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août 2023  I  Article  I  Ipbes  I  Biodiversité et océans

De l’invasion au déclin : les mystères de la crépidule dans la rade de Brest

Interview de Antoine Carlier, biologiste écologue du Laboratoire d’écologie benthique côtière

Propos recueillis par Julie de Bouville, responsable de la communication internationale à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB)

Antoine Carlier, biologiste écologue du Laboratoire d’écologie benthique côtière, est spécialiste de la crépidule, un mollusque gastéropode, originaire de la côte est des États-Unis, introduit en Europe dès la fin du XIXe siècle. Depuis 40 ans, cette espèce répertoriée comme espèce exotique envahissante, a colonisé plusieurs baies de la façade Manche-Atlantique. Des suivis récents ont pourtant montré que certaines populations de crépidule commencent à décliner, notamment en rade de Brest. Si la cause n’a pas été clairement identifiée, le suivi de cette espèce invasive aura montré qu’elle aura pu avoir quelques effets bénéfiques pour l’écosystème. Un phénomène aujourd’hui étudié de près par les scientifiques.

 

De l’invasion au déclin : les mystères de la crépidule dans la rade de Brest Par H. Zell — Travail personnel, CC BY-SA 3.0

Comment est arrivée la crépidule sur les côtes françaises ?

 

La crépidule est arrivée par différents biais, mais majoritairement avec le commerce de l’huitre creuse. En important ces huitres, on a importé avec elles tout un cortège d’espèces exotiques qui étaient à l’état larvaire ou juvénile, cachées dans leurs coquilles. L’établissement de la crépidule date des années 70. Mais elle devient vraiment envahissante dans les années 80 et 90. On la retrouve sur tout le littoral français, notamment dans la rade de Brest.

 

 

 

Quand la crépidule s’est multipliée quels impacts notables a-t-elle eu sur l’écosystème ?

 

La crépidule est un gastéropode qui a besoin d’un substrat dur et lisse pour se fixer, un rocher plat ou un débris de verre par exemple. Au début de son introduction, elle en a eu besoin mais comme elle s’est mise à proliférer, elle s’est étendue sur des fonds qui étaient meubles et s’est auto-entretenue du fait que les jeunes individus se fixent préférentiellement sur les chaines d’adultes, empilés les uns sur les autres. Elle a ensuite servi de support à des espèces qui aiment les substrats durs comme les ascidies, les éponges et certains bivalves comme le pétoncle noir, lequel est par ailleurs une espèce actuellement en déclin.

 

 

Outre le fait de servir d’habitat à d’autres espèces, la crépidule a-t-elle eu d’autres effets positifs ?

 

Les crépidules sont des organismes filtreurs qui se nourrissent en filtrant l’eau pour capturer des particules de nourriture, notamment des micro-algues. En filtrant activement l’eau, elles peuvent contribuer à réduire la turbidité, limitant ainsi les efflorescences de certaines espèces du phytoplancton, en particulier des dinoflagellés.

 

 

Inversement, en quoi la crépidule a déstabilisé les écosystèmes ?

 

Pour arriver à déstabiliser un écosystème entier, il faut dépasser un certain seuil en termes de densité ou de biomasse. C’est ce qu’il s’est passé dans certaines zones où sur un mètre carré, il a pu y avoir plusieurs milliers d’individus. Or, la crépidule est un animal filtreur qui, pour se nourrir et s’oxygéner, filtre une grande quantité d’eau de mer et produit beaucoup de fèces : dans ces conditions, elle a déstabilisé l’écosystème avec un envasement des fonds, y compris les fonds sableux qui sont devenus des fonds vaseux. Plusieurs espèces de fonds sableux comme la coquille Saint Jacques ou les juvéniles de soles ont donc reculé.

 

 

Il semblerait qu’après avoir prospéré sur nos côtes ses populations diminuent.

 

Depuis le milieu des années 2000, on constate effectivement un recul de la crépidule. En rade de Brest des investigations menées entre 2013 et 2018, des prélèvements sur le terrain et des vidéos sous-marines ont permis de démontrer clairement que le stock avait très significativement diminué en particulier dans tout le bassin sud de la rade. Elle semble néanmoins s’être maintenue dans le secteur nord de la rade. Si on ne sait pas exactement pourquoi elle recule, on a suspecté néanmoins des polluants arrivés du bassin versant du sud de la rade pour expliquer son déclin. Mais souvent, un déclin est multifactoriel et prend du temps.

 

 

Le fait que la crépidule décline en fait-elle une exception parmi les espèces exotiques envahissantes ?

 

Il semblerait que d’autres espèces comme la caulerpe (Caulerpa taxifolia) en méditerranée, considérée elle aussi comme envahissante, décline naturellement. Il y a plusieurs pistes d’investigation pour chercher à comprendre pourquoi. Il y a comme un cycle qui s’observe, où au bout de 20-30 ans, on voit des espèces proliférantes décliner. Sans doute parce que petit à petit d’autres interactions avec d’autres espèces s’opèrent. Elles sont alors contrôlées soit par des parasites soit par des prédateurs qui permettent à ces espèces exotiques envahissantes de trouver une place régulée dans l’écosystème.

 

 

Est-ce une loi ?

 

Non, car en milieu marin ou terrestre, il y a plusieurs exemples d’espèces proliférantes qui ont fait basculer irréversiblement l’écosystème dans un état différent. Par exemple des oursins, qui sont des herbivores, peuvent dévorer intégralement d’immenses champs d’algues qui laissent place à des fonds complètement nus. C’est vrai aussi dans des milieux tropicaux où des étoiles de mer ont décimé des récifs de coraux. Donc parfois, passé ce « point de bascule », on assiste à l’établissement d’un tout autre écosystème.

 

 

Quel est l’état aujourd’hui de la rade de Brest ?

 

La rade n’a pas retrouvé son état écologique d’avant l’arrivée de la crépidule. Il reste toujours des traces à commencer par les amas de coquilles de crépidules mortes dans la partie sud. Certes, elles servent encore de support à certaines espèces, mais la biodiversité y est beaucoup moins luxuriante que lorsque l’on avait des bancs de crépidules vivantes. La rade est par ailleurs impactée par diverses pollutions et par des activités humaines, comme la pêche aux engins trainants qui dégradent les habitats et remettent en suspension des particules. L’écosystème évolue sans cesse, s’adapte parfois, et il reste heureusement des zones dans cette rade où les écosystèmes fonctionnent toujours bien.

#Ipbes10

À l’occasion de la publication du rapport d’évaluation de l’Ipbes sur les espèces exotiques envahissantes et leur contrôle (connu sous le nom de « Rapport sur les espèces exotiques envahissantes ») lors de sa dixième session plénière, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et le Muséum national d’Histoire naturelle donne la parole aux chercheurs et acteurs pour aborder ces thématiques sous différents angles.

 

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CONTACT FRB

Julie de Bouville, responsable de la communication internationale à la FRB

 

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Chercheur

Antoine Carlier, biologiste écologue du Laboratoire d’écologie benthique côtière.

 

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