fermer
retour en haut de la page
Publications
Accueil > Publications > Penser l’écosystème pour rendre la pêche durable
mars 2022  I  Article  I  FRB  I  Biodiversité et agriculture

Penser l’écosystème pour rendre la pêche durable

Auteur : Didier Gascuel, professeur à l’Institut Agro de Rennes.

Relecteur : Pierre Tousis, chargé de communication à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).

La notion de pêche durable n’est pas une norme intangible, établie sur la base d’une vérité scientifique indiscutable. Elle est un compromis, éclairé par quelques considérations scientifiques, mais qui résulte avant tout des rapports de force entre acteurs, des représentations et valeurs de la société, et d’arbitrages politiques. C’est une construction sociale que la crise de la biodiversité et le changement climatique nous invitent aujourd’hui à redéfinir. Petite plongée dans un débat qui concerne tant l’avenir du secteur que la relation des humains à l’océan.  

 

Penser l’écosystème pour rendre la pêche durable
Assurer le renouvellement des populations : un impératif très insuffisant

Généralement, on a tendance à penser qu’il suffit d’assurer le renouvellement des populations exploitées pour garantir la durabilité de la pêche. C’est en réalité très insuffisant. Bien sûr, il est vital de maintenir un effectif de géniteurs suffisant, faute de quoi les populations de poissons peuvent subir un effondrement brutal. Mais l’expérience prouve que l’on peut assurer ce renouvellement avec un très petit nombre de géniteurs. Chez à peu près toutes les espèces aquatiques, la quantité d’adultes peut être divisée au moins par cinq, parfois plus, sans que soit observée une quelconque baisse du nombre de juvéniles issus chaque année de la reproduction. 

 

La raison de ce phénomène est l’extraordinaire fécondité des animaux marins. Chez la plupart des espèces, chaque femelle émet à chaque ponte des centaines de milliers, voire des millions d’œufs. Ce qui limite in fine l’abondance des juvéniles n’est donc pas le nombre de géniteurs, mais la capacité d’accueil du milieu. Et notamment la disponibilité des ressources alimentaires dans les premières phases du cycle de vie. 

 

Lorsque la pêche se développe, le premier problème de durabilité auquel elle est confrontée n’est donc pas le renouvellement des générations. Très vite, elle doit faire face à un autre processus. Elle réduit mécaniquement l’espérance de vie des poissons et tend donc à vider la mer des individus les plus vieux et les plus gros. L’abondance de la population en est affectée et avec elle le fonctionnement global de l’écosystème, tout autant que la rentabilité des entreprises de pêche. 

 

La gestion au “rendement maximal durable”, une norme obsolète

Prenant progressivement conscience de ces mécanismes, les acteurs du système pêche ont adopté une norme de durabilité plus précautionneuse que la simple protection du potentiel reproducteur. Il s’agit de la gestion dite “au rendement maximum durable (RMD)”, reconnue par les traités internationaux comme le fondement de la pêche durable et qui est l’un des piliers de la politique européenne de la pêche. 

 

Comme son nom l’indique, la gestion au RMD vise à assurer une capture maximale sur le long terme. Il faut donc un nombre de bateaux suffisant – à défaut la ressource serait sous-exploitée – mais cependant limité, afin d’éviter une baisse d’abondance trop forte, synonyme de captures en baisse et de surpêche. Contrairement à ce que croît le grand public, la surpêche ne signifie pas pêcher plus que la population ne produit, mais pêcher avec un nombre excédentaire de bateaux ou de kilowatts qui conduit à une baisse de la capture totale. C’est une situation reconnue par tous comme une absurdité économique, car on y dépense plus d’argent, de capital, de travail et de gasoil, pour finalement pêcher moins. 

 

La gestion au RMD n’est donc en rien définie par rapport à un objectif écologique. Elle vise à maximiser durablement les captures en évitant la surpêche. Il s’agit d’une approche productiviste, basée sur les modèles mono-spécifiques (i.e. par espèce) développés il y a plus de 50 ans et qui ne tiennent compte ni des interactions entre espèces, ni du fonctionnement global de l’écosystème.  

 

Cette vision de la pêche durable a longtemps fait consensus, y compris dans les milieux scientifiques. Il faut d’ailleurs lui reconnaître quelques vertus : sa mise en œuvre a permis de faire reculer sensiblement la surpêche. Pour autant, l’objectif reste insuffisant. Beaucoup s’imaginent que l’absence de surexploitation permettrait une pêche sans impact. Ce n’est pas le cas, bien au contraire. En raison de la disparition des vieux poissons, on admet que le RMD est atteint lorsque la population est divisée approximativement par trois par rapport à une situation sans pêche. Cet impact, répété sur chacune des populations marine soumises à la pêche, a d’évidentes répercussions sur la structure et sur le fonctionnement de l’écosystème. 

 

Vers une approche écosystémique de la gestion des pêches

La pêche est désormais identifiée comme la première source d’impact sur la biodiversité de l’océan. Une vision écosystémique s’impose d’autant plus que la société demande des comptes. Les effets émergents du dérèglement climatique imposent eux-aussi de revoir à la hausse tous les standards environnementaux. Les pêcheurs eux-mêmes doivent s’intéresser à la productivité, la stabilité et la résilience des écosystèmes marins. 

 

Le mot d’ordre est connu : il faut minimiser l’impact écologique de chacun des kilos de poissons pêchés et maximiser l’utilité économique, sociale et sociétale de cette production fournie par la nature. La pêche durable est celle qui sait mobiliser toutes les connaissances, tous les processus d’innovation et toute l’intelligence des acteurs pour initier un processus permanent de réduction de chacun de ses impacts écologiques. C’est celle qui sait s’emparer aussi des questions économiques et sociales, pour construire une pêche au service des populations et des territoires, en évitant la captation de la rente économique par un petit nombre d’acteurs.  

 

Il faut, en particulier, révolutionner les engins et les pratiques de pêche pour minimiser les impacts sur les fonds marins, les captures accidentelles d’espèces sensibles (mammifères marins, oiseaux, etc.) et les émissions de CO2. Il faut favoriser, partout où cela est possible, les petites pêches côtières pourvoyeuses d’emplois et de vie dans les territoires. Il faut développer la gestion par flottilles, en encourageant les pratiques écologiquement et socialement vertueuses, notamment par une politique basée sur une distribution préférentielle des quotas de pêche. Il faut promouvoir l’implication des acteurs dans des systèmes de gouvernance décentralisés, aptes à gérer de manière durable le bien commun que constituent les ressources et les écosystèmes marins. 

 

Pour permettre une gestion plus précautionneuse, la gestion au rendement maximal durable doit être abandonnée. Viser une capture légèrement inférieure au maximum permettrait de réduire significativement la pression de pêche tout en améliorant la rentabilité économique des flottilles. Mais surtout, cette capture proche du maximum pourrait être obtenue avec des impacts écologiques plus faibles en augmentant les maillages des engins de pêche, afin de laisser dans l’eau tous les juvéniles. 

 

En définitive, la pêche durable n’est pas un état, mais un processus d’innovation continue. C’est un immense chantier qui se construit au jours le jours et qui doit intégrer la mobilisation des acteurs afin de réduire l’impact écologique et générer plus de justice sociale et d’équité.

 

#Ipbes9

À l’occasion de la publication de deux rapports majeurs par l’Ipbes sur « l’évaluation des valeurs associées à la nature » et « l’utilisation durable des espèces sauvages » lors de sa neuvième session plénière en juillet 2022, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité donne la parole aux chercheurs et acteurs pour aborder ces thématiques sous différents angles.

 

>> Retour à la thématique

Chercheur

Didier Gascuel, Professeur à l’Institut Agro de Rennes

Bibliographie

Dewals et Gascuel, 2020 – Vers une nouvelle définition de la pêche durable ! Prendre en compte les écosystèmes, les hommes et les territoires 

 

Froese et al., 2016 – Minimizing the impact of fishing. Fish and fisheries, 17: 785–802 

 

Gascuel, 2019 – Pour une révolution dans la mer, de la surpêche à la résilience. Actes sud (ed.), collection Domaine du possible, 520 p. 

 

Gascuel, 2020 – Surexploitation et pêche durable : quels enjeux pour aujourd’hui et pour demain ? Fiches scientifiques 2019 de la plateforme Océan et climat, pp. 68-74. 

 

Ifremer, 2021 – Bilan 2020 de l’état des populations de poissons pêchées en France. Site Web Ifremer 

 

POC, 2021 – Policy Brief – Les impacts de la pêche et du changement climatique sur les ressources halieutiques : quels enjeux pour demain ? 

 

STECF, 2021  – Note de présentation par D. Gascuel du rapport : Monitoring the Performance of the Common Fishery Policy (PLEN21-01).  

La campagne #Ipbes9 Retour à la thématique