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Évaluer l’état de santé des milieux aquatiques en Outre-mer : des outils basés sur la biodiversité

Une biodiversité exceptionnelle peuple les cours d’eau et les eaux marines des outre-mer français. Près de 500 espèces de poissons évoluent dans les fleuves et criques de la forêt amazonienne de Guyane ; plus de 150 variétés de coraux composent les récifs de Mayotte et de La Réunion ; un millier de taxons de diatomées, algues microscopiques unicellulaires, habite le fond des cours d’eau des Antilles, de Mayotte et de La Réunion. Cette nature exubérante subit pourtant les pressions des activités humaines et peut en être fortement impactée. Les rivières des territoires insulaires de la Guadeloupe, de la Martinique, de Mayotte et de La Réunion pâtissent notamment d’importants prélèvements d’eau qui réduisent drastiquement sa disponibilité pour la vie et la migration des espèces. Les activités d’orpaillage en Guyane induisent destruction du milieu naturel, asphyxient des rivières par les boues et pollution au mercure. À Mayotte, les détergents et lessives utilisées par les lavandières génèrent une pression chimique importante sur les invertébrés benthiques, organismes qui peuplent le fond des cours d’eau.

 

Pour rendre compte des altérations subies par les écosystèmes aquatiques et les communautés animales et végétales qui les composent, et ainsi pouvoir alerter et agir pour leur protection, la Directive cadre sur l’eau (DCE) a amené à développer des outils pour la surveillance des milieux aquatiques. Cette directive européenne, adoptée en 2000, vise à maintenir ou restaurer leur bon état écologique. En faisant des communautés biologiques les sentinelles de la qualité des eaux, elle a érigé la biodiversité en « juge de paix » de la surveillance et de la reconquête de l’état des rivières, des lacs et des eaux littorales.

La pollution des écosystèmes et l’antibiorésistance, deux questions étroitement liées

Chaque année en France, plus de 150 000 personnes sont infectées par des bactéries multirésistantes, c’està-dire résistantes à plusieurs antibiotiques, comme par exemple certains staphylocoques dorés en milieu hospitalier (Carlet & Le Coz, 2015). Ce phénomène, qualifié d’antibiorésistance, provient principalement de notre utilisation fréquente d’antibiotiques pour soigner les humains et les animaux d’élevage, mais pas uniquement. Le rôle de notre environnement dans ces échanges bactériens fait l’objet de nouvelles recherches. Les résidus d’antibiotiques dans les eaux usées, le contact de la faune sauvage avec les bactéries multirésistantes et même la pollution causée par d’autres biocides, tels que les désinfectants, sont des facteurs de propagation de la résistance aux antibiotiques. Marion Vittecoq, chargée de recherche en écologie de la santé à l’Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes (Tour du Valat), revient sur ces problématiques encore à l’étude.

Nourrir la planète sans l’uniformiser : les dangers de la pollution à l’azote

L’azote, bien que majoritaire dans notre atmosphère (78 % de l’air), est un élément limitant de la croissance pour les règnes animal et végétal dans de nombreux écosystèmes (Vitousek & Howarth, 1991). Il y a sur Terre beaucoup d’azote inerte (N2), mais peu de composés azotés réactifs comme le nitrate (NO3), l’ammonium (NH4) et l’ammoniac (NH3) qui sont les principales formes assimilables par les plantes, à l’exception de quelques familles botaniques comme les légumineuses fixant l’azote atmosphérique grâce aux symbioses avec des bactéries. Ceci amène un paradoxe évident qui resta longtemps indépassable : l’azote est partout sur la planète mais naturellement accessible seulement par quelques organismes qui conditionnent l’ensemble de l’accès à cette ressource pour toute la chaîne du vivant. Le cycle de l’azote, naturel comme anthropique, fut donc au départ basé sur une économie du recyclage de l’azote contenu dans les matières organiques en décomposition.

 

Les assolements1 dès le Moyen-Âge, les pratiques agricoles cherchant à bénéficier au mieux des fumures animales, la collecte des « boues, racluns et immondices urbaines » dans les villes du monde témoignent de ce souci historique et général de réinjecter cet engrais « naturel » dans les sols (Barles, 2005). Jusqu’au début du 20e siècle, « le fumier était or » selon les mots de Victor Hugo dans Les Misérables, invitant les villes à fumer la plaine au lieu de le jeter aux égouts « en empestant les eaux et en appauvrissant les sols ». Et puis, il y a un siècle, deux chimistes allemands inventent les engrais minéraux et le procédé Haber-Bosch qui permet la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air et l’hydrogène. C’est peu dire que cette histoire fût un succès. Associés à de nouvelles techniques culturales et de nouvelles variétés de pesticides, les engrais chimiques produits à échelle industrielle ont permis la révolution verte et l’intensification agricole mondiale, accroissant les rendements et permettant à de nombreuses régions de s’approcher de l’autosuffisance alimentaire. Cependant, les coûts environnementaux et sociaux de l’agriculture industrielle ont longtemps été ignorés. Ils se sont cumulés à d’autres coûts liés à d’autres transformations concomitantes : l’accroissement des combustions d’hydrocarbures d’origines domestique et industrielle a multiplié les apports d’une autre source d’azote réactif, les oxydes d’azote, dont certaines formes comme le protoxyde d’azote (N2O) entrent dans la catégorie des gaz à effet de serre. La durabilité de ce système est aujourd’hui mise en question à mesure que la dégradation de la qualité des eaux de surface et souterraines ou encore que l’impact sur les sols et la biodiversité se font sentir (Gowdy & Baveye, 2019).

 

« Fermons le robinet avant de chercher à éponger l’inondation de plastiques »

Nos sociétés auraient développé une forme d’addiction au plastique, symbole de modernité d’hier devenu fléau environnemental. La mise au point du celluloïd par les frères Hyatt remonte à 1869 mais l’utilisation massive des plastiques débute seulement après la seconde guerre mondiale et se révèle déjà problématique : entre 1950 et 2015, 8,3 milliards de tonnes de plastiques ont été produits. Plus de 79 % sont déjà devenus déchets (Geyer et al., 2017) et s’accumulent dans les décharges ou en pleine nature. Ils contaminent ainsi les eaux et les sols de nombreux écosystèmes, affectant directement ou indirectement la santé humaine et animale. Aujourd’hui, sur l’ensemble du globe, on compte en moyenne 15 tonnes de déchets plastiques accumulés par kilomètre carré, sur terre comme sur mer. Nathalie Gontard, directrice de recherche dans l’unité « ingénierie des agro-polymères et technologies émergentes » à l’Inra, nous présente les enjeux et les implications de cette pollution globale qui nécessite un changement important des pratiques et une baisse de la consommation.

 

Schémas spatiaux et temporels de blanchissement de masse des coraux pendant l’Anthropocène

L’une des conséquences liées à l’augmentation des températures est le blanchissement corallien.

Le blanchissement se produit lorsque la densité des symbiotes algales, les zooxanthelles (Symbiodinium spp.), dans les tissus d’un hôte corallien diminue drastiquement à la suite d’un stress environnemental, révélant le squelette blanc du corail sous-jacent. La survie des coraux blanchis est alors compromise physiologiquement et nutritionnellement. Un blanchissement prolongé sur plusieurs mois conduit à des niveaux élevés de mortalité corallienne. La modélisation du climat mondial et les observations satellitaires indiquent également que les conditions thermiques requises pour le blanchissement des coraux prévalent de plus en plus, laissant présager que les zones de refuge, indemnes de blanchissement, pourraient disparaître au milieu du siècle.

 

Ces épisodes de blanchissement corallien, de plus en plus récurrents, et la mortalité des coraux qui en découle sont des phénomènes récents causés par l’impact anthropique. Ce qui, jusque dans les années 1980, n’était qu’un phénomène observable à l’échelle locale (quelques dizaines de kilomètres), causé par des facteurs de stress locaux (inondations d’eau douce, sédimentation ou encore temps inhabituellement froid ou chaud) est devenu un phénomène observable à l’échelle régionale (> 1000 km) et globale lié aux pressions anthropiques. C’est ce que révèle les bandes de croissance des coraux âgés des Caraïbes : les distorsions synchrones des dépôts squelettiques (bandes de stress) le long d’un tronçon de 400 km du récif mésoaméricain n’ont été trouvées que dernièrement suite aux conditions extrêmement chaudes.

 

Un des résultats majeurs de l’étude « Schémas spatiaux et temporels de blanchissement de masse des coraux pendant l’Anthropocène », publiée dans Science, est la mise en évidence de l’augmentation spectaculaire de la fréquence et de l’intensité des phénomènes de blanchissement corallien qui atteignent des niveaux très élevés et quasiment irréversibles.