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Chercheurs et gestionnaires d’espaces naturels protégés : des liens à construire

La FRB a mis en place en 2015 un groupe de travail “Espaces naturels protégés et recherche” associant ses deux conseils de gouvernance : le Conseil d’orientation stratégique (Cos) et le Conseil scientifique (CS). Dans le cadre de ce groupe de travail, une enquête a été menée afin de mieux connaître et faire connaître les collaborations gestionnaires/chercheurs et leur implication dans le développement des connaissances.

 

Un dépliant a également été conçu, sur la base de la publication, et met en avant des recommandations visant à conforter les espaces naturels protégés en tant que sites potentiels d’observation et d’analyse des rapports des sociétés à la nature. Elles ont également comme objectif d’en faire des sites références “sentinelles” où réaliser des suivis sur le long terme.

 

La publication et le dépliant sont consultables dans les ressources ci-dessous. 

Action n°6 : Je reste sur les « sentiers battus »

Que se passe-t-il pour une plante lorsqu’elle se fait marcher dessus ? La question peut sembler triviale, et pourtant elle fait l’objet de recherches scientifiques. Car dans les milieux les plus fragiles, notamment en montagne, toute activité humaine influence les écosystèmes. D’après une analyse qualitative de la littérature scientifique consacrée à l’impact du piétinement sur la végétation montagnarde (Martin & Butler 2017), les plantes les moins résistantes sont les arbustes qui, par leur taille, se retrouvent facilement sous les semelles des promeneurs mais dont la croissance est moins rapide que celle des herbes graminées (Yorks et al. 1997; Hill & Pickering 2009 dans Martin & Butler 2017). En marchant sur les plantes, les randonneurs les cassent, les écrasent et parfois les déracinent. Si certaines repoussent, d’autres meurent. Les plantes piétinées sont, en moyenne, moins hautes, et possèdent des feuilles moins grandes. Leur activité de photosynthèse est fragilisée et, par voie de conséquence, leur production de réserves nutritives également (Pickering & Growcock 2009 dans Martin & Butler 2017). En outre, elles produisent moins de graines, ce qui nuit à leur reproduction et donc, potentiellement, à la survie de leur espèce (Rossi et al. 2006, 2009 dans Martin & Butler 2017).

 

“La compaction du sol conduit au ruissellement des eaux à la surface, participant à l’érosion”

 

Si un piétinement modéré peut favoriser certaines plantes en éliminant celles avec lesquelles elles étaient en compétition, en revanche, le nombre total d’espèces observées – appelé richesse spécifique – diminue (Cole 2004). Le piétinement compacte également le sol dont la porosité se trouve réduite. En effet, le sol est à la fois composé de matière, mais aussi de vides appelés « pores », par lesquels l’eau de pluie s’infiltre. La compaction du sol conduit donc au ruissellement des eaux à la surface du sol qui emportent avec elles des particules de sol, participant ainsi à l’érosion. Ce phénomène est accéléré, en milieu montagnard, par la pente (Martin & Butler 2017). Des sols plus compacts sont aussi moins favorables à la germination et à la croissance de certaines plantes, puisque leurs racines peinent à circuler pour trouver des nutriments (Alessa & Earnhart 2000 dans Cole 2004). Par contre, ils en favorisent d’autres comme le rumex, la renoncule rampante, le pissenlit ou le chardon des champs (Ducerf 2013).

 

“La prévalence des maladies atteignant les coraux de Koh Tao est trois fois plus élevée dans les récifs régulièrement explorés par les touristes”

 

Dans l’eau aussi, les voyageurs causent des dégâts en s’éloignant des sentiers sous-marins ou en fréquentant des écosystèmes fragiles sans contrôle. La plongée sous-marine ainsi que le snorkeling ou randonnée palmée peuvent nuire aux récifs coralliens. Si les effets directement destructeurs de ces activités sont largement documentés par les scientifiques au moins depuis les années 1980, des travaux plus récents s’intéressent à des impacts indirects et moins évidents. Ainsi, des chercheurs australiens (Lamb et al. 2014) ont montré que la prévalence des maladies atteignant les coraux de l’île thaïlandaise de Koh Tao était trois fois plus élevée dans les récifs régulièrement explorés par les touristes que dans les récifs moins exposés. Et ce, en particulier pour une affection appelée SEB (skeletal eroding band), à laquelle les coraux abîmés sont plus vulnérables lorsqu’ils se trouvent dans des zones où la fréquentation est forte. Pour les auteurs, cela indique l’existence de facteurs de stress additionnels, causés par la randonnée palmée et la plongée, qui facilitent la progression de cette maladie. Limiter le nombre de visiteurs autorisés dans les espaces les plus sensibles s’avère donc parfois nécessaire. Pour préserver la biodiversité, tout particulièrement dans les aires protégées, mieux vaut rester sur les « sentiers battus », qu’ils soient terrestres ou marins.

Action n°5 : Je participe à un suivi de la biodiversité

« Je compte les papillons. C’est un peu comme une chasse au trophée, alors moins j’utilise d’insecticides, plus j’ai de chances d’en voir ». Ce témoignage provient d’une enseignante francilienne impliquée dans l’Opération papillons, un programme de sciences participatives lancé en 2006 par le Muséum national d’Histoire naturelle et l’association Noé dans le cadre de Vigie-Nature et qui a déjà rassemblé plus de 10 000 bénévoles. De tels programmes servent aux chercheurs en écologie à analyser un grand nombre de données recueillies selon des protocoles standards, et donnent lieu à des travaux scientifiques. Par exemple, l’Opération papillons a permis d’étudier les effets de l’urbanisation, de l’utilisation de pesticides dans les jardins privés et de l’aménagement du paysage sur les populations de lépidoptères (Muratet & Fontaine 2015). Mais leur point fort réside ailleurs : mieux connaître la biodiversité pourrait conduire à la protéger davantage.

 

“Un cercle vertueux : Plus les observateurs identifient les papillons, plus ils y font attention, et mieux ils les reconnaissent”

 

Selon une étude du Muséum national d’Histoire naturelle (Cosquer et al. 2012), 85 % des observateurs de papillons interrogés disent avoir appliqué des pratiques de jardinage bénéfiques aux lépidoptères, comme la plantation d’espèces de fleurs nourricières, la réduction du recours aux pesticides et de la fréquence de la tonte, ou encore la création de friches. Si les citoyens impliqués dans les suivis préservent les organismes qu’ils répertorient, cela a pour effet collatéral de biaiser les données. Cependant, ce biais peut-être pris en compte afin de garantir la rigueur scientifique. Si la plupart des contributeurs n’avaient aucune connaissance des papillons avant de commencer à les compter, leur participation à l’Opération leur a permis d’en acquérir et de devenir plus attentifs à leur environnement. Ils ont également pris conscience de l’appartenance de ces insectes à tout un écosystème, riche et dynamique. En outre, plus les observateurs sont capables d’identifier les papillons, plus ils y font attention, et plus ils parviennent à les reconnaître : un véritable cercle vertueux.

 

Comment tester si la contribution aux sciences participatives améliore les capacités d’observation ? Cette question a fait l’objet d’un article dans la revue Plos One (Kelling et al. 2015). eBird est un programme de suivi des oiseaux à l’échelle mondiale créé par le Cornell lab of ornithology aux États-Unis, dans lequel les observateurs remplissent et soumettent à une base de données en ligne la liste des oiseaux qu’ils ont repérés et identifiés en un temps et un lieu donnés. Or, à mesure du temps passé à observer les oiseaux sur un lieu, le nombre d’espèces listées par chaque participant augmente, jusqu’à un maximum qui correspond à la totalité des espèces présentes autour de lui. Mais la vitesse de cette accumulation varie, indiquant les compétences de chacun. Conformément à l’hypothèse des chercheurs, les différences entre les participants sont plus fortes dans le cas des oiseaux les plus discrets. Ils ont ainsi mis en évidence qu’une participation accrue à eBird augmentait cette vitesse, et donc les capacités d’observation.

 

Opération papillons, Observatoire des bourdons, Sauvages de ma rue… autant d’outils pour aider les scientifiques à suivre la biodiversité au cours du temps”

 

Opération papillons, mais aussi Opération escargots, Observatoire des bourdons, SPIPOLL (suivi photographique des insectes pollinisateurs), Sauvages de ma rue (plantes), Oiseaux des jardins et BioLitt (observatoire du littoral) constituent autant d’outils pour aider les scientifiques à comprendre et surtout à suivre la biodiversité au cours du temps, tout en transformant notre regard sur celle-ci. De nouveaux programmes de sciences participatives utilisent même des applications sur smartphone, à l’instar de BirdLab du MNHN et de NaturaList de la LPO. S’impliquer dans l’un d’entre eux est un excellent point d’entrée pour mieux comprendre et mieux aimer la biodiversité.