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février 2019  I  Article  I  FRB  I  État et tendance

Au Brésil : grandes incertitudes sur la protection de la forêt amazonienne

Auteure : Catherine Aubertin (directrice de recherche à l’IRD)

Relectures : Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB), Jean-François Silvain (président de la FRB), Hugo Dugast (chargé de communication), Agnès Hallosserie (secrétaire scientifique IPBES), Julie de Bouville (Responsable communication)

Quel avenir pour la forêt amazonienne au Brésil ? Le gouvernement de Jair Bolsonaro remet en cause les mesures pour la protection de cet écosystème qui ont fait leurs preuves dès les années 1990. Celles-ci avaient permis un tournant vers une gestion plus durable et empêché la fragmentation de la forêt.

Au Brésil : grandes incertitudes sur la protection de la forêt amazonienne

Le Brésil reste marqué culturellement par son passé colonial de conquête du territoire. L’expansion du front pionnier vers le nord et l’ouest s’est faite au détriment de la forêt. L’appropriation est, elle, passée par la conversion des écosystèmes forestiers en terres agricoles ou en pâturages. La forêt n’est pas tant défrichée pour ses ressources – la productivité y est faible – mais plutôt comme réservoir de terres libres. Avec les préoccupations environnementales grandissantes, la forêt représente un gisement mondial de biodiversité et de carbone, et le Brésil doit à présent répondre de la déforestation de l’Amazonie aux yeux de l’opinion internationale.

 

Aussi, lors de chaque conférence internationale, sur la diversité biologique comme sur le changement climatique, le Brésil ne perd pas une occasion de revenir sur sa grande réussite : l’important recul de la déforestation de sa forêt amazonienne entre 2004 et 2014, passée de 27 772 km2 à 5 012 km2 par an, soit une réduction de 82 % de la surface annuelle défrichée (cf. graphique ci-dessous). Dans le même temps, la contribution des émissions de CO2 liées à la déforestation est ainsi passée de 71 % du total des émissions du Brésil à 33 %. Si l’on peut relativiser ces chiffres en pointant le choix opportun des dates de référence, le report de la déforestation sur le Cerrado1 et sa reprise récente en Amazonie, il importe de comprendre les clés de cette réussite, particulièrement dans le contexte actuel où la protection des forêts est remise en cause et fait à nouveau peser la menace d’un point de non-retour pour les écosystèmes.

GRAPHIQUE – Déforestation annuelle dans l’Amazonie légale brésilienne (AMZ)
http://www.obt.inpe.br/prodes/dashboard/prodes-rates.html

 

Jusqu’à la veille du Sommet de la Terre tenu à Rio en 1992, la déforestation de l’Amazonie est la conséquence des politiques d’intégration régionale : développement des infrastructures et fronts pionniers agricoles sont impulsés par le gouvernement fédéral et forment un “arc de déforestation” qui s’avance dans le massif amazonien à partir du sud et de l’est. Cependant, le Brésil peut déjà témoigner de son souci de protéger sa forêt tropicale à l’ouverture du Sommet, à travers plusieurs initiatives. L’une d’entre elles, le Programme de contrôle par satellite de la déforestation en Amazonie légale2 (Prodes) de l’Institut brésilien de recherches spatiales (INPE) a été créé en 1988. Ce programme a permis de connaître l’état des forêts et de suivre son évolution sur le temps long, apportant une vraie crédibilité à la démarche. Et dès 1991, les scientifiques brésiliens alertent sur le processus de déforestation et prédisent une savanisation de l’Amazonie, alors déboisée à 8 %. En 1989, l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles (IBAMA), chargé de la protection de l’environnement, est créé avec des pouvoirs législatifs et de police. Un ministère de l’Environnement sera mis en place à l’occasion du Sommet de la Terre en 1992.

 

Quelques années plus tard, le programme pilote pour la préservation des forêts tropicales, le PPG7, est engagé à l’initiative des pays du G7 et de l’Union européenne, lorsque l’image de “l’Amazonie en flammes” émeut l’opinion internationale, à la suite de la publication du chiffre record de 29 059 km2 de forêts disparues en 1995. En 1996, le président Cardoso édite une mesure provisoire qui modifie le code forestier, portant de 50 % à 80 % la surface des propriétés privées en forêt amazonienne devant rester en réserve de végétation originelle. Il interdit aussi provisoirement la conversion des forêts en terres agricoles. En 2000, le Système national des unités de conservation de la nature (SDUC) est promulgué. Malgré ces différentes initiatives, la déforestation se poursuit sous l’effet des dynamiques régionales et du manque de coordination politique.

La transition se produit véritablement dans les années 2000

L’arrivée au pouvoir du président Lula en 2004 coïncide avec un nouveau pic de déforestation et marque un tournant dans la lutte contre ce phénomène. Le nouveau président mobilise tous les outils régaliens à disposition (Aubertin, 2016), à travers le Plan d’action pour la prévention et le contrôle de la déforestation dans l’Amazonie légale (PPCDAm). Pour répondre au phénomène multifactoriel de la déforestation, ce plan coordonne 14 ministères, mobilise les états fédérés, les municipios (municipalités) et la société civile. L’arsenal législatif sous-tend une politique répressive, ciblée sur les municipios jugés sensibles, contre l’abattage des arbres, les scieries et les transports de bois (opération Arco de fogo), ainsi qu’une politique d’incitation à des pratiques vertueuses (opération Arco verde).

 

L’accès au crédit rural est assorti d’exigences de respect des normes environnementales. Un tiers des crédits n’ont ainsi pas été attribués, freinant l’expansion des pâturages. La politique de création d’aires protégées et de terres indigènes s’intensifie et se révèle efficace jusqu’à aujourd’hui. 26,6 % de l’Amazonie est classée en unités de conservation. Si on y ajoute les terres indigènes, c’est près de 50 % du territoire amazonien qui est sous protection de l’État. Il convient d’y inclure les obligations qui pèsent sur les particuliers. En plus des 80 % de réserve obligatoire de végétation originelle, le code forestier oblige les propriétaires privés à conserver sur leur domaine rural des aires de protection permanentes (APP) le long des cours d’eau, sur les pentes et sur les lignes de crêtes.

 

Le secteur privé et la société civile participent au mouvement. Des moratoires sur le soja et le bœuf sont signés entre les acteurs des filières, qui s’engagent à ne pas acheter de produits provenant de zones déforestées illégalement en Amazonie. Le système d’observation du Prodes s’enrichit également d’autres outils spatiaux de contrôle, mis à disposition du public sur internet. Le Prodes se présente comme un garant de la prise en charge par le pays de la question forestière et de la transparence des résultats. Il séduira les bailleurs de fonds comme la Norvège qui dotera généreusement le fonds “Amazônia” sans imposer de règles de gestion. Ce fonds géré par le Brésil est l’arme permettant de financer des projets sans renoncer à sa souveraineté.

La multiplication des outils aboutit à une chute de la déforestation

Toutes ces mesures prennent encore une nouvelle dimension lorsque le Brésil place ses actions contre la déforestation au centre de sa stratégie de lutte contre le changement climatique. Quatrième plus grand émetteur de CO2, le Brésil présente fin décembre 2009 lors de la Conférence de Copenhague, un programme au Secrétariat de la convention climat (CCNUCC) : réduction de ses émissions d’équivalent CO2 entre 36,1 % à 38,9 % à l’horizon 2020, réduction de 80 % du rythme de déforestation de l’Amazonie par rapport à la période 1996-2005 et réduction de 40 % pour le Cerrado par rapport à la période 1999-2008. Y sont associés un doublement des plantations forestières de 5,5 à 11 millions d’hectares en 2015 et la restauration de 15 millions d’hectares de pâturages dégradés. Ces engagements prennent la forme d’une loi votée le 29 décembre 2009 qui institue la politique nationale sur le changement climatique. Ces réformes aboutissent en 2012 à un point culminant : la déforestation s’élève à 4 571 km2, la surface annuelle déforestée la plus faible enregistrée à ce jour. Et lors de la COP21 en 2015, le Brésil renouvellera ses engagements, tout en augmentant son ambition : les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) pour 2025 et 2030 ne seront plus calculés sur une projection hypothétique – ce qu’auraient pu être les émissions si rien n’avait été fait – mais bien sur des mesures réelles d’émissions de GES, enregistrées en 2005.

 

Mais cette politique ne fait pas que des heureux. La bataille parlementaire autour de la réforme du code forestier s’achève avec la promulgation d’une loi qui garantit une sorte d’impunité à ceux qui ont défriché avant 2008. Cette bataille témoigne de la vigueur de la formation parlementaire des ruralistas, producteurs ruraux qui n’auront de cesse remettre en cause les mesures de protection de l’environnement. Quelques inquiétudes, relatives aux engagements de lutte contre la déforestation, présentés lors de la COP21 apparaissent. Ces engagements ont pour but de renforcer l’application du code forestier, d’arriver à zéro déforestation illégale et de compenser les émissions de GES associées à la suppression légale de végétation. Mais l’application du nouveau code forestier ne cesse d’être retardé, et l’objectif de zéro déforestation illégale indique qu’il est encore possible de défricher légalement, ce qui fait craindre encore un report sur le Cerrado. Quant à la compensation attendue, elle ne signifie pas l’absence de perte de biodiversité puisqu’elle peut se faire via un système de bourse de quotas, qui permet de compenser un hectare de forêt défrichée par un hectare de forêt préservée, ou par un hectare de terrain dégradé où il est possible de planter du soja. La compensation se fait donc à surface égale, mais sans considération pour la qualité des sols ou la biodiversité abritée.

La nouvelle présidence brésilienne remet en cause ces avancées

L’instabilité politique et la montée en puissance des ruralistas ont mené au pouvoir un nouveau président. L’heure est au démantèlement des politiques environnementales : le Brésil se désengage de sa promesse d’accueillir la COP25 et envisage de sortir de l’accord de Paris.

 

Dès le premier jour de sa prise de pouvoir, le 1er janvier 2019, Jair Bolsonaro retire au ministère de l’Environnement la plupart de ses prérogatives pour les confier au ministère de l’Agriculture dirigé par l’ex-présidente du front parlementaire des ruralistas : politiques de réforme agraire, régularisation foncière, attribution des permis environnementaux, définition des limites de l’Amazonie légale, etc. Parallèlement, il ôte à la Funai (Fondation nationale de l’Indien) la responsabilité de la démarcation des terres indigènes et à l’INCRA (Institut national de la colonisation et de la réforme agraire) celle des quilombos, désormais sous la coupe du ministère de l’Agriculture, tout comme les services forestiers. Les agences publiques environnementales, l’IBAMA – police environnementale qu’il veut désarmer – et l’institution en charge des aires protégées, l’ICMBIO (institut Chico Mendes pour la conservation de la biodiversité), sont accusées de partis pris idéologiques et sont menacées.

 

Cette situation politique se produit au moment où le taux de déforestation de l’Amazonie brésilienne atteint 20 % de sa surface en 40 ans. Il est difficile de prévoir les boucles de rétroaction entre le climat et la végétation, mais il est possible, selon Lovejoy et Nobre (Lovejoy & Nobre, 2018) que ce soit le seuil au-delà duquel puisse se produire un basculement vers un processus de savanisation, c’est-à-dire une modification du régime des pluies telle que la forêt perde sa capacité d’évapotranspiration et de régulation des cycles hydrologiques. L’Amazonie rentrerait alors dans un système de pluies beaucoup trop faibles, pour elle et pour l’extérieur, impactant en particulier sa contribution aux pluies du bassin de la Plata (Paraguay, Uruguay, sud et centre-ouest du Brésil, centre-est de l’Argentine).

La déforestation n’est en effet plus seule en cause. Elle se combine et exacerbe les effets du changement climatique et les phénomènes externes comme El Niño, ainsi que ceux des incendies dus à la sécheresse ou provoqués pour l’entretien des pâturages.

Des augmentations de la durée de la saison sèche dans le sud et le sud-est de l’Amazonie sont d’ores et déjà enregistrées (plus de 15 jours en 30 ans), ainsi qu’une augmentation de la température de 0,6°C entre 1973 et 2013. Les scénarios du GIEC prévoient, quant à eux, une augmentation moyenne de la température d’ici la fin du siècle de 4°C avec une baisse des précipitations de 40 %.

L’arc de déforestation se situait en lisière du massif amazonien. Désormais, la déforestation provoque une fragmentation des forêts du bassin du Xingu, entre le nord du Mato Grosso et le sud-ouest du Para, qui se séparent du reste du massif. Une augmentation de cette fragmentation serait un pas de plus vers le basculement de l’écosystème entier.

Pour l’éviter, une forte mobilisation de la société civile et des chercheurs est nécessaire pour empêcher le détricotage d’une politique de préservation de l’Amazonie qui, bien que perfectible, a fait ses preuves.

 

À l’occasion du nouveau rapport de l’IPBES sur l’état de la biodiversité mondiale prévu pour mai 2019, la FRB donne chaque mois la parole à des scientifiques qui travaillent sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité, mais aussi sur les solutions pour y remédier. Juristes, économistes, biologistes de la conservation sont autant de chercheurs qui offriront chacun un éclairage précis sur l’état et le devenir des espèces et de leurs écosystèmes. Le troisième thème abordé est celui de l’exploitation directe des ressources, 2e cause de perte de biodiversité dans le monde.

 

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1. Le Cerrado est le nom des savanes centrales qui couvrent un quart de la surface du Brésil. Si l’opinion internationale se focalise sur la déforestation de l’Amazonie, bien peu de voix s’élèvent contre celle du Cerrado qui, depuis les années 2000, perd davantage de km2 (deux fois plus en chiffres absolus entre 2012 et 2015) que l’Amazonie. Les protections dont bénéficie l’Amazonie ont reporté l’expansion agricole dans le Cerrado. Point chaud de biodiversité, le Cerrado est aujourd’hui défriché à 50 %.

2. L’Amazonie légale est un territoire délimité en 1953 pour déterminer les régions éligibles aux aides de développement programmées pour l’Amazonie. Elle comprend les États d’Acre, Amapá, Amazonas, Pará, Rondônia, Roraima et Tocantins et une partie des États du Mato Grosso, Maranhão et Goiás.