Le risque microbiologique des plastiques en mer
Thierry Bouvier est directeur de recherche CNRS au sein de l’unité “MARine Biodiversity, Exploitation and Conservation” (Marbec) mais également membre du Conseil scientifique de la FRB. Dans le cadre d’une série de portraits des membres actuels du Conseil scientifique de la Fondation, Thierry Bouvier a choisi de nous parler de ses recherches sur le risque microbiologique des plastiques en mer au sein du programme “Expédition plastique océan Indien”. Bonne lecture !

Je suis microbiologiste de formation et au départ je ne travaillais pas du tout sur le plastique. Voir des enfants jouant sur des plages jonchées de déchets m’ont fait prendre conscience du lien entre pollution, santé humaine et perception de l’environnement. Ce déclic visuel m’a amené à la pollution plastique en mer, ce matériau désormais omniprésent dans notre vie et dans l’environnement.
Pour donner un ordre d’idée de l’ampleur du phénomène, Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la Mer, alertait : « En 60 ans, la population mondiale a été multipliée par 2, la consommation plastique par 40. » Ces chiffres donnent la mesure de l’explosion soudaine de la fabrication et de l’utilisation du plastique. Ce sont essentiellement ses qualités intrinsèques qui expliquent cette surconsommation comme sa rigidité, sa facilité de nettoyage, de tissage, de stérilisation et de mise en forme. Il est devenu un allié indispensable dans de nombreux secteurs tels que la médecine, l’industrie textile, l’agriculture, la pêche, et l’agroalimentaire. En ce sens, le plastique mérite d’être davantage compris plutôt que diabolisé. Ce que notre société a négligé, c’est de prendre en compte son cycle de vie dans sa totalité. Pendant plusieurs décennies, l’humanité a omis de s’occuper de sa gestion une fois qu’il devient déchet, c’est-à-dire à la fin de sa durée de vie utile.
Chaque année, environ 400 millions de tonnes de plastique sont produites dans le monde. Dérivés de cette production, ce sont 20 000 tonnes qui s’échappent chaque jour dans l’environnement, majoritairement via les rivières, pour finir dans l’océan – soit l’équivalent de deux tours Eiffel ou encore de 250 baleines bleues.
©Laval Ng
Les plastiques que l’on peut voir à l’œil nu sont appelés macroplastiques (bouteilles, pochons, ou encore filets de pêche). Sous l’action combinée de plusieurs processus physiques, chimiques et biologiques, les plastiques se dégradent en morceaux plus petits. Si vous devez sortir la loupe binoculaire pour les voir, alors vous avez à faire à des microplastiques (entre 0,3 mm et 5 mm). À la surface des océans, on estime qu’il y en aurait environ 20 trillions. Comme il peut être difficile de se représenter un tel chiffre, j’ai fait le calcul : si on mettait tous les microplastiques existants bout à bout on pourrait former un collier qui serait assez long pour faire un aller-retour Terre–Mars.
Et si même la loupe binoculaire ne peut plus rien pour vous, le plastique n’a toutefois pas disparu, il s’est juste fragmenté en morceaux qui ne sont plus perceptibles même au microscope classique : ce sont les nanoplastiques. Ces particules sont si fines qu’elles peuvent traverser les membranes cellulaires. Elles sont aujourd’hui activement étudiées, car on les retrouve absolument partout, y compris dans les animaux, des invertébrés aux vertébrés, y compris l’homme.
Ce qui rend le plastique si problématique, c’est aussi sa longévité : dans l’océan, les plastiques peuvent rester entre 100 et 1000 ans. Et pendant tout ce temps, ils se fragmentent, deviennent invisibles, ingérables et malheureusement également, ingérés.
Bajos de Haina, République Dominicaine. ©Eduardo Munoz
Les conséquences sont multiples. Au niveau de l’environnement marin le plastique touche l’ensemble des compartiments vivants. Il est consommé par des organismes de toutes tailles, et finit par remonter la chaîne alimentaire, jusqu’à nous.
Côté santé humaine, on retrouve aujourd’hui des plastiques dans les organes majeurs du corps. Les recherches des dix dernières années montrent que ces particules peuvent affecter de nombreux systèmes physiologiques, avec des impacts sur la santé et le comportement.
Le plastique n’est pas seulement un déchet, c’est aussi un véritable véhicule. Il transporte et relargue les additifs qu’il contient, contaminants chimiques qui lui donnent sa couleur ou sa souplesse. On parle alors d’un risque chimique pour les êtres humains comme pour les animaux. Il peut aussi servir de support à la croissance de macroorganismes marins comme des algues ou des crustacés, mais aussi héberger des microorganismes, formant un biofilm que l’on nomme aujourd’hui, la “plastisphère.” Parmi des microorganismes, on retrouve des pathogènes pour les animaux marins et les hommes. Au risque chimique vient donc s’ajouter un risque microbiologique qui est encore largement méconnu.
Je suis actuellement en poste à Madagascar, au sein du programme “Expédition plastique océan Indien”, qui regroupe plusieurs pays (Maurice, Seychelles, Comores, la Réunion, Madagascar) et disciplines. Afin d’avancer sur l’étude du risque microbiologique que pourrait représenter cette plastisphère, nous avançons graduellement.
Les premiers résultats confirment la présence de macro- et microplastiques dans les lagons des îles Maurice, Réunion, Madagascar, Seychelles et Comores. A Madagascar et à la Réunion, nous avons montré que les macroplastiques hébergent en moyenne entre 135 et 27800 fois plus de bactéries pathogènes que dans l’eau qui environne ces plastiques. A noter qu’elles sont présentes, mais également qu’elles restent vivantes, alors que l’eau de mer n’est pas un médium qui leur est favorable. Donc le plastique leur permettrait de mieux survivre, de s’accumuler et pour certaines, de se développer. Nous avons également trouvé que certaines d’entre elles sont multirésistantes à plusieurs antibiotiques couramment utilisés en aquaculture et en médecine, ce qui soulève des inquiétudes pour la santé publique.
Sources : 1 : Mattan-Moorgawa et al. 2021, Naudet et al. 2023, 2025a. 2 : Sababadichetty et al. 2024, Naudet et al. 2025b, Raherimino et al 2026. 3 : Naudet 2024. 4 : Naudet 2024, Kremer et al. in prep.. Icones de flaticon.com.
Ensuite, nous avons évalué si les microplastiques sont bien ingérés par la faune marine qui est exploitée dans les zones lagonaires. Nous avons trouvé que 20 à 60 % des poissons consommés à Maurice contiennent des microplastiques. Cela soulève une question clé : Si les poissons ingèrent bien du plastique, est-ce que les bactéries présentes sur les plastiques sont transférées aux poissons ?
Nous avons mené des expériences avec les concombres de mer Holothuria scabra et le poisson lapin Siganus sutor, deux espèces exploitées dans l’Océan Indien ouest. Nous avons utilisé une bactérie modèle E. coli rendue fluorescente, fixée sur des microplastiques, pour suivre leur trajet après ingestion. Résultat : Dans les deux cas, les bactéries se détachent du plastique, de retrouve dans la lumière intestinale, s’accrochent aux parois intestinales et migrent dans le corps vers les principaux organes et les parties comestibles.
Pour résumer : nous avons validé que les microplastiques sont présents en nombre dans les zones côtières des îles de l’Océan Indien, qu’ils abritent des bactéries potentiellement pathogènes, qu’elles sont vivantes et capables de se développer, qu’elles sont antibiorésistantes et que ces bactéries sont ingérées et intégrées par les poissons et les concombres de mer ciblés par la pêche via l’ingestion des microplastiques.
Les bactéries survivent, migrent, mais sont-elles encore infectieuses, et donc dangereuses une fois ingérées ? C’est notre prochaine grande question !
Comme pour beaucoup de formes de contamination environnementale, plusieurs leviers scientifiques sont à activer. On peut citer des solutions comme :
- L’usage de la filtration des eaux usées et d’égouts, par exemple au moyen de barrières de rétention (grilles) dans les petites rivières et les rejets de stations d’épuration.
- La cartographie des zones d’accumulation, rendue possible grâce à l’imagerie et aux données océanographiques, notamment en zones côtières, afin d’organiser des opérations de nettoyage ciblées.
- La compréhension et la surveillance des dynamiques de dispersion, pour mieux anticiper les trajectoires et tendances de cette pollution.
- L’étude des impacts sanitaires et environnementaux, en particulier ceux des nanoplastiques, encore largement méconnus par rapport aux microplastiques. La prise en compte des dimensions socio-économiques, touchant le tourisme, la pêche ou encore la qualité de vie. Dans ce cadre, la sensibilisation et l’innovation sont cruciales, par exemple pour mettre au point des plastiques réellement biodégradables.
Ces approches représentent des avancées nécessaires, mais elles restent insuffisantes. Car le véritable enjeu est en amont : il ne s’agit pas seulement de déplacer ou de collecter les déchets, mais aussi de tarir la source de cette pollution.
Sur le plan international, la gouvernance avance lentement. Le traité de l’ONU contre la pollution plastique, discuté en Corée fin 2024 puis en 2025, est un pas en avant mitigé : les décisions concrètes tardent, mais les états se parlent, ce qui est positif.
C’est essentiel. On ne peut pas espérer faire changer les choses sans impliquer la société. Pour toucher le plus grand nombre, pas question de réaliser des flyers de textes, qui ne seraient pas utilisés. Nous devons définir des actions de sensibilisation et adaptées au contexte socio-culturel à Madagascar. Nous testons donc d’autres mediums. On organise des conférences, des rencontres avec les décideurs, mais aussi des actions culturelles comme des animations dans les écoles, où l’on enseigne aux enfants à mesurer la propreté des plages. On fait des expériences avec eux, on les invite en laboratoire, ils nous invitent dans leur classe. Nous avons également invité des artistes, auteur-musiciens et BDistes, à venir faire des résidences à nos côtés sur le thème de la pollution plastique en mer, ce qui a résulté en une chanson originale enregistrée en studio qui est diffusée à la radio, ainsi que des bandes dessinées, avec l’idée, à terme, d’en publier un album complet.
Ce travail se poursuivra jusqu’en 2029, avec de nombreux partenaires scientifiques, pédagogiques et artistiques.
– Céline Clauzel sur la revégétalisation des cours d’école
– Nils Ferrand sur la participation transformative : un travail collaboratif pour co-construire des chemins de changement
– Michela Busana sur le projet FRB-Cesab Acoucène, visant à évaluer les effets de la pollution sonore sur les populations d’oiseaux en milieu urbain
– Line le Gall sur le projet ATLASea visant à créer un atlas en libre-service de génomes marins
– Juliette Young sur le rapport IUCN sur les conflits et la coexistence entre humains et faune sauvage
– Sabrina Gaba sur la Zone Atelier, traitant des enjeux d’alimentation, d’agriculture et de santé face à l’usage intensif de pesticides
- Pourquoi s'intéresser au plastique ?
- Quelles sont les conséquences connues à ce jour de cette pollution ?
- Dans tes recherches, comment avances-tu dans l'étude de cette plastisphère ?
- Quels sont les verrous et enjeux pour lutter contre cette pollution ?
- Avez-vous eu l’occasion de valoriser vulgariser et transmettre vos travaux dans le cadre de votre projet ?
- Raherimino, R., Crucitti, T., Troussellier, M., et al. (2026). Culturable macroplastic-associated potential human pathogens in coral reef lagoons, Madagascar. Marine Pollution Bulletin, 222, 118547.
- Sababadichetty, L., Miltgen, G., Vincent, B., et al. (2024). Microplastics in the insular marine environment of the Southwest Indian Ocean carry a microbiome including antimicrobial resistant (AMR) bacteria: A case study from Reunion Island. Marine Pollution Bulletin, 198, 115911.
- Mattan-Moorgawa, S., Chockalingum, J., & Appadoo, C. (2021). A first assessment of marine meso-litter and microplastics on beaches: Where does Mauritius stand? Marine Pollution Bulletin, 173, 112941.
- Naudet. (2024). Plastiques en aquaculture : implication pour la santé animale et la sécurité alimentaire (Thèse de doctorat). Université de Montpellier.
- Naudet, J., d’Orbcastel, E. R., Bouvier, T., et al. (2023). Identifying macroplastic pathobiomes and antibiotic resistance in a subtropical fish farm. Marine Pollution Bulletin, 194, 115267.
- Naudet, J., d’Orbcastel, E. R., Bouvier, T., et al. (2025a). Plastic-associated pathogens in marine environments: A meta-analysis. Marine Pollution Bulletin, 219, 118266.
- Naudet, J., Auguet, J.-C., Bouvier, T., et al. (2025b). Polymers and immersion time shape bacterial pathogen and antibiotic resistance profiles in aquaculture facilities. FEMS Microbiology Ecology, 101, fiaf076.