fermer
retour en haut de la page
Publications
Accueil > Publications > Espèces exotiques envahissantes, un défi environnemental, économique et éthique
août 2023  I  Article  I  Ipbes  I  État et tendance

Espèces exotiques envahissantes, un défi environnemental, économique et éthique

Scientifique : Franck Courchamp, directeur de recherche au CNRS et auteur principal du rapport sur les espèces exotiques envahissantes de l’Ipbes

Auteure : Julie de Bouville, responsable de la communication internationale à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)

Plus de 40 000 espèces exotiques envahissantes se propagent sur la planète, mettant en danger la biodiversité. Selon l’Ipbes, elles sont considérées comme une des principales causes d’extinction des espèces et l’une des grandes causes globales de perte de biodiversité. Franck Courchamp, l’un des auteurs du rapport de l’Ipbes, insiste sur la gravité des impacts économiques et environnementaux de ces invasions biologiques et appelle à une prise de conscience urgente pour préserver les écosystèmes.

Espèces exotiques envahissantes, un défi environnemental, économique et éthique Les abeilles butineuses constituent 80 % du régime alimentaire d'un frelon asiatique en ville et 45 % dans les campagnes.

Fourmi électrique, écrevisse américaine ou frelon asiatique, sur la planète, plus de 40 000 espèces exotiques sont recensées. Que ce soit sous forme végétale ou animale, ces espèces ont été introduites par l’homme en dehors de leur aire de répartition naturelle, volontairement ou accidentellement. Leur propagation menace la biodiversité et peuvent avoir des impacts négatifs sur l’économie ou la santé humaine. Elles sont considérées par l’Ipbes comme une des principales d’extinction des espèces et l’une des cinq grandes causes globales de perte de biodiversité.

 

 

 

Produire une métrique économique pour alerter les décideurs sur l’impact des invasions biologiques

Pour Franck Courchamp, auteur principal du rapport sur les espèces exotiques envahissantes de l’Ipbes à paraître en septembre, cette menace est largement sous-estimée. Afin d’alerter sur la gravité des impacts, le scientifique a travaillé sur une métrique unique qui, à l’instar du degré pour le changement climatique ou de la tonne pour la pollution plastique, vise à sensibiliser les décideurs. Le choix de Franck Courchamp s’est porté sur le cout économique des espèces exotiques envahissantes. Pendant près de 10 ans, avec un consortium de chercheurs il a épluché des milliers d’articles scientifiques pour aboutir au résultat suivant :

 

« Plus de 2 000 milliards de dollars sont perdus depuis un demi-siècle à cause des invasions biologiques. Or ce chiffre ne représente que la pointe émergée de l’iceberg. Les coûts sur l’environnement sont bien plus importants et profonds. »

 

 

Déclin d’une population, altération physique des habitats ou déséquilibre des écosystèmes, l’impact des espèces exotiques envahissante est multiple. D’après la « liste rouge des espèces menacées » de l’UICN, les espèces exotiques envahissantes sont impliquées dans près de la moitié des extinctions connues, et constituent le seul facteur d’extinction dans 20 % des cas documentés. Par compétition, prédation ou hybridation, ces espèces accélèrent la disparition d’espèces déjà soumises à d’autres menaces, comme la destruction des habitats naturels ou les prélèvements excessifs. De nombreuses populations d’espèces végétales ou animales confrontées à des invasions se trouvent ainsi dans des situations critiques pour leur survie.

 

Dans 60 % des extinctions recensées dans le monde les invasions biologiques ont provoqué le déclin ou l'extinction d'espèces indigènes

Sur les îles, notamment, les invasions biologiques se révèlent extrêmement destructrices. À Guam, une île située dans l’est-sud-est de la mer des Philippines, un serpent arboricole brun (Boiga irregularis), vivant la nuit, a été introduit après avoir voyagé dans le matériel militaire largué par les américains lors de la Seconde Guerre mondiale. « Or sur cette île aucun prédateur nocturne n’existe. Les espèces endémiques n’ont donc pas développé de mécanisme de vigilance contre la prédation nocturne. Le serpent en a tiré parti et a croqué tranquillement toutes les espèces dormantes qui se trouvaient sur son passage. » Résultat, douze des quatorze espèces endémiques d’oiseaux, six des huit reptiles et deux des trois chauve-souris qui existaient sur ce territoire et qu’on ne trouvait nulle part ailleurs, sont aujourd’hui éteins. Et avec eux, les fonctions qu’ils remplissaient dans l’écosystème.

 

Lorsqu’une espèce est touchée, le service écosystémique qu’elle procure est altéré. En 2004, une seule femelle frelon asiatique déjà fécondée, venu de Chine dans une poterie, a envahi la France. « Cette femelle et sa descendance se sont développées au point de se propager dans toute l’Europe causant de réels impacts sur les pollinisateurs et les services écosystémiques », souligne le chercheur. Les abeilles butineuses constituent 80 % du régime alimentaire d’un frelon asiatique en ville et 45 % dans les campagnes. Parmi les espèces consommées par le frelon, il y a de nombreux insectes pollinisateurs qui représentent à eux seuls 80 % de la pollinisation nécessaire au maintien et au développement de la production agricole.

 

L’hybridation provoquée par les invasions biologiques, un phénomène moins connu mais aussi responsable de la disparition des espèces 

L’hybridation, moins connue, est aussi une cause de disparition de la biodiversité imputée aux espèces exotiques envahissantes. Elle est un facteur important dans l’évolution rapide des espèces exotiques. Elle peut se produire entre une espèce native et une espèce non native ou entre deux espèces non natives d’un même lieu. L’hybridation permet l’apparition rapide de nouveaux génotypes au sein de la population envahissante, favorisant ainsi une adaptation de l’espèce au milieu dans lequel elle a été introduite. Un exemple d’hybridation est l’herbe issue des espèces « Spartine à feuilles alternes » (espèce envahissante) et de la « Spartine de Californie » (espèce native) dans la baie de San Francisco. Cet hybride se propage rapidement et possède des caractéristiques transgressives supérieures à celles de ses parents, notamment en ce qui concerne la production de pollen, la viabilité des graines et la tolérance environnementale. Les hybrides sont fertiles et peuvent se reproduire entre eux ou avec les deux espèces parentes. Cette tendance menace l’espèce native. L’hybridation permet une meilleure adaptation à un écosystème, mais elle entraîne la création d’une nouvelle espèce au détriment des deux autres espèces qui ont permis l’hybridation. En Grande-Bretagne, environ 7 % des espèces végétales envahissantes ont subi des hybridations. « Nous avons une responsabilité morale de ne pas éliminer les espèces, même si l’espèce remplaçante remplit le même rôle fonctionnel ou économique, et que la plupart des êtres humains ne verront pas la différence, souligne Franck Courchamp. Nous avons une responsabilité que nous ne pouvons pas ignorer. La valeur intrinsèque de l’espèce est inestimable et nous devons tout faire pour qu’aucune espèce ne s’éteigne en raison de nos activités. »

 

Les espèces exotiques sont-elles mêmes les premières victimes

Pour ces raisons, Franck Courchamp préfère parler du processus, c’est-à-dire des invasions biologiques, plutôt que de pointer les espèces exotiques envahissantes, qui ne sont que les vecteurs de ce processus. « Parler systématiquement des espèces exotiques envahissantes plutôt que des invasions biologiques, c’est comme parler uniquement des bulldozers au lieu de déforestation, ou de gaz à effet de serre au lieu de changement climatique. De plus, les espèces exotiques sont elles-mêmes des victimes. Elles ont été introduites dans des écosystèmes dont elles ne sont pas originaires. En général, une espèce sur dix parvient à s’établir, et parmi celles qui s’établissent, une sur dix devient envahissante. Cela signifie que toutes les espèces exotiques introduites ne posent pas de problèmes, et que 99 % des introductions vont échouer ».

 

Pour Franck Courchamp, la meilleure des préventions reste la sensibilisation. « En Nouvelle-Zélande, tous les citoyens connaissent le concept d’invasions biologiques et peuvent citer de nombreux exemples. C’est bien moins vrai en Europe. »  Ce qu’espère le scientifique avec la sortie du rapport de l’Ipbes est une prise de conscience de la part des décideurs, des parties prenantes et des entreprises, comme celles qui importent des cargaisons de bois pouvant contenir des insectes destructeurs pour les forêts. « Si les industriels sont conscients des potentiels impacts, ose espérer Franck Courchamp, ils prêteront sans doute plus d’attention à la surveillance de leurs cargaisons. Il est également important d’alerter le public, car c’est la société dans son ensemble qui paie les coûts directs ou indirects des invasions biologiques. » Une prise de conscience nationale parait nécessaire.

 

 

#Ipbes10

À l’occasion de la publication du rapport d’évaluation de l’Ipbes sur les espèces exotiques envahissantes et leur contrôle (connu sous le nom de « Rapport sur les espèces exotiques envahissantes ») lors de sa dixième session plénière, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et le Muséum national d’Histoire naturelle donne la parole aux chercheurs et acteurs pour aborder ces thématiques sous différents angles.

 

>> Retour à la page principale

CONTACT FRB

Julie de Bouville, responsable de la communication internationale à la FRB

 

Fiche – Mail

Chercheur

Franck Courchamp, directeur de recherche au CNRS et auteur principal du rapport sur les espèces exotiques envahissantes de l’Ipbes 

La campagne #Ipbes10 Retour à la page principale