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mars 2022  I  Article  I  Ipbes  I  Biodiversité et agriculture

L’approvisionnement en bois venant des forêts guyanaises peut-il être durable ?

Auteurs : Camille Piponiot, chercheuse au Cirad ; Plinio Sist, directeur d’unité au Cirad ; Géraldine Derroire, chercheuse au Cirad ; Bruno Hérault, chercheur au Cirad

Relecteur : Pierre Tousis, chargé de communication à la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).

Depuis plusieurs années, la demande mondiale en bois ne cesse d’augmenter. Accélérée par la volonté des gouvernements de relancer la construction écologique, la production de bois tropical d’Amazonie, issue majoritairement d’espèces sauvages, revêt de nombreux enjeux. À la fois matériau renouvelable et à faible empreinte carbone, le bois prend une place importante dans les stratégies qui visent à atténuer le changement climatique. Mais cette consommation accrue pose notamment une question de taille : est-il possible de gérer durablement nos forêts ? 

L’approvisionnement en bois venant des forêts guyanaises peut-il être durable ? Log transport in the Brazilian Amazon. © Plinio Sist

Couverte à 95 % de forêts, la Guyane française représente un enjeu essentiel en termes de régulation du climat et des flux de carbone. C’est aussi potentiellement un réservoir considérable de bois d’œuvre. Le bois exploité est en grande partie destiné à la construction ou à la rénovation résidentielle pour des marchés locaux ou exporté dans les Antilles françaises. La production s’y élève chaque année à 80 000 m3, ce qui en fait, en plus de l’enjeu socio-économique associé à la régulation du climat, un des principaux secteurs économiques de la région. L’Office national des forêts (ONF), qui en est le gestionnaire, est chargé du choix des massifs à exploiter, de la construction des dessertes forestières et de l’application des principes de gestion durable. En particulier, il désigne les arbres à abattre puis les vend à des concessionnaires qui en font eux-mêmes l’exploitation. Car dans ces forêts naturelles, c’est-à-dire à l’état sauvage, la production se fait par exploitation sélective. Seuls quelques grands arbres d’intérêt commercial sont exploités comme l’angélique, le gonfolo et le grignon franc. Ces espèces représentent à elles seules trois quarts de la production, alors qu’au moins 90 essences sont technologiquement utilisables, mais avec encore peu de débouchés dans la filière bois. Le reste de la forêt est laissé à une régénération naturelle, avec un cycle de coupe fixé à 65 ans. Malheureusement, les populations d’individus de taille exploitable de ces espèces cibles ne se renouvellent pas au rythme auquel elles sont exploitées. En effet, on constate qu’elles pourraient être épuisées après un ou deux cycles d’exploitation. Pour maintenir les fonctions écologiques essentielles comme la régulation du climat ainsi que la production de bois de ces forêts tout en préservant les massifs forestiers inexploités sur le long terme, une solution serait de diversifier la liste d’espèces exploitées1. Pour ce faire, il est nécessaire de changer les habitudes dans les marchés publics, en parvenant à ce que les architectes maîtrisent aussi l’usage des essences moins connues et en développant des solutions techniques adaptées à leur utilisation 

 

Face au changement climatique, une exploitation forestière à réinventer

La durabilité de la gestion des forêts doit aussi tenir compte de la question du changement climatique. Les forêts tropicales, qui stockent de grandes quantités de carbone dans leur biomasse, sont souvent mobilisées dans les stratégies d’atténuation du changement climatique. Mais face à cet enjeu d’atténuation, une préoccupation supplémentaire apparaît : l’ouverture des pistes de desserte et les dégâts occasionnés lors de l’abattage et le débardage des arbres par l’exploitation sélective peuvent générer d’importantes émissions de carbone. Les arbres laissés en forêt après abattage, en se décomposant, libèrent le carbone qu’ils contiennent.  

 

Aussi, le changement climatique pose la question de la vulnérabilité des forêts guyanaises face à l’augmentation de la durée et de l’intensité des saisons sèches. Une étude a montré que de nombreuses espèces, notamment commerciales, sont vulnérables à la sécheresse, ce qui réduit la durabilité du modèle d’exploitation. Enfin, l’ouverture de pistes de desserte a des conséquences parfois difficiles à maîtriser. En permettant l’accès à des endroits reculés, ces ouvertures dans la forêt peuvent amener d’autres usages comme la chasse, qui participe à la diminution de la grande faune et son rôle dans la dispersion des graines, réduisant ainsi la capacité naturelle de la forêt à se régénérer. Afin de maintenir des forêts de production riches et fonctionnelles, il est donc important d’optimiser le tracé des pistes forestières et de maîtriser les usages qui en sont faits une fois l’exploitation terminée.

 

Gérer durablement, des alternatives à l’exploitation des forêts naturelles

Pour maintenir ses fonctions écologiques, limiter les dégâts et les émissions de carbone liés à l’exploitation du bois et ainsi augmenter sa durabilité, de nombreuses techniques existent. Elles sont regroupées sous le nom d’« exploitation à faible impact ». Ces techniques sont aujourd’hui largement appliquées en Guyane et incluent : 

 

  • l’optimisation du tracé des pistes forestières en fonction de la position des arbres à exploiter et de la topographie du lieu ; 
  • l’abattage directionnel, consistant à abattre l’arbre dans le sens voulu, permet d’éviter les dégâts alentours ; 
  • le débardage des troncs au câble, pour limiter l’usage de machines au pied des arbres.  

 

Pour atteindre les objectifs de durabilité, d’autres solutions existent. Afin de limiter la pression sur les forêts naturelles et d’anticiper un futur où celles-ci ne pourront plus répondre à la demande en bois, le secteur forêt-bois guyanais envisage de produire une partie du bois dans des plantations. En Amazonie, les données sur l’efficacité des plantations sont rares, mais des projets de recherche sur des plantations d’espèces locales et exotiques commencent à donner des résultats. En termes de productivité, de qualité du bois et du bilan carbone de la filière sur le long terme, les résultats sont encourageants. Dans ces plantations, il est aussi essentiel d’examiner les résultats en ce qui concerne la biodiversité non exploitée, tout aussi essentielle. Pour que ces plantations puissent perdurer, le choix des espèces devra tenir compte de leur vulnérabilité face au changement climatique, en favorisant des peuplements multi-espèces plus résilients et en priorisant les espèces locales qui présentent un moindre risque d’invasion biologique. Afin d’éviter de convertir des zones naturelles (forêts ou savanes), les plantations pourraient être faites sur des terres agricoles abandonnées et des zones post-minières. La Guyane étant en grande partie couverte d’écosystèmes naturels, la disponibilité de ces terres défrichées est limitée. Le choix de convertir des zones sauvages en plantations nécessite les plus grandes précautions. Il s’agit, dans un objectif de durabilité, d’établir un équilibre favorable entre le coût environnemental causé par le défrichage et le gain apporté en production pouvant limiter la pression sur les forêts naturelles.

 

L’exploitation durable de la forêt amazonienne : une urgence absolue

Les objectifs de durabilité ne doivent cependant pas être seulement circonscrits aux territoires français. Dans le reste de l’Amazonie, la situation des forêts de production est tout aussi complexe. La plupart des États contrôlent difficilement une exploitation trop intensive pour être durable, en plus de l’exploitation illégale. Au Brésil, par exemple, la durabilité à long terme exigerait d’augmenter la durée du cycle de coupe (de 35 à 65 ans) et de réduire de moitié l’intensité de l’exploitation. Mais en appliquant ces mesures à l’ensemble du bassin amazonien, la production de bois d’œuvre issue des forêts naturelles serait réduite, par rapport à ce qui est présent sur les marchés actuellement. Il est donc urgent à la fois de réduire la demande et de développer dès maintenant des solutions alternatives en mettant par exemple en œuvre une sylviculture tropicale diversifiée, alliant production issue de forêts naturelles, de plantations mixtes et d’agroforêts2. De plus, la gestion forestière communautaire et paysanne tient un rôle important dans ces régions, et gagnerait à être valorisée. Plusieurs programmes de restauration comme le défi de Bonn et la proclamation de la décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes ont été mis en place. S’ils se fondent sur la restauration des zones déforestées en plantations multi-espèces et favorisent la régénération forestière naturelle, ces programmes représentent autant d’opportunités à saisir pour mettre en œuvre une nouvelle approche sylvicole en région tropicale d’ici à 2030.

 

 

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1          Cet article prend sa place dans le cadre d’une campagne interrogeant la possibilité d’une exploitation durable d’espèces sauvages mais d’autres solutions existent comme le fait d’interroger nos pratiques pour limiter le gaspillage, optimiser les découpes du bois, voire moins exploiter en interrogeant nos besoins réels. 

2         L’agroforesterie est un système de gestion durable du sol qui augmente la production totale, associe des cultures agricoles, des arbres, des plantes forestières et / ou des animaux simultanément ou en séquence, et met en œuvre des pratiques de gestion qui sont compatibles avec la culture des populations locales.  

 

#Ipbes9

À l’occasion de la publication de deux rapports majeurs par l’Ipbes sur « l’évaluation des valeurs associées à la nature » et « l’utilisation durable des espèces sauvages » lors de sa neuvième session plénière en juillet 2022, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité donne la parole aux chercheurs et acteurs pour aborder ces thématiques sous différents angles.

 

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Chercheurs

Camille Piponiot
chercheure au Cirad, UR Forêts et Sociétés

 

Plinio Sist,
d
irecteur de l’unité Forêts et Sociétés au Cirad

 

Géraldine Derroire, 
chercheure au Cirad-UMR EcoFoG

 

Bruno Hérault,
chercheur au
Cirad

Bibliographie

Blaser, J., Sarre, A., Poore, D., & Johnson, S. (2011). Status of Tropical Forest Management 2011. In ITTO Technical Series (Vol. 38). https://doi.org/10.1017/S0032247400051135  

 

Brancalion, P. H. S., de Almeida, D. R. A., Vidal, E., Molin, P. G., Sontag, V. E., Souza, S. E. X. F., & Schulze, M. D. (2018). Fake legal logging in the Brazilian Amazon. Science Advances, 4(8), eaat1192. https://doi.org/10.1126/sciadv.aat1192  

 

Daaf Guyane. https://daaf.guyane.agriculture.gouv.fr/La-filiere-foret-bois-guyanaise,55 

 

Derroire, G., Piponiot, C., Descroix, L., Bedeau, C., Traissac, S., Brunaux, O., & Hérault, B. (2021). Prospective carbon balance of the wood sector in a tropical forest territory using a temporally-explicit model. Forest Ecology and Management, 497(July). https://doi.org/10.1016/j.foreco.2021.119532 

 

Fargeon, H., Aubry-Kientz, M., Brunaux, O., Descroix, L., Gaspard, R., Guitet, S., Rossi, V., & Hérault, B. (2016). Vulnerability of Commercial Tree Species to Water Stress in Logged Forests of the Guiana Shield. Forests, 7(12), 105. https://doi.org/10.3390/f7050105 

 

Finer, M., Jenkins, C. N., Sky, M. A. B., & Pine, J. (2014). Logging Concessions Enable Illegal Logging Crisis in the Peruvian Amazon. Scientific Reports, 4(4719), 1–6. https://doi.org/10.1038/srep04719  

 

Guitet, S., Brunaux, O., & Traissac, S. (2016). Sylviculture pour la production de bois d’œuvre des forêts du Nord de la Guyane. ONF. 

 

Hiltner, U., Huth, A., Hérault, B., Holtmann, A., Bräuning, A., & Fischer, R. (2021). Climate change alters the ability of neotropical forests to provide timber and sequester carbon. Forest Ecology and Management, 492(February). https://doi.org/10.1016/j.foreco.2021.119166 

 

Kleinschroth, F., & Healey, J. R. (2017). Impacts of logging roads on tropical forests. Biotropica, 49(5), 620–635. https://doi.org/10.1111/btp.12462 

 

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Messier, C., Bauhus, J., Sousa-Silva, R., Auge, H., Baeten, L., Barsoum, N., Bruelheide, H., Caldwell, B., Cavender-Bares, J., Dhiedt, E., Eisenhauer, N., Ganade, G., Gravel, D., Guillemot, J., Hall, J. S., Hector, A., Hérault, B., Jactel, H., Koricheva, J., … Zemp, D. C. (2021). For the sake of resilience and multifunctionality, let’s diversify planted forests! Conservation Letters, June, 1–8. https://doi.org/10.1111/conl.12829 

 

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Piponiot, C., Rödig, E., Putz, F. E., Rutishauser, E., Sist, P., Ascarrunz, N., Blanc, L., Derroire, G., Descroix, L., Guedes, M. C., Coronado, E. H., Huth, A., Kanashiro, M., Licona, J. C., Mazzei, L., D’Oliveira, M. V. N., Peña-Claros, M., Rodney, K., Shenkin, A., … Hérault, B. (2019). Can timber provision from Amazonian production forests be sustainable? Environmental Research Letters, 14(6), 064014. https://doi.org/10.1088/1748-9326/ab195e

 

Sist, P. 2000. L’exploitation à faible impact: Objectifs et enjeux. Bois et Forêts des Tropiques, 265: 31-43 

 

Sist, P., Mazzei, L., Sablayrolles, P. (2013). Soutenir la foresterie paysanne. Perspectives 22, Cirad 

 

Sist, P., Piponiot, C., Kanashiro, M., Peña-Claros, M., Putz, F.E., Schulze, M., Verissimo, A. Vidal. E; (2021). Sustainability of Brazilian forest concessions, Forest Ecology and Management, 496 (2021) 119440.

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