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juin 2023  I  Article  I  Cerema  I  Biodiversité et océans

Réduire les impacts des changements d’usage des mers

Les nombreux changements d’usage de la mer et des terres côtières constituent un facteur majeur de dégradation de ces milieux (Ipbes, 2019).

Réduire les impacts des changements d’usage des mers

On assiste à une augmentation des activités offshore telles que la production d’énergie, l’aquaculture, le tourisme, le développement des biotechnologies et l’exploitation minière (Stuiver et al., 2016) ou encore l’installation de plateformes multi-usages (MUPs). Ces activités font des mers européennes le théâtre d’une croissance massive des infrastructures maritimes et d’une compétition spatiale (Stuiver et al., 2016).

 

Parmi les activités offshores, la pisciculture en cages flottantes pose la question, à l’échelle européenne, des évasions (Arechavala-Lopez et al., 2018) qui recouvrent l’échappée de poissons isolés, de groupes de poissons (de quelques-uns au million), d’œufs viables et fécondés (Arechavala-Lopez et al., 2018). Elles se produisent en raison de défaillances techniques et opérationnelles (Arechavala-Lopez et al., 2018) :

  • morsure de filet par les poissons à l’intérieur ou par attaque de prédateurs à l’extérieur – environ 50 % des causes, particulièrement pour les daurades ;
  • contraintes mécaniques entrainant des trous dans les filets ou la rupture d’amarrage des cages – environ 40 % des causes, notamment lors de tempêtes ou de présence de grands mammifères marins ;
  • échappement lors des manipulations pour la collecte, le calibrage, etc. – environ 10 % des causes.

 

 

Le développement des énergies marines renouvelables (EMR) est également notable. Celles-ci peuvent fournir jusqu’à 7 % de la demande mondiale en électricité : la plupart via l’éolien offshore, l’énergie marémotrice pourrait répondre, quant à elle, à environ 0,75 % de cette demande (Fox et al., 2018). Si extraire l’énergie des courants de marées, prévisibles, est une idée séduisante, peu de sites conviennent pour les installations. Cependant, un grand nombre de dispositifs marémoteurs sont actuellement en cours de développement (Fox et al., 2018). En France, un déploiement expérimental a eu lieu au niveau du raz Blanchard, lieu de passage d’un intense courant de marée. Les principales préoccupations environnementales liées à ces dispositifs ciblent les perturbations physiques, les risques de collision, les modifications hydrographiques et la génération de bruits et de champs électromagnétiques (Fox et al., 2018). En termes de risques de pollution, on dispose de peu d’informations sur les revêtements anti-biofouling, c’est à dire contre l’encrassement biologique, qui devront être utilisés pour protéger les turbines, transformateurs et autres appareils (Fox et al., 2018).

 

 

L’augmentation du trafic maritime en général menace particulièrement les populations de cétacées, dites “espèces parapluie”, qui sont également confrontées à la perte d’habitat et aux pêcheries commerciales (Pennino et al., 2017). Le trafic maritime engendre des perturbations physiques et acoustiques qui peuvent provoquer, à court terme, des changements physiologiques et de comportement et, à long terme, des changements dans la distribution des cétacés. En outre, les collisions avec les navires sont régulièrement signalées. Des preuves de collisions ont été décrites pour 11 espèces de grandes baleines, pour lesquelles le rorqual commun (Balaenoptera physalus), était le plus fréquemment impliqué (Pennino et al., 2017). En particulier, la navigation de plaisance, en développement à travers le monde, est d’autant plus impactante, qu’elle est un des piliers de « l’économie bleue » ou la Blue Economy de l’Union européenne et a donc vocation à se développer : aujourd’hui, 36 millions de citoyens européens participeraient régulièrement à des activités de plaisance, le secteur du tourisme nautique de l’Union européenne créerait jusqu’à 234 000 emplois et génèrerait 28 milliards d’euros de recettes annuelles (Carreño et Lloret, 2021).

 

 

Enfin, du fait de l’augmentation de la population urbaine et du tourisme de masse, les zones côtières sont particulièrement touchées par une urbanisation rapide. À titre d’exemple, en région Provence-Alpes Côte d’Azur (Paca), un quart des zones qui ont été urbanisées au cours de la période 1990-2012 se trouvent dans les 15 premiers kilomètres de la côte (Doxa et at., 2017). Cette urbanisation entraine la perte d’habitats naturels. De plus, les habitats côtiers se distinguent souvent par une diversité végétale unique et une spécialisation élevée au sein de forts gradients écologiques à de petites échelles spatiales telle que l’adaptation à des niveaux stressants de salinité, de sécheresse et de température par exemple (Doxa et at., 2017). De nombreuses plantes sont donc très vulnérables à la diminution de leurs habitats : cela rend la priorisation des actions de conservation au sein des zones côtières particulièrement urgente (Doxa et at., 2017).

 

 

Les réponses des espèces à ces perturbations sont variables : un changement de comportement comme la modification des directions de nage, une augmentation de la durée de nage, une augmentation de la cohésion de groupe, des changements physiologiques telle que la respiration chez les dauphins, voire un évitement saisonnier de certaines zones (Carreño et Lloret, 2021).

 

Activités, pressions et impacts sur la biodiversité

La navigation de plaisance et le trafic maritime peuvent avoir plusieurs effets, potentiellement synergiques, sur la végétation et la faune aquatiques et marines. De même pour le développement d’infrastructures maritimes et de fermes piscicoles.


L’ancrage

Il affecte différents habitats sensibles dont des habitats prioritaires pour certaines directives telles que les prairies de posidonies (Posidonia oceanica). En Méditerranée, les herbiers de posidonies auraient régressé de 34 % (Carreño et Lloret, 2021).

Les embarcations

Elles peuvent être responsables de collisions avec les animaux marins tels que les tortues ou les poissons-lune (Mola mola), occasionnant blessures ou mortalité. Si ce phénomène reste marginal, il tend à progresser et ne peut, de ce fait, être ignoré. En Méditerranée, ces collisions sont plus fréquentes en été du fait du nombre bateaux de plaisance et ont été rapportées au sein du Sanctuaire Pélagos (Carreño et Lloret, 2021).

Les engins à moteurs (bateaux, jet-ski, etc.)

Ils contribuent à la remise en suspension de sédiments. Cela affecte la turbidité de l’eau et diminue la pénétration de la lumière, pouvant ainsi avoir des effets sur les algues et les phanérogames marins et provoquer des risques d’eutrophisation, de bloom de bactéries toxiques et d’algues nocives en raison de la présence de particules organiques en suspension (Carreño et Lloret, 2021). Cela entraine aussi un risque d’hypoxie.

Le bruit

Le bruit des engins à moteur génère également des perturbations. Les sons d’origine anthropique peuvent interférer avec la capacité des poissons et des mammifères marins à détecter des sons biologiques. Chez le poisson-demoiselle (Chromis chromis), le corb (Sciaena umbra), et le gobie à bouche rouge (Gobius cruentatus), le bruit des bateaux diminue la sensibilité auditive et augmente le temps passé dans les caches. Le succès reproducteur de certaines espèces utilisant des signaux sonores lors des parades telles que le gobie à deux ocelles (Gobiusculus flavescens) et le gobie varié (Pomatoschistus pictus) pourrait être diminué (Carreño et Lloret, 2021).

La lumière artificielle

La lumière artificielle émise par les bateaux, de plus en plus puissante au fil des années, peut contribuer à perturber ou modifier le comportement de la faune marine (Carreño et Lloret, 2021).

Les effets sur le comportement 

De façon générale, le trafic maritime intense génère des effets sur le comportement des cétacés : changements dans les schémas de respiration, les comportements actifs en surface, la vitesse de nage, la distanciation avec les congénères, des comportements d’approche ou d’évitement allant jusqu’au contournement de la zone d’interaction (Pennino et al., 2017), les excluant alors potentiellement d’importantes zones d’alimentation.

Les déchets inorganiques

Les déchets inorganiques rejetés en mer constituent aussi une menace de pollution dans les aires marines protégées (Carreño et Lloret, 2021). Parmi eux, les pollutions par les carburants et les huiles sont très impactantes. Une attention particulière doit être portée à la plaisance, qui, même si elle ne représente que 1 % de la pollution marine totale, a des effets significatifs à un niveau local puisque 20 à 30 % des carburant et huile des bateaux concernés seraient rejetés dans la mer du fait d’un manque d’efficacité énergétique. On note également des pollutions dues au rejet des eaux de ballast contenant du carburant, de l’huile et d’autres substances toxiques. Les métaux lourds et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs) des carburants sont bio-accumulés à travers la chaîne trophique et touchent ainsi les produits de consommation humaine. Les HAPs peuvent induire des dommages génétiques dans tous les organismes vivants, même à de faibles concentrations (Carreño et Lloret, 2021). Les peintures antisalissures à base de tributylétain (TBT) sont très nocives pour les organismes. Elles peuvent se dissoudre dans l’eau : des traces de ce produit ont été retrouvées dans certaines zones comme le parc naturel marin d’Iroise. Celles contenant du zinc et du cuivre peuvent aussi entrainer une pollution (Carreño et Lloret, 2021).

La pollutions par les déchets organiques

D’autres pollutions par les déchets organiques, comme les rejets des eaux de toilette dans l’environnement, peuvent contenir des bactéries et des virus potentiellement toxiques. Les eaux usées (douche, vaisselle, etc.) peuvent contenir des polluants engendrant la contamination des fruits de mer, la prolifération de micro-organismes et de micro-algues toxiques, l’hypoxie,  c’est à dire l’étouffement des organismes benthiques comme les bâtisseurs de récifs ou encore l’introduction d’espèces exotiques envahissantes. Ces eaux contiennent aussi des polluants organiques persistants (POPs) bio-accumulés par la flore et la faune (Carreño et Lloret, 2021).

La pollution atmosphérique

La contribution du nautisme à la pollution atmosphérique en matière de CO2 et NOx, principaux responsables de l’acidification des océans, est peu documentée. Les émissions annuelles de CO2 des bateaux de plaisance sont de 38 % moindres que celles des bateaux commerciaux, mais sont augmentent de 140 % en été (Carreño et Lloret, 2021).

Le nourrissage d’animaux par les plaisanciers 

Enfin, le nourrissage d’animaux par les plaisanciers peut affecter leurs comportements et habitudes alimentaires (Carreño et Lloret, 2021).

Les infrastructures maritimes

Les infrastructures maritimes, que ce soit pour la génération d’énergie renouvelable ou pour de multiples usages combinés, ont des effets. Une grande partie est due à l’augmentation du trafic lors des installations, des désinstallations et de la réalisation de forages. On retrouve les impacts causés par l’ancrage, les collisions, l’augmentation de la turbidité de l’eau, du bruit sous-marin, les pollutions (peintures anti-salissures apposées sur les matériaux), etc. mais aussi les possibles effets de champs électromagnétiques (Fox et al., 2018) (Stuiver et al., 2016) : blessures ou mort, exclusion de potentielles zones d’alimentation, perturbations physiques, perturbations physiologiques et du cycle de vie, bio accumulation de polluants, etc. Dans certains cas comme pour le phoque commun (Phoca vitulina), ces installations peuvent être des zones d’alimentation (Fox et al., 2018).

L’échappement des fermes piscicoles 

L’échappement des fermes piscicoles induit les risques et impacts associés à l’introduction d’espèces non indigènes : compétition pour les ressources, augmentation de la prédation, perturbation des communautés locales (hybridation, etc.), introduction de maladies voire des effets secondaires socio-économiques tels que des pertes économiques des exploitations ainsi que des interactions avec les pêcheries (Arechavala-Lopez et al., 2018).

 

 

Le cas particulier de la Méditerranée

 

La mer Méditerranée, hot spot mondial de biodiversité marine, concentre 4 à 18 % des espèces marines connues (Koeck et al. 2015). Elle compte aussi parmi les aires maritimes les plus soumises à de fortes pressions.

 

En matière de trafic maritime :

 

Le trafic maritime en mer Méditerranée est intense. Près de 222 000 navires, y compris les ferries et les bateaux de pêche, y naviguent quotidiennement (Pennino et al., 2017). L’intensité du trafic atteint un pic en été, notamment du fait des navires de croisière et des ferries reliant les destinations touristiques (Pennino et al., 2017). En outre, on s’attend à ce que l’intensité du trafic maritime dans les eaux méditerranéennes européennes augmente au cours des prochaines années en raison de l’application du programme de l’Union européenne sur les « Autoroutes de la mer » comme alternative au transport terrestre de fret (Pennino et al., 2017).

 

En Méditerranée occidentale, une grande partie du trafic passe par le nord de la Sardaigne, par le détroit de Bonifacio, une zone naturelle remarquable avec différents niveaux de protection : le Sanctuaire Pelagos, le Parc marin international des Bouches de Bonifacio, la Réserve naturelle des Bouches de Bonifacio, les aires marines protégées de l’Asinara et de la Maddalena (Pennino et al., 2017).

 

Dans ce contexte, il est essentiel d’identifier les zones de trafic les plus intenses qui peuvent croiser ou ses superposer avec les habitats critiques pour les cétacés afin de fournir des mesures potentielles de conservation/atténuation pour protéger ces espèces et planifier les futurs programmes de surveillance du trafic (Pennino et al., 2017).

 

 

En matière de tourisme nautique :

 

La mer Méditerranée est aussi l’une des destinations les plus populaires pour le tourisme nautique. Son attractivité tient au climat et aux paysages, mais également à ses installations : marinas, installations pour la confection, bassins d’entretien et de réparation (Carreño et Lloret, 2021). Ainsi, on compte environ 400 000 postes d’amarrage en Méditerranée, répartis dans près de 1000 marinas (dont environ 10 % en France) (Carreño et Lloret, 2021). Le secteur représenterait près de 60 % des recettes annuelles à l’échelle de l’Union européenne, et, depuis 2008, la production de bateaux de plaisance dans les pays méditerranéens européens affiche un taux de croissance annuel moyen de 10 % (Carreño et Lloret, 2021).

 

La majeure partie de la flotte de loisirs est composée de bateaux à moteur (87 %) et de bateaux d’une longueur comprise entre 2,5 et 24 m (90 %) (Carreño et Lloret, 2021). Néanmoins, la présence des bateaux de plus de 24 mètres de long, aussi appelés « superyachts », se développe : on assiste à une croissance annuelle moyenne de 3,5 % de leur présence en Méditerranée et de nombreux ports concentrent leur économie sur les segments des grands yachts pour réhabiliter et réaménager leurs infrastructures (Carreño et Lloret, 2021).

 

Dans de nombreux pays méditerranéens de l’Union européenne, tels que l’Espagne, la France et l’Italie, les capacités des ports de plaisance atteignent des chiffres très élevés. Jusqu’à 100 amarres par kilomètre, tandis que les voies de navigation sont extrêmement denses, plus de 100 h de présence de super yachts par km2 et par an, dans ces zones de la Méditerranée occidentale (Carreño et Lloret, 2021). Aujourd’hui, l’industrie du tourisme côtier et maritime atteint une surcapacité dans de nombreuses destinations méditerranéennes populaires, conduisant ainsi à des défis socio-économiques et environnementaux qui menacent sa contribution à la croissance économique (Carreño et Lloret, 2021).

 

Face à la croissance du secteur nautique en Méditerranée, l’inquiétude quant aux impacts négatifs de la navigation de plaisance sur l’environnement marin, notamment dans les aires marines protégées, monte (Carreño et Lloret, 2021). Si les densités élevées concernent les petits bateaux, les impacts des grands yachts sont encore plus importants (Carreño et Lloret, 2021). Toutes les analyses des effets de la navigation de plaisance, réalisées principalement pour la navigation en eau douce, montrent qu’il peut y avoir plusieurs effets, potentiellement en interaction, sur la végétation et la faune aquatiques (Carreño et Lloret, 2021). Les impacts écologiques de la navigation de plaisance sur l’environnement marin côtier méditerranéen nécessitent d’être bien caractérisés.

 

 

En matière de pisciculture :

 

La pisciculture en cages flottantes a augmenté au cours des dernières décennies en mer Méditerranée, notamment pour l’élevage de la daurade royale (Sparus aurata) et du bar européen (Dicentrarchus labrax).

 

Les évasions associées représenteraient plus de 42,8 millions d’euros de pertes annuelles (Arechavala-Lopez et al., 2018). De plus, cela soulève des questions quant aux risques environnementaux causés par l’accroissement soudain d’une forte biomasse dans l’environnement. Des études ont montré des effets négatifs sur les espèces sauvages apparentées et les populations indigènes (Arechavala-Lopez et al., 2018).

 

 

En matière d’urbanisation :

 

Le bassin méditerranéen est un exemple typique de la tension entre urbanisation et protection de la biodiversité. S’il ne couvre que 2 % de la surface terrestre, il abrite néanmoins plus de 20 % des espèces de plantes vasculaires connues, dont une proportion particulièrement élevée d’espèces endémiques (Doxa et al., 2017). En parallèle, il s’y trouve des villes densément peuplées sur d’étroites franges côtières (Doxa et al., 2017).

 

Afin de protéger la biodiversité côtière, il est nécessaire de coordonner les efforts de désignation de nouvelles réserves et de tenir compte des niveaux de rareté et de vulnérabilité des habitats et des espèces. Par exemple des habitats rocheux pour des espèces endémiques et rares peu sensibles à l’urbanisation versus des habitats dunaires d’espèces répandues sensibles et menacés (Doxa et al., 2017). Il convient de distinguer les effets des déclins des habitats ou des populations, des effets de la rareté des habitats ou des espèces. Cela est possible en utilisant les récents critères de hiérarchisation pour les « Listes rouges » de l’Union internationale de conservation de la nature (IUCN) (Doxa et al., 2017).

Il reste également à développer les connaissances sur la biodiversité irremplaçable déjà perdue et l’évaluation de l’efficacité à préserver la biodiversité côtière de l’urbanisation, des aires protégées actuelles, en fonction de leur degré de protection (Doxa et al., 2017). En 2020, on comptait 1062 aires marines protégées (AMP) en mer Méditerranée, recouvrant 6 % à 8 % du bassin méditerranéen (le sanctuaire Pelagos et le corridor migratoire des cétacés contribuant pour beaucoup à la surface) et dont la quasi-totalité est située dans les eaux des pays membres de l’Union européenne (Mapamed, 2019 ; Claudet et al. 2020). Cependant, 95 % de la surface de ces aires étaient dépourvus de réglementations suffisantes et pour soutenir les moyens de subsistance des communautés locales (Mapamed, 2019) et pour permettre de réduire les impacts humains sur la biodiversité. Nous pouvons noter que les aires marines protégées ayant des niveaux efficaces de protection ne représentent que 0,23 % du bassin méditerranéen et sont inégalement réparties entre les frontières politiques et les éco-régions (Claudet et al. 2020). 

 

Les pistes de solutions générales

Améliorer la connaissance de la biodiversité, suivre et protéger
  • Réaliser le suivi long-terme de différentes composantes de la biodiversité des milieux afin :
    • de détecter les changements, si possible de façon précoce ;
    • et d’identifier les espaces et les espèces à protéger, en tenant compte des aires de dispersion et des interactions au sein des communautés comme par exemple les herbiers de Posidonia oceanica et les espèces qui y vivent.
  • Augmenter la surface des zones protégées de l’ordre de 17 % sur la zone côtière, avec un niveau de protection limitant la destruction par l’urbanisation.
  • Connecter les aires protégées entre elles.
  • Définir des zones marines où les activités extractives comme par exemple la pêche et les activités minières sont interdites.

 

Les aires marines protégées sont des outils de gestion adaptés, car elles protègent simultanément les ressources vivantes de l’exploitation, mais aussi les habitats essentiels dont elles dépendent (Koeck et al. 2015). Si leur gestion est efficace, ces outils ont des effets positifs sur le vivant : augmentation des densités de populations, de la biomasse, de la taille moyenne des organismes et de la diversité biologique (Koeck et al. 2015).

 

L’un des objectifs est aujourd’hui de concevoir des réseaux d’aires protégées interconnectées, à l’échelle du paysage marin plutôt que des aires protégées isolées à une échelle régionale ou nationale afin d’obtenir les bénéfices écologiques escomptés (Koeck et al. 2015). Caractériser les effets du système hydrodynamique de telles aires sur la dispersion des larves permet de fournir des lignes directrices pour la planification cohérente de l’espace marin (Koeck et al. 2015). En effet, la plupart des espèces de poissons marins côtiers présentent un cycle de vie divisé en un premier stade de vie pélagique facilitant la dispersion (œufs/larves) (early life stage, ELF) et une phase relativement sédentaire (juvénile/adulte) (Koeck et al. 2015). Le processus de dispersion, complexe et difficile à anticiper, est généralement considéré comme le principal moteur de la connectivité des populations et des sous-populations de poissons marins. Cependant, le recrutement local joue également un rôle important (Koeck et al. 2015). On note aussi que les cétacés sont considérés comme des espèces « parapluie » et il a été démontré que les zones protégées conçues sur la base de la distribution des prédateurs supérieurs sont très efficaces, conduisant à des niveaux de biodiversité plus élevés et à davantage de bénéfices pour l’écosystème (Pennino et al., 2017). La protection des cétacés pouvant servir de mesures indirectes pour la gestion des mers en général (Pennino et al., 2017), la protection de leurs habitats pourrait être une question prioritaire pour la planification de l’espace maritime.

Planifier, anticiper et éviter les effets des infrastructures maritimes
  • Développer un cadre politique clair pour l’installation d’infrastructures maritimes, notamment celles combinant plusieurs usages : procédure d’autorisation intégrant les principes de la planification spatiale, études d’impacts spécifiques aux sites visés, système de suivi / de surveillance environnementale.
  • Améliorer, sur les plans scientifique et réglementaire, les études d’impacts environnementaux et la méthode des suivis : pertinence des récepteurs surveillés, meilleure compréhension des interactions infrastructures/populations animales, travaux conjoints avec des programmes de suivis nationaux ou internationaux déjà en place, etc.

 

La planification de l’espace maritime fournit un cadre pour gérer ces multiples usages (trafic maritime, pêche, etc.) et en minimiser les impacts environnementaux, tout en réduisant les conflits entre les utilisateurs (Pennino et al., 2017). Au sein de la planification, l’évaluation spatialement explicite des risques est une composante essentielle, car elle relie la distribution d’espèces clés à la distribution des activités humaines et leurs potentiels effets (Pennino et al., 2017).

En particulier, la planification systématique des zones de conservation marines et/ou côtières permet d’identifier des espaces avec une biodiversité irremplaçable, de prendre en compte la vulnérabilité des espèces, d’augmenter la complémentarité des réserves et ainsi, de prévenir les pertes de biodiversité (Doxa et al., 2017).

La planification permet donc, en combinant des informations de distribution des espèces, de modélisation de l’utilisation des sols, de proposer des scénarios de priorisation et d’identifier les zones non protégées « de haute priorité ». Ce qui compléteraient ainsi de manière optimale le réseau existant d’aires protégées (Doxa et al., 2017).

 

Les plateformes maritimes polyvalentes peuvent également être une solution pour concentrer les activités et optimiser l’utilisation de l’espaces. Elles sont destinées à de multiples usages, telles que la production d’énergie et l’aquaculture par exemple,  afin de limiter les conflits pour les espaces (Stuiver et al., 2016). Ces plateformes peuvent être définies comme des zones maritimes au sein desquelles de multiples activités sont combinées, soit de façon totalement intégrée, soit de façon voisine, bénéficiant ainsi les unes des autres (infrastructure, maintenance, etc.), et pour des activités étendues aux secteurs de la « croissance bleue » (Stuiver et al., 2016). Ces plateformes sont elles-mêmes sources d’activités, de pressions et donc d’impacts potentiels. Compte tenu des défis socio-économiques et écologiques, et les difficultés pratiques, entre pêcheurs et installateurs de fermes éoliennes par exemple, la façon de mettre en œuvre ces infrastructures n’est pas encore claire (Stuiver et al., 2016).

 

D’autre part, en amont de projets :

  • Des approches incluant de multiples parties prenantes, telles que des décideurs politiques, des entreprises, des représentants sectoriels, des ONG, des citoyens et des instituts de recherche, et une composante technique peuvent être développées afin d’analyser différents modes de gouvernance des planifications de l’espace maritime en fonction de facteurs politiques, économiques, sociaux, techniques, environnementaux et juridiques et afin d’identifier les combinaisons possibles et concrètes d’activités (Stuiver et al., 2016).
  • Lors de développements technologiques coûteux, les niveaux d’impact acceptables doivent être précisés par le législateur en s’appuyant sur les résultats scientifiques précocement, et ce pour limiter l’incertitude qui pourrait affecter la commercialisation (Fox et al., 2018). En effet, avant d’obtenir les autorisations nécessaires au passage à une échelle commerciale, les concepteurs des dispositifs doivent satisfaire le législateur en ce qui concerne les impacts environnementaux probables (Fox et al., 2018). En Europe, les industriels sont tenus de réaliser une étude d’impact environnemental avant chaque projet d’installation, mais la validité scientifique de ce processus et de ses résultats doit être renforcée, car elle est régulièrement critiquée en particulier sur la dépendance aux jugements d’experts ou sur le doute quant à la capacité à assurer une protection effective de l’environnement (Fox et al., 2018).

 

Et en phase de fonctionnement des projets :

  • Après une installation, un plan de surveillance de l’environnement, centré sur un ensemble de « récepteurs » considérés comme les plus à risque, est également requis. Pour le milieu marin, il s’agit souvent des vertébrés : poissons, mammifères marins et oiseaux (Fox et al., 2018). Malgré des protocoles bien établis dans certains secteurs tels que l’extraction pétrolière et gazière offshore et l’expérience acquise dans l’éolien offshore, des lacunes significatives ont été relevées dans les suivis environnementaux de ces installations : faible puissance statistique, difficultés pour relier les impacts locaux aux populations et pour évaluer les impacts cumulés (Fox et al., 2018).
  • Les enjeux liés à ces programmes de surveillance doivent être mieux compris par le législateur, les développeurs de dispositifs d’énergie marine renouvelable et toute autre partie prenante afin d’être mieux réalisés et que la « richesse en données » ne soit plus suivie d’une « pauvreté en informations » (Fox et al., 2018). Il en va du rapport coût / efficacité de ces protocoles, de la détection effective d’impacts non négligeables sur les populations et les écosystèmes mais aussi de la confiance que les investisseurs peuvent accorder aux projets en développement (Fox et al., 2018).

Éduquer et sensibiliser
  • Promouvoir l’utilisation de peinture anti-salissures plus écoresponsables.
  • Sensibiliser les navigants au recyclage des déchets et améliorer les installations de collecte et de traitement des déchets dans les ports et marinas.
  • Promouvoir les bonnes pratiques de gestion de fermes piscicoles : guide de bonnes pratiques, formation continue, etc.

Engager une réflexion à l’échelle européenne

En effet, la stratégie de « croissance bleue » (Blue Growth) de la Commission européenne, visant à soutenir une croissance durable dans les secteurs marin et maritime, inscrite dans le cadre de « l’économie bleue » (Blue economy), a stimulé de nombreuses activités qui sont venues aggraver les pressions (Stuiver et al., 2016). D’autre part, une harmonisation législative concernant le rejet de certaines eaux s’avérerait bénéfique.

 

Ces questions s’inscrivent dans des débats plus larges qui croisent les accords mondiaux en faveur de la biodiversité, la législation nationale basée sur le « principe de précaution » à l’encontre d’impacts négatifs potentiels, la balance entre les « impacts locaux » et les « bénéfices globaux » (Fox et al., 2018). Plusieurs stratégies ont été proposées, notamment pour les installations offshore (approche basée sur les risques, gestion adaptative, etc.), mais, dans tous les cas, les débats sont fortement contextualisés culturellement et leurs aboutissements tendent à dépendre des valeurs relatives que les sociétés accordent aux services écosystémiques par rapport aux services économiques (Fox et al., 2018).

 

Les pistes de solutions spécifiques

Des propositions de solutions spécifiques ont été effectuées au regard des activités, des pressions qu’elles induisent et des impacts sur le vivant qui en découlent. Elles nécessitent la mobilisation des acteurs, des pouvoirs publics et des chercheurs à différents niveaux : local, national et européen.

 

 

Propositions de solutions spécifiques

 

1. Planifier, anticiper et éviter les impacts des fermes piscicoles :

  • Lors de l’analyse de sites d’implantation possibles, associer plusieurs données à la planification spatiale : cartographie bionomique, bathymétrie, zones de protection, utilisations de la zone côtière.
  • Associer l’analyse de risque d’échappement au choix des sites d’implantation de fermes piscicoles.
  • Utiliser des systèmes d’amarrage adéquats, des structures flottantes et de cages à filet appropriées et de bonne qualité pour prévenir l’introduction d’échappées et de gamètes dans le milieu naturel.
  • Instaurer des programmes de biosécurité, y compris génétiques : contrôles de l’état de santé et des maladies des poissons, développer des techniques pour re-capturer les œufs fécondés libérés en instalant par exemple de filets collecteurs d’œufs à l’extérieur des cages et en s’inspirant des systèmes déjà déployés par ailleurs tel que le projet TRANSDOTT-FP7.
  • Instaurer un système d’information de l’administration locale en cas d’échappement.
  • Déployer le suivi de l’efficacité des mesures d’atténuation mises en place telle que la lutte contre l’échappement de fermes piscicoles.

 

2. Planifier et limiter le trafic et les amarrages délétères :

  • Adopter des mesures de planification spatiale et de gestion aux niveaux national et transfrontalier.
  • Installer des dispositifs de séparation du trafic dans les zones sensibles où le tourisme de loisir est important en s’inspirant des systèmes déjà déployés par ailleurs comme à Cabo de Gata-Nijar en Espagne.
  • Restreindre, voire interdire, la navigation et l’amarrage dans les zones d’herbiers marins pour tous les navires au sein des aires marines protégées. Pour les bateaux de plus de 24 ou 42 mètres par exemple.
  • Généraliser l’installation de bouées d’amarrage écologiques en s’inspirant des systèmes déjà déployés par ailleurs comme au Cap d’Agde.
  • Réglementer strictement la location de bateaux, au moins dans les aires protégées, pour limiter les usagers susceptibles d’occasionner des dégâts.
  • Exiger un “permis d’entrée” dans les aires protégées pour limiter le nombre de navires en fonction de la capacité de charge estimée du site.
  • Instaurer un système de surveillance des navires de pêche avec des contrôleurs embarqués.
  • Adapter les mesures pour couvrir tout au long de l’année les différents stades de cycle de vie des espèces présentes.

 

3. Limiter les nuisances et pollutions associées au trafic intense :

  • Établir des limites de vitesse pour les navires de plaisance au-delà de la zone des 300 mètres en s’inspirant des systèmes déjà déployés par ailleurs comme par exemple dans le Parc national de Cabrera en Espagne.
  • Interdire aux bateaux dépourvus de réservoirs à eaux noires l’accès aux aires protégées en s’inspirant des systèmes déjà déployés par ailleurs comme par exemple à Port Cros.
  • Réglementer strictement l’utilisation des produits contenants des métaux lourds et autres polluants.

Temps de lecture :
15-20 min

 

Dernière mise à jour :
27.06.23

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