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La démographie, une des pressions indirectes identifiées par l’Ipbes

Ce travail s’appuie sur une brève synthèse de la littérature scientifique publiée entre 2019 et début 2021 et a bénéficié de relectures par les membres du Conseil scientifique de la FRB. Il est original en ce qu’il est focalisé sur le réseau des liens entre la biodiversité et le facteur indirect sans doute le moins exploré de ce point de vue : la démographie humaine.

 

Première approche de mise en évidence des impacts entre démographie humaine et biodiversité, fondée sur les résultats de travaux de recherche, il a vocation à se poursuivre et à être enrichi par des échanges en interne et l’ensemble des partenaires de la Fondation. Les fiches présentées ci-après approfondissent les éléments de connaissance autour de la démographie humaine (FICHE 1) et de la manière dont elle peut influencer les facteurs directs et certains facteurs indirects façonnant la biodiversité (FICHES 2 à 11). La quantification de l’effet de la croissance de la population humaine sur l’érosion de la biodiversité, par rapport à d’autres facteurs de pression, comme le changement climatique par exemple, reste, quant à elle, un aspect peu abordé dans la littérature et constitue à ce titre un « front de science », une question appelant à des recherches inédites.

 

Dans son récent rapport sur l’état et les tendances de la biodiversité mondiale (années 1970-2050), l’Ipbes dresse le constat de l’impressionnante détérioration de la biosphère à toutes les échelles spatiales, ainsi que de l’exceptionnelle rapidité de l’érosion de la biodiversité – des gènes aux communautés d’espèces – la dégradation des écosystèmes.

 

Parallèlement :

  • le nombre d’humains a triplé au cours du demi-siècle écoulé ;
  • en sept décennies, de 1950 à 2019, le produit intérieur brut (PIB) global par habitant a presque quintuplé, passant de 3 500 à 17 000 dollars internationaux (réf. prix 2011) alors que la population mondiale passait de ∼2,5 à 7,7 milliards d’humains ; l’activité économique s’est alors construite sur l’exploitation de ressources finies rendant ce modèle non soutenable (Barrett et al., 2020) ;
  • les besoins en énergie et matières premières se sont accrus de concert avec l’intensification du commerce international (Gephart & Pace, 2015 ; Wiedmann & Lenzen, 2018 ; Liu et al., 2019 ; Scheffers et al., 2019 ; Green et al., 2019 ; Xu et al., 2020) ;
  • la superficie des zones urbaines et du réseau de leurs infrastructures a doublé en trois décennies (Johnson & Munshi-South, 2017 ; Weiss, 2018) : plus d’une personne sur deux vit aujourd’hui en ville et ce chiffre devrait être porté à deux sur trois en 2050 ; la taille des villes a augmenté de manière exponentielle depuis 1950 et les 28 premières agglomérations dans le monde, en 2030, auront des effectifs proches ou supérieurs à 20 millions d’habitants (United Nations, 2018) créant une demande en infrastructures et approvisionnements (énergie, alimentation, etc.) ;
  • les terres consacrées à l’agriculture et à l’élevage occupent désormais plus du tiers des surfaces continentales (Ipbes, 2019) et, si une grande partie des terres a historiquement été utilisée par les humains, l’intensification de l’utilisation a concouru à l’érosion de la biodiversité (Ellis et al., 2021).

 

 

La plupart des « objectifs d’Aichi », définis par la Convention sur la diversité biologique (CDB), ne sont pas atteints (Ipbes 2019, fig. SPM6). Les trajectoires actuelles du développement des sociétés humaines sont incompatibles avec l’accomplissement des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, spécialement ceux relatifs à la pauvreté, la faim, l’eau, l’urbanisation, les océans et les terres (Ipbes 2019, fig. SPM7). L’extraordinaire essor de la production de nourriture, d’aliments pour animaux, de matériaux et d’énergie est accompli au détriment de services écosystémiques tels que la régulation du climat, la qualité des eaux continentales et marines, de l’air et des sols (Steffen et al., 2015, 2018 ; Springmann et al., 2018 ; Jouffray et al., 2020). Nombre de ces activités impriment à la surface de la planète une signature caractéristique de l’Anthropocène1 (Lewis & Maslin, 2015 ; Waters et al., 2016), dont le changement d’usage des terres (artificialisation, etc.) et la transformation des écosystèmes.

 

 

L’enrichissement des bases de données et l’analyse des flux d’information permettent aujourd’hui d’appréhender ces bouleversements à l’échelle pluri-décennale, et de porter à connaissance des synthèses globales de l’intensité de l’exploitation (et des projets de mise en exploitation) des ressources de la planète. Sans prétendre à l’exhaustivité, des constats avérés sont établis en ce qui concerne les ressources alimentaires (FAO, 2020 ; IPCC, 2019), biologiques (par ex. génétiques, Blasiak et al., 2018 ; FAO, 2019a), mais aussi minières (par ex. celles des fonds océaniques, Miller et al., 2018), ou encore les ressources en eau douce, indispensables aux services écosystémiques (Pekel et al., 2016 ; Abbott et al., 2019 ; Immerzeel et al., 2019 ; Schyns et al., 2019), sans méconnaître ni les risques afférents (Liu et al., 2019 ; Nienhuis et al., 2019), ni la percolation des activités humaines dans les espaces réservés à la préservation de la biodiversité (Ramirez-Llodra et al., 2011 ; Dureuil et al., 2018 ; Kroner et al., 2019 ; Martin et al., 2020). Quant aux stocks halieutiques, ils sont soit exploités au maximum de leur potentiel de renouvellement, soit surexploités pour un tiers d’entre eux (FAO, 2019b, 2020 ; Taconet et al., 2019).

 

 

Au-delà de ces constats, l’Ipbes a élaboré un modèle conceptuel qui distingue, d’une part, les « moteurs directs » de l’érosion de la biodiversité (amplification des usages de l’océan et des terres, exploitation des écosystèmes, changement climatique, pollutions, espèces exotiques envahissantes) et d’autre part les « moteurs indirects », c’est-à-dire les causes profondes des atteintes à la biodiversité, dont la démographie humaine, la consommation, l’économie, les échanges commerciaux, les progrès technologiques, les institutions, la gouvernance, etc. étayés par un système de valeurs et de choix de comportement (Ipbes, 2019, fig. SPM2, SPM9). Ces moteurs indirects rétroagissent et aggravent les pressions directes exercées sur la biodiversité.

Les interactions entre la biodiversité et les moteurs directs ont été – et demeurent – l’objet de nombreuses recherches. En revanche, l’étude des relations entre la biodiversité et les moteurs indirects, notamment la démographie, semble moins fréquente.