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septembre 2022  I  Article  I  FRB  I  Biodiversité des sols

Intensité de pressions anthropiques dans les territoires ultramarins

Auteur.e.s : Marilda Dhaskali, Régis Céréghino, Elodie Milleret, Clément Redondi

Relecture : Hélène Soubelet, Pauline Coulomb et Robin Almansa

 

Remerciements : Charlotte Thévenet, Charlotte Labrousse, Anne-Laure Levent et l’ensemble des membres qui constituent le Club 4 « Changements globaux et gestion durable de la biodiversité dans les territoires ultramarins », Clément Redondi et Régis Céréghino pour leur travail et coopération avec la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB).

Selon l’Inventaire national du patrimoine naturel, l’Outre-mer français abrite 80 % de la biodiversité endémique française. La conservation de cette biodiversité constitue un enjeu majeur pour la France et une responsabilité internationale. En effet, en 2019 dans son rapport faisant l’évaluation mondiale de l’état de la biodiversité, l’Ipbes a déclaré qu’environ 25 % des espèces animales et végétales étaient menacées d’extinction, soit environ 1 million d’espèces. À ce jour, une accélération du taux d’extinction des espèces est constatée et serait 10 à 100 fois supérieure à ce que la planète a connu au cours des 10 derniers millions d’années. 

Intensité de pressions anthropiques dans les territoires ultramarins © Robin Almansa

Les territoires ultramarins sont à la fois riches en biodiversité mais également exposés et fragiles face à l’incidence des changements globaux du fait de l’insularité de la plupart de ces territoires et des caractéristiques de leurs systèmes socio-économiques. Afin de mieux comprendre ces pressions, un Club FRB Recherche-action « Changements globaux et gestion durable de la biodiversité dans les territoires ultramarins » a vu le jour et permis cette étude. 

 

Ce travail s’est concentré sur six territoires distribués sur trois bassins océaniques (Atlantique, Pacifique et Indien) : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Mayotte, La Réunion et la Nouvelle-Calédonie. Il a permis d’explorer l’intensité de deux des cinq pressions directes identifiées par l’Ipbes, la pollution des cours d’eau et les espèces végétales exotiques envahissantes (EEE), à l’échelle de ces sites sous forme de cartographie et de dresser des liens de causalité entre chacune des pressions et différents facteurs naturels ou anthropiques.

 

L'étude

 

Pour cette étude, deux pressions ont donc été sélectionnées : la pollution des cours d’eau et les espèces végétales exotiques envahissantes. Pour étudier les deux pressions susmentionnées, deux indices ont été construits :

 

  • un indice de pollution aquatique.
    Il est basé sur six paramètres (oxygène dissous, demande biologique en oxygène, pH, matières en suspension, nitrates et phosphore total), indicateurs de pollutions domestiques, agricoles ou urbaines. Il est calculé pour chaque site comme étant la moyenne des valeurs des paramètres divisée par la valeur seuil fixée par la Directive cadre sur l’eau.
  • un indice de pression « espèces végétales envahissantes ».
    Créé à cette initiative, cet indicateur est la moyenne, pour les espèces choisies, des catégories d’invasibilité (voir définition ci-après), pondérée par leur abondance.

 

QUELQUES DÉFINITIONS

 

Selon la définition de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN), une espèce exotique envahissante (EEE) est un taxon (famille, genre, espèce, etc.) “appartenant au règne du vivant, introduit par l’Homme en dehors de son aire de répartition ou de dispersion naturelle, qui s’établit, et qui étend son aire de distribution”.

 

Le terme d’invasibilité utilisé ici est repris de la littérature scientifique de C. Lavergne et est entendu comme permettant de “hiérarchiser le potentiel invasif [ou potentiel d’envahissement] des plantes introduites”. L’échelle d’invasibilité retient six niveaux (très envahissant, moyennement envahissant, envahissant uniquement en milieu anthropisé, potentiellement envahissant, non envahissant et données insuffisantes), le tout réparti en neuf catégories (cf. Annexe 1).

 

Ainsi, les espèces végétales envahissantes considérées ici sont celles présentant une catégorie d’invasibilité supérieure ou égale à +3 selon l’échelle de C. Lavergne. Il s’agit donc des espèces envahissantes uniquement dans les milieux anthropisés, des espèces envahissantes dans les milieux anthropisés, des espèces moyennement envahissantes et des espèces fortement envahissantes.
Pour les espèces végétales envahissantes et par manque de données, seules La Réunion et Mayotte sont concernées. Au total, des données ont été obtenues pour 352 espèces à La Réunion et 138 espèces à Mayotte.

 

L’analyse de ces deux pressions a été confrontée à des données sur une sélection de variables environnementales (bioclimatiques), telles que la température moyenne annuelle, les précipitations annuelles ou encore l’altitude, et des variables anthropiques telles que la densité de population ou encore les modes d’occupation des sols. Pour ces derniers, les données utilisées proviennent de Corine Land Cover et correspondent au niveau 2 de la nomenclature (cf. Annexe 2).

 

Les résultats de l’étude ont montré que les zones urbanisées, la densité de population ou encore les zones agricoles hétérogènes (il peut s’agir de cultures annuelles associées à des cultures permanentes ; de systèmes culturaux et parcellaires complexes ; de surfaces essentiellement agricoles, interrompues par des espaces naturels importants ou encore de territoires agroforestiers) associées à des indices de pollution élevés pouvaient avoir un impact négatif sur la qualité de l’eau.

En revanche, les forêts, les prairies ou encore les espaces verts artificialisés non agricoles, associés à des indices de pollution faibles, sont liés à une très bonne qualité de l’eau indiquant un impact limité ou faible des activités humaines.

 

Concernant la pression due aux espèces exotiques envahissantes les facteurs environnementaux naturels ou anthropiques qui sont ressortis comme impactants à La Réunion et à Mayotte sont principalement les cultures permanentes ou encore les milieux à végétation arbustive et/ou herbacée. Dans la nomenclature Corine Land Cover, ces milieux comprennent les pelouses et pâturages naturels, les landes et broussailles ou encore les forêts et la végétation arbustive en mutation.

 

Ces résultats sont néanmoins à prendre avec précaution. En effet, dans cette étude, les espèces ciblées sont principalement à caractère envahissant en milieux anthropisés ou semi-naturels.

 


Tableau 1 – Liste des variables bioclimatiques et anthropiques sélectionnées

Tableau 1 : Impact de différents facteurs sur les deux pressions étudiées

 

Ce tableau présente la dépendance entre les deux pressions étudiées et différents facteurs. Les résultats obtenus par un modèle linéaire généralisé, GLM :
· Plus le facteur est susceptible de faire diminuer la pression, plus il tend vers le vert.
· Plus il est susceptible d’aggraver la pression, plus il tend vers le rouge.
· Une case grisée indique une absence de données.


 

Espèces exotiques envahissantes

 

La Réunion 

 

La partie Est de l’île de La Réunion semble la moins impactée par la pression EEE. Ce qui n’est pas le cas de la partie Ouest et plus particulièrement du littoral où la pression EEE semble plus importante. Les milieux semi-naturels aux alentours des zones densément peuplées pourraient jouer un rôle dans l’expansion des espèces exotiques envahissantes et leur abondance. Parmi les espèces végétales les plus envahissantes à La Réunion, on retrouve le Psidium cattleyanum (Goyavier fraise)  de la famille des Myrtaceae, le Litsea glutinosa (Avocat marron) de la famille des Lauraceae ou encore la Lantana camara (Galabert) de la famille des Verbenaceae

Cartographie de l’indice de pression « Espèces exotiques envahissantes » sur l’île de la Réunion

Carte 1 : Indice de pression « Espèces exotiques envahissantes » de la Réunion

 

EEE_REU_indice

 

 

 

Carte 2 : Densité de population de la Réunion

 

 

 

 

Carte 3 : Modes d’occupation des sols de la Réunion

 

EEE_REU_MOS

 

 

 

Mayotte

 

À Mayotte, l’intensité de la pression est particulièrement importante sur l’île de Petite-Terre. Cette forte intensité pourrait s’expliquer notamment par la forte densité de population de cette île ainsi que la présence de l’aéroport de Dzaoudzi-Pamandzi, porte d’entrée de certaines espèces envahissantes. Ces zones de forte densité de population reflètent en réalité l’intensité des activités humaines qui s’y exercent. En effet, il est désormais reconnu que les changements d’usage des sols l’ouverture des milieux naturels, la déforestation à des fins agricoles ou encore les infrastructures de transports, etc. favorisent la dispersion des espèces exotiques envahissantes.

 

En Grande-Terre, les sites les plus majoritairement impactés se situent le long d’un gradient allant du nord au sud avec une intensité plus forte au cœur de l’île. Cette partie de l’île est principalement associée à des forêts ou surfaces agricoles hétérogènes. Par ailleurs, l’intensité de cette pression à Mayotte peut être recoupée notamment avec l’espèce végétale envahissante Litsea glutinosa de la famille des Lauraceae introduite dans les forêts mahoraises et désormais établie dans les dernières forêts naturelles de l’île.

Cartographie de l’indice de pression « Espèces exotiques envahissantes » sur l’archipel de Mayotte

 

Carte 1 : Indice de pression « Espèces exotiques envahissantes » sur l’archipel de Mayotte

 

EEE_MYT_indice

 

 

 

Carte 2 : Densité de population sur l’archipel de Mayotte

 

EEE_MYT_densite_population

 

 

 

Carte 3 : Modes d’occupation des sols sur l’archipel de Mayotte

 

EEE_MYT_MOS

 

 

De cette étude, et des catégories d’écosystèmes et habitats considérées, il ressort que les territoires artificialisés (zones urbanisées, industrielles, espaces verts artificialisés, etc.), agricoles, les forêts et milieux semi-naturels sont associés à une augmentation de l’indice d’invasibilité.  Ceci doit être interprété au regard des catégories d’espèces envahissantes ciblées (allant des niveaux +3 à +5) et que l’on retrouve en milieux artificialisés et semi-naturels voire naturels. Par ailleurs, dans un contexte de changement climatique, celui-ci pourrait exacerber le développement d’espèces végétales envahissantes engendrant des perturbations écologiques importantes dans ces milieux déjà fragilisés.

 

Les dix espèces végétales les plus envahissantes à La Réunion et Mayotte sont présentées en annexe (cf. Annexe 3).

 

 

Pollution aquatique
 
Guadeloupe

 

Bien que l’indice de pollution soit variable en Guadeloupe, on peut noter un gradient décroissant de pollution aquatique allant du littoral vers le centre du territoire. Les plus fortes intensités de pollution sont, quant à elles, retrouvées sur le pourtour du littoral. Par recoupement avec la carte d’occupation des sols, ces zones de forte pollution correspondent à des zones urbanisées.

Cartographie de l’indice de pollution aquatique en Guadeloupe

 

Carte 4 : Indice de pollution aquatique en Guadeloupe

 

PA_GLP_indice

 

 

 

Carte 5 : Zones urbanisées et industrielles en Guadeloupe

 

PA_GLP_MOS

 

 

 

Guyane

 

Peu de sites sont dégradés en termes de qualité de l’eau par la pollution domestique, agricole ou industrielle en Guyane malgré la présence d’un réseau hydrographique très important. Un seul site dégradé apparaît en amont qui pourrait être relié aux sites d’orpaillage, principale source de pollution en Guyane. Les sites aux indices de pollution les plus forts sont là aussi localisés sur la bande littorale. À travers la carte de densité de population, on peut constater que la pollution aquatique est plus élevée aux alentours de Cayenne présentant une densité de population humaine plus importante.

Cartographie de l’indice de pollution aquatique en Guadeloupe

 

Carte 6 : Indice de pollution aquatique en Guyane

 

PA_GUF_indice

 

 

 

Carte 7 : Densité de population en Guyane

 

PA_GUF_densite_population

 

 

 

Martinique

 

En Martinique, l’ensemble des sites dégradés est situé au niveau du littoral. Ainsi, un gradient de pollution entre l’amont et l’aval des cours d’eau est visible sur la cartographie associée. Ce sont davantage les territoires urbanisés et agricoles qui joueraient un rôle prépondérant dans la pollution de l’eau. Ce résultat est à mettre en parallèle avec la forte production agricole de la Martinique, en comparaison avec les autres territoires antillais. En revanche, les forêts et milieux semi-naturels sont associés à des intensités plus faibles de l’indice de pollution.

Cartographie de l’indice de pollution aquatique en Martinique

 

Carte 8 : Indice de pollution aquatique de la Martinique

 

 PA_MTQ_indice 

 

 

 

Carte 9 : Densité de population de la Martinique

 

PA_MTQ_densite_population

 

 

Carte 10 : Modes d’occupation des sols de la Martinique

 

PA_MTQ_MOS

 

 

 

Mayotte

 

Les résultats de cette étude montrent que peu de sites ressortent comme étant dégradés à Mayotte, par rapport à la valeur seuil, définie par la Directive cadre sur l’eau (DCE) de l’Union Européenne. Les activités n’y sont pas intensives. La pollution principale est le phosphore. Les sites aux intensités de forte pollution correspondent pour la plupart à des territoires agricoles et pourraient donc avoir une incidence sur la qualité de l’eau. Ces territoires agricoles, pour la majeure partie d’entre eux, sont de petites exploitations familiales. Les forêts sont également associées à des valeurs plus faibles de l’indice de pollution.

Cartographie de l’indice de pollution aquatique en Martinique

 

Carte 11 : Indice de pollution aquatique à Mayotte

 

PA_MYT_indice 

 

 

 

Carte 12 : Modes d’occupation des sols de Mayotte

 

PA_MYT_MOS

 

 

 

Nouvelle-Calédonie

 

La plupart des sites dégradés en Nouvelle-Calédonie sont localisés dans le sud du pays et se concentrent aux alentours des communes de Dombéa, Mont-Doré et Nouméa. Un parallèle pourrait être fait entre la densité de population et la pollution aquatique.

 

Une variable anthropique semble se dégager des autres et concerne les zones industrielles jouant un rôle sur la qualité des cours d’eau. En Nouvelle-Calédonie, l’industrie minière représente un facteur important de pollution. Des analyses plus poussées des éléments chimiques pourraient potentiellement permettre de mettre en lumière ce facteur de pollution liée à l’industrie. Par ailleurs, des variations de température sembleraient induire une augmentation de la pollution locale.

Cartographie de l’indice de pollution aquatique en Nouvelle-Calédonie

 

Carte 13 : Indice de pollution aquatique en Nouvelle-Calédonie

 

PA_NC_indice 

 

 

 

Carte 14 : Modes d’occupation des sols en Nouvelle-Calédonie

 

PA_NC_MOS

 

 

 

La Réunion

 

Comme pour la Nouvelle-Calédonie, 8 % des sites évalués à La Réunion ont été classés comme étant dégradés. Néanmoins, le degré de pollution des sites reste relativement faible au regard des valeurs d’indices. Tout comme la Guadeloupe, La Réunion présente un gradient croissant de pollution amont – aval avec des intensités plus fortes sur le littoral. Les sites à plus haute altitude présentent des cours d’eau en meilleur état. Une accumulation des polluants de l’amont vers l’aval est un facteur aggravant la pollution des cours d’eau. Cependant, les zones du littoral concentrent la majorité des activités humaines à La Réunion et expliquent principalement cette pollution.

Cartographie de l’indice de pollution aquatique à La Réunion

 

Carte 15 : Indice de pollution aquatique à La Réunion

 

PA_REU_indice 

 

 

 

Carte 16 : Modes d’occupation des sols à La Réunion

 

PA_REU_MOS+ALT

 

 

 

Conclusions

Bien que la direction et l’intensité de la pression restent dépendantes des contextes biogéographiques propres à chaque territoire, les modes d’occupation des sols vont fortement influencer la qualité des eaux. Des territoires urbanisés, et/ou à forte densité de population, vont être liés à des cours d’eau dégradés. Ces territoires sont des zones où les activités humaines sont plus intenses que dans des milieux forestiers ou semi-naturels et vont directement impacter la qualité des eaux.

 

L’objectif de ce travail était de déterminer les facteurs environnementaux naturels ou anthropiques agissant sur l’intensité des pressions considérées afin de penser dès aujourd’hui à des solutions d’atténuation des pressions.

 

Cette étude a par ailleurs (re)mis en évidence le manque de données in situ pour l’étude de certaines pressions et pour certains territoires considérés. La poursuite de ce travail de recherche pour les autres pressions (changements climatiques, changements d’occupation des sols, exploitation des ressources) serait pertinente et permettrait d’aboutir à un panorama plus large de la cartographie des cinq pressions directes de l’Ipbes.

 

Le financement de la recherche dans ce domaine reste malgré tout à promouvoir et à consolider pour bénéficier clairement des dernières connaissances scientifiques sur le sujet.

Un accompagnement des acteurs dans la compréhension de la dynamique de la biodiversité et de son fonctionnement est également nécessaire. L’objectif est de tendre vers une meilleure connaissance de la biodiversité et une meilleure prise en compte de celle-ci dans les plans de gestion des entreprises et des collectivités pour tenter d’enrayer son déclin.

Temps de lecture :
15-20 min

 

Dernière mise à jour :
20.09.2022

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