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juillet 2020  I  Article  I  FRB  I  État et tendance

#ScienceDurable – Le déploiement de la biologie de la conservation

Auteure : Julie de Bouville, experte en communication

Relecteur : François Sarrazin, président du CS de la FRB

En dépit des engagements mondiaux entrepris pour inverser la courbe descendante de la biodiversité, son déclin se poursuit à un rythme rapide. Face à cela, de nombreuses initiatives de conservation de la biodiversité ont été mises en place, accompagnées par une nouvelle discipline scientifique : la biologie de la conservation. 

#ScienceDurable – Le déploiement de la biologie de la conservation Gypaète barbu (Gypaetus barbatus)

Apparue au milieu des années 1980, cette jeune science invite à identifier les espèces et les écosystèmes menacés, diagnostiquer les causes de leur déclin, proposer, tester et valider des moyens d’y remédier : « Jusqu’alors, c’était l’affaire de naturalistes passionnés, de gestionnaires d’espaces protégés ou d’ONG, souligne le biologiste de la conservation François Sarrazin. Depuis, les scientifiques les aident à identifier les priorités et améliorer les pratiques de conservation, à comprendre leurs causes de succès et d’échecs. » Là où le gestionnaire s’empare d’une action à une échelle locale, le scientifique peut apporter le recul statistique sur un grand nombre d’opérations et permet d’améliorer les pratiques à une échelle plus globale. 

La restauration du gypaète barbu

Ainsi, avec le temps, différents outils de conservation ont été identifiés : « Les réintroductions par exemple, permettent de restaurer des populations animales ou végétales dans leur aire d’origine, c’est-à-dire dans une zone géographique où l’espèce a co-évolué avec le reste de son environnement, précise François Sarrazin. » Parmi les grandes réintroductions en cours en Europe et notamment en France : le cas du gypaète barbu (Gypaetus barbatus), surnommé le « casseur d’os ».

 

L’oiseau avait été éradiqué dans les Alpes au début du XXe siècle à cause d’une mauvaise réputation nourrie par de terribles légendes. Il en subsistait alors très peu dans les Pyrénées. Le premier lâcher de gypaètes a eu lieu en 1986 dans le Parc national autrichien de Hohe Tauern par un petit groupe de passionnés. Aujourd’hui, on dénombre trois cents oiseaux dans tout l’arc alpin, dont cinquante-deux territoires de reproduction occupés et vingt-neuf jeunes à l’envol en 2018. Le gypaète barbu s’éloigne de l’extinction dans les Alpes. Depuis 2010, ces programmes se poursuivent avec la LPO et de nombreux partenaires pour reconnecter, via des flux démographiques et génétiques, les populations alpines et pyrénéennes de Gypaètes.

 

« Qualifier le succès d’une opération n’est pourtant pas toujours simple, souligne le chercheur. Il peut y avoir des populations qui fonctionnent à bas régime et d’autres au contraire qui sont bien implantées. Nous, scientifiques, travaillons encore à la définition des critères de succès. » Trois phases sont identifiées : l’installation, la croissance, puis la régulation locale des effectifs qui doit permettre la viabilité à long terme de la population.

 

Des pratiques qui s’améliorent avec le temps

Si une greffe prend, la croissance d’une population n’est pas toujours assurée. Les restaurations se font par essais-erreurs avec le temps et les données des scientifiques pour minimiser les pertes. « Dans le cas du vautour fauve (Gyps fulvus), première réintroduction mondiale pour ce type d’espèces, poursuit François Sarrazin, des jeunes oiseaux avaient d’abord été relâchés dans le Massif central. L’un avait été abattu et les autres avaient été perdus. » L’équipe de conservation a donc choisi d’installer de grandes volières dans les gorges où cette espèce avait niché, et de lâcher des adultes pour une période d’acclimatation. « On a néanmoins perdu un quart des oiseaux relâchés, car ces adultes avaient du mal à voler ou étaient inadaptés en raison d’une trop forte imprégnation par l’homme. Ils ont donc été repris. Malgré cela, la fixation rapide de ces oiseaux pour la reproduction et leur excellente survie ultérieure ont montré l’efficacité de ces lâchers d’adultes pour établir une population qui est toujours en croissance forte 40 ans après. »

 

Bien qu’il soit encore très difficile de chiffrer le taux de réussite de réintroductions, certains les évaluent à environ 50 %. Grace à elles, de nombreuses espèces ont été sauvées : le cheval de Przewalski en Mongolie, le condor de Californie aux États-Unis, le kakapo en Nouvelle Zélande sont autant d’espèces qui aujourd’hui se portent mieux. « Mais ces actions de conservation sont quelque peu biaisées, soulignent le biologiste. Car les espèces restaurées ont été initialement majoritairement des espèces emblématiques, dont on percevait les extinctions locales ».

 

Le déclin des espèces ordinaires

Or le déclin de la biodiversité ne touche pas seulement les espèces remarquables. Les espèces considérées localement comme « ordinaires » sont aussi impactées par l’érosion de la biodiversité. « Aujourd’hui, il n’est pas inimaginable de restaurer des espèces auxquelles nous n’aurions jamais pensé, poursuit François Sarrazin.  En Inde et au Pakistan par exemple, les vautours présents par millions et considérés comme des espèces communes ont subi un effondrement de leurs populations à cause d’un produit vétérinaire utilisé sur du bétail domestique. » À l’heure actuelle, des programmes sont en cours pour les réintroduire, notamment parce que ce déclin a causé une crise sanitaire sans précédent qui a vu une augmentation des cas de rage provenant des chiens errants qui mangeaient les carcasses de bétail à la place des vautours.

 

Les tortues d’Aldabra à la rescousse de la forêt d’ébène

En effet, lorsqu’une espèce disparait, disparaissent avec toutes les fonctions qu’elle remplissait. Rétablir ces réseaux fait aussi partie des actions de conservation. « Cela peut mener jusqu’au remplacement écologique, poursuit François Sarrazin.  Ici on cherche à rétablir les fonctions que l’espèce entretenait avec son écosystème, via son remplacement après son extinction définitive. » Ainsi en 2000, un programme de remplacement écologique a été mis en place sur l’Île aux aigrettes à l’est de l’île Maurice. Les scientifiques ont fait le pari de remplacer les tortues vivant jadis sur l’île par les tortues géantes d’Aldabra pour sauver le forêt d’ébène. Pari gagné. En mangeant les fruits des ébéniers, les tortues d’Aldabra ont répandu les graines à l’aide de leurs excréments et restauré l’écologie de la forêt tropicale. Les tortues ont non seulement favorisé la dispersion des graines mais elles ont aussi permis d’améliorer leur germination, grâce au passage des graines à travers leur intestin.

 

Les outils de la restauration sont-ils pour autant la solution miracle aux problèmes de l’érosion de la biodiversité ? Pour l’écologue, la réponse est catégorique : « Il faut tout faire pour éviter d’avoir à restaurer la biodiversité. Le coût humain et financier, sans compter les mortalités chez les organismes introduits, nous oblige à chercher en priorité à maintenir des populations naturelles viables, capables d’exprimer tout leur potentiel d’évolution à long terme, notamment en établissant des statuts de protection forts des espèces et des écosystèmes.»

#ScienceDurable

Chaque mois, la FRB, ses instituts membres fondateurs et l’alliance AllEnvi mettent en avant les solutions de la recherche pour enrayer le déclin de la biodiversité. Suivez-nous sur notre page dédiée et sur nos réseaux sociaux #ScienceDurable

Chercheur

François Sarrazin (MNHN)