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février 2020  I  Synthèse  I  FRB  I  Biodiversité et agriculture

Biomimétisme et biodiversité

Par : Hélène Soubelet, directrice de la FRB, et Jean-François Silvain, président de la FRB

Relecture : Sébastien Barot, chercheur à l’IRD et vice-président du Conseil scientifique de la FRB, Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS et membre du Conseil scientifique de la FRB, et François Sarrazin, professeur de Sorbonne université et président du Conseil scientifique de la FRB

Alors que le déclin de la biodiversité découlant de fortes pressions d’origine anthropique est largement confirmé par la science, l’Homme n’a jamais autant qu’aujourd’hui tiré profit de la biodiversité tant pour en exploiter la biomasse, que comme source d’inspiration. De nombreuses réalisations découlent de ce que l’on appelle le « biomimétisme » qui propose de s’inspirer de la Nature et de ses 3,5 milliards d’années d’évolution pour innover, optimiser des procédés existants ou copier les éléments et processus naturels, avec parfois des retombées économiques considérables.

Afin de comprendre les enjeux et les risques de cette approche relativement récente de l’exploitation du monde vivant, la FRB a été missionnée par le ministère de la transition écologique et solidaire pour réaliser une veille scientifique et identifier ainsi les menaces et opportunités actuelles du biomimétisme pour la biodiversité.

 

La synthèse issue de ce travail de veille et un résumé de ce document sont disponibles dans les ressources téléchargeables ci-dessous.

Biomimétisme et biodiversité © Neil Palmer/CIAT Fleurs de bardane et bande de velcro

Le concept de biomimétisme ou bio-inspiration a été théorisé pour la première fois il y a une vingtaine d’année (cf. Janine Benyus : Biomimicry, Innovation Inspired by Nature). L’approche initiale défend une vision qui considère que cette démarche d’innovation « fait appel au transfert et à l’adaptation des principes et stratégies élaborés par les organismes vivants et les écosystèmes, afin de produire des biens et des services de manière durable, et rendre les sociétés humaines compatibles avec la biosphère ».

 

Le Biomimétisme identifie des solutions naturelles apparues au cours de l’évolution, c’est à dire des fonctions ou des rapports entre structures et fonctions chez les organismes vivants qu’il peut être intéressant de transposer à une fonction d’intérêt humain : sa finalité est de chercher, d’identifier et de d’industrialiser une solution à un problème humain.

 

Cette démarche est nécessairement interdisciplinaire, entre sciences fondamentales et sciences de l’ingénieur, et demande de la part des acteurs économiques la mobilisation de ressources significatives en matière de recherche et développement (R&D).

 

 

Le biomimétisme est la rencontre de plusieurs mondes, l’écologie,
les sciences de l’évolution, la biologie et l’ingénierie,
ou encore une interface entre sciences naturelles et industrie.

 

 

L’association Biomimicry Europa, créée en 2006 pour la promotion du biomimétisme, propose de distinguer trois niveaux d’inspiration : les formes biologiques, les matériaux et processus, les interactions.

 

En matière de recherche et développement, l’Allemagne a longtemps été en tête avec plus de 100 structures de recherche publiques impliquées et dix réseaux territoriaux spécialisés. Le Royaume-Uni et la Suisse sont aussi deux pays fortement impliqués en Europe.

 

En France, l’implication est plus récente, mais actuellement, plus de 175 équipes de recherche s’intéressent au sujet et plus de 100 entreprises font appel à cette démarche. Plusieurs Groupements de recherche (GDR) et Réseaux thématiques pluridisciplinaires (RTP) génèrent des initiatives structurantes autour de la chimie bio-inspirée, la mécanique des matériaux biologiques ou les micro-technologies inspirées des insectes. Le centre européen d’excellence en biomimétisme (Ceebios), créé en 2012, fédère un nombre croissant de grandes entreprises comme L’Oréal, LVMH, Engie, Vicat, Saint-Gobain, et bénéficie du soutien du ministère de la transition écologique et solidaire.

 

Les régions les plus impliquées en matière de R&D (compétences académiques) sont l’Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine, puis, à un niveau sensiblement équivalent, Occitanie, Provence-Alpes-Côte-d’Azur et Grand-Est.

 

Discussions et controverses scientifiques autour du concept de biomimetisme

 

La terminologie employée : une simple question de positionnement ?

Biomimétisme, biomimétique, bio-inspiration, éco-inspiration… Il existe de nombreux termes qui ont pour ambition de définir le concept et sa philosophie sous-jacente, sans qu’un réel consensus ne se dégage.
Quoi que deux normes Iso et Afnor aient figé les définitions de certains termes, celles-ci sont toujours objet de discussion dans certains cercles, notamment au sein de la communauté scientifique. La distinction suivante a été proposée :

 

  • Le biomimétisme prend modèle sur les systèmes biologiques pour orienter des approches d’ingénierie plutôt techniques.
  • La bio-inspiration est affiché comme possédant une dimension écosystémique, éthique et nécessairement favorable à la biodiversité.
  • L’éco-inspiration est présenté comme une alternative qui intègre la notion de système adaptatif complexe et comment les écosystèmes ont su s’adapter aux grandes crises écologiques depuis l’arrivée de la vie sur terre.

 

Il est possible, par contre, de définir deux visions qui peuvent s’opposer : une approche très technologique structurée autour de la conception ou l’optimisation de matériaux et de procédés novateurs en s’inspirant de la Nature (approche habituellement attribuée à la Chine, l’Allemagne ou les Etats-Unis) et une approche axée sur le développement durable avec la volonté de diminuer les pollutions, la consommation d’énergie tout en améliorant la qualité à moindre coût (approche française).

 

 

Biomimétisme, to be or not to be : comment définir le périmètre du biomimétisme ?

Une autre question en débat est le cadrage du périmètre du biomimétisme. Alors qu’il fait consensus que se saisir d’un modèle présent dans la nature pour développer une innovation (velcro ou bâtiment inspiré d’une termitière) est du biomimétisme, certains domaines, qui relèvent du pilotage ou de la restauration d’écosystèmes artificiels en imitant des écosystèmes naturels, peuvent ou non être intégrés au domaine : c’est le cas de l’ingénierie écologique ou l’agro-écologie.

 

 

S’inspirer de la nature c’est s’inspirer d’une toute petite partie du vivant en raison des lacunes de connaissances considérables.

Les fronts de science destinés à combler ces lacunes sont nombreux et doivent faire l’objet de financement adéquats :

  • La qualité des données, leur stockage et leur mise à disposition ;
  • La formalisation des propriétés du vivant pour les rendre disponible pour la bio-inspiration : centraliser les corpus de données, inclure les données historiques, extraire ces données et faire l’analogie avec la technologie [= base de données de modèles biologiques] ;
  • Le transfert du modèle biologique au domaine technique ;
  • L’utilisation et l’adaptation des outils des données massives (big data) pour faciliter investigation et analyse ;
  • L’intégration des métadonnées (taxa, ontologie, biodiversité avec support d’images, de sons etc…) ;
  • L’acquisition de connaissance en systématique qui permet d’apporter la phylogénie, la répartition des structures et fonctions, la description des êtres vivants dont nous ne connaissons actuellement que 10% des espèces.

 

Quel bénéfice pour la biodiversité ?

 

Le manque de processus d’évaluation rigoureux des impacts du déploiement des technologies issues du biomimétisme reste un vrai problème. Rien ne permet actuellement d’affirmer avec certitude que le gain apporté par le biomimétisme – c’est à dire la différence entre les conséquences positives ou neutres et les conséquences négatives – est favorable à la biodiversité. L’évaluation des innovations devrait intégrer une dimension sociale, institutionnelle, les questions de durabilité, les impacts sur le capital naturel et la résilience face aux perturbations.

 

Plus généralement, le biomimétisme ne bénéficie pas directement à la préservation de la biodiversité et il ne bénéficie encore que marginalement à la recherche sur la biodiversité, et notamment à la connaissance de celle-ci : les oiseaux et les chauves-souris n’ont tirés, en matière de protection, aucun avantage du développement de l’aviation, par exemple.

 

Il devrait pourtant y avoir une alliance de fait entre les tenants du biomimétisme et les scientifiques qui décrivent la biodiversité, car la connaissance de cette dernière reste lacunaire. Cela sous-entend des flux financiers significatifs, et des compétences scientifiques renouvelées, en faveur de l’inventaire, de la description et de la compréhension de la biodiversité planétaire et la mobilisation de toutes les techniques susceptibles d’y contribuer.
Toute utilisation d’un procédé développé par un composant de la biodiversité (animal, plante, champignon, bactérie) pourrait faire l’objet d’une action en faveur de cet élément ou du groupe taxonomique dans lequel il est présent et de l’habitat, ou de l’écosystème qui l’abrite.

 

La question sous-jacente est de savoir quel sera l’impact de l’érosion de la biodiversité sur le développement du biomimétisme et si l’érosion consécutive du potentiel de découverte peut être quantifiée pour inciter à la protection de la biodiversité. Réfléchir aux mécanismes et opportunités de soutenir la biodiversité qui nourrit le biomimétisme est une piste d’évolution du domaine.

 

Vers une éthique pour le biomimétisme et la bio-inspiration

 

Les humains modifient la nature à leur profit, transforment les processus naturels, sélectionnent et favorisent ceux qui leur semblent les plus intéressants à court terme. Cette transformation de la nature a eu des impacts à la fois positifs et négatifs sur la qualité de vie des humains et des impacts très négatifs sur les non humains.
Or le biomimétisme, tel qu’affiché par les théoriciens du concept, devait être un élément de prise de conscience environnementale.

 

 

L’avion par exemple, qui a largement bénéficié d’optimisation bio-inspirées,
est moins durable que la bicyclette, qui elle ne l’est pas.

 

 

Réfléchir à l’éthique du biomimétisme revient alors à se poser les questions suivantes :

 

« Est-ce que la bio-inspiration est bénéfique ? À qui ? Et comment ? »
« Est-il éthique de vouloir modifier la Nature pour la rendre plus performante ? »

 

La recherche doit donc s’interroger sur les engagements minimaux indispensables de la bio-inspiration et définir les prérequis d’une recherche bio-inspirée tels que :

  • Conduire à une diminution de l’empreinte écologique de nos sociétés tout en s’assurant que la bio-inspiration contribue à sauvegarder le potentiel évolutif du vivant , de ce fait, exclure du champ de la bio-inspiration les innovations technologiques visant à compenser l’effondrement de la biodiversité, comme les drones pollinisateurs, ou les innovations qui peuvent être défavorables à la biodiversité, comme le relâcher dans l’environnement d’organismes modifiés sans que les conséquences de ces relâchers n’aient été évaluées précisément ;
  • Donner à la bio-inspiration une vision écosystémique et holistique, car la biodiversité n’est pas seulement une richesse en organismes et en espèces, mais inclut également les interactions entre les espèces au sein d’un écosystème ;
  • S’interroger sur le modèle économique sous-tendu par une innovation et ses incidences en cascade sur les chaines de valeurs et la biodiversité, de ce fait s’interroger sur l’évaluation des innovations, en intégrant la dimension sociale, institutionnelle, les questions de durabilité, les impacts sur le capital naturel, la résilience face aux perturbations ;
  • ne pas avoir une confiance exagérée dans le potentiel de progrès technologiques car il peut parfois être plus générateur de problèmes que de solution.

 

 Le biomimétisme est […] une invitation à l’humilité, une invitation à nous réconcilier avec la Nature.
[…] cependant, prenons garde […] nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins quant au sens que nous voulons donner au biomimétisme. […] si nous ne sommes pas vigilants, la bio-inspiration peut aussi renforcer le rapport utilitariste à la nature qui, on le constate tous les jours, est source de tant d’excès et de désastres environnementaux et humains.

Nicolas Thierry, Vice-Président du Conseil Régional Région Nouvelle Aquitaine En charge de l’environnement et de la biodiversité.

 

Pour aller plus loin, la réflexion autour du biomimétisme peut aussi se fonder sur le principe de l’éthique évocentrée (basée sur l’évolution des êtres vivants). Il s’agit alors de passer d’une logique qui essaye de démontrer « pourquoi conserver tel ou tel élément de biodiversité » a un bouleversement de nos relations au vivant qui serait de comprendre « pourquoi accepter de perdre ou détruire tel ou tel élément de biodiversité ? »