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février 2021  I  Article  I  FRB  I  Biodiversité et énergie

#ScienceDurable – L’impact des éoliennes marines sur la biodiversité

Auteure :  Julie de Bouville, experte en communication

Entretien avec Antoine Carlier, chercheur à l’Ifremer

D’ici à 2030, la part des énergies renouvelables doit être portée à 40 % de la consommation finale d’énergie. La programmation pluriannuelle de l’énergie adoptée en 2020 vise à installer 2,4 GW d’éolien en mer d’ici fin 2023 et près du double en 2028. À titre de comparaison, la centrale nucléaire de Flamanville dispose d’une puissance installée de 2,6 GW. Si ces énergies renouvelables doivent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % par rapport au niveau de 1990 et atténuer le réchauffement climatique, quels impacts auront-elles sur la biodiversité ? Antoine Carlier, chercheur à l’Ifremer, réalise depuis 10 ans des synthèses de connaissance sur l’impact des éoliennes en mer. Le chercheur nous livre des éléments de réponse.

 

#ScienceDurable – L’impact des éoliennes marines sur la biodiversité Par © Hans Hillewaert, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6361901
A-t-on aujourd’hui suffisamment de recul sur l‘impact de l’éolien en mer sur la biodiversité ?

Le Danemark a été le premier pays à installer des parcs éoliens en 1991. Depuis 15 ans, les danois réalisent des suivis écologiques sur l’ensemble des compartiments biologiques. À ce jour, nous n’avons pas constaté de bouleversement majeur dans les écosystèmes accueillant des parcs éoliens. Cependant, lorsque les travaux sont effectués pour implanter les éoliennes en mer, les marteaux qui servent à enfoncer les pieux dans les fonds marins produisent un bruit très intense qui nuit à de nombreuses espèces, en particulier aux mammifères marins. Ces installations peuvent durer des mois et provoquer des dégâts irréversibles chez certaines espèces qui ne peuvent pas s’échapper de la zone de travaux.

 

 

Quels sont les problèmes rencontrés ?

L’intensité du bruit généré par ce battage de pieux se rapproche de celle des explosions sous-marines. Si les animaux sensibles au bruit sont trop proches des travaux, ils peuvent mourir. Ceux qui sont éloignés de quelques centaines de mètres peuvent subir des blessures irréversibles de leur appareil auditif et un dérangement peut s’observer chez ceux qui sont encore plus loin. On a par exemple constaté que les marsouins s’éloignent de 20 à 25 km de la zone de chantier et y reviennent lorsque que les travaux sont terminés.

 

 

Y a-t-il des solutions pour atténuer ces bruits ?

On peut installer des rideaux de bulles qui sont déployés tout autour de la zone de travaux. Un tuyau percé est posé sur le fond marin et laisse échapper un chapelet de bulles. Cela atténue les sons, mais ce dispositif n’est pas possible partout. Lorsqu’il y a trop de courant, les bulles se dispersent.

Une autre technique consiste alors à faire du battage de pieux progressif. On commence à frapper doucement sur les pieux pour que les animaux qui en sont capables s’éloignent de la zone des travaux. Mais là encore, cette solution a ses limites. Les poissons inféodés aux fonds marins ne vont pas avoir le temps de partir. C’est également vrai pour tous les invertébrés marins qui ne bougent pas et restent, toute leur vie, fixés sur le fond. Si nous n’avons jusque-là constaté aucun épisode de mortalité massive d’invertébrés au moment des travaux, cela ne signifie pas pour autant qu’ils ne sont pas sensibles au bruit et leur croissance peut par exemple être temporairement perturbée.

 

 

Quelle est l’importance de ces invertébrés dans les écosystèmes ?

Dans le milieu marin, ces invertébrés sont le garde-manger d’une bonne partie des poissons. Les réseaux trophiques sont soutenus à la fois par le phytoplancton et par la vie benthique, c’est-à-dire tous les animaux qui vivent dans les fonds marins : vers, coquillages, crustacés etc… Or ces espèces – trop souvent oubliées parce que non emblématiques – ont une importance majeure dans la chaine trophique et par conséquent sur tous les prédateurs.

 

 

Une fois installé ce type d’infrastructure a-t-il encore des impacts sur ces invertébrés ?

Ce que l’on constate c’est que ces éoliennes sont ensuite colonisées par des petits organismes, dont beaucoup d’invertébrés. On a pu montrer que ces invertébrés attirent certains poissons qui y voient une nouvelle source de nourriture. En revanche, l’effet d’attraction est limité et dès que l’on s’éloigne d’une centaine de mètres, on retombe sur les densités de poissons prévalant avant l’arrivée des installations.

 

 

Outre le bruit, d’autres éléments sont-ils à prendre en compte pour ne pas impacter la biodiversité ?

Il faut rappeler que lorsqu’il y a implantation d’éoliennes, des câbles électriques sont installés. Or le fond marin n’est pas uniforme, il y a différents paysages sur la route d’un raccordement électrique. Certaines espèces peuvent être touchées, comme le maërl, ces algues calcaires roses, qui créent des habitats extrêmement riches pour la biodiversité. Ces espèces, comme toutes celles qui pratiquent la photosynthèse, sont extrêmement sensibles à la re déposition de particules fines mises en suspensions au moment où l’on enfouit les câbles dans le fond marin. Nous recommandons donc de dévier les trajets pour éviter de perturber ces habitats, car ces espèces croissent très lentement (de l’ordre de 1 mm par an pour le maërl). Il devient alors très difficile de restaurer ce milieux. Les saisons sont aussi à prendre en compte lors des travaux d’installation pour limiter leur impact écologique. C’est particulièrement vrai pour les oiseaux marins et les mammifères lorsqu’ils sont dérangés pendant leur période de reproduction ou d’élevage des petits.

 

 

Existent-ils d’autres infrastructures marines encore moins impactantes que les éoliennes pour la biodiversité ?

Les hydroliennes que l’on pose simplement sur fond marin lors de leur installation et qui tournent lentement au gré des courants ne sont pas très impactantes. Mais c’est une technologie relativement récente. Et il n’existe pas encore de ferme de plusieurs dizaines de machines dans un endroit donné. On ne peut pas mettre de côté l’hypothèse selon laquelle l’effet de cumul de ces installations pourrait avoir des conséquences dommageables pour l’écosystème. Même si nous réalisons des modélisations pour comprendre les mouvements de sable qu’elles pourraient engendrer à l’échelle de parcs, il est difficile de prévoir les conséquences sur les organismes du fond.

 

 

Les solutions fondées sur la nature sont souvent citées pour préserver la biodiversité. Font-elles aussi partie des solutions pour produire de l’énergie durable pour la biodiversité ?

Dans ce domaine, les nouveaux concepts sont florissants. Je pense notamment à une technologie qui exploite les mouvements de la masse d’eau grâce à une membrane qui ondule dans la colonne d’eau, y compris avec des courants faibles, et qui est conçue sur le modèle de nage des mammifères ou celui des très grandes algues qui absorbent l’énergie des marées. On est encore au stade de prototype, mais ce projet est très intéressant au niveau environnemental, car on s’épargne les risques de collision et on se rapproche de ce qui existe dans la nature. C’est prometteur.