaux et 20 % des mammifères menacés au cours du siècle dernier. Il faut donc développer et mieux gérer les aires destinées à protéger les espèces, faciliter leur inter-connection et réduire la consommation de viande de brousse et le braconnage.
  • Augmenter les rendements agricoles pour rapprocher la production des besoins : 96 pays, en Afrique, en Amérique du sud et dans la région « Asie », ont des rendements inférieurs à la moitié de ce qui pourrait être obtenu avec des méthodes et des technologies adaptées.
  • Changer les régimes alimentaires : des régimes alternatifs riches en végétaux peuvent réduire la demande de terres agricoles et la propagation des maladies chroniques comme le diabète.
  • Spécialiser la production : des accords commerciaux pourraient diminuer la demande en terres agricoles en concentrant la production agricole dans les régions qui ont le potentiel de production le plus élevé.

 

Accédez à la transcription des éléments essentiels de l’article de David Tilman par Jean-François Silvain directeur de recherche à l’IRD et président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.

D. Tilman et al., Future threats to biodiversity and pathways to their prevention. Nature 546, 2017.

 

 

1. Dans le cadre de cet article, l’Asie comprend l’Asie du sud est, la Chine et l’Inde.