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Modifions le cours de notre histoire commune avec la biodiversité

En 2017, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et son Conseil d’orientation stratégique composé de près de deux cents parties prenantes ont interrogé les candidats à l’élection présidentielle sur leur action en faveur de la biodiversité. En dépit des engagements forts de chacune et chacun, peu d’avancées ont été observées. Les rapports des scientifiques restent toujours aussi accablants.

 

En 2019 encore, l’Ipbes, le Giec de la biodiversité, alertait sur le déclin des espèces communes à savoir, les oiseaux, les insectes, les pollinisateurs, les amphibiens, qui sont au cœur du fonctionnement de nos écosystèmes. La plateforme internationale pointait du doigt l’accélération des extinctions d’espèces, la dégradation des écosystèmes et l’altération de leurs fonctions vitales associées, comme la régulation du climat, l’épuration des eaux et de l’air, la pollinisation, le contrôle des ravageurs et des épidémies, etc.

 

Ce déclin de la biodiversité qui se poursuit inlassablement menace d’”éroder les fondements mêmes de nos économies, de nos moyens de subsistance, de notre sécurité alimentaire, de la santé et de la qualité de vie” comme le rappelait alors le président de l’Ipbes, Robert Watson. La mise en garde de la recherche contre cette érosion n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’alerte sur l’actuelle pandémie qui avait pourtant été annoncée par les scientifiques depuis longtemps, mais qui avait été reçue dans une réelle indifférence sociale et politique, car non “pensable” en tant que réalité.   

 

Les origines de la perte de biodiversité sont aujourd’hui bien connues. L’Ipbes en a rappelé les cinq causes directes : les transformations des écosystèmes, l’exploitation des ressources naturelles, le changement climatique, les pollutions et les invasions biologiques. Mais peut-être plus important encore, l’Ipbes a aussi rappelé les causes indirectes liées aux facteurs économiques, sociaux, technologiques et de gouvernance des sociétés.

 

Pour lutter contre le déclin de la biodiversité, l’expertise scientifique internationale a souligné la pertinence de “changements transformateurs”, c’est-à-dire des changements qui repenseraient non seulement notre organisation économique, sociale et technique, mais aussi des paradigmes et des valeurs, telle que la croissance soutenue.

 

De si profonds changements sont-ils réellement possibles ? Notre société occidentale en a déjà vécu un : la révolution industrielle qui a bouleversé de fond en comble nos modes de production, de consommation et de vie. Celle-ci a été matériellement rendue possible grâce aux énergies fossiles, à l’accompagnement de la recherche et au développement de technologies qui ont facilité sa mise en œuvre.

 

Sans renier toutes les avancées exceptionnelles de cette révolution, et face aux limites environnementales et planétaires, il s’agit maintenant de faire en sorte que cet épisode de croissance économique soutenue, qui a été aussi accompagnée par une forte croissance démographique, se transforme. Cette transformation concerne les secteurs de l’énergie, de l’agriculture, de l’industrie… mais aussi de la consommation, de la vie en société en général. Des initiatives sont déjà en œuvre, telles que l’agroécologie, l’économie circulaire, la préservation des écosystèmes. De façon générale, il s’agit de donner plus de poids à la biodiversité dans toutes les décisions socio-économiques afin de promouvoir des socio-écosystèmes résilients assurant à la fois le bien-être des populations humaines et un bon état à la biodiversité.

 

De manière pragmatique, nous, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, composée d’acteurs publics, du monde économique et de la société civile, de chercheurs et chercheuses, de représentantes et représentants d’institutions académiques, vous invitons à vous saisir de cette notion de changements transformateurs et à venir en discuter avec nos experts académiques et non académiques.  

 

En cette veille d’élection présidentielle, il nous parait plus que jamais nécessaire que nos concitoyennes et concitoyens connaissent vos ambitions dans le domaine de la biodiversité. Nous avons compilé vos mesures et vous invitons à nous contacter afin de préciser vos engagements en faveur du vivant et de la recherche sur la biodiversité.

Plaidoyer pour une COP 15 Biodiversité ambitieuse et pour un rapprochement des conventions issues de Rio

Fin 2020 se tiendra la quinzième Conférence des parties (COP) de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB), en Chine. Les pays adhérents à cette convention sont invités à annoncer des engagements précis en faveur de la préservation de la biodiversité.

Il serait dramatique que les États réunis à cette occasion ne s’accordent que sur un plus petit dénominateur commun en matière d’engagements et d’actions et que les décisions de la COP ne soient pas à la hauteur des enjeux relatifs à l’effondrement de la biodiversité.

Il faut que les États s’engagent en faveur d’actions claires, précises, multiples et quantifiables, en privilégiant la réduction rapide et effective des grands facteurs de pressions, tout en développant des actions de protection de grande ampleur afin de sauvegarder rapidement ce qui reste de la biodiversité et lui redonner un large potentiel d’évolution.

Il faut également que les acteurs privés accompagnent cette démarche en travaillant à la réduction de leurs pressions sectorielles sur la biodiversité.

Il faut enfin que les citoyens soient le moteur d’un changement majeur de nos modes de consommations, de perception et d’usage de la biodiversité.

 

Les deux plateformes d’expertise scientifique planétaires, qui réfléchissent d’un côté au devenir de la biodiversité (IPBES) et de l’autre à celui du climat (GIEC), s’accordent globalement sur le constat d’urgence et la nécessité de revoir rapidement des processus productifs non durables qui aggravent à la fois l’érosion de la biodiversité et le changement climatique.

 

L’IPBES souligne ainsi dans son évaluation mondiale de l’état de la biodiversité présentée en mai 2019, que la biodiversité s’érode à un rythme croissant, ce qui conduit à la dégradation du fonctionnement des sols et des écosystèmes. En conséquence, les services que les humains retirent de la biodiversité diminuent eux aussi rapidement, mettant en péril le devenir de nos sociétés. Les facteurs directs à l’origine de cette dégradation de la biodiversité sont parfaitement connus et leur importance respective a été évaluée : changement d’usage des terres au détriment des écosystèmes et des biotopes peu anthropisés, exploitation, et souvent surexploitation, des ressources marines ou terrestres, pollutions chimiques et physiques croissantes, changement climatique, multiplications des espèces exotiques envahissantes. Tous ces facteurs s’aggravent mutuellement et sont également renforcés par des facteurs indirects : la croissance démographique humaine et l’ensemble des processus socio-économiques et politiques à l’origine d’une consommation non durable des ressources de la planète.

L’IPBES insiste sur les incidences négatives multiples sur la biodiversité des systèmes de production agricoles intensifs dont deux excès sont à présent bien documentés, d’une part l’usage immodéré des pesticides et engrais chimiques et d’autre part l’accroissement de la production de protéines végétales destinées à l’alimentation animale qui induit des échanges à longue distance et délocalise les impacts dans des régions à forte biodiversité, comme les forêts tropicales. Les projections d’ici 2050 montrent que sans changements majeurs de modes de vie, l’érosion de la biodiversité et la diminution des services que les humains retirent du monde vivant vont se poursuivre.

 

Depuis la publication de l’évaluation mondiale de l’IPBES, le GIEC a produit un rapport sur les liens entre changement climatique et usage des terres, notamment au travers des activités agricoles et forestières. Les messages clés de ce rapport rejoignent ceux de l’évaluation IPBES sur la dégradation et la restauration des terres publiée en 2018. Le rapport du GIEC souligne l’importance de la contribution de l’ensemble du système alimentaire mondial à la production de gaz à effet de serre et rappelle que les modifications de couverture, d’usage et d’état des sols influencent les climats régionaux et globaux. Il rappelle aussi que le changement climatique est une source de risques accrus pour le système alimentaire mondial et la biodiversité, risques qui seront d’autant plus forts à mesure que la consommation alimentaire, les besoins en eau et la consommation de ressources multiples continueront à s’accroître. Le GIEC appelle à des actions en faveur de l’adaptation au changement climatique et à la réduction de celui-ci en soulignant les co-bénéfices que pourra en attendre la biodiversité. Le GIEC appelle donc à une gestion durable des sols et des écosystèmes, seule manière d’en stopper la dégradation, d’en maintenir la productivité et de contribuer à l’adaptation au changement climatique et à sa réduction. Le GIEC insiste sur la nécessaire réduction du gaspillage alimentaire et des déchets tout en jouant aussi sur l’évolution des choix alimentaires. Enfin, le GIEC insiste sur le besoin d’agir vite, de privilégier le court terme et met en avant dans ses projections le besoin d’accroître les surfaces forestières.

 

Par ailleurs, en septembre s’est tenue en Inde la Conférence des parties de la convention sur la lutte contre la désertification (UNCCD), la troisième des conventions de Rio, qui appelle à un arrêt de la dégradation des sols et à leur restauration pour préserver le fonctionnement et les services des écosystèmes et renforcer la sécurité alimentaire. Dans la déclaration de New Delhi appelant à investir dans la sauvegarde de terres et à débloquer toutes les opportunités d’action, la COP Désertification souligne l’importance de la prise en compte des solutions basées sur la gestion des terres pour la lutte contre le réchauffement climatique et pour la conservation de la biodiversité.

 

Enfin, l’initiative New York Declaration on Forests, initiée en 2014 par d’importantes structures de recherche et de réflexion et des ONG, constatant la poursuite de la déforestation, en particulier des forêts humides tropicales, a solennellement appelé à la protection et à la restauration de forêts de la planète, pour préserver leur biodiversité et leur capacité à séquestrer du carbone, rejoignant ainsi les COP dans leur invitation à ce que les gouvernements s’engagent dans des changements systémiques.

 

Dans tous les cas, les constats de ces instances relayent les alertes faites par les scientifiques depuis longtemps, et leurs recommandations, ont été reconnues ou approuvées par une majorité des pays dans le monde. Les gouvernants ne peuvent donc dire que l’alerte n’a pas été donnée et que l’urgence des actions nécessaires en faveur de la biodiversité n’a pas été mise en avant. Certains pays ont rapidement pris des engagements, comme la France qui a annoncé un accroissement significatif des surfaces d’aires protégées nationales, une initiative majeure, mais qui ne couvre qu’en partie les besoins d’actions indispensables, notamment à court terme.

 

Cependant, des divergences significatives persistent dès que sont abordées les stratégies et les options à privilégier pour résoudre les problèmes de restauration de la biodiversité ou de réduction du changement climatique.

 

C’est le cas, par exemple, de la prise en compte d’un fort développement des surfaces dévolues aux cultures énergétiques dans les scénarios du GIEC, cultures qui, à grande échelle, auraient un impact négatif majeur sur la biodiversité et sur lequel l’IPBES a attiré l’attention des dirigeants. Il en va de même du développement des technologies énergétiques de type BECCS (Bioenergy with Carbon Capture and Storage) ou du déploiement de stratégies d’afforestation intensive. C’est sur ces sujets que les échanges entre les experts du climat et de la biodiversité d’une part et entre les différents mécanismes de coordination stratégique et politique internationaux (Conventions et agences onusiennes) d’autre part devraient prendre toute leur importance. Il est central de rappeler que la lutte contre le changement climatique n’est pas une fin en soi, mais un moyen, urgent et indispensable, pour permettre aux vivants, humains et non-humains de poursuivre leurs trajectoires de vie et d’évolution. La lutte contre le changement climatique ne peut donc se faire en aggravant la situation de la biodiversité. Plus que jamais, le slogan de la FRB, « biodiversité et climat, même combat », reste d’une évidente actualité.

 

Au-delà de la COP 15 Biodiversité, de la COP Désertification ou des prochaines COP Climat, les Conférences des parties des trois conventions de Rio qui doivent avancer de concert, se pose la question de la nécessaire coordination mondiale des actions qui sont de nature à mettre la planète sur une trajectoire d’avenir assurant à la fois le devenir des populations humaines et celui de l’ensemble du vivant sur les continents, les îles et les mers et cela sans manichéisme et en respectant libertés et différences culturelles.

Face aux défis planétaires qui se posent à nous, il n’est plus possible de continuer à raisonner en silos, climat d’un côté, biodiversité ou désertification de l’autre, et de laisser émerger des solutions qui seront de mauvais compromis ne permettant pas de répondre simultanément, et au même niveau de priorité, à l’ensemble des grands défis planétaires.

 

Plusieurs alternatives sont envisageables pour que les solutions préconisées par les instances internationales soient pertinentes pour l’ensemble des enjeux majeurs auxquels nous devons faire face :

 

  • Fusionner les trois conventions de Rio en une seule Convention Environnement qui traiterait de l’ensemble des enjeux environnementaux sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’Environnement, le PNUE. Cela permettrait de considérer conjointement et en pleine synergie les enjeux du climat, de la désertification des terres et de la biodiversité, et de faire remonter en direction des décideurs des suggestions d’engagements et d’actions qui ne favoriseraient pas la solution d’un problème au détriment d’un ou plusieurs autres. Cela permettrait aussi d’établir un lien plus direct avec une version actualisée des Objectifs du Développement Durable de l’ONU qui pourraient alors s’appeler les Objectifs pour une Planète Durable. Une telle fusion s’accompagnerait de celle des organes subsidiaires scientifique et technologiques (SBSTA et SBSTTA) des conventions. Il faudrait parallèlement statuer sur la nécessité d’institutionnaliser ou non les relations entre les plateformes d’expertise scientifiques, GIEC et IPBES, et veiller à ce que la fusion des trois conventions, en donnant naissance à une structure de très grande ampleur, difficile à gérer dans la pratique, ne brise pas leurs dynamiques internes actuelles.
  • Conserver les trois COP actuelles et mettre en place, sous l’égide du PNUE, une structure chapeau de coordination destinée à harmoniser et fiabiliser les décisions des COP. Il s’agirait là d’une structure légère associant secrétariat des conventions et responsables des structures d’expertise scientifique associées. Comme dans l’option précédente, les plateformes internationales d’expertise scientifique seraient invitées à collaborer de manière beaucoup plus effective qu’actuellement. Une telle structure chapeau devra fonctionner avec un impératif fort de réactivité.
  • Établir un nouveau mode de fonctionnement entre les Conventions pour qu’elles s’appuient sur l’ensemble des organes d’appui scientifiques et technologiques dédiés (SBSTA et SBSTTA) et des plateformes d’expertise scientifique internationales, en particulier le GIEC et l’IPBES. Cette option nécessitera d’institutionnaliser une plateforme d’expertise scientifique indépendante en matière de désertification, par exemple le partenariat mondial sur les sols, actuellement sous égide de la FAO.
  • Instituer formellement et rapidement une collaboration opérationnelle entre tous les organes d’appui scientifiques et techniques et les plateformes d’expertise scientifique comme le GIEC et l’IPBES de manière à ce qu’aucun rapport de l’une des plateformes scientifiques ne soit publié sans avoir bénéficié de la validation des autres groupes d’experts. Cela peut passer par la publication de rapports communs ou par une évaluation a posteriori des recommandations à destination des États avec une exclusion systématique des solutions qui porteraient atteinte aux enjeux de lutte contre le changement climatique, de lutte contre l’érosion de la biodiversité ou de lutte contre la désertification. Cette dernière option serait la plus facile à mettre en œuvre et les conventions pourraient alors pouvoir travailler à partir d’un socle d’expertise non pas nécessairement commun, mais ayant fait l’objet, en matière de recommandations, d’une mise en cohérence aussi poussée que possible.

 

Dans tous les cas, il devient urgent de favoriser des consensus scientifiques forts, qui puissent constituer les fondements de décisions internationales ambitieuses dépassant les visions sectorielles et les clivages politiques touchant notre avenir et celui de toutes les formes de vie qui nous entourent.