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avril 2018  I  Synthèse  I  FRB  I  Biodiversité et énergie

[Synthèse] Production de bois-énergie et impacts sur la biodiversité européenne

Référence de l’article :  Bouget, C., Lassauce, A., & Jonsell, M. (2012). Effects of fuelwood har- vesting on biodiversity—a review focused on the situation in Europe. Canadian Journal of Forest Research, 42(8), 1421-1432. F http://www.nrcresearchpress.com/doi/abs/10.1139/x2012-078
Synthèse : Nastasia Michaels (chargé de communication à la FRB)
Relecture : Jean-François Silvain (président de la FRB), Agnès Hallosserie (responsable du pôle Coordination européenne et internationale de la FRB), Julie de Bouville (responsable communication de la FRB)

[Synthèse] Production de bois-énergie et impacts sur la biodiversité européenne

Peut-on se passer des énergies fossiles et préserver la biodiversité ? Comme l’ont montré les échanges lors des journées FRB 2017 et de nombreux travaux de re- cherche sur le sujet, la réponse est loin d’être aisée. À l’occasion de la sortie du pro- chain rapport de l’IPBES sur l’état de la biodiversité en Europe et en Asie centrale, la FRB a synthétisé l’une des rares études à avoir compilé et analysé un ensemble de travaux sur la question de production de bois-énergie et de ses impacts poten- tiels sur la biodiversité européenne : Effects of fuelwood harvesting on biodiver- sity — a review focused on the situation in Europe de Bouget, Lassauce et Jonsell, 2012. Bien qu’il s’agisse d’une stratégie possible parmi d’autres, les auteurs se sont ici placés dans un contexte d’intensification de cette filière.

 

Bois-énergie, de quoi parle-t-on ?

Les fluctuations importantes des prix du pétrole et du gaz et les mesures de lutte contre le changement climatique ont entraîné au cours des dernières années l’émergence ou la réémergence de sources d’énergie alternatives, dont le bois- énergie. On désigne ici par bois-énergie le bois spécifiquement récolté pour pro- duire de l’énergie, issu de plantations d’arbres à croissance rapide, mais également deux types de résidus utilisés aux mêmes fins. D’une part, ceux issus des éclaircies, c’est-à-dire de l’élimination d’une partie des arbres (ceux qui sont trop fragiles, ma- lades, d’une essence non souhaitée ou en trop grande densité) afin de permettre le bon développement des autres arbres. Et d’autre part, les résidus issus de la récolte forestière commerciale (branches tombées, souches, etc.), y compris le bois coupé puis laissé sur place en raison d’une valeur économique trop faible.

En Europe, la production domestique de bois-énergie est favorisée par diffé- rents instruments. En France par exemple, des subventions sont accordées pour investir dans ce secteur et le développer. L’objectif : améliorer la sécurité éner- gétique et contribuer à stabiliser les prix de l’énergie. Le bois-énergie vise aussi à revitaliser l’économie rurale en créant de l’emploi et des revenus à travers la pro- duction, la récolte et la transformation du bois. Si des facteurs clés limitent encore le développement de cette industrie (distance par rapport aux centrales à bois, accessibilité du terrain, financements de la part des Etats, disponibilité en travail- leurs qualifiés et en équipement spécialisé, coûts des transports, valeur du bois- énergie sur les marchés des autres produits bois et des autres sources d’énergie), des mesures visant une intensification des pratiques sylvicoles pourraient y remé- dier. En particulier, la récupération des résidus d’éclaircie et de récolte est de plus en plus faisable.

Si cette pratique se généralise, les organismes « saproxyliques » – coléoptères, champignons, lichens et bryophytes (mousses), qui participent à la décomposition du bois et qui en dépendent – souffriront de l’absence de bois mort. Les oiseaux, reptiles, amphibiens et mammifères tels que certains rongeurs et petits préda- teurs, verront également leur habitat modifié.

Souches et débris fins, des habitats précieux

Parmi les éléments aujourd’hui récupérés se trouvent les souches : leur récolte constitue une forme d’intensification de l’exploitation des forêts. Originellement pratiquée par l’industrie de la pâte à bois, elle a cours aujourd’hui au Royaume-Uni et dans le sud-ouest de la France dans l’objectif d’augmenter les revenus en valo- risant ces souches pour produire de l’énergie, mais aussi de diminuer le « pourri- dié » racinaire (une contamination par des champignons pathogènes pouvant se transmettre entre les racines de la souche et celles d’autres arbres).

Or, les souches sont l’une des sources principales de bois mort de gros dia- mètre. La récolte intensive de souches basses pourrait être néfaste aux espèces saproxyliques. En effet, certains coléoptères préfèrent les supports enfouis comme les racines mortes des souches, ou exposés au soleil comme les souches dans les parcelles après coupe où la température plus élevée est favorable à leur déve- loppement. Or, ce type d’habitat est très rare, en forêt. Dans les plantations de pins françaises, 84 % de toutes les espèces identifiées ont été trouvées dans les souches, contre 37 % et 58 % respectivement dans les branches coupées et les bûches. Une tendance similaire a été observée pour les bryophytes dans des forêts de chênes, et des espèces rares de coléoptères comme Rhizophagus cribratus et Aeletes atomarius ont été trouvées dans les souches de forêts de chêne françaises.

Outre les éléments de gros diamètre (bûches et souches), le bois mort est aussi présent sous forme de débris fins, produits en grandes quantité lors des opéra- tions de coupe. Les cimes, branches, ou encore arbres abattus mais non récoltés abritent lichens, bryophytes, coléoptères, champignons, mouches et guêpes. Ces ensembles d’espèces dépendent des propriétés du bois mort – diamètre, espèce d’arbre, état de décomposition – et de l’environnement comme l’exposition au so- leil et l’humidité du sol. D’après deux études analysées par Bouget et al., il y a plus de coléoptères et d’espèces menacées – inscrites sur la liste rouge de l’UICN – dans les résidus d’arbres à feuilles caduques que dans ceux des conifères.

Plusieurs pratiques diminuent la quantité de bois mort, notamment la destruc- tion par les machines qui passent dans les forêts. Avec les cycles de rotation plus courts et la récolte de vieux arbres dans les exploitations, on diminue directement le bois mort à sa source. Et surtout, avec le développement d’équipements effi- caces et spécialisés, toutes les fractions de la biomasse ligneuse peuvent être re- cueillies et transformées. Un premier passage permet donc de récolter les arbres entiers, source de bénéfice économique. Puis un deuxième vise à récupérer les ré- sidus, y compris les bûches de mauvaise qualité et les souches, qui seront utilisés pour produire de l’énergie.

L’augmentation des surfaces de coupe pourrait jouer un rôle positif pour la bio- diversité saproxylique : plus de surface de forêt exploitée, c’est aussi plus de bois mort abandonné dans les parcelles en coupe. Dans quel sens la quantité de bois mort va-t-elle donc évoluer à l’échelle globale des paysages forestiers ? L’une des études analysées par Bouget et al. obtient, dans un scénario de base (maintien de la tendance actuelle), une augmentation (+ 6,4 %) de la quantité moyenne de bois mort entre 2005 et 2030 en Europe, mais une diminution (- 5 %) dans un scéna- rio d’exploitation de la forêt à des fins de bioénergie, avec plus d’abattage et de récupération des résidus. Or, des études préliminaires sur des forêts françaises de chênes montrent que dans les sites exploités pour le bois-énergie, on observe une abondance ou une richesse spécifique moins élevée et des ensembles différents d’espèces saproxyliques par rapport aux sites de sylviculture conventionnelle.

Ne pas toucher aux branches mortes

Les résidus de récolte ne sont pas seulement des supports directs pour les orga- nismes saproxyliques : ils constituent aussi des éléments importants pour l’habitat de différentes espèces. Les vertébrés utilisent les piles de branches mortes et les résidus comme moyen de déplacement sur leur territoire, comme abris protec- teurs et comme sites de nidification et d’alimentation. Des études européennes ont montré que les petits oiseaux, les carnivores, les souris, les campagnols et les mu- saraignes sont affectés de façon négative par l’enlèvement des résidus. En Amé- rique du Nord, des résultats ont montré un impact global significatif de la récolte de débris fins sur les oiseaux, en termes de diversité et d’abondance, et sur les invertébrés du sol. De plus, les piles de branches mortes fournissent une protec- tion physique aux plantes vasculaires contre les herbivores, et un abri pour les bryophytes.

Plusieurs études ont démontré l’impact négatif du retrait des branches mortes sur la densité et la richesse spécifique des arthropodes du sol, comme les collem- boles, acariens, larves d’insectes et cloportes. Or, ces animaux constituent une grande partie de la biodiversité du sol et jouent un rôle clé pour l’écosystème. Ces piles de branches mortes et de résidus en décomposition changent aussi les propriétés physiques et chimiques du sol – humidité, biomasse et nutriments. Le bois mort gisant contribue ainsi à la structure des couches superficielles du sol et en favorise la colonisation par les mycorhizes, des symbioses entre champi- gnons et racines. Ces changements physiques et chimiques affectent les arbres à leur tour : une réduction des niveaux de matière organique et de nutriments dans les sols forestiers peut entraîner une perte de fertilité et de productivité du site d’exploitation.

Laisser des branches sur les chemins permettrait de réduire la pression des machines qui compactent et déplacent les sols sur leur passage et créent des or- nières profondes. En effet, la circulation d’engins peut aussi affecter les plantes en diminuant l’infiltration de l’eau et l’aération, en réduisant l’espace pour les racines, en favorisant les espèces adaptées à des conditions hypoxiques (pauvres en oxy- gène), et en réduisant la densité, la diversité et l’activité biologique de la faune du sol.

Perspectives

Les pratiques de foresterie en Europe sont très contrastées : une gestion multifonc- tionnelle et localement différenciée dans les forêts tempérées françaises se dis- tingue d’une foresterie intensive et industrielle dans les forêts boréales suédoises. Mais d’une manière générale, l’intensification des pratiques sylvicoles implique la récupération des résidus et du bois mort. Cette pratique n’est qu’une facette du problème. L’intensification passe aussi par des plantations monospécifiques – avec une seule espèce d’arbre, généralement à croissance rapide – visant à produire de l’énergie selon une gestion similaire à celle des cultures agricoles. Un tel modèle peut bouleverser les écosystèmes forestiers et leur biodiversité.

Un accroissement de la récolte à grande échelle peut aussi conduire à abattre des parcelles forestières auparavant non gérées, voire à empiéter sur des forêts protégées. D’autant plus que la propriété des forêts tempérées d’Europe est très morcelée. A l’échelle des paysages, un réseau dense de routes et de circulation de machines peut déranger la faune en créant des barrières aux mouvements des in- dividus et en causant directement des blessures et de la mortalité, sans parler du fait que le développement de routes d’accès favorise les espèces exotiques enva- hissantes. Le coût écologique du bois-énergie dépend donc du type de forêt : il est plus élevé lorsque l’on remplace une forêt ancienne et naturelle par une monocul- ture, et moins élevé s’il s’agit d’un terrain où la forêt était revenue depuis peu (donc moins diversifiée).

En Europe, des études ont été menées sur l’impact de la production de bois- énergie sur les espèces sauvages, mais seulement à l’échelle locale : il manque donc des études aux échelles régionale et nationale, avec un suivi sur un temps long et prenant en compte plusieurs groupes d’espèces. Une perspective historique se- rait également utile pour prendre en compte le décalage entre la détérioration de l’habitat et l’extinction des espèces, une véritable « dette de l’extinction ». En ef- fet, les arbres vivant relativement longtemps, on ne constate pas tout de suite les effets négatifs des activités humaines : aujourd’hui, les forêts peuvent sembler en bon état, mais l’extinction totale de certaines populations de faune et de flore à cause de l’intensification des pratiques pourrait avoir lieu dans plusieurs centaines d’années. De nouvelles études de terrain et analyses de données devraient nous permettre d’améliorer notre connaissance de la réponse des processus écosysté- miques (relations proies-prédateurs, dynamiques de populations, risques d’extinc- tion) et du fonctionnement des écosystèmes (cycles des nutriments, dynamiques des herbivores et des pathogènes) à l’exploitation du bois-énergie.

Les auteurs proposent d’agir sur les réglementations à l’échelle régionale concernant la gestion de la flore et de la faune sauvages, qui devraient traiter de la production de bois-énergie et prendre en compte le contexte – la région, la forêt et le biome (tempéré ou boréal). L’adoption de pratiques de récolte favorables à l’environnement préserverait à la fois l’équilibre en nutriments et la biodiversité fonctionnelle des territoires forestiers.

 

À l’occasion des nouveaux rapports de l’IPBES sur l’état de la biodiversité en Eu- rope et en Asie Centrale, la FRB donne chaque mois la parole à des chercheurs spécialistes de différents écosystèmes (marin, forestier, d’eau douce…) et de dis- ciplines comme le droit, l’économie et la biologie de la conservation. Autant de domaines qui offrent chacun un éclairage précis sur les enjeux actuels pour la bio- diversité en Europe.

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