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mai 2023  I  Article  I  Cerema  I  Biodiversité et océans

Réduire les impacts des espèces exotiques envahissantes

Les espèces exotiques envahissantes (EEE) exercent une multitude de menaces sur la flore et la faune marine indigènes. En effet, selon certains auteurs, les invasions biologiques sont une des principales composantes du changement global actuel et de la perte de biodiversité dans les écosystèmes marins. Les introductions d’EEE ont augmenté au cours des dernières décennies, notamment en raison de la mondialisation et de l’augmentation de diverses activités humaines associées, telles que le transport maritime, la pêche, l’aquaculture ou encore le commerce en lien avec l’aquariophilie.

Réduire les impacts des espèces exotiques envahissantes L'algue comestible Undaria pinnatifida, originaire d'Asie et introduite en Europe dans les années 1970, est un exemple phare d'une espèce exotique envahissante

Le trafic maritime et l’aquaculture jouent un rôle clé important et prépondérant dans l’introduction des espèces envahissantes à l’échelle mondiale et régionale. Les différentes infrastructures existantes liées à ces activités tels que les marinas et les ports maritimes forment des réseaux denses le long des côtes et sont capables d’abriter de nombreux taxons d’espèces envahissantes. Ces infrastructures sont susceptibles d’être une source importante de propagules permettant par ailleurs la colonisation des milieux naturels voisins. Les fermes aquacoles sont également une autre source importante d’espèces envahissantes. L’algue comestible Undaria pinnatifida, originaire d’Asie et introduite en Europe dans les années 1970, est un exemple phare d’une EEE qui se développe dans les habitats avoisinants des sites aquacoles (Rotter et al. 2020). Les évènements d’introduction, dits “spillovers”, peuvent se produire à partir des sites d’aquaculture, comme illustré aussi par l’huître creuse Crassostrea gigas, une espèce originaire du nord-ouest de l’océan Pacifique. La propagation de ces espèces dans les sites naturels entraînent des modifications importantes de l’habitat, mais aussi du fonctionnement des écosystèmes. Elles peuvent également participer au développement de nouvelles maladies et de nouveaux parasites entraînant alors des modifications génétiques suite à des phénomènes d’hybridation avec les taxons indigènes (Rotter et al. 2020).

 

En mer Méditerranée, la création et l’ouverture de canaux artificiels, tel que le canal de Suez, est parmi les voies d’introduction les plus significatives, permettant la colonisation progressive des espèces, notamment d’origine indo-pacifique. Une espèce de décapode, Charybdis longicollis, a été introduite passivement, en mer Méditerranée via le canal de Suez par les courants marins, et a depuis largement établi des populations dans le bassin Levantin, la subdivision du bassin oriental de la mer Méditerranée. Une analyse prospective (cf. Tsiamis et al. 2019) a classé la gestion des populations de cette espèce comme “impossible”. Ces espèces introduites ont principalement affecté les parties orientales du bassin.

 

Le trafic maritime est une des sources importantes d’introduction. Sa particularité est qu’il touche des zones généralement plus étendues, en raison du déplacement des navires, que les introductions dues à l’aquaculture, les canaux artificiels ou les courants marins (Katsanevakis et al. 2016). Cette introduction, principalement “accidentelle”, se fait généralement par le biais des navires (navires de charge, navires rouliers, caboteurs, etc.) via les réservoirs d’eau de ballast, ou l’encrassement biologique dit  “biofouling” de la coque des bateaux (Rotter et al. 2020). Dans l‘étude de Tsiamis et al. 2019, 26 espèces sont classées comme étant prioritaires et principalement introduites par les navires (biofouling des coques et eaux de ballast) empruntant le canal de Suez comme accès à la Méditerranée. L’étude de Katsanevakis et al. 2016 recense, de son côté, les espèces introduites par la navigation maritime présentant les scores d’impact les plus élevés. En Méditerranée, les espèces introduites par les voies de navigation maritime sont celles ayant le plus d’impacts dans de nombreux sites du centre et du nord-ouest du bassin méditerranéen, y compris le littoral oriental français, comme en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et la Corse (Katsanevaki et al. 2016).

S’il participe très largement à l’introduction et l’établissement pérenne des espèces non-indigènes en mer méditerranéenne (Guzinski et al. 2018), le trafic maritime est également une des sources majeures de propagation des EEE dans d’autres régions océaniques à travers le monde.

 

Aujourd’hui, les habitats les plus à risques sont les fonds durs sublittoraux peu profonds, les fonds mous sublittoraux peu profonds et l‘espace intertidal rocheux (Katsanevaki et al. 2016).

 

Activités, pressions et impacts sur la biodiversité : zoom sur certaines espèces très impactantes

Introduites au travers de multiples activités humaines (trafic maritime, aquaculture, créations de canaux artificiels, etc.), les espèces exotiques envahissantes ont des impacts négatifs sur la biodiversité et plus particulièrement sur :


Les espèces indigènes, l’intégrité et le fonctionnement global des écosystèmes

Les espèces envahissantes sont des espèces opportunistes qui entrent en compétition ou prédatent les communautés indigènes (Katsanevakis et al. 2016 ; Guzinski et al. 2018 ; Stasolla et al. 2021). Des modifications génétiques telles que l’hybridation entre espèces indigènes et envahissantes peuvent se produire aboutissant à une perte d’abondance et de richesse spécifique (Giakoumi et al. 2016 ; Rotter et al. 2020). Ces phénomènes sont susceptibles de causer le déclin, voire l’extinction locale, de populations indigènes. Elles peuvent également affecter la composition des communautés avec des effets à long terme sur les processus et plus largement le fonctionnement des écosystèmes.

 

Les espèces exotiques envahissantes peuvent être des réservoirs ou des vecteurs de pathogènes, de parasites ou de toxines entraînant des maladies chez les espèces indigènes.

 

L’ensemble de ces impacts va engendrer une modification de la structure des communautés et des habitats, de la chaîne alimentaire locale. Ces modifications profondes de l’écosystème vont à leur tour impacter l’approvisionnement en nourriture et ressources marines et aquacoles.

Le tourisme et les activités récréatives

Le tourisme et les activités récréatives peuvent être affectés par les espèces exotiques envahissantes, par exemple en modifiant les paysages maritimes et les services récréatifs dont l’humain bénéficie. La disparition des récifs coraliens ou la propagation de méduses par exemple.

Impact négatif sur la santé humaine

Les espèces exotiques envahissantes peuvent également avoir un impact négatif sur la santé humaine du fait de la propagation et de la prolifération de pathogènes, parasites ou toxines dans les milieux naturels et via l’infection des ressources commerciales halieutiques (Giakoumi et al. 2016).

Ainsi, les espèces envahissantes génèrent des impacts sur la fourniture des services écosystémiques avec des conséquences socio-économiques négatives pour les communautés côtières, par exemple en provoquant le déclin des stocks d’espèces commerciales ou en réduisant le potentiel des activités de loisirs (Giakoumi et al. 2016 ; Rotter et al. 2020 ; Stasolla et al. 2021).

 

 

Le cas particulier de la Méditerranée

 

La mer Méditerranée est considérée comme l’une des mers régionales les plus touchées au monde par les espèces exotiques envahissantes. Au cours des deux dernières décennies, des changements dans la biodiversité marine méditerranéenne liés à l’introduction d’EEE ont été signalés comme étant la conséquence d’actions humaines spécifiques : trafic maritime intense, ouverture de canaux artificiels et activités d’aquaculture. La richesse spécifique des organismes marins en mer Méditerranée est estimée à environ 17 000 taxons, dont de 820 (Katsanevakis et al., 2013) à 1 000 (Zenetos et al., 2012), sont actuellement considérés comme des EEE. Il s’agit d’espèces marines de tous les taxons, du phytoplancton aux poissons.

 

En mer Méditerranée l’introduction des espèces non-indigènes induit de nombreuses conséquences importantes : elles provoquent des modifications des habitats, des changements dans le fonctionnement des écosystèmes, l’introduction de nouvelles maladies et de parasites, voire des modifications génétiques à cause de l’hybridation avec les taxons indigènes proches (Rotter et al. 2020). Les espèces de macro algues ont l’impact le plus élevé parmi tous les groupes taxonomiques (Rotter et al. 2020). Pour exemple, Caulerpa cylindracea, Womersleyella setacea, et Lophocladia lallemandii sont souvent indiquées comme les plus envahissantes en mer Méditerranée (Rotter et al. 2020). De plus, l’algue verte C. cylindracea est également considérée comme très envahissante, surtout dans la mer Adriatique. Cette algue est connue pour avoir envahi des colonies de corail pierreux méditerranéen dans le parc national de Mljet, provoquant le recul complet voire l’extinction de ces coraux. Les algues rouges W. setacea et L. lallemandii ont aussi été signalées. Ces deux espèces se reproduisent principalement de manière végétative et sont capables de former des amas d’algues très étendus et très denses.

 

Parmi les EEE animales, la Mnemiopsis leidyi, une espèce de méduse originaire des eaux américaines, continue de se propager. Depuis 2016, la M. leidyi a été observée dans plusieurs zones du nord de l’Adriatique où elle se reproduit fortement ayant un succès reproducteur reconnu (Rotter et al. 2020). De nos jours, environ 70 espèces de décapodes (des crabes, des écrevisses, et des crevettes) sont connues pour être des espèces très compétitrices et adaptables à divers environnements (Rotter et al. 2020). De plus, l’abondance accrue de l’espèce de moule Brachidontes pharaonis en mer Rouge aurait entraîné le déplacement local, mais sans extinction, de la moule indigène Mytilaster minimus (Rotter et al. 2020). Des espèces non-indigènes ont été également signalées pour les communautés de phytoplancton et de micro algues benthiques à travers la mer Méditerranée, bien qu’elles semblent être beaucoup moins nombreuses que les macro algues.

 

Les pistes de solutions générales

L’objectif 9 d’Aichi de la Convention sur la diversité biologique (CDB) stipulait que d’ici 2020, les espèces exotiques envahissantes et leurs voies d’introduction allaient être identifiées et classées par ordre de priorité, les espèces prioritaires allaient être contrôlées ou éradiquées et des mesures allaient être mise en place pour gérer les voies d’introduction afin de prédire leur propagation et leur établissement (Giakoum et al. 2016).

 

Aujourd’hui, il existe un consensus général pour mettre la priorité sur le contrôle des voies d’introduction qui favorisent la propagation des espèces envahissantes. Des actions comme la sensibilisation des citoyens et des municipalités aux divers impacts potentiels, la mise en place de systèmes d’alerte précoce et, au travers de la réglementation, l’adaptation des activités de construction côtières (Kili et al. 2020) sont citées dans la littérature. Par ailleurs, lors d’introductions avérées et impactantes, des mesures réglementaires peuvent être mises en œuvre pour gérer les invasions efficacement à l’échelle des territoires.

 

8 étapes (types de solutions) importantes sont proposées par Rotter et al., 2020 au sein du “modèle de 8 R” :

 

Reconnaître
Réduire
Réutiliser
Recycler
Récupérer/restaure
Remplacer
Retirer
Réglementer

 

Ces étapes peuvent constituer le cadre d’action des futurs documents stratégiques de façades. Nous en proposons ci-après une adaptation.


Reconnaître

Le développement de programmes de surveillance comme le développement de systèmes d’alerte précoce au niveau régional sont primordiaux. Il importe de privilégier des collaborations entre les autorités publiques, les décideurs, les parties prenantes et les scientifiques pour établir aux niveaux national et transfrontalier une amélioration des politiques environnementales. De plus, l’intégration de la science participative peut jouer un rôle important. Ceci a été démontré pour des espèces aquatiques comme par exemple avec “European Alien Species Information Network” ou EASIN, une application pour smartphone où les citoyens peuvent signaler 49 espèces aquatiques envahissantes préoccupantes pour l’UE. Cela pourrait être appliqué aux espèces marines. En outre, la sensibilisation aux risques environnementaux et socio-économiques des espèces exotiques envahissantes représente également une priorité.

Réduire

Une des méthodes les plus efficaces pour réduire les impacts des EEE est de limiter leur entrée et leur propagation. La réduction des EEE pourrait être obtenue en se concentrant sur les principales voies d’introduction notamment via le traitement approprié des eaux de ballast en utilisant, par exemple, des UV, des filtres, ou encore des impulsions électriques et l’électrolyse. Depuis 2017, les navires sont tenus de gérer leurs eaux de ballast conformément aux normes D-1 et D-2 définies par la Convention internationale de 2004 pour “le contrôle et la gestion des eaux de ballast”. Un renforcement des contrôles permettrait d’améliorer la mise en œuvre de cette obligation.

Restaurer

La restauration des zones marines affectées par des espèces invasives est fondamentale Deux projets LIFE visent à restaurer ces écosystèmes fragilisés : e.g. RESMARIS (pour Recovering Endangered habitatS in the Capo Carbonara MARIne area, Sardinia) ; et RAPID (pour Reducing and Preventing Invasive Alien Species Dispersal). Les objectifs de ces deux projets sont de réduire et/ou d’éliminer les espèces invasives et de promouvoir la restauration des zones sensibles aux impacts des EEE sur les habitats prioritaires. Ils ont utilisé la surveillance, les campagnes de sensibilisation et l’identification des acteurs clés pour les mesures de biosécurité. La pérennisation ou le financement d’autres projets du même type pourrait faire partie des actions des nouveaux documents stratégiques de façades pour généraliser ces recherches à tous les territoires particulièrement impactés par les EEE.

Remplacer

Les stratégies de remplacement peuvent être catégorisées en  :

(I) Remplacement d’espèces.  L’objectif des stratégies de remplacement est d’introduire intentionnellement des espèces concurrentes.

(II) Remplacement de surface. Ces stratégies peuvent être envisagées pour diminuer la probabilité d’introduction accidentelle d’EEE par le biofouling, les peintures à base de cuivre et sans étain, les revêtements anti-adhérents, le nettoyage périodique de la coque, l’électricité, et les biocides naturels. Ce phénomène peut survenir naturellement, comme par exemple le béroé ovale, Beroe ovata, une EEE originaire des côtes nord-américaines qui s’est installée dans l’écosystème de la mer Noire par le biais des eaux de ballast (Shiganova et al., 2014) et qui a remplacée M. leidyi, une autre EEE en réduisant son abondance (Kideys, 2002). Néanmoins, les actions volontaires de remplacement présentent des risques importants avec des impacts potentiels qui sont généralement impossibles à prévoir et l’usage de cette mesure de gestion ne devrait intervenir qu’en dernier recours, en cas de crise grave menaçant les écosystèmes indigènes de façon irréversible.

Retirer

Un projet LIFE réalisé à Chypre a porté sur l’élimination du poisson-lion Pterois miles par des équipes coordonnées de prélèvement d’individus, grâce aux systèmes d’alerte précoce. Ces campagnes de prélèvement sont plus pertinentes pour les grands organismes, tels que les poissons, puisque les chances de réussite sont plus réalistes.

Réglementer

La nécessité d’une coopération à l‘échelle internationale est primordiale. Les mesures législatives internationales, conçues pour aider à surveiller et à contrôler la propagation des EEE, sont rédigées dans la Convention sur la gestion des eaux de ballast. Néanmoins, cette convention finalisée en 2004, et malgré un large consensus quant à son efficacité de réduire les taux d’invasion, n’est entrée en vigueur qu’en 2017. En outre, aucune législation centralisée ne couvre les EEE, ce qui rend difficile la coordination des mesures d’atténuation. De plus, il n’existe aucun contrôle du respect (inter)national des mesures juridiques et des sanctions définies en cas de violation des conventions.

 

En Europe, les États membres doivent évaluer le bon état écologique de leurs eaux marines, pour proposer ensuite des objectifs environnementaux et adapter des programmes de surveillance (Directive cadre “Stratégie pour le milieu marin” (DCSMM), 2008). Cependant, à ce jour, les programmes de surveillance organisés sur les EEE n’ont pas été lancés dans tous les pays de l’Union européenne (Tsiamis et al., 2019). Il est donc indispensable de mettre en place et d’harmoniser les programmes de surveillance à moyen et long-termes sur les EEE surtout dans les ports maritimes (sites de propagation) et les zones marines protégées (sites à fort risque).

Les pistes de solutions spécifiques

De manière générale, peu de solutions spécifiques existent dans la littérature concernant le traitement et le contrôle des espèces exotiques envahissantes, au vu de leur prorogation rapide, efficace, et souvent étendue.

Cependant, des outils spécifiques existent. Par exemple l’outil Cimpal (A framework for mapping Cumulative IMPacts of invasive ALien species) développé par Katsanevakis et al. 2016. En effet, cet outil évalue les impacts des espèces exotiques envahissantes ; analysés et cartographiés par rapport aux principales voies d’introduction en mer Méditerranée (Canal de Suez, navigation, et aquaculture). Cet outil développé offre une méthode précieuse qui peut aider les décideurs et les gestionnaires dans leurs efforts de développer des stratégies d’atténuation.

 

Il permet notamment : 

 

  • d’identifier les “hotspots” en termes de zones fortement impactées ;
  • d’évaluer l’importance relative des voies d’introduction initiale par rapport à l’impact cumulatif ;
  • de classer les espèces exotiques envahissantes en fonction de l’importance de leurs impacts à grande échelle ou échelle locaux ;
  • de prioriser les actions de gestion et les mesures d’atténuation en termes de voie d’introduction, gestion d’habitats/espèces.

 

Ces outils permettent de définir les espèces pour lesquelles une action est nécessaire. Mais ils ne fournissent pas de mesures spécifiques sur la meilleure stratégie à adopter.

Temps de lecture :
15-20 min

 

Dernière mise à jour :
22.05.2023

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