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avril 2024  I  Actualité  I  FRB  I 

[Conseil Scientifique] Interview de Sabrina Gaba

Sabrina Gaba est écologue, directrice de recherche à l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et co-directrice d’une infrastructure de recherche : la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre. Membre du Conseil scientifique de la FRB et du comité scientifique du Cesab de la Fondation, elle a accepté de prendre part à une série de portraits des membres actuels du CS de la FRB en nous présentant plus en détails son action au sein de la Zone Atelier. Bonne lecture !

[Conseil Scientifique] Interview de Sabrina Gaba

Pourquoi as-tu choisi de nous présenter ce projet de la zone atelier en particulier ?  

 

J’ai choisi de présenter ce projet car il est relativement atypique dans sa conception et dans sa forme. Ce projet débuté en 2021 rassemble des partenaires issus du monde associatif, et un consortium de chercheurs en écologie, en écotoxicologie mais aussi en épidémiologie médicale, animale et végétale. Il aborde la santé du territoire, en l’occurrence ici celle d’un territoire rural dans le contexte actuel des enjeux d’alimentation, d’agriculture et de santé. Un des enjeux est la sortie de l’usage intensif des pesticides sans impacter la production agricole et la viabilité des exploitations et en préservant l’environnement et la biodiversité. 

 

Le plan Ecophyto et la loi Egalim ont été mis en place pour répondre à ces enjeux. Peux-tu nous en dire plus ?  

 

Le plan Ecophyto est né du Grenelle de l’environnement en 2007. A l’époque, il s’appelait plan Ecophyto 2018 et avait pour objectif de réduire de 50 % l’usage des pesticides entre 2008 et 2018. En termes de coûts, cela a représenté plusieurs milliards d’euros, dont 400 millions d’euros par an de fonds publics. Rétrospectivement, on s’aperçoit que malgré ces efforts, les ventes de pesticides sont restées globalement constantes ces 13 dernières années, avec 20% de ces ventes qui correspondent à des substances cancérigènes/mutagènes et ayant des conséquences sur la fertilité. Surtout, il existe une hétérogénéité très importante sur le territoire des ventes de ces molécules : nous ne sommes pas tous exposés aux mêmes molécules et aux mêmes quantités.   

La loi Egalim en 2017 avait également pour objectif de garantir une alimentation de qualité et un juste prix aux agriculteurs. La crise agricole actuelle met en évidence les limites de ces politiques publiques. 

Ventes de pesticides ces dernières années, en millions d'hectares par année
Ventes de pesticides ces dernières années, en millions d’hectares par année

 

Pourquoi les pesticides sont-ils si pointés du doigt ?  

 

Il y a, d’une part, les liens entre usages des pesticides et le déclin de la biodiversité (comme l’a établi, entre autres, l’étude phare sur les insectes Hallmann et al. 2017, qui documente une diminution de plus de 75 % de la biomasse des insectes des aires protégées d’Allemagne au cours des 27 dernières années). On retrouve également des pesticides ou des métabolites de ces molécules dans de nombreux compartiments de l’environnement y compris dans des sols de parcelles d’agriculture biologique qui n’ont pas été soumis à des pesticides depuis plusieurs années. D’autre part, les liens entre pesticides et santé humaine ont aussi été documentés. En 2021,l’expertise Inserm a révélé des liens entre des pathologies (lymphomes, cancers de prostate, maladie de Parkinson) et l’exposition aux pesticides des travailleurs agricoles.

 

Cela pose donc plusieurs enjeux : l’enjeu de réduction d’usage des pesticides, mais aussi celui de l’exposition aux pesticides et des impacts de ces expositions. L’exposition est complexe car il s’agit dans la plupart des cas d’une exposition chronique, à un cocktail de molécules, à des doses faibles et via de multiples sources d’exposition et sur de multiples organismes (humains, non-humains). Tout cela conduit à une nouvelle approche de la santé, ce qui a mené au projet Santé des Territoires de la ZA Plaine & Val de Sèvre que nous avons voulu inscrire dans le cadre EcoHealth.  

 

Quelle est l’ambition de ce projet ?  

 

Ce projet a pour double objectif de : (1) démontrer le rôle de la biodiversité pour la santé, et (2) de rendre le concept “une seule santé”* opérationnel plutôt qu’incantatoire. Il s’agit de comprendre comment la biodiversité, par des mécanismes qui lui sont propres (au niveau local via la bioaccumulation par exemple mais aussi à l’échelle du paysage) peut réduire notre exposition aux pesticides et l’impact que cela pourrait avoir sur notre santé.   

 

(*) Le cadre “une seule santé”, un concept apparu avec la question des zoonoses (notamment avec la maladie de Creutzfeld Jakob et de la vache folle) créant un lien très fort entre la médecine vétérinaire et la médecine humaine. Le choix de l’approche « Ecohealth » plutôt que « One health » met en avant le rôle de la biodiversité et celle des solidarités via les liens entre humains et nature. 

 

Comment étudier ce concept d’une seule santé en « pratique » dans un territoire ?  

 

La ZA Plaine & Val de Sèvre est un site agricole de 450 km² avec des paysages contrastés comprenant des zones de bocages, des zones de plaines céréalières intensives. Le territoire couvre 24 communes, 34 000 habitants, plus de 400 fermes et 24 établissements scolaires.  

Ce territoire est particulièrement intéressant d’un point de vue scientifique car il fait l’objet de suivis de long terme, depuis près de 30 ans maintenant. Des suivis de biodiversité depuis 1994, des pratiques agricoles depuis 2006, de consommation alimentaire depuis 2019 et sur la perception de la nature et de la santé chez les habitants des territoires depuis 2021. Des suivis d’usage des sols ont également été réalisé permettant de connaître la répartition de l‘agriculture biologique et des haies. Cette connaissance est utilisée pour mettre en place un « design spatial semi expérimental » 

 

La joie de vivre, Heni Matisse, huile sur toile, 1905-1906
La joie de vivre, Heni Matisse, huile sur toile, 1905-1906

 

Qu’est que ce design permet ? Quelles sont les méthodes d’étude de ce territoire ?  

 

Ce projet vise à comprendre comment les rôles de la biodiversité et des paysages sur l’exposition aux pesticides et son impact dans l’objectif de co-concevoir des solutions pour réduire exposition et impact. En absence d’une connaissance fine des usages de pesticides sur l’ensemble du territoire, nous utilisons l’agriculture biologique comme le pendant inverse de l’usage des pesticides – puisque cela n’est pas permis dans ce modèle agricole. Afin d’étudier les liens entre usage et exposition aux pesticides, nous sélectionnons des paysages et lieux de vie (communes) avec une proportion plus ou moins élevée d’agriculture biologique et un gradient de présence de haies car ces dernières représentent aussi une barrière à la dispersion de molécules ou des zones d’accumulation.   

 

Quelles actions ont-elles été menées depuis le lancement du projet? 

 

  • Plusieurs actions ont été menées. Tout d’abord auprès des habitants nous avons réalisé des prélèvements de sols, de biodiversité et de poussières afin de quantifier l’exposition aux pesticides. Nous avons également mis en place des interventions dans les écoles autour de l’alimentation, de la biodiversité et de l’environnement. Ces interventions sont pensées pour permettre aux enfants d’avoir une vision de plus en plus systémique des liens entre leurs actions, leur santé, celles des humains et des non-humains avec lesquels ils coexistent.   
  • Enfin, nous avons présenté le projet auprès des professionnels de santé sur le territoire (150) et réalisé une première enquête pour évaluer la connaissance au sein de la profession du concept d’une seule santé et de la mise en pratique de ce concept dans leur milieu.  

 

Je n’ai pas présenté de résultats car à ce stade nous ne sommes pas en mesure de le faire. Cette présentation avait pour objectif de partager avec vous une initiative de recherche à l’échelle d’un territoire, engageant des chercheurs, des non-académiques mais également les habitants d’un territoire dans un processus visant à comprendre comment améliorer la santé de ce territoire.  

 

 

 

 

 

 

 

La Zone Atelier

Retrouvez plus d’informations sur la Zone Atelier sur son site

https://za-plaineetvaldesevre.com/

Sabrina Gaba est écologue et directrice de recherches à Inrae. Elle travaille également au Centre d’études biologiques de Chizé, au sud des Deux-Sèvres, où elle est responsable de l’équipe “Résilience” (USC CEBC Résilience Inrae CNRS La Rochelle Université).

Sabrina est aussi co-directrice d’une infrastructure de recherche : la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre qu’elle nous a présenté lors d’une midi conf. 

À travers la FRB, Sabrina est également membre du Conseil scientifique de la FRB et du comité scientifique de son Cesab.