[Conseil scientifique] Interview de Céline Clauzel
Céline Clauzel est professeure de géographie à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne et chercheuse au LADYSS mais également membre du Conseil scientifique de la FRB. Ses recherches s’inscrivent en géographie de l’environnement et portent sur la modélisation spatiale des réseaux écologiques et leur intégration dans la planification du territoire. Dans le cadre d’une série de portraits des membres actuels du Conseil scientifique de la Fondation, Céline Clauzel a choisi de nous parler du projet Coolschools, une initiative de recherche européenne qui explore comment la végétalisation des cours d’école peut engendrer des changements socio-écologiques dans les villes. Bonne lecture !
![[Conseil scientifique] Interview de Céline Clauzel](https://www.fondationbiodiversite.fr/wp-content/uploads/2025/06/Midiconf_CS_CelineClauzel_CoolSchools_frontimage.jpg)
Le projet Coolschools s’inscrit dans un contexte global où face à l’intensification des épisodes de canicules et de pollution, de nombreuses villes adoptent des stratégies de végétalisation (trottoirs plantés, pieds d’arbres aménagés, construction de murs végétaux), parfois accompagnées d’une désimperméabilisation des sols. Ces initiatives s’étendent également aux cours d’école. Même si elles sont de petite taille, leur nombre et leur répartition homogène sur l’ensemble du territoire urbain, en font des opportunités uniques pour renforcer la place de la biodiversité en ville.
Le projet Coolschools réunit six équipes de recherche pluridisciplinaires (géographie, sociologie, médecine, droit, etc.) et dix partenaires institutionnels des villes de Barcelone, Bruxelles, Paris et Rotterdam. Il explore comment la végétalisation des cours d’école peut engendrer des changements socio-écologiques plus larges à l’échelle du quartier et de la ville : création d’îlots de fraicheur, renforcement de la biodiversité urbaine, amélioration des conditions d’apprentissage, diversification des espaces de jeux, constitution d’un réseau d’acteurs impliqués dans la gestion des cours…
L’équipe française, associant géographes, sociologues et écologues s’interroge sur la place de la biodiversité dans ces transformations, en particulier dans la ville de Paris avec son programme OASIS : ces cours végétalisées accueillent-elles une faune et une flore sauvages ? Peuvent-elles aider à créer ou renforcer des liens entre les enfants et la nature ?
© CAUE de Paris ; Deux cours, dont une végétalisée.
Nous avons réalisé une centaine d’entretiens et deux focus groups (groupe de discussion) auprès du personnel de la Ville de Paris et des établissements scolaires. Les résultats révèlent que la transformation des cours d’école en cours OASIS mobilise une large diversité d’acteurs issus des services centraux et déconcentrés de la ville. Des difficultés subsistent néanmoins, notamment sur la gestion quotidienne de ces cours (réapprovisionnement des copeaux de bois qui recouvrent le sol, arrosage et entretien de la végétation, etc.). Le manque d’accompagnement et de personnel, mais aussi la perception de ce qui est “sale” (boue) ou “risqué” (végétation avec épines, échardes, éléments en hauteur …) constituent les principaux freins à l’appropriation de la cour.
Pour dépasser ces résistances, il apparaît essentiel de communiquer davantage sur les bénéfices des cours végétalisées pour le développement des enfants. Les recherches montrent qu’elles permettent de réduire les accidents, en apaisant les temps de récréation : les enfants y courent moins, ce qui diminue l’agitation, la vitesse et les risques de chute. En outre, la perception de ce qui est “sale” et “risqué” relève largement de facteurs culturels, que l’on ne retrouve pas du tout à Rotterdam ou Bruxelles.
Nous nous sommes tout d’abord intéressés à la manière dont les enfants perçoivent les éléments de “nature” dans leurs cours, à travers l’analyse de près de 900 dessins et 55 entretiens. Les résultats montrent que la représentation de la nature est globalement peu diversifiée, avec l’arbre comme élément principal, puis le jardin/potager ; voire le copeau de bois. La représentation d’animaux reste anecdotique : un rat, une abeille et un oiseau sur l’ensemble des productions. Les discours révèlent néanmoins une attention des enfants à certains espaces de nature (bacs de fleurs notamment), perçus comme des coins calmes dédiés à l’observation des plantes et de la microfaune.
Dans un second temps, nous avons interrogé les enseignants sur les pratiques pédagogiques en lien avec la biodiversité dans la cour qu’ils pourraient mettre en œuvre. L’objectif est d’ancrer les apprentissages dans le réel, en utilisant la cour comme terrain d’expérimentation pour aborder la lecture, l’écriture, le dénombrement ou encore les proportions. Il s’agit ainsi de faire de la biodiversité un fil conducteur pédagogique, transversal à toutes les disciplines, à toutes les échelles.
© CAUE de Paris
Pour explorer cette question, nous avons réalisé, pendant trois ans, des inventaires d’arthropodes et de végétation dans 17 cours d’école et leurs espaces verts publics le plus proche :
- Les relevés botaniques révèlent que les plantes spontanées couvrent souvent une plus grande surface au sol que les espèces plantées. Les premières cours transformées en 2018-2019 accueillent en général une plus grande diversité, suggérant un enrichissement progressif de la flore spontanée au fil du temps.
- Concernant la faune, on observe une forte variabilité de la richesse spécifique des arthropodes entre les établissements, qui s’explique principalement par la quantité de végétation présente dans la cour, mais aussi autour de l’école (plus la surface de végétation est importante, plus le nombre d’espèces d’arthropodes augmente).
- Le nombre d’espèces est plus faible dans les cours d’école que dans les espaces verts environnants, mais les communautés présentes y sont en grande partie distinctes, probablement en raison des différences de végétation, d’usage et de gestion de ces milieux.
Grâce à leur répartition régulière dans l’espace urbain, les cours d’école pourraient jouer un rôle de “stepping-stone”, c’est-à-dire de petits habitats intermédiaires suffisamment nombreux pour constituer des corridors discontinus entre des habitats plus grands (parcs et jardins par exemple).
Pour explorer cette hypothèse, nous nous sommes appuyés sur une modélisation spatiale des continuités écologiques. Cette modélisation repose sur une carte d’occupation du sol réalisée pour refléter le “paysage” d’un groupe d’espèce (par exemple, des insectes volants). En identifiant leur habitat potentiel (comme la strate arborée), ainsi que les éléments du paysage qui favorisent ou, au contraire, entravent leurs déplacements, nous obtenons une cartographie de la connectivité des habitats, c’est-à-dire une visualisation des zones où théoriquement les déplacements de ce groupe d’espèces sont les plus faciles.
Nous avons appliqué cette approche à Paris. La modélisation des déplacements potentiels d’insectes volants fait apparaître des zones de connectivité plus ou moins fortes. Elle révèle une répartition contrastée de la végétation : le quart nord-est de Paris est le plus arboré, tandis que le centre et l’ouest de la ville présentent une couverture végétale beaucoup plus faible.
À partir de là, nous avons réalisé des simulations : que se passerait-il si toutes les cours d’école de Paris étaient végétalisées ?
Les résultats montrent que cela renforcerait significativement les continuités écologiques, notamment dans les secteurs du centre et de l’ouest. Outre cet impact écologique, cela contribuerait aussi à améliorer le bien-être des élèves et des enseignants, tout en participant au rafraîchissement urbain dans ces quartiers aujourd’hui en déficit de végétation.
Le projet Coolschools souligne le potentiel de transformation des cours d’école en espaces qui profitent à la fois aux enfants et à la biodiversité urbaine. En intégrant des considérations écologiques dans la planification urbaine et l’éducation, des initiatives comme celle-ci peuvent contribuer à créer des villes plus résilientes et durables.
– Nils Ferrand sur la participation transformative : un travail collaboratif pour co-construire des chemins de changement
– Michela Busana sur le projet FRB-Cesab Acoucène, visant à évaluer les effets de la pollution sonore sur les populations d’oiseaux en milieu urbain
– Line le Gall sur le projet ATLASea visant à créer un atlas en libre-service de génomes marins
– Juliette Young sur le rapport IUCN sur les conflits et la coexistence entre humains et faune sauvage
– Sabrina Gaba sur la Zone Atelier, traitant des enjeux d’alimentation, d’agriculture et de santé face à l’usage intensif de pesticides
- Bonjour Céline. Tu as souhaité nous parler du projet Coolschools. Quel est ce projet, quel est son objectif principal ?
- Qu’est-ce que vous avez appris, pour l’instant, sur la façon dont ces cours sont transformées et gérées ?
- Comment les enseignants et les élèves s’approprient-ils ces nouveaux espaces plus végétalisés ?
- Et côté biodiversité, qu’est-ce que vos recherches ont révélé sur l’impact écologique de ces nouvelles cours ?
- A une échelle un peu plus grande, est-ce que ces cours végétalisées peuvent vraiment contribuer à créer des connexions écologiques dans la ville ?