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L’appel de la FRB

Les travaux scientifiques sont clairs. L’érosion de la biodiversité s’accélère. Ce constat, relayé par les récentes évaluations régionales de l’IPBES, souligne combien il est urgent de mettre en œuvre des solutions pour freiner cet effondrement. La science est indispensable pour accompagner ces efforts et favoriser des comportements sociaux et économiques moins dommageables, voire même favorables à la biodiversité. C’est ce dernier message que la Fondation pour la recherche sur la biodiversité veut, avec ses partenaires, faire passer.

 

Sauvegarder la biodiversité, utiliser plus durablement les ressources naturelles, et en particulier les ressources génétiques, préserver les services que l’Homme retire des écosystèmes, tout cela passe par une meilleure connaissance de l’état et du devenir de la biodiversité, une meilleure connaissance du fonctionnement des écosystèmes, une meilleure appréhension de l’incidence des activités humaines sur la biodiversité. Sauvegarder la biodiversité, c’est imaginer des pratiques nouvelles pour les acteurs économiques, des mesures innovantes pour les politiques publiques et des comportements repensés pour les citoyens. Là encore la science, les connaissances sur la biodiversité, enrichies par les données des associations naturalistes et de la science citoyenne, la compréhension des relations complexes entre l’Homme et la nature, doivent guider l’action.

 

Les messages passés par la science sur l’avenir de la biodiversité sont dramatiques, mais, dans le même temps, les études montrent que des politiques volontaristes permettent de sauvegarder des espèces en danger d’extinction et des biotopes ou écosystèmes fragilisés. Les aires marines protégées offrent des opportunités à la fois pour la sauvegarde de la faune marine, mais aussi pour atténuer le changement climatique ; les aires protégées terrestres jouent le même rôle tout en contribuant au bien-être humain. Inciter les entreprises qui perturbent l’environnement à évaluer le coût de cet impact et le bénéfice économique et humain qu’il y aurait à le réduire peut conduire à une diminution significative de la pression qu’exercent les activités industrielles sur la biodiversité. Amener les citoyens à adopter dans leurs vies quotidiennes, dans leurs choix alimentaires, dans leurs pratiques de consommateurs, des comportements plus respectueux de la nature peut générer rapidement des effets très positifs sur la biodiversité locale, mais aussi sur la biodiversité plus lointaine qui subit souvent très directement l’incidence de nos comportements.

 

Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’avenir de la biodiversité, des animaux, des plantes, des micro-organismes, emblématiques ou ordinaires, qui nous entourent et dont on doit favoriser la libre évolution. C’est aussi l’avenir des sociétés humaines qui demain comme hier et aujourd’hui ont besoin de la biodiversité et lui accordent de multiples valeurs.

 

À l’occasion de ses 10 ans, la FRB invite ses partenaires et le grand public à changer de perspective : alors que nous retirons depuis des millénaires des services incommensurables de la biodiversité, à nous collectivement de lui rendre désormais des services. Notre avenir commun en dépend.

 

Les partenaires de l’appel :

L’extinction paradoxale des espèces les plus charismatiques

Cette question est fondamentale, surtout lorsqu’on sait qu’une des difficultés rencontrées pour la conservation des espèces est ce manque de soutien et de mobilisation du public. Par exemple, 20 millions d’américains sont descendus dans la rue pour la première manifestation “Jour de la Terre” en 1970, mais aucune mobilisation similaire n’a été constatée au 21e siècle pour la biodiversité et ce, malgré les messages redondant sur l’extinction.

 

Une opinion largement répandue, dans le grand public, mais aussi dans la littérature scientifique, est que les efforts de conservation profitent de manière disproportionnée aux espèces charismatiques et que, par conséquent, leur protection est suffisante et acquise. Plusieurs publications scientifiques recommandent par exemple de ne pas concentrer l’effort de conservation sur ces espèces, mais de s’intéresser aussi aux espèces moins connues ou même de privilégier des unités plus intégratives et moins visibles, comme les écosystèmes ou les fonctions écosystémiques dans les politiques de conservation (Keith et al., 2015).

Or, en étudiant 10 des espèces les plus charismatiques, l’étude a mis en évidence qu’elles couraient un risque élevé et imminent d’extinction dans la nature. Il apparait que le public ignore en réalité la situation de ces animaux, les résultats suggérant que cela pourrait être dû à la perception biaisée de leur abondance, émanant d’un décalage entre leur profusion dans notre culture et leur profusion réelle dans la nature. En utilisant librement l’image d’espèces rares et menacées pour la commercialisation de leurs produits, de nombreuses entreprises participent à cette perception biaisée. Les chercheurs émettent l’hypothèse que cette perception biaisée nuit involontairement aux efforts de conservation, d’une part parce que le public ignore que les animaux qu’il préfère font face à un danger d’extinction imminente et qu’il n’en perçoit donc pas le besoin urgent de conservation et que, par ailleurs, l’existence dans l’esprit du public de populations virtuelles renforce la perception que les populations réelles ne sont pas menacées. Cette sorte de compétition entre populations virtuelles et réelles, paradoxalement, diminue les efforts de conservation nécessaires et par conséquent accentue le risque d’extinction de ces espèces.

 

Cette situation devrait durer tant que cette utilisation ne sera pas accompagnée de campagnes d’informations adéquates sur les menaces auxquelles ces espèces font face. Les auteurs proposent donc de compenser ces effets préjudiciables sur les efforts de conservation en captant une partie des bénéfices associés à l’utilisation commerciale de l’image de ces espèces.

Action n°11 : Je limite ma consommation d’huile de palme

L’île de Bornéo a perdu un tiers de ses forêts primaires1 entre 1973 et 2015 (Gaveau et al. 2016). C’est bien en Indonésie, plus qu’en Amazonie, que la disparition des forêts primaires est la plus rapide, avec 840 000 hectares perdus par an en 2012 (Margono et al. 2014). La plantation industrielle de palmiers à huile (Elaeis guineensis) y constitue l’une des principales causes de déforestation, avec la production de pâte à papier et de bois (Abood et al. 2015). Dans ce pays, premier producteur d’huile de palme avant la Malaisie, la superficie totale plantée en palmiers a été multipliée par sept en une vingtaine d’années (Carlson et al. 2012).

 

L’huile de palme est l’huile la plus produite dans le monde avec 70 millions de tonnes (USDA 2018). Elle est destinée à l’industrie alimentaire2 et à la production de cosmétiques3, de produits d’entretien, d’agro-carburants et d’électricité. La déforestation associée touche non seulement l’Asie, mais aussi l’Amérique latine et l’Afrique (Varsha et al., 2016). Au niveau mondial, sa production représente 8% de la déforestation imputée aux cultures, après le soja (19%) et le maïs (11%) (Union Européenne, 2013). Si le problème affecte des contrées lointaines, l’Union Européenne est le deuxième importateur et le troisième consommateur d’huile de palme au niveau mondial (USDA, 2018). Et cette consommation intensive n’est pas sans conséquence sur les plantes et les animaux dans les pays producteurs.

 

“Le déclin le plus sévère des orangs-outans a eu lieu dans des environnements détériorés par la récolte de bois et par les plantations industrielles d’huile de palme.”

 

Parmi les 193 espèces menacées par la production d’huile de palme, il faut citer l’orang-outan (Pongo pygmaeus), en danger critique d’extinction selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (Ancrenaz et al., 2016). Une étude internationale s’est tout récemment intéressée à l’influence de l’extraction de ressources naturelles, y compris l’huile de palme, sur ces primates (Voigt et al., 2018). Les auteurs sont allés sur le terrain compter les nids que ces grands singes construisent pour s’abriter la nuit. À l’aide de ces données et de modèles informatiques, ils ont estimé à 100 000 le nombre d’orangs-outans tués entre 1999 et 2015. Si la cause principale du déclin des primates est la chasse illégale, la moitié des orangs-outans de l’île de Bornéo se trouvait en 2015 dans des habitats dégradés par la récolte de bois, les plantations industrielles et la déforestation (Voigt et al., 2018). Le déclin le plus sévère a eu lieu dans ces environnements détériorés. Mais est-ce là la seule espèce victime de l’huile de palme ? Qu’en est-il de l’impact sur la biodiversité de façon plus générale ?

 

“Dans les plantations de palmiers à huile, l’abondance des chauves-souris insectivores diminue, faute de proies, et les oiseaux “spécialistes” disparaissent.”

 

Des chercheurs ont compilé et analysé 25 articles scientifiques consacrés aux conséquences de la production d’huile de palme sur la biodiversité. D’après leurs résultats, les plantations de palmiers à huile abritent, sans surprise, un nombre d’espèces (richesse spécifique) inférieur à celui de forêts primaires et secondaires (Savilaakso et al., 2014). Certaines espèces voient leur abondance diminuer, comme la plupart des chauves-souris insectivores, faute de proies. Les plantations défavorisent également les espèces d’oiseaux les moins répandues et les plus exigeantes en termes de conditions environnementales et de ressources (oiseaux dits spécialistes). Cette disparition des oiseaux spécialistes dans les plantations s’expliquerait par une végétation au sol réduite par rapport aux forêts. En outre, les conditions plus chaudes et sèches qui règnent dans ces plantations nuisent à certaines espèces de fourmis, de coléoptères et d’abeilles. D’où un impact très probable sur les services écosystémiques tels que la pollinisation, le contrôle des ravageurs de culture et le fonctionnement des sols (Savilaakso et al., 2014).

 

Un mode de gestion adapté pourrait réduire ces conséquences néfastes sur la biodiversité. En effet, des études ont démontré que le nombre d’espèces d’oiseaux était supérieur dans les plantations des petits producteurs, en comparaison avec celles des industriels (Azhar et al., 2011, dans Savilaakso et al., 2014). La recherche devrait aussi se pencher sur l’effet des standards de certification durable tels que RSPO (Roundtable on Sustainable Palm Oil).  En effet, ce dernier, qui rassemble depuis 2004 des entreprises et des ONG, fait l’objet de vives critiques, portant sur des principes et critères trop peu contraignants qui favoriseraient les industriels au détriment des petits producteurs, des sanctions trop peu dissuasives et pas assez appliquées en cas de non respect, ainsi que des problèmes de traçabilité (FIAN/CNCD, 2018). Cela explique en partie des initiatives de boycott, parmi les consommateurs, de tout produit contenant de l’huile de palme, labellisée ou non.

 

“Les huiles de coco et de coprah sont elles aussi produites dans les pays tropicaux et prennent potentiellement la place de forêts.”

 

Cependant, les alternatives les plus fréquentes à l’huile de palme ne sont pas non plus sans incidence sur la biodiversité. Dans les cosmétiques, les huiles de coco et de coprah (chair de la noix de coco) sont elles aussi produites dans les pays tropicaux et prennent potentiellement la place de forêts. Dans l’alimentation, les huiles de colza et de tournesol, certes cultivées en Europe, le sont souvent de façon intensive et nécessitent, comme le souligne un récent rapport de l’UICN, des surfaces plus vastes pour une production équivalente (Meijaard et al. 2018). Alors qu’il est parfois compliqué de modifier les processus industriels (en termes de quantités disponibles ou de caractéristiques physico-chimiques requises), les consommateurs peuvent choisir de diversifier les sources d’huiles dans les produits quotidiens et  privilégier certaines huiles, telles que l’olive, la noix, l’amande, l’argan, les pépins de raisins ou les noyaux d’abricot, parfois locales et plus durables. Le label Agriculture biologique de l’Union Européenne reste alors un outil précieux pour se repérer.

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1 Les forêts primaires sont relativement préservées des activités humaines et concentrent une biodiversité particulièrement riche. Les forêts secondaires, en revanche, ont généralement repoussé après la destruction d’une forêt primaire. Forêts primaires et secondaires sont détruites pour les plantations.

2 L’huile de palme alimentaire est parfois mentionnée dans la composition sous les termes imprécis de « graisse végétale » et « huile végétale ».

3 Dans la composition des cosmétiques, l’huile de palme est indiquée par la mention Elaeis guineensis Oil. Ses dérivés les plus courants : Sodium Palmate, Isostearyl Palmitate et Palmitate d’Isopropyl. Les dérivés suivants en sont souvent issus, sauf mention contraire du fabricant : Lauryl Glucoside, Sodium Lauryl Sulfate, Cetearyl Alcohol, Glyceryl Distearate, Isopropyl Myristate, Dodecanol(en gras, partie du nom indiquant le lien possible avec l’huile de palme).