Les poissons récifaux assurent des rôles écologiques universels à travers les océans

Qu’est-ce qui détermine le fonctionnement d’un écosystème ? Si l’on a longtemps considéré cette question en tenant compte de la diversité des espèces qui le compose, on sait aujourd’hui que c’est surtout la diversité des traits portés par ces espèces qui détermine le fonctionnement des écosystèmes. Les traits ? « Ce sont leurs caractéristiques morphologiques, physiologiques ou comportementales. La distribution globale de ces traits, qui est influencée par l’environnement et par l’évolution, reste mal connue à travers les océans », explique David Mouillot, chercheur au laboratoire Marbec*. Une connaissance d’autant plus importante que les traits des espèces sont désormais reconnus comme étant les principaux acteurs du fonctionnement des écosystèmes et de la réponse aux changements globaux. Publiée le 16 mars dans la revue PNAS, l’étude impliquant également Fabien Leprieur (UM), Sébastien Villéger (CNRS) et Arnaud Auber (Ifremer), démontre l’influence prédominante de l’environnement sur la composition en traits des écosystèmes récifaux.

 

Protéger l’océan pour résoudre conjointement les crises du climat, de l’alimentation et de la biodiversité

Cette nouvelle étude, la plus complète à ce jour, est publiée aujourd’hui et propose une solution pour relever les défis les plus urgents de l’humanité. Elle démontre qu’une protection bien ciblée des océans pourrait à la fois contribuer à un meilleur approvisionnement en ressources alimentaires marines, fournir une solution naturelle et peu onéreuse pour lutter contre le changement climatique, et enfin davantage protéger la biodiversité menacée.

 

L’équipe scientifique a identifié des zones qui, si elles étaient protégées, permettraient de sauvegarder plus de 80 % des habitats d’espèces marines menacées et d’augmenter les captures annuelles de plus de huit millions de tonnes par rapport aux débarquements mondiaux actuels. L’étude est également la première à quantifier les émissions de dioxyde de carbone dans l’océan par le chalutage, une pratique de pêche très répandue – et elle révèle que le chalutage rejette des centaines de millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère chaque année, un volume similaire à celui émis par le trafic aérien mondial.

 

“La vie océanique est en déclin dans le monde entier en raison de la surpêche, de la destruction des habitats et du changement climatique. Pourtant, seulement 7 % de l’océan mondial est actuellement protégé”, déclare le Dr Enric Sala, explorateur au sein de la National Geographic Society et auteur principal de la publication. “Dans cette étude, nous avons mis au point une nouvelle méthode pour identifier les zones qui, si elles sont fortement protégées, engendreraient une meilleure production alimentaire tout en préservant la vie marine et en réduisant les émissions de CO2“, ajoute-t-il. “Il est clair que l’humanité et l’économie bénéficieront d’un océan plus sain. Nous pouvons concrétiser ces avantages rapidement si les pays travaillent ensemble pour protéger au moins 30 % de l’océan mondial d’ici 2030.” 

 

Pour identifier ces zones prioritaires, les scientifiques se sont notamment focalisés sur les aires marines non protégées et y ont évalué le degré d’impact des activités humaines. Puis, ils ont estimé le niveau d’impact positif qui pourrait découler de la protection de ces zones. Ils ont ensuite mis au point un algorithme permettant d’identifier les zones où des mesures de protection seraient les plus avantageuses pour générer des bénéfices multiples : protéger la biodiversité, augmenter la production de ressources alimentaires marines et diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Ces zones sont identifiables sur des cartes globales (cf. figure) qui pourront concrètement servir de guide aux gouvernements afin que ces derniers puissent mettre en pratique leurs engagements de protection de la nature. L’étude offre ainsi un cadre inédit permettant aux pays de décider des zones à protéger en fonction de leurs priorités nationales.

 

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Figure : Répartition des zones pouvant générer des bénéfices multiples (goals) si des mesures de protection strictes y étaient mises en place (bénéfices : protéger la biodiversité, augmenter la production de ressources alimentaires marines et diminuer les émissions de gaz à effet de serre). (Source : Sala et al, 2021)

 

Seul impératif, il faut qu’au moins 30 % des océans soient protégés pour qu’ils puissent offrir de multiples avantages à l’humanité. Cette étude scientifique pourrait servir de référence pour la 15e conférence des Nations Unies sur la convention sur la diversité biologique, qui aura lieu à Kunming (Chine) en fin d’année 2021 et dont une des cibles clé, serait de protéger 30 % des terres et des océans de la planète d’ici 2030 (objectif “30×30”). “Les solutions présentant de multiples avantages sont attrayantes tant pour les citoyens que pour les dirigeants. Notre approche pionnière leur permet d’identifier les zones à protéger afin de faire face aux enjeux majeurs de l’humanité : la sécurité alimentaire, le changement climatique et la perte de biodiversité”, a déclaré le Dr. Sala.

 

[1] Biodiversité marine, exploitation et conservation (MARBEC, CNRS/Ifremer/IRD/Université de Montpellier)

 

 

Pour aller plus loin... les solutions enjeu par enjeu et des citations supplémentaires

 

 

 

Biodiversité et épidémies

Il y a un an la France entamait sa première période de confinement afin de ralentir la propagation d’une nouvelle maladie : la Covid-19. Causée par l’émergence d’un coronavirus, cette maladie infectieuse est devenue en quelques mois une pandémie et a soulevé de nombreuses interrogations tant sur le plan médical, sanitaire ou environnemental. Au cours des derniers mois, des chercheurs français et internationaux ont rassemblé les connaissances existantes pour mettre en lumière les consensus et dissensus sur les zoonoses au sein de la communauté scientifique et identifier les lacunes de connaissances dans ce domaine. Plusieurs rapports ont été publiés par différentes instances, à l’instar des 22 fiches réalisées par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) dès mai 2020 ou encore du rapport de l’Ipbes sorti en octobre dernier. Retour sur les points clés de ces travaux.

 

 

Consulter les 22 fiches

 

 

MALADIES INFECTIEUSES, ZOONOSES, PANDÉMIESDE QUOI PARLE-T-ON ?

 

Les maladies infectieuses sont causées par des micro-organismes pathogènes (les agents infectieux), tels que des bactéries, des virus, différents organismes parasites ou encore des champignons. Elles peuvent se transmettre d’un individu à un autre, au sein d’une même espèce ou d’une espèce à une autre. Dans le cas d’une transmission d’un animal vertébré à un être humain, ces maladies sont appelées zoonoses 

 

On dit des maladies infectieuses qu’elles sont « émergentes » lorsqu’elles émanent d’un nouvel agent infectieux ou que leur diagnostic et leur identification est récente. Si elles se propagent rapidement au sein d’une population et que l’on constate un grand nombre de cas infectés, on parle d’épidémie, puis de pandémie quand la propagation atteint plusieurs pays et plusieurs continents1.

 

Un prix pour la biodiversité des arbres en Méditerranée : la science des arbres phylogénétiques mise au service de la conservation

Une étude issue du projet de recherche Woodiv, co-financé par le Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) et le Labex OT-Med, a récemment été reconnue par la Société botanique de France comme étant le meilleur article scientifique publié en 2020 dans la revue Botany Letters. Les auteurs de l’étude ont reçu le prix Jussieu, d’une valeur de 5 000 €, qui a pour vocation de soutenir la recherche en botanique.

 

Les travaux menés par Cheikh Albassatneh et ses collègues ont permis de produire, pour la première fois, un arbre phylogénétique des différents genres d’arbres présents en Méditerranée européenne, genres identifiés par le consortium dans l’article de Médail et al. (2019). Cette représentation, qui tire son nom du grec phylon pour « famille » et genesis pour « création », figure les liens de parentés entre les êtres vivants, afin de retracer et dater les principales étapes de l’évolution des organismes depuis un ancêtre commun.

 

Les chercheurs ont ainsi étudié les 64 genres d’arbres indigènes de l’Europe méditerranéenne et construit un arbre phylogénétique basé sur leurs séquences ADN chloroplastiques [1]. Ils ont ensuite comparé cet arbre phylogénétique avec un autre, basé cette fois sur les caractéristiques biologiques, aussi appelées traits fonctionnels.

 

Zoom sur les traits fonctionnels

Les traits fonctionnels, liés au type de reproduction (pollinisation, fleurs hermaphrodites ou unisexe) ou au type de dispersion des graines, sont souvent utilisés comme indicateurs de biodiversité. Ils permettent de caractériser à la fois les menaces qui pèsent sur la diversité taxonomique (c’est-à-dire les différentes espèces ou genres d’arbres) et celles qui pèsent sur la diversité fonctionnelle (c’est-à-dire liée aux différents traits biologiques).

 

Ces deux méthodes de classification des êtres vivants ont fourni des résultats différents, montrant que la diversité fonctionnelle n’est pas prédictible par la diversité phylogénétique ou taxonomique, et vice versa.

 

De plus, contrairement à l’arbre basé sur les traits fonctionnels, la fréquence au sein des genres des espèces classées comme vulnérables par l’UICN [2] est distribuée au hasard dans l’arbre phylogénétique (basé sur les séquences d’ADN), hormis pour certains taxons particulièrement mal connus. Ainsi, les causes de la vulnérabilité des arbres de Méditerranée ne sont pas seulement liées à la façon dont ils ont évolués au cours du temps. Elles sont essentiellement à rechercher dans des menaces plus globales se manifestant dans l’ensemble de la Méditerranée (par exemple, changement d’utilisation des terres, incendies, etc.). Les stratégies de conservation des arbres de Méditerranée ne peuvent donc pas se focaliser uniquement sur certains groupes et doivent envisager une réduction générale des impacts affectant leurs habitats.

 

La phylogénie permet d’aller encore plus loin pour alimenter les stratégies de protection et de conservation des arbres forestiers méditerranéens. Une nouvelle étude issue du même projet de recherche Woodiv a été publié le 7 février dernier dans la revue Diversity and Distributions. Des chercheurs ont utilisé l’arbre phylogénétique des 64 genres d’arbres méditerranéens pour en évaluer la variabilité spatiale, dans 643 parcelles de 50 km x 50 km sur tout le bassin méditerranéen européen (voir Figure). Ils montrent que le sud de l’Espagne, Chypre et certaines îles de la mer Égée contiennent des zones d’une diversité phylogénétique disproportionnellement grande et identifient ces zones comme des cibles prioritaires pour la conservation des arbres forestiers européens.

 

Figure article woodiv Fev 2021

Figure : Carte de diversité génétique relative. Les zones en bleu clair et en bleu foncé, indiquent une diversité phylogénétique des genres euro-méditerranéen significativement plus forte qu’attendue. A l’inverse, les zones rouges et marrons, indiquent une diversité phylogénétique des genres euro-méditerranéens significativement plus faibles qu’attendue.

 

Les données utilisées dans ces deux études sont issues d’une base de données construite par les chercheurs du projet Woodiv et mise à disposition de la communauté scientifique. Elle fait l’objet d’une publication dans Nature Scientific Data et rassemble plus de un million de données de présence, phylogénétiques et écologiques pour les arbres indigènes de Méditerranée européenne.

 

[1] Les chloroplastes sont les éléments cellulaires responsables de la photosynthèse

[2] L’Union internationale pour la conservation de la nature est l’une des principales organisations non gouvernementales mondiales consacrées à la conservation de la nature. Elle classe les espèces selon leur risque d’extinction, de « préoccupation mineure » à « éteint » en passant par « quasi menacée », « vulnérable » ou encore « en danger ».

 

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