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juin 2019  I  Synthèse  I  FRB  I  Biodiversité et santé

La pollution antibiotique des eaux de surface : occurrence et effets

Réference : Référence : Danner, M. C., Robertson, A., Behrends, V., & Reiss, J. (2019). Antibiotic pollution in surface fresh waters: Occurrence and effects. Science of The Total Environment. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2019.01.406

Synthèse par Marie-Claire Danner (chargée de communication de la FRB) et Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB)

Relecture : Jean-François Silvain (président de la FRB) et Julie de Bouville (responsable de la communication de la FRB)

La pollution antibiotique des eaux de surface : occurrence et effets

Les antibiotiques sont des médicaments antimicrobiens qui tuent ou réduisent la croissance des bactéries. Ils sont utilisés en grande quantité depuis plusieurs décennies et la résistance d’agents pathogènes aux antibiotiques est depuis longtemps au cœur de la recherche en milieu clinique et, plus récemment, en recherche environnementale.

 

Les antibiotiques peuvent contourner les procédés de traitement de l’eau et peuvent se retrouver directement dans l’environnement. Ils sont détectés dans les rivières à des concentrations très faibles et dilués plus d’un million de fois par rapport aux concentrations observées dans le corps humain.

 

Cette étude démontre que les concentrations d’antibiotiques mesurées dans les eaux douces, quoique majoritairement inférieures aux concentrations cliniques efficaces, sont fortement susceptibles d’avoir des effets directs et indirects sur la composante microbienne des communautés aquatiques. En effet, même à de faibles concentrations, ces antibiotiques pourraient avoir des conséquences importantes pour les écosystèmes et pour la santé humaine. Les antibiotiques sont spécifiquement administrés pour traiter des infections ou pour augmenter les rendements notamment en élevage et en agriculture, mais, dans l’environnement, d’autres organismes vivants qui font partie de processus écologiques, tel que le cycle des nutriments, sont inévitablement exposés.

La résistance aux antibiotiques

L’émergence de résistances aux composés antimicrobiens comme les antibiotiques est un processus naturel qui découle de la compétition entre les espèces dans les environnements naturels. Ainsi, des bactéries résistantes et des antibiotiques ont été trouvés dans des environnements aquatiques et des sols relativement vierges. Une étude récente a même démontré que les communautés de bactéries du sol étaient capables non seulement de tolérer les antibiotiques, mais également de les utiliser comme leur seule source de carbone (Dantas et al. 2008).

 

Il existe deux types de résistance : la résistance primaire ou intrinsèque qui préexiste et qui fait qu’une molécule n’est pas active contre une bactérie (par exemple l’incapacité de la plupart des pénicillines à atteindre leur site cible chez les bactéries à Gram négatif) et la résistance secondaire qui est acquise par mutation après exposition à un antibiotique. De nombreux mécanismes de résistance sont bien compris, par exemple la dégradation ou la modification de l’antibiotique, la régulation positive des pompes d’efflux, la modification de l’enzyme cible des antibiotiques ou encore la dissémination génétique de la résistance entre bactéries via le transfert horizontal de gènes. A contrario, les dynamiques favorisant et limitant la propagation de cette résistance dans l’environnement à la fois à l’intérieur et entre les espèces sont moins bien comprises (effet des concentrations sub-létales d’antibiotiques, effets des adaptations physiologiques et phénotypiques). Ces dynamiques sont régies par des facteurs environnementaux qui influencent le potentiel de résistance. Par ailleurs, des recherches récents ont démontré une potentialisation par les biocides (tels que désinfectants), les métaux et les produits phytosanitaires (Friedman, 2015 ; Gullberg et al., 2014 ; Pal et al., 2015 ; Wales et Davies, 2015) et un transport d’antibiotiques et de gènes de résistance par les microplastiques notamment dans les écosystèmes aquatiques (Arias-Andres et al., 2018; McCormick et al., 2014).

 

Contrairement aux autres polluants chimiques, les bactéries et leurs gènes sont capables de se répandre dans l’environnement et de transférer leur résistance à des agents pathogènes humains (Bengtsson-Palme et al., 2018; Berendonk et al., 2015).

 

La communauté scientifique s’accorde à considérer que la surutilisation des antibiotiques, combinés avec le ralentissement des mises sur le marché de nouvelles molécules, sera probablement l’un des défis majeurs du secteur de la santé au 21ème siècle (Piddock, 2012).

La pollution antibiotique des eaux de surface : occurrence et effets

Cette revue bibliographique fournit d’abord un résumé des concentrations d’antibiotiques dans les eaux douces (en particulier dans les eaux courantes. Il existe trois voies principales d’entrée des antibiotiques en eaux douces : (1) les effluents de stations de traitement des eaux usées, (2) les usines de fabrication de produits chimiques et (3) les sites d’élevage, d’agriculture et d’aquaculture.

 

On estime que la consommation d’antibiotiques dans le monde est de 100 000 à 200 000 tonnes par an, et environ 50% sont utilisés en médecine vétérinaire. La consommation mondiale d’antibiotiques au seul bénéfice des humains a augmenté de 36% entre 2000 et 2010, augmentant de même l’entrée des antibiotiques dans l’environnement. En effet, environ 50 à 80% des antibiotiques consommés sont directement excrétés par notre organisme et les systèmes d’élimination des eaux usées ne les dégradent pas totalement. D’importantes concentrations d’antibiotiques ont été détectées dans les eaux usées.

 

Quelques exemples sont donnés dans le tableau ci-après.

 

Concentration

Lieu

Référence

Ofloxacine et ciprofloxacine : 13 μg/L

Espagne, effluent d’hôpitaux

Rodriguez-Mozaz et al., (2015)

Ciprofloxacine et érythromycine : respectivement 1,4 μg L et 0,47 μg/L

Suède, eaux usées

Östman et al., (2017)

Ciprofloxacine et érythromycine à des concentrations de 0,06 μg/L et 0,35 μg/L

Suède, effluents traités

Östman et al., 2017)

Ampicilline et oxacilline : 86 μg/L et 95 μg/L,

nord du Colorado

Cha et al., (2006)

Ampicilline et ciprofloxacine : respectivement 9 μg/L et 27 μg/L

Afrique du Sud, effluents de station d’épuration

Agunbiade et Moodley, (2016)

Ofloxacine et ciprofloxacine : 160 μg/L et 31 000 μg/L

respectivement

Hyderabad en Inde, effluents des eaux usées d’une station de traitement desservant environ 90 fabricants de médicaments en vrac

Larsson et al., (2007, 2014)

Globalement, les concentrations trouvées dans les eaux de surface sont inférieures aux concentrations trouvées dans les eaux usées. La revue se concentre spécifiquement sur les données de concentrations d’antibiotiques dans les eaux de surface des ruisseaux et des rivières du monde entier, dans des zones éloignées des stations d’épuration. 54 études ont été retenues avec ces critères. Elles proviennent de 24 pays ou groupe de pays différents, elles montrent que l’Espagne et la Chine sont les pays avec le nombre d’antibiotiques détectés en eaux douces le plus élevé.

 

Pays étudiés dans les études prises en compte :

 

Cinq pays d’Afrique (Ghana, Nigéria, Afrique du sud, Mozambique et Kenya), quatre pays d’Amérique (USA, Brésil, Canada, Bolivie), sept pays d’Asie-Océanie (Australie, Iran, Corée, Chine, Japon, Vietnam, Taiwan), huit pays d’Europe (Espagne, Italie, France, Royaume-Unis, Croatie, Portugal, Allemagne, Luxembourg).

 

En Europe, la plus forte concentration d’antibiotiques avoisine les 10 μg/L, comme la sulfapyridine (Díaz-Cruz et al., 2008) et le sulfaméthoxazole (Ginebreda et al., 2010), tous deux en Espagne, pays européen avec le plus grand nombre d’études disponibles et avec la plus forte concentration d’antibiotiques (1,3 μg/L en moyenne dans les eaux de surface). La concentration moyenne calculée est de 0,4 μg/L.

 

Dans les Amériques, la plus forte concentration observée est de 15 μg/L au Kansas (Lindsey et al., 2001), avec une moyenne d’environ 2 µg/L ou moins dans les eaux douces. La plupart des publications provenaient des Etats-Unis. La concentration moyenne calculée est de 0,9 μg/L.

 

C’est en Asie Pacifique que les plus hautes concentrations ont été rapportées, avec la plus forte en Chine, à savoir 484 μg d’oxytétracycline /L à plus de 20 km en aval d’une station d’épuration du fleuve Xiao (Li et al., 2008). D’autres concentrations importantes ont été mesurées : sulfaméthazine à une concentration de 19 µg/L au Vietnam (Managaki et al., 2007), ofloxacine et sulfaméthoxazole à une concentration de 17,7 μg/L et 14,3 µg/L respectivement (aus der Beek et al., 2016). La concentration moyenne calculée est de 17,7 μg/L.

 

Enfin, en Afrique, d’importantes concentrations ont également été relevées : sulfaméthoxazole à 53,8 μg/L au Mozambique (Segura et al., 2015) et à 38,9 μg/L au Kenya (Madikizela et al., 2017), acide nalidixique et ciprofloxacine à des concentrations respectives de 23 μg/L et 14 μg/L en Afrique du Sud (Agunbiade et Moodley, 2016). La concentration moyenne calculée est de 11,3 μg/L.

 

L’équipe de Segura de l’Université de Sherbrooke au Canada, avait montré en 2015 que la concentration moyenne d’antibiotiques dans les eaux douces contaminées était en général nettement plus élevée dans les pays à faible revenu, en raison du manque d’installations d’assainissement et de traitement des eaux usées.

Le potentiel toxique des antibiotiques dans les eaux douces : impact sur la biodiversité

S’il est important de rendre compte de la présence des antibiotiques dans les eaux douces, il est sans doute plus important de déterminer si ces mêmes polluants ont un effet sur les différents groupes d’organismes présent dans ces eaux douces. Le défi de reproduire le cadre naturel de l’environnement en laboratoire est évidemment complexe et, pour tester les effets de polluants, les expériences sont généralement réalisées dans des conditions très contrôlées (en particulier en ce qui concerne la richesse du milieu de culture), afin de permettre une reproductibilité des expériences et d’éviter des résultats différents entre laboratoires.

 

La publication répertorie plus de 500 tests écotoxicologiques obtenues depuis la base de données Wikipharma (www.wikipharma.org). Ces tests évaluent la toxicité des antibiotiques et sont souvent des tests standardisés, réalisés sur des organismes spécifiques. La plupart des antibiotiques utilisés dans les tests trouvés dans la base de données sont présents en eaux douces et dans la plupart des cas, une concentration efficace médiane ou « CE50 » est mesurée. La CE50 mesure quelle concentration de l’antibiotique induit une réponse de l’organisme à 50%. Par exemple, 50% de la population de l’algue unicellulaire Pseudikirchnerialla subcapitata voit sa croissance stoppée par l’antibiotique clarithromycin à 0.002 mg/L, donc la CE50 de cette algue pour cet antibiotique est égale à 0.002 mg/L. A partir de cette base de données, il a été montré dans la moitié des études qui ont testés l’effet d’antibiotiques avec des concentrations inférieures à 0.01 mg/L, que ceux-ci étaient nocifs pour les procaryotes (bactéries) et pour les eucaryotes unicellulaires (algues, protozoaires). En 1996, la Commission européenne a défini un classement des antibiotiques en fonction de leur CE50 :

 

Classification des antibiotiques en fonction de leur CE50 (Commission UE, 1996 ; Petrie et al., 2014) :

 

CE50

Classification

entre 10 et 100 mg/L

Nocifs pour les organismes aquatiques

entre 1 et 10 mg/L

Toxique pour les organismes aquatiques

inférieurs à 1 mg/L

Très toxiques pour les organismes aquatiques

 

 

Effet sur les unicellulaires d’eau douce

 

Les premières analyses ont mis en évidence que pour les organismes unicellulaires utilisés dans les tests de cette base de données, la CE50 moyenne est inférieure à 1 mg/L, ce qui classe les antibiotiques détectés en eaux douces comme étant «très toxiques». Dans certains cas, la CE50 a été mesurée à des concentrations beaucoup plus faibles, par exemple, l’antibiotique ciprofloxacine qui a été mesuré jusqu’à 14 μg/L en Afrique du Sud et 9 μg/L en France, peut avoir un effet sur la cyanobactérie Mycrocystis aeruginosa, dès 5 μg/L. Bengtsson-Palme et Larsson (2016) ont trouvé une action sur les bactéries pathogène pertinentes aux plus faibles concentrations inhibitrices minimales (i.e. 2 μg/L) pour 13 antibiotiques. Les communautés bactériennes naturelles semblent donc être les plus vulnérables aux antibiotiques détectés dans les eaux douces.

 

La toxicité des antibiotiques trouvés dans les eaux douces sur les algues unicellulaires est moins fréquente, mais réelle. En effet, dans 25% des études sélectionnées, une inhibition de croissance a été détectée après 72h dès 1 mg/L et 12 études ont même rapporté que la CE50 était inférieure à 100 μg/L, voire, dans un cas la CE 50 était égale à 2 μg/L. Deux études ont même affiché des valeurs de concentration létale moyenne de 2 μg/L (amoxicilline sur Synechococcus leopolensis (Andreozzi et al., 2004) et clarithromycine sur Pseudokirchneriella subcapitata (Isidori et al., 2005)).

 

Effet sur les organismes pluricellulaires d’eau douce

 

Les espèces multicellulaires semblent moins sensibles aux antibiotiques avec des valeurs de CE50 comprises entre 10 et 1000 mg/L et potentiellement non impactées par les concentrations trouvées dans les eaux douces. Il existe cependant des exceptions notables comme la lentille d’eau, qui est régulièrement utilisée comme plante modèle dans les essais : 14 études ont ainsi trouvé une inhibition de croissance pour une CE50 inférieure à 1 mg/L (Brain et al., 2004; Robinson et al., 2005).

 

La base de données Wikipharma comprend 40 études incluant des espèces de poissons, 16 études sur les mollusques, 117 études sur les crustacés, 19 études sur les rotifères et quatre études sur les cnidaires. Les concentrations d’antibiotiques mesurées sont trop faible pour affecter leur degré de survie, leur reproduction, ni leur sex-ratio, à l’exception de quelques cas, et seulement cinq des 137 expériences mesuraient une CE50 inférieure à 1 mg/L (Calleja et al., 1993; Isidori et al., 2005).

 

Les antibiotiques les plus préoccupants dans les eaux douces

 

Certains antibiotiques comme la ciprofloxacine et l’ofloxacine, figurant parmi les antibiotiques les plus puissants à faibles concentrations (Bengtsson-Palme et Larsson, 2016), sont trouvés à des concentrations relativement élevées dans les eaux douces (aus der Beek et al., 2016; Feitosa-Felizzola et Chiron, 2009; Ginebreda et al., 2010).

 

Antibiotique

CE50

Concentrations détectées dans les eaux

ciprofloxacine

Mycrocystis aeruginosa à 5 μg/L (Halling-Sørensen et al., 2000) et 17 μg/L (Robinson et al., 2005)

14,33 µg/L en Afrique du Sud (Agunbiade et Moodley, 2016)

9,66 μg/L en France (Feitosa- Felizzola et Chiron, 2009)

ofloxacine

Vibrio fischeri à 0,09 μg/L

et Pseudokirchnella subcapitata à 4,74 μg/L (Ferrari et al., 2004)

17,7 μg/L en Asie (aus der Beek et al., 2016) et jusqu’à 8,7 μg/L en Espagne (Ginebreda et al., 2010)

chloramphénicol, érythromycine, norfloxacine, l’oxytétracycline, streptomycine et tylosine

classés dans la catégorie «très toxique» pour les organismes aquatiques (Commission européenne, 1996; Petrie et al., 2014)

concentrations supérieures à 1 μg/L

Ces tests écotoxicologiques sont généralement considérés comme de bons indicateurs des risques potentiels posés par des produits chimiques isolés en conditions expérimentales, mais, de par leur conception, ils ne tiennent pas compte des interactions entre polluants ou des effets des polluants sur plusieurs organismes à la fois et ils restent insuffisants pour donner des informations sur l’effet des produits testés dans un système naturel complexe ou les nutriments sont souvent limités. De plus, ces tests ne fournissent pas d’informations sur la capacité des bactéries à métaboliser les antibiotiques et évoluer en réponse à cette exposition

Les mécanismes d’action des antibiotiques sur les communautés bactériennes d’eaux douces

La présence d’antibiotiques dans les eaux usées en provenance d’une station d’épuration peut modifier les communautés bactériennes et provoquer le développement de résistance chez les bactéries environnantes (Guo et al., 2017; Schwartz, 2003) et générer d’autres modifications, notamment à faibles doses. En outre, les adaptations physiologiques et génétiques aux antibiotiques ne surviennent pas isolément, mais sont souvent liés à changements dans d’autres comportements bactériens tels que la virulence (Behrends et al., 2013; Martínez et Rojo, 2011; Watkinson et al., 2009; Yeung et al., 2011).

 

Effets directs des antibiotiques : modification des communautés bactériennes

 

Les antibiotiques, par leur action, ont des effets directs sur la structure et le fonctionnement des communautés microbiennes. Les bactéricides peuvent ainsi entraîner la disparition de populations microbiennes.

 

  • Après exposition à un mélange de 16 antibiotiques (concentrations comprises entre 0,005 et 1,5 µg/L), Proia et al., (2013) ont constaté des altérations dans la composition de la communauté bactérienne et notamment une augmentation des Actinobactéries.

 

  • Laverman et al., (2015) ont mis en évidence une modification de la structure des communautés bactériennes exposées à la vancomycine (1000 μg/L) dans les sédiments fluviaux en aval de stations d’épuration.

 

Effets indirects des antibiotiques : antibio-résistance

 

Le développement de résistances aux antibiotiques dans les communautés microbiennes naturelles est un effet indirect des antibiotiques dans l’environnement. Les essais biologiques standards ne fournissent pas d’information sur la résistance microbienne. Néanmoins, certaines études apportent des informations sur les liens entre antibiotiques et antibio-résistance :

 

  • Les travaux de Guo et al., (2017) et Schwartz, (2003) mettent en évidence un lien entre la présence d’antibiotiques dans les eaux usées et la présence de micro-organismes résistants dans les cours d’eau recevant les effluents des stations d’épurations concernées.

 

  • Li et al., (2012) et Rodriguez-Mozaz et al., (2015) ont trouvé des corrélations significatives entre l’exposition aux antibiotiques et la présence de gènes de résistance, indiquant que la pression sélective pour les gènes de résistance augmente avec les concentrations d’antibiotiques.

 

Effets des concentrations sub-létales

 

Il a été démontré que de très faibles concentrations d’antibiotiques (10 à 100 fois inférieures aux concentrations minimales inhibitrices (CMI) déterminées de manière clinique) peuvent augmenter le nombre de bactéries résistantes en favorisant leur évolution adaptative (Friman et al., 2015; Gullberg et al., 2011; Lundström et al., 2016). Deux équipes de chercheurs ont ainsi mesuré dans des biofilms (des communautés microscopiques naturelles souvent composées de bactéries, champignons, algues et protozoaires), une augmentation de la résistance à l’antibiotique tétracycline chez les bactéries dès 0.01 mg/L.

 

  • De faibles concentrations de tobramycine (50–1000 μg/L) induisent la formation de biofilm chez Pseudomonas aeruginosa en modulant le gène de résistance aux aminoglycosides qui régule également la capacité d’adhésion des bactéries (Hoffman et al., 2005).

 

  • Lundström et al, (2016) ont également testé les effets des tétracyclines sur les biofilms (0,1–1 000 μg/L) et constaté une augmentation de 10 μg/L de bactéries résistantes aux antibiotiques et des changements dans la composition taxonomique des biofilms.

 

  • Quinlan et al. (2011) ont exposé une communauté biotique de ruisseau à des tétracyclines (0,5–100 μg/L) et ont observé après sept jours, des modifications de la résistance aux antibiotiques et une modification de l’abondance des bactéries et de la productivité.
Les axes de recherches futurs

Aujourd’hui, les scientifiques disposent des outils nécessaires pour étudier l’impact de la pollution aux antibiotiques sur les communautés d’eau douce naturelles. Il est important notamment de caractériser l’effet des concentrations sub-létales d’antibiotiques, les conditions d’adaptations physiologiques et phénotypiques des microorganismes, les effets catalyseur ou favorisants d’autres substances chimiques comme les biocides, les métaux ou les pesticides ainsi que les synergies entre l’apparition des résistances et la concentration de microplastiques.

 

Il est essentiel d’aller au-delà de la méthode des tests écotoxicologiques standards et de prendre en compte la forte dépendance des antibiotiques au contexte environnemental (cocktails d’antibiotiques, réseau trophique, facteurs de changement multiples, etc…) et donc d’étudier les effets des antibiotiques dans des scénarios plus complexes et plus représentatif de l’environnement, afin de pouvoir intégrer dans les évaluations des risques la capacité d’un environnement donné à favoriser les acquisitions et transferts de résistance et la capacité des gènes à passer d’un environnement contaminé à une bactérie pathogène pour l’homme.

 

Les auteurs de l’étude proposent donc trois axes de recherche afin de mieux de comprendre le véritable impact des antibiotiques sur les organismes aquatiques et sur les processus écosystémiques associés.

 

Effets des antibiotiques sur les réseaux trophiques et les assemblages d’espèces dans les écosystèmes aquatiques.

 

Même si il y a encore peu d’études sur les effets et la distribution des antibiotiques dans les organismes composant les réseaux trophiques, il est clair que de faibles concentrations d’antibiotiques peuvent avoir des effets sur les bactéries et ceci est susceptible d’entraîner des modifications au niveau des interactions trophiques impliquant ces mêmes bactéries. Quelques études montrent des résultats intéressants et pourraient être poursuivies ou renforcées :

 

  • Des expériences menées par Friman et son équipe en 2015 montrent que la résistance aux antibiotiques est étroitement liée aux protozoaires, prédateurs les plus abondants des bactéries. Ils ont réalisé des expériences avec la bactérie Pseudomonas fluorescens et ses consommateurs, des protozoaires (Tetrahymena pyriformis et Chilomonas paramecium, pour explorer les effets de l’antibiotique gentamicine à 0.04 mg/L et ont montré que l’adaptation de la bactérie à l’antibiotique provoquait à la fois une résistance à l’antibiotique et au prédateur. Cet effet entraine une réaction en chaîne au niveau du réseau trophique via une réduction du ratio prédateur-proie. Cela a aussi accru l’instabilité de la communauté microbienne et réduit la communauté de prédateurs.

 

  • Cairns et al. (2016) ont démontré que le protozoaire Tetrahymena termophila pouvait potentialiser la persistance et la propagation d’un plasmide de résistance dans les populations de la bactérie Serratia marcescens.

 

  • Quinlan et al. (2011) ont examiné l’effet de la tétracycline dans les mésocosmes des cours d’eau et observé à faible dose une diminution de l’abondance bactérienne, mais également une réduction de la biomasse alguale et de l’abondance des nématodes. A plus forte dose de tétracycline (10 μg/L et 100 μg / L) et après 28 jours de non-exposition, la productivité bactérienne s’est rétablie, mais pas l’abondance des bactéries, algues ou nématodes.

 

  • Adamowicz et al. (2018) ont révélé qu’introduire des antibiotiques dans les milieux bouleversait également les interactions au sein des communautés coopératives, c’est à dire lorsque les métabolites produits par un organisme sont utilisés comme nutriments ou source d’énergie par un autre. Or, l’alimentation croisée est presque omniprésente dans les communautés microbiennes, ce qui laisse penser que les faibles concentrations d’antibiotiques pourraient avoir un effet plus marqué que précédemment établi.

 

  • A contrario, Lagesson et al. (2016) ont étudié la bioconcentration de triméthoprimine plusieurs mois dans un réseau trophique aquatique, mais n’ont pas détecté l’antibiotique dans les différents organismes composant le réseau.

 

Effets des «cocktails d’antibiotiques»

 

Différents antibiotiques sont généralement détectés simultanément en eau douce et, par conséquent, les organismes aquatiques sont exposés à des mélanges d’antibiotiques. Les concentrations individuelles d’antibiotiques mesurées dans l’environnement peuvent être faibles, mais les concentrations combinées sont parfois importantes (Backhaus et al., 2000) et pourraient entraîner une toxicité significative pour les organismes aquatiques. Les antibiotiques en mélange peuvent potentiellement interagir les uns avec les autres, soit en ayant un effet plus important (effet synergique), soit en ayant un effet moins important ensemble que seuls (effet antagoniste). Trop peu d’études ont actuellement étudié cette question, alors que l’adaptation des bactéries aux mélanges d’antibiotiques devrait constituer un axe de recherche prioritaire en appui aux politiques de santé publiques.

 

  • González-Pleiter et son équipe en 2013 ont démontré que l’effet combiné d’antibiotiques peut être plus important que la somme des effets des antibiotiques pris isolément. L’érythromycine et la tétracycline en mélange ont inhibé la croissance des algues vertes Pseudokirchneriella subcapitata à seulement 1/8ème de leurs concentrations d’inhibition individuelles.

 

  • Bundschuh et al. (2009), ont démontré qu’un mélange sulfaméthoxazole, triméthoprime, érythromycine, roxithromycine, clarithromycine (à 200 μg / L) favorisait le crustacé d’eau douce Gammarus fossarum en inhibant la croissance des communautés bactériennes présentes sur les feuilles constituant la nourriture du crustacé au profit de communautés fongiques appréciées du gammare.

 

Antibiorésistance en contexte de changement environnemental global

 

Les antibiotiques ne sont pas les seuls facteurs de changement dans les écosystèmes aquatiques. La multiplication des «surprises écologiques» dans la littérature scientifique met en évidence une incertitude croissante quant aux impacts cumulatifs de multiples facteurs de changements environnementaux tels que le changement d’usage des terres, le changement climatique, la pollution aux contaminants chimiques ou encore l’eutrophisation (l’accumulation de nutriment dans le milieu) (Jackson et al., 2016).

 

Ces autres facteurs de stress ont un impact sur la composition et la diversité des communautés microbiennes et pourraient être un facteur déterminant de la propagation des gènes de résistance aux antibiotiques (Tamminen et al., 2012). Cairns et al. (2018) montrent ainsi que le transfert de plasmides, déjà favorisé par un environnement spatial structuré, est plus susceptible de se propager à de multiples souches bactériennes si des antibiotiques sont présents dans l’environnement.

 

Il est également important de considérer les facteurs physicochimiques. La température par exemple est un facteur clé à inclure dans les études sur les antibiotiques parce qu’elle a un effet majeur sur les réactions chimiques et l’activité métabolique des organismes d’eau douce. L’utilisation des microcosmes, des mésocosmes et des expériences de terrain ont amélioré notre capacité à prévoir les effets des contaminants à des niveaux plus élevés de l’organisation biologique (Thompson et al., 2015) en permettant de tester des hypothèses multifactorielles concernant les interactions entre les contaminants et les facteurs environnementaux.

 

Cette revue bibliographique souligne qu’une des questions majeures est d’identifier les facteurs environnementaux susceptibles de favoriser la résistance aux antibiotiques et sa dynamique de propagation. Pour cela, il est indispensable de mener des expériences pour déterminer dans quels scénarios les antibiotiques affectent les communautés microscopiques naturelles et comment leurs effets peuvent se propager depuis les bactéries jusqu’aux prédateurs directs et même jusqu’à l’écosystème entier.

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