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janvier 2019  I  Synthèse  I  FRB  I  Biodiversité et santé

Modification des écosystèmes et zoonoses dans l’Anthropocène

Référence : B. J. McMahon, S. Morand, J. S. Gray (2018) Ecosystem change and zoonoses in the Anthropocene. Zoonoses Public Health. 65 : 755–765. https://doi.org/10.1111/zph.12489

Synthèse par Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB)

Relectures par Serge Morand (directeur de recherche au CNRS) et Jean-François Silvain (président de la FRB)

 

Avec près de 60 % des maladies infectieuses émergentes classées comme zoonotiques, ces pathologies représentent un enjeu croissant de santé publique au niveau mondiale. La facilité par laquelle elles se propagent dans la population humaine dépend à la fois de la zoonose et du contexte écologique. Dans un article paru dans la revue scientifique Zoonoses and public health, une équipe de scientifiques illustre la nécessité de prendre en compte les exigences écologiques des agents pathogènes zoonotiques, l’impact des interventions humaines, mais aussi les types d’écosystèmes concernés (urbain, péri-urbain et forestier) pour se préparer à leur émergence et les gérer efficacement.

À l’heure de l’Anthropocène, les changements d’usage des terres, les populations animales et le climat entraînent l’apparition de maladies transmises des animaux à l’Homme, autrement appelées zoonoses.

 

Modification des écosystèmes et zoonoses dans l’Anthropocène "La déforestation est une source fréquente et bien connue d’émergence de zoonoses..."

Avec près de 60 % des agents pathogènes humains et environ 60 % des maladies infectieuses émergentes classés comme zoonotiques, c’est-à-dire transmises des animaux à l’homme (Jones et al., 2008 ; Woolhouse & Gowtage-Sequeria, 2005), ces pathologies (grippe aviaire, VIH SIDA, SRAS et Ebola, etc.) représentent un enjeu croissant de santé publique au niveau mondial (Jones et al., 2008).

 

Les maladies, dont les zoonoses, sont des processus écologiques naturels au sein des écosystèmes. Leur éradication peut ne pas avoir que des effets positifs car d’autres parasites ou pathogènes sont susceptibles d’occuper les niches laissées vacantes (Lloyd-Smith, 2013).

En raison de la multiplicité des espèces et des échelles impliquées (Johnson, de Roode et Fenton, 2015), l’écologie des communautés associée à l’épidémiologie peut amener à une meilleure compréhension des processus et des dynamiques impliqués dans les épidémies de zoonoses et faciliter une meilleure gestion des risques liés aux maladies zoonotiques (Cunningham et al., 2017 ; Johnson et al., 2015 ; Young et al., 2017).

 

Par le biais d’exemples, les auteurs illustrent la nécessité de prendre en compte, en plus des exigences écologiques des agents pathogènes zoonotiques, d’une part, l’impact des interventions humaines et d’autre part les types d’écosystèmes concernés (urbain, péri-urbain et forestier) pour se préparer à l’émergence de ces zoonoses dans l’Anthropocène et les gérer efficacement.

Les facteurs anthropiques influençant l’émergence ou la propagation des zoonoses

Les activités humaines influencent l’émergence et la transmission de la quasi-totalité des zoonoses, soit comme moteur principal, soit comme facteur secondaire.

 

L’Homme modifie son environnement depuis son apparition, mais, avec une population humaine mondiale en augmentation constante (Gerland et al., 2014) et un besoin exponentiel en ressource, l’expansion géographique des activités humaines et les pressions associées s’accélèrent (agriculture, urbanisation, activités industrielles). Très peu d’espaces sont actuellement exempts d’empreinte anthropique (Hoekstra & Wiedmann, 2014). La conséquence est à la fois une disparition massive des populations animales sauvages (Ceballos, Ehrlich & Dirzo, 2017) et un contact renforcé de l’Homme avec la faune dont l’espace vitale se réduit (Jones et al., 2013). Cette pression anthropique sans précédent sur les écosystèmes, en contexte de changement environnementaux globaux, étant en constante augmentation, les maladies zoonotiques continueront à émerger à l’avenir (Jones et al., 2013).

 

  • La déforestation est une source fréquente et bien connue d’émergence de zoonoses en provenance des animaux sauvages

 

Deux cas emblématiques ayant in fine généré des infections entre humains sont le virus Ebola hautement pathogène et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Dans les deux cas, la parenté génétique avec les primates sauvages a eu un rôle clé.

Pour Ebola, les primates ne sont pas la source originale du virus, mais sont des hôtes secondaires qui jouent un rôle de passerelle vers l’homme (Del Rio & Guarner, 2015). Dans le cas du VIH, la forme simienne du virus a dérivé pour s’adapter à son hôte humain (Sharp & Hahn, 2011).

 

Le paludisme causé par Plasmodium knowlesi et Plasmodium cynomolgi en Asie du Sud-Est et Plasmodium simium en Amérique du Sud (Fornace et al., 2016) est un exemple récent de maladie zoonotique due à la déforestation impliquant des primates non humains. Les autres espèces de plasmodium, adaptées respectivement aux singes ou à l’Homme sont très probablement capables de provoquer des infections réciproques. Ces dernières seront probablement de plus en plus fréquentes avec l’augmentation de la déforestation (Ramasamy, 2014).

 

  • La conversion de terres pour l’agriculture ou son intensification modifient les milieux et peuvent entraîner une augmentation de la transmission des zoonoses

 

C’est le cas pour les maladies causées par le virus du Nil occidental et le virus Nipah (Epstein et al., 2006 ; Kilpatrick, 2011).

 

  • La déprise agricole et le retour de la forêt jouent un rôle majeur dans la transformation des écosystèmes et la dynamique de certaines zoonoses

 

L’augmentation des tiques a été constatée dans des contextes de déprises agricoles et semble être la cause de la recrudescence de la maladie de Lyme, notamment sur la côte est des États-Unis (Matuschka & Spielman, 1986). De même l’augmentation de l’encéphalite à tiques en Europe de l’Est peut être attribuée en partie à la création d’un habitat propice aux tiques par l’abandon de terres agricoles après les bouleversements économiques consécutifs à l’effondrement de l’Union soviétique (Šumilo et al., 2008) et à la fréquentation des populations humaines de ces forêts à l’occasion de la récolte des champignons et des fruits sauvages (Randolph et al., 2008).

 

  • Les barrages et les infrastructures d’irrigation sont responsables de l’apparition de certaines zoonoses

 

Par exemple, dans certaines régions d’Afrique, le risque de schistosomiase est augmenté car, selon certains auteurs, ces derniers participent à la création d’habitats favorables à l’hôte intermédiaire du parasite (Steinmann et al., 2006) et, selon Sokolov et al. (2017), ces barrages bloquent également la migration du serpent prédateur de ces hôtes intermédiaires. 400 millions de personnes pourraient être touchées par ces zoonoses.

 

  • À plus grande échelle, la mondialisation économique est un facteur d’augmentation du risque de zoonose

 

Le typhus des broussailles à Taïwan est causé par une bactérie de la famille des rickettsies, Orientia tsutsugamushi (Kuo et al., 2012) qui utilise un acarien Trombiculidae comme vecteur et certaines espèces de rongeurs comme hôtes réservoirs, tous deux fortement associés aux forêts hétérogènes et aux jachères envahissantes (Chaisiri, Cosson & Morand, 2017 ; Xu et al., 2017). Ainsi, lorsque Taïwan a rejoint l’Organisation mondiale du commerce en 2001, la suppression des barrières commerciales a conduit à la fin des subventions agricoles et à l’abandon de rizières devenues non compétitives, ce qui a profondément transformé le paysage agricole. Avant 2001, 20 % des rizières n’étaient pas cultivées, ce taux est passé à 45 % dès la fin 2004 pour finalement se stabiliser à 40 % en 2012. Ces rizières abandonnées constituent des conditions idéales pour les hôtes réservoirs et les vecteurs du typhus : non seulement la population de rongeurs a augmenté, surtout celle de la souris rayée, Apodemus agraruis, mais l’intensité d’infestation par les acariens de souris provenant de champs non cultivés a été multipliée par trois (Kuo et al., 2012). L’incidence du typhus des broussailles a elle augmenté de près de 40 % entre les deux périodes 1998-2001 et 2003-2007. Il est tentant d’attribuer cela au changement environnemental découlant de la mondialisation.

 

  • Les politiques sanitaires peuvent être elles-mêmes à l’origine d’effets secondaires non anticipés

 

L’augmentation de l’incidence de la rage en Inde est attribuée à l’utilisation massive d’un anti-inflammatoire bovin, le diclofénac, mortel pour les vautours. La disparition rapide des charognards a entraîné une accumulation de carcasses de bovins puis un accroissement des populations de chiens errants, principale source de transmission du virus de la rage (Markandya et al., 2008).

Par ailleurs, la politique de vaccination antirabique des renards en Europe a eu des conséquences inattendues, conduisant à une expansion de la population de renards roux (Vulpes vulpes) et une augmentation consécutive de la transmission d’Echinococcus multilocularis (Combes et al., 2012 ; Schneider et al., 2013 ; Schweiger et al., 2007), responsable de l’échinococcose alvéolaire, démontrant la complexité des interactions éco-épidémiologiques.

 

  • Les modifications des populations animales influent sur la dynamique des infections zoonotiques

 

En modifiants les habitats, les interventions humaines entraînent des changements dans le nombre d’animaux et lorsque des populations d’hôtes intermédiaires ou définitifs d’agents zoonotiques augmentent, les maladies associées augmentent.

Dans un seul cas documenté, celui de l’encéphalite à tiques en Suède, la décroissance des populations de chevreuils a été associée à un taux plus élevé de maladie. Ceci s’expliquerait par un détournement des tiques vers les campagnols (Myodes glareolus), réservoirs animaux du virus de l’encéphalite à tiques, qui connaissaient un pic de population au même moment. Ces deux facteurs cumulés ont entrainé une transmission accrue à l’Homme (Jaenson et al., 2012).

 

  • Les changements climatiques et météorologiques sont responsables de la progression de certaines maladies aux latitudes ou altitudes plus élevées (Altizer et al., 2013)

 

McIntyre et al. (2017) a récemment démontré que 2/3 des agents pathogènes infectieux réagissaient au climat, notamment aux précipitations et températures.

Alors que la plupart des connaissances sur les effets du changement climatique sur la distribution et l’épidémiologie des maladies infectieuses provient de modélisation écologique ou climatique (Guis et al., 2012), des observations empiriques commencent à confirmer ces effets. Il est ainsi clairement établi que les infections à entérovirus ou à shigella sont associées aux climats estivaux humides et aux précipitations anormalement fortes et que les fièvres typhoïdes sont, quant à elles, associées à des périodes de températures élevées en Europe (McIntyre et al., 2017 ; Morand et al., 2013). Des tendances similaires ont été observées pour ces maladies dans les régions tropicales (Wilson, Lush & Baker, 2010) ; mais surtout, cette étude a révélé que les agents pathogènes zoonotiques étaient plus sensibles au climat que les agents pathogènes strictement humains ou animaux.

Les changements climatiques ou météorologiques agissent sur les habitats et les ressources en nourriture et en eau, mais, également, sur les migrations d’animaux (Gortazar et al., 2014 ; Pongsiri et al., 2009). Ces phénomènes augmentent les contacts entre des animaux sauvages infectés et des humains sensibles du fait de la croissance de la population humaine, de son expansion territoriale et du recouvrement avec les territoires des animaux sauvages (Gortazar et al., 2014). Ces processus ont leur origine au niveau local, mais peuvent avoir des conséquences globales (confer les épidémies de grippe aviaire chez les humains).

 

La peste bubonique, causée par la bactérie Yersina pestis, a tué un tiers de la population européenne au Moyen Age lors de l’épisode qualifié de « peste noire ». L’infection transmise par les puces est probablement originaire d’Asie centrale avec un fort réservoir de rongeurs fouisseurs, notamment des gerbilles (Gage & Kosoy, 2005). Périodiquement, des épidémies se déclarent chez les rongeurs, entraînant leur mort, ce qui prive les puces infectées de leurs hôtes naturels. Ces puces cherchent donc d’autres hôtes, y compris les humains, donnant ainsi lieu à des épidémies de peste (Samia et al., 2011). Il est probable que les facteurs climatiques aient été impliqués dans ces épizooties, tout d’abord en favorisant l’augmentation des populations de rongeurs et le nombre de puces (Stenseth et al., 2006). Pendant ce second stade, l’épidémiologie devient plus complexe et les mécanismes sont encore peu décrits. La persistance apparente de cas dans les zones où les rongeurs habituels sont absents, serait due aux vagues d’infection répétées, favorisées par des facteurs climatiques, en provenance d’Asie centrale se répandant dans d’autres populations de rongeurs, telles que celle du rat noir, Rattus rattus (Schmid et al., 2015).

 

Les hantavirus et les pathogènes associés utilisent également les rongeurs comme réservoirs. Là encore le changement climatique joue un rôle majeur dans les épidémies en lien avec des pics de populations de rongeurs, principalement en zones rurales (Jonsson, Figueiredo & Vapalahti, 2010). Black et al. (2009) ont ainsi constaté que les cas d’infection par le virus Puumala en Allemagne étaient associés à des années climatiques qui, en Chine, favorisaient la production massive de graines augmentant mécaniquement le nombre de rongeurs. De même, de faibles précipitations et un manque d’inondations favorisent l’abondance de souris des champs corrélée à une incidence plus élevée de fièvre hémorragique avec syndrome rénal en Chine (Guan et al., 2009). Enfin, en Amérique, l’émergence d’épidémie à hantavirus a été reliée aux précipitations qui stimulent indirectement la croissance des populations de rongeurs (Engelthaler et al., 1999 ; Yates et al., 2002).

Les facteurs liés aux écosystèmes influençant l’émergence ou la propagation des zoonoses

La susceptibilité de l’Homme à une zoonose donnée peut être très variable (Civitello et al., 2015 ; Jones et al., 2008 ; Salkeld et al., 2013 ; Wood et al., 2016). Une des composantes écologiques primaires des zoonoses est l’habitat des hôtes réservoirs de leur agent zoonotique. Trois types d’habitats, correspondant à la classification des écosystèmes de Schwabe (1984), ont été considérés pour faciliter la compréhension des émergences de zoonoses : “urbain”, “péri-urbain” et “forestier” avec une présence humaine et donc une exposition potentielle décroissante et une biodiversité croissante. La juxtaposition de ces écosystèmes urbains, péri-urbains et forestiers influence donc a priori la dynamique des zoonoses en termes d’hôtes et de pathogènes ou parasites (Kilpatrick, 2011 ; McCauley et al., 2015) et il est nécessaire de mieux comprendre les processus écologiques dans les écosystèmes urbains, péri-urbains ou forestiers afin de :

  • prédire l’émergence de zoonoses,
  • anticiper les phénomènes de transmissions des agents pathogènes entre l’homme, la faune et les animaux d’élevage dans différents contextes écologiques et culturels (Jones et al., 2013, Muehlenbein, 2016),
  • et favoriser la résilience des systèmes (Suter, 1993).

 

  • Écosystèmes urbains

 

Dans les écosystèmes urbains, la force de l’infection (voir annexe ci-dessous) augmente généralement en raison de l’augmentation en abondance d’agents pathogènes adaptés à l’Homme, les épidémies surviennent alors en cas de défaillance des systèmes sanitaires ou de la présence de vecteurs ou d’hôtes réservoirs en grande quantité (ce qui augmente la force de l’infection).

 

Les infections d’origine alimentaire sont parmi les plus importantes zoonoses dans le monde (EFSA, 2017). Elles sont renforcées en premier lieu par l’intensification de l’élevage qui sélectionne parfois des animaux très susceptibles à certaines maladies zoonotiques. Dans ce cas, le nombre d’animaux domestiques servant d’hôtes réservoirs augmente, la force de l’infection augmente ainsi que le risque d’infection humaine (Pennington, 2010). En second lieu, l’industrialisation de la transformation alimentaire augmente les cas de contamination des aliments avec des agents pathogènes comme Salmonella spp., Campylobacter jejuni et certaines souches d’Escherichia coli.

 

Escherichia coli O157 est une bactérie responsable de gastro-entérite, dont les conséquences peuvent être graves, avec notamment des dysfonctionnements rénaux potentiellement mortels (Newell et al., 2010). La perte de biodiversité associée à l’intensification de la production bovine a été clairement reliée à certaines épidémies en raison de l’augmentation de la prévalence de l’agent pathogène chez les bovins, le plus important hôte réservoir (Donald, Green & Heath, 2001 ; Jones et al., 2013).

Alors que les risques principaux résident dans les défaillances du système sanitaire, la prévention à la ferme joue également un rôle important en raison de la corrélation qui existe entre la prévalence de l’infection chez les bovins entrant à l’abattoir et le niveau de contamination ultérieure de la viande (Loneragan & Brashears, 2005). Plusieurs études sur l’administration à titre préventif dans les aliments ou dans l’eau des animaux de probiotiques ou de chlorate de sodium n’ont pas mis en évidence de résultats probants. Il n’existe de même aucune preuve que des antibiotiques ciblés réduiraient l’excrétion fécale de la bactérie ou que des facteurs de croissance administrés aux animaux augmenteraient cette même excrétion (Sargeant et al., 2007).

 

Les facteurs culturels influencent largement les zoonoses non alimentaires. Par exemple, la prévalence du nématode Toxocara canis et du cestode Echinococcus granulosus, qui ont tous deux comme hôte définitif les canidés, est associée à une mauvaise vermifugation des animaux et la dissémination des parasites dans l’environnement via leurs fèces ou encore au manque de connaissances des professionnels (Otero-Abad & Torgerson, 2013).

 

  • Écosystèmes péri-urbains

 

La caractéristique des écosystèmes péri-urbains est l’omniprésence des animaux sauvages susceptibles de contribuer aux zoonoses. Cette association étroite avec l’Homme (par exemple les rats) augmente la force de l’infection dans ces écosystèmes. Les autres facteurs sont un mélange de ceux des écosystèmes urbains et forestiers.

 

La leptospirose est une maladie bactérienne largement répandue, mais négligée (Bharti et al., 2003), pour laquelle les rongeurs, en particulier le rat brun Rattus norvegicus, est le principal réservoir. Par exemple, l’introduction par l’Homme du rat noir Rattus rattus sur l’île de Futuna en Polynésie, a modifié la structure et la composition des communautés d’espèces de rongeurs sauvages et augmenté le risque de leptospirose pour l’Homme (Derne et al., 2011 ; Theuerkauf et al., 2013). Ce mécanisme avait été démontré dans d’autres cas où les espèces de mammifères envahissantes avaient involontairement altéré la composition des communautés d’hôtes et ainsi changé la dynamique des zoonoses et donc la force de leur infection (Hubálek, 2003 ; Nally et al., 2016).

Dans les pays en développement, cette maladie est aussi exacerbée par l’urbanisation, l’infestation par les rongeurs et des infrastructures inadéquates ou des inondations graves qui favorisent la contamination des eaux (Bharti et al., 2003).

 

Le changement de comportement dans les groupes à risque (par exemple, vétérinaires et amateurs de sports nautiques) est un autre facteur déterminant de l’incidence de la leptospirose, par augmentation des contacts avec les spirochètes dans les zones riches en rongeurs infestés (Garvey et al., 2014).

 

  • Écosystèmes forestiers

 

Les humains sont moins présents dans les écosystèmes forestiers, au sein desquels la force de l’infection d’une maladie varie selon :

  • la fréquence ou la quantité des intrusions humaines dans ces écosystèmes,
  • les dégradations de l’habitat,
  • les variations saisonnières et annuelles des populations animales réservoirs,
  • les changements dans la composition des espèces.

 

L’échinococcose provoquée par le ver plat Echinococcus multilocularis provoque des infections qui peuvent être graves pour l’Homme. E. multilocularis a pour hôtes définitifs les canidés sauvages (renard roux) et domestiques (chiens) et pour hôtes intermédiaires les rongeurs.

L’abondance des renards est donc un contributeur majeur à la force de l’infection de cette maladie. Or la dynamique de l’infection a changé dans certaines parties de l’Europe, car les tailles de populations de renards en Europe ont augmenté ces dernières décennies en partie en lien avec le succès des campagnes de vaccination antirabique, mais aussi avec l’adaptation des renards aux milieux urbanisés (Otero-Abad & Torgerson, 2013). La population de renards était en effet « contrôlée » par le virus de la rage responsable de mortalités importantes, la campagne de vaccination antirabique, dont l’objectif était la protection des populations humaines, a donc eu un effet secondaire inattendu : une transmission accrue du ver aux Hommes (Combes et al., 2012 ; Schneider, Aspöck & Auer, 2013 ; Schweiger et al., 2007).

Le second facteur agissant sur la force de l’infection est la fréquentation des forêts. Enfin, des facteurs de risque spécifiques sont liés à la possession d’un chien de chasse au gibier, le fait de vivre dans une ferme ou certains métiers comme celui d’agriculteur, car les probabilités de contact avec les hôtes définitifs augmentent (Kern et al., 2004).

 

L’EFFET DE DILUTION

Le concept d’effet de dilution suggère que la biodiversité naturelle (et particulièrement la diversité des espèces) pourrait réduire le risque de maladie, y compris les zoonoses (Keesing, Holt & Ostfeld, 2006).

Une étude expérimentale réalisée au Panama (Suzan et al., 2009) a ainsi démontré que la prévalence de l’infection à hantavirus dans les populations réservoirs de rongeurs sauvages augmentait lorsque la diversité des petits mammifères était réduite.

Cet effet dilution présente un attrait certain pour les politiques publiques, car lorsque cela fonctionne, une seule mesure, l’augmentation de la biodiversité, répond à la fois aux exigences de conservation et aux exigences sanitaires par la réduction des risques de maladies infectieuses pour la santé humaine et les animaux sauvages (Keesing et al., 2010 ; Pongsiri et al., 2009).

 

La maladie à vecteur la plus répandue dans les régions tempérées de l’hémisphère Nord est la maladie de Lyme, une des premières pour laquelle l’effet de dilution par la biodiversité a été évoqué comme solution pour réduire les taux de transmission dans l’environnement et donc le risque de maladie (LoGiudice et al., 2003 ; Keesing, 2012). Cependant, des arguments solides ont été avancés pour démontrer que cette hypothèse n’était pas toujours confirmée dans d’autres contextes locaux (Lafferty & Wood, 2013 ; Ogden & Tsao, 2009 ; Randolph & Dobson, 2012).

 

La maladie de Lyme est causée les bactéries des espèces Borrelia burgdorferi sensu lato et est transmise par les tiques des espèces Ixodes ricinus. C’est une zoonose à vecteur dont les mécanismes et cycles sont encore plus complexes, car elle implique des vecteurs et le maintien de l’agent pathogène ou du parasite dans l’environnement. Ce dernier peut donc a priori jouer un grand rôle dans l’émergence ou la transmission des maladies.

Les hôtes réservoirs des agents pathogènes sont principalement des petits mammifères et des passereaux qui se nourrissent au sol, mais les grands mammifères, bien que réservoirs non compétents pour transmettre la maladie, sont nécessaires pour que les tiques terminent leur cycle de vie (Gray et al., 1998). Les cerfs sont le plus souvent associés à la maladie, car ils occupent les mêmes habitats que les hôtes réservoirs des bactéries. Ainsi, le risque d’infection pour les humains augmente dans les écosystèmes forestiers ou lorsque les hôtes réservoirs et les cerfs se côtoient dans les écosystèmes périurbains (Rizzoli et al., 2014). Le bétail quant à lui présente a priori moins de risque, principalement parce qu’il est en majorité élevé dans des habitats ouverts qui ne permettent pas la survie des stades non parasites sensibles à la dessiccation.

Cette maladie illustre la complexité qui peut exister dans la dynamique de la transmission d’un agent pathogène qui circule entre plusieurs vertébrés hôtes et possède un vecteur, I. ricinus, qui se nourrit lui-même sur des hôtes réservoirs et non-réservoirs des agents pathogènes. Ainsi :

  • En contexte agricole, une large population de tiques n’est pas forcément associée à un risque plus fort de maladie (Jaenson et al., 2009). En effet, même si de grosses populations de tiques peuvent survivre sur des moutons et des bovins dans des territoires pouvant nourrir tous les stades et en l’absence d’autres hôtes (Milne, 1949), les tiques ne portent pas ou très peu de Borrelia en raison du nombre relativement faible de petits mammifères présents (Gray et al., 1995 ; Matuschka et al., 1993).
  • La survie des tiques dans les habitats agricoles à végétation rase est néanmoins possible, comme ce fut démontré en Irlande, en particulier à l’ouest de la rivière Shannon et serait aussi possible en Europe continentale, mais dans une bien moindre mesure.
  • Malgré le faible taux d’infection actuel des tiques dans les paysages agricoles, comme en Irlande, la fréquence des espèces de Borellia associées aux oiseaux (telles que B. garinii dont certaines souches sont zoonotiques), au nord-ouest de l’Europe (Kurtenbach et al., 2006; Pichon et al., 2005; Rauter & Hartung, 2005 ; Saint Girons et al., 1998), pourrait à terme entraîner une hausse importante des taux d’infection, étant donné que le boisement et le reboisement augmentent la richesse et la diversité des espèces d’oiseaux (Graham et al., 2015). Cette situation est l’inverse de celle documentée aux Etats-Unis où il a été suggéré que l’augmentation de la biodiversité réduirait la force de l’infection en détournant une partie de la population de tiques des hôtes réservoirs porteurs de B. burgdorferi s.l. (Ostfeld & Keesing, 2012).
  • Le processus de reforestation dans de nombreuses parties de l’Europe occidentale est déjà en cours et il reste à déterminer s’il en résultera une augmentation de l’incidence de la maladie de Lyme.

 

Conclusion pour la gestion du risque zoonotique

Les stratégies d’intervention doivent prendre en compte les contraintes nouvelles liées aux changements environnementaux modifiant les dynamiques des infections (Foley et al., 2005 ; Karesh et al., 2012) et être adaptées aux situations locales (Lewis et al., 2014) pour tenir compte des différences dans les forces des infections.

Compte tenu des risques liés aux émergences de zoonoses en lien avec les changements d’affectation des terres (Jones et al., 2013 ; Kilpatrick, 2011 ; McCauley et al., 2015), il est nécessaire de réaliser une évaluation complète de l’impact écologique de grands projets impliquant des changements de paysage à grande échelle incluant le risque zoonotique (par exemple, la modification ou l’intensification des terres agricoles et l’urbanisation) (McMahon et al., 2015 ; CIEEM, 2016). Les spécifications de cette évaluation de l’impact écologique sont encore à construire, mais l’écologie du paysage pourrait y contribuer (Hartemink et al., 2015) via des programmes informatiques tels que FRAGSTATS (McGarigal, Cushman & Ene, 2012) pour quantifier la configuration du paysage et sa composition.

De plus, l’interconnexion des humains, du bétail et de la faune représente un aspect clé pour de nombreux défis globaux auxquels nous faisons face.

 

Les facteurs conduisant aux maladies humaines, y compris les zoonoses, sont dépendants du contexte et de l’espèce de pathogène ou de parasite et présentent une variabilité spatiale et temporelle (Civitello et al., 2015 ; Keesing et al., 2010 ; Salkeld et al., 2013 ; Salkeld et al., 2015). La planification territoriale s’appuyant sur l’écologie de communautés est donc nécessaire pour comprendre et gérer les épidémies de zoonoses dans un contexte “d’une seule santé” (One Health, Hassell et al., 2017) et cette approche a un effet bénéfique net pour la santé publique (Myers et al., 2013). Par ailleurs, quand les zoonoses impliquent des arthropodes vecteurs ou des hôtes intermédiaires parasites, la complexité augmente et le nombre de facteurs en jeu également. Dans ces cas-là, une intervention efficace devient plus difficile.

 

La gestion efficace des zoonoses dépend donc aussi de l’avancée des connaissances et notamment des facteurs clés à l’origine de l’émergence de la maladie. Des données d’expériences de terrain et de laboratoire modélisant le mieux possible la complexité de ces épidémies (Johnson et al., 2015) sont indispensables. Pour fournir un aperçu complet du risque probable, les recherches futures devraient explorer et exploiter les connaissances en terme :

  • d’écologie de la maladie,
  • de facteurs influençant l’abondance des agents pathogènes et des parasites et de leur adaptation et interactions dans un contexte d’Anthropocène,
  • de meilleure compréhension des traits d’histoire de vie des réservoirs vertébrés de la zoonose, des hôtes intermédiaires et des arthropodes vecteurs, (le cas échéant),
  • de lien entre ces facteurs écologiques et les changements dans les paysages.

 

La gestion interdisciplinaire de ces zoonoses, intégrant la planification de l’utilisation des terres avec une vision intégrative « une seule santé », n’obtiendra de bons résultats que par la conduite d’études empiriques standardisées, normalisées et avec des contrôles et des réplications de tests expérimentaux à grande échelle territoriale et sur le temps long.

ANNEXE - La force de l'infection, un indicateur du risque de transmission des maladies zoonotiques

En raison de la dynamique de transmissionparfois complexe de nombreux agents pathogènes zoonotiques (incluant l’écologie des réservoirs animaux et de leurs vecteurs), leurs facteurs d’émergence ou de propagation sont multiples et très dépendants de l’environnement et ont ainsi été reliés à une série de variables environnementales, écologiques et géographiques (Jones et al., 2008 ; Plowright et al., 2017).

 

Les politiques de santé publique, pour être efficaces, doivent pouvoir anticiper les risques et, pour cela, il est nécessaire de disposer d’indicateurs pertinents. L’un d’entre eux est la force de l’infection d’une maladie, qui, associée à la susceptibilité de la population humaine à cette maladie déterminera si l’infection se produit ou pas.

 

La force de l’infection (modifié de Davis, Calvet & Leirs, 2005) est une mesure de la capacité du pathogène à infecter les humains, elle est dépendante de la zoonose considérée et de son contexte écologique et culturel.

Elle représente le [nombre de contacts pouvant potentiellement générer une transmission sur une période donnée] x

x [probabilité que la transmission ait lieu après contact]. Elle correspond au taux auquel les individus sensibles (c’est-à-dire susceptibles d’être malades) sont infectés par unité de temps (par exemple 50 % de la population sensible infectée en un an).

 

La force de l’infection est utilisée pour :

  • comparer différentes maladies ou leur transmission dans différents groupes à risque,
  • mesurer la facilité avec laquelle une infection se transmet à la population humaine à partir d’une origine animale et ce dans différents écosystèmes,
  • estimer la capacité de l’environnement à diffuser les maladies,
  • mesurer l’efficacité de l’intervention des services de santé par la différence entre la force de l’infection avant l’intervention (qualifiée « d’intrinsèque » et après l’intervention (qualifiée de « réelle »).

 

En pratique, il est très difficile d’estimer avec précision la force de l’infection d’une maladie en raison du grand nombre de variables dont elle dépend et notamment des facteurs suivants :

  • perturbations écologiques induites par le changement d’usage des terres,
  • climat et météo,
  • nature des parasites et de leurs hôtes intermédiaires,
  • nature de vertébrés et des hôtes réservoirs,
  • nature des arthropodes vecteurs,
  • efficacité des stratégies d’intervention (prévention et contrôle).

 

Par exemple, une modélisation mathématique a démontré que la force de l’infection de l’échinococcose chez le renard roux était périodique, d’amplitude variable, différant nettement en fonction des saisons et des habitats urbains et périurbains.