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avril 2019  I  Article  I  FRB  I  Autres sujets

« Fermons le robinet avant de chercher à éponger l’inondation de plastiques »

Interview de : Nathalie Gontard (directrice de recherche à l’Inra)

Propos recueillis par : Hugo Dugast (chargé de communication à la FRB)

Relecture : Agnès Hallosserie (secrétaire scientifique IPBES),  Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB), Jean-François Silvain (président de la FRB), Julie de Bouville (responsable communication de la FRB)

Aujourd’hui, sur l’ensemble du globe, on compte en moyenne 15 tonnes de déchets plastiques accumulés par km2 ! L’utilisation massive de ces matériaux remonte seulement à l’après-guerre, mais se révèle déjà problématique. Les déchets plastiques sont voués à se désagréger sous forme de micro et nanoparticule, produisant une pollution aux particules fines dans tous les écosystèmes. Comment réagir face à cette inondation de plastiques ?

« Fermons le robinet avant de chercher à éponger l’inondation de plastiques »

Nos sociétés auraient développé une forme d’addiction au plastique, symbole de modernité d’hier devenu fléau environnemental. La mise au point du celluloïd par les frères Hyatt remonte à 1869 mais l’utilisation massive des plastiques débute seulement après la seconde guerre mondiale et se révèle déjà problématique : entre 1950 et 2015, 8,3 milliards de tonnes de plastiques ont été produits. Plus de 79 % sont déjà devenus déchets (Geyer et al., 2017) et s’accumulent dans les décharges ou en pleine nature. Ils contaminent ainsi les eaux et les sols de nombreux écosystèmes, affectant directement ou indirectement la santé humaine et animale. Aujourd’hui, sur l’ensemble du globe, on compte en moyenne 15 tonnes de déchets plastiques accumulés par kilomètre carré, sur terre comme sur mer. Nathalie Gontard, directrice de recherche dans l’unité « ingénierie des agro-polymères et technologies émergentes » à l’Inra, nous présente les enjeux et les implications de cette pollution globale qui nécessite un changement important des pratiques et une baisse de la consommation.

 

Que représente aujourd’hui la pollution aux plastiques à l’échelle mondiale ?

En moyenne, chaque être humain utilise et jette environ l’équivalent de son poids corporel en déchets plastiques chaque année : à peu près 40 kg. Ce chiffre varie selon les endroits du globe et s’élève en France à plus de 68 kg par habitant et par an. Non seulement nous produisons énormément de plastiques mais nous en produisons de plus en plus : sur les 8,3 milliards de tonnes de plastique produites entre 1950 et 2015, la moitié a été produite sur les 13 dernières années. Et, dans ce même temps, nous avons accumulé en moyenne 15 tonnes de déchets plastiques par km2 sous nos pieds ou dans les océans et ce à l’échelle de la planète.

 

Tous ces plastiques, quel que soit leur environnement direct et leur histoire, se retrouvent tôt ou tard sous forme de particules. Car le plastique ne se dissout pas, il se désagrège progressivement, en plusieurs siècles, passant par toute la gamme de taille des particules, de l’échelle microscopique à nanoscopique. Dans les cinquante à cent prochaines années, ces déchets deviendront une source de pollution massive aux particules fines dans tous les écosystèmes.

 

Quel est l’impact des particules de déchets plastiques sur l’environnement ?

Les microplastiques – dont la taille est inférieure à 5 millimètres – sont dès à présent retrouvés dans les sols, les eaux et les organismes animaux et humains. Leur présence ne provient pas majoritairement de leur production directe mais de la dégradation accélérée de macroplastiques : abrasion des revêtements plastiques sur les routes, dispersion des fibres textiles passées en machine ou encore frottement par les vagues et le sable des déchets sur les plages ou dans les océans.

 

Ainsi, les océans sont largement contaminés et les sols ne sont pas en reste à travers l’utilisation de plastiques dans l’agriculture ou l’enfouissement des déchets ménagers. Ces particules plastiques menacent d’appauvrir la qualité des sols en réduisant leur capacité de rétention d’eau et, par-là, leur fertilité. Des études sont actuellement en cours sur l’impact des diverses particules plastiques sur les microorganismes et les vers de terre qui peuplent les sols mais les connaissances sur ces mécanismes sont encore lacunaires. Pour les nanoparticules, dont la taille est inférieure à 0,1 micromètre, la tâche est encore plus complexe : nous ne sommes pas capable de les détecter et de les doser facilement et donc de suivre l’étendue de cette contamination en particulier.

 

Pourquoi les effets de cette pollution aux particules plastiques sont-ils méconnus ?

Il n’est pas évident de les évaluer car le processus très lent de dégradation des plastiques ne fait que débuter et qu’il est nécessaire d’en prédire les effets sur le long terme. Mais ce type de phénomène est également difficile à modéliser : il nécessite des connaissances approfondies et multiples sur l’ensemble des mécanismes de dégradation et d’action des particules plastiques. La capacité d’anticipation de la recherche devient alors un élément primordial de prévention du risque. De nombreuses publications sur l’impact des microparticules sur la faune et la flore n’apparaissent que récemment. Leurs conclusions sont préoccupantes, en particulier concernant les effets de l’accumulation des microparticules plastiques dans les organes digestifs et les cellules embryonnaires. Les organismes ne sont pas adaptés à cette pollution aux particules fines qu’ils ne savent pas évacuer par les voies normales d’élimination des substances toxiques. Ils se retrouvent confrontés à des problèmes inflammatoires liés à leur accumulation. Ces particules de plastiques interviennent également dans des effets cocktails car elles se chargent facilement en polluants et deviennent ainsi des vecteurs de pénétration de ces éléments nocifs dans les organismes.

 

À ce stade, nous sommes encore à étudier l’avancée de la contamination aux plastiques en tentant de les doser et de les prélever dans les sols et les eaux pour mieux la suivre. Les études épidémiologiques et les efforts de recherche sur les effets de cette pollution sont encore relativement réduits. Le monde de la recherche a pris du retard et les connaissances manquent pour construire des stratégies raisonnées sur le long terme.

 

Comment se débarrasser de tous les déchets plastiques produits ?

Nous savons que les plastiques usagés une fois récupérés ont, à court terme, deux issues : ils sont soit incinérés et transformés en carburant, contribuant ainsi aux émissions de CO2 dans l’atmosphère, soit recyclés ou réutilisés. Jusqu’à présent, aucun plastique n’est complètement recyclé dans un circuit fermé selon le grand principe de l’économie circulaire. Un nombre limité de boucles de recyclage va retarder le processus mais ne va pas empêcher le plastique de devenir un déchet. Par exemple, les bouteilles plastiques recyclées et réutilisées pour un usage dans l’industrie textile finiront sous forme de vêtements qui seront, tôt ou tard, jetés enfouis ou incinérés.

 

Aujourd’hui, l’analyse du cycle de vie des produits ne prend pas en compte l’impact essentiel sur le long terme de la pollution aux particules fines issues des plastiques. La méconnaissance quantitative des effets empêche encore de les intégrer dans les processus de décisions. Ainsi, des plastiques biosourcés tels que le bio polyéthylène, issu de la production du maïs, se retrouvent sur le marché avec des analyses d’impacts environnementaux favorables. Pour quel intérêt ? Cette production entre en compétition avec l’usage des terres pour l’alimentation et va in fine engendrer les mêmes risques liés aux micro et nanoparticules que son pendant issu de la pétrochimie. L’impact carbone est ici privilégié mais il élude la question cruciale de la pollution aux particules fines issues du plastique.

 

Est-il possible de réutiliser ces déchets à bon escient ?

Il existe bien toute une panoplie de solutions pour valoriser nos déchets mais toutes ont des inconvénients. Actuellement, on assiste à une recherche de débouchés pour les plastiques usagés, qui vont être utilisés par exemple pour la confection de revêtements de routes ou de meubles. Ce sont de nouveaux marchés où le plastique cherche à remplacer des matériaux qui ne posaient pas ou peu de problèmes sanitaires, tel que le bois, la terre ou le verre. Le même constat peut être fait dans l’industrie textile, où les fibres plastiques ont remplacé le coton, la laine ou la soie qui entrent, contrairement aux plastiques, dans les processus naturels de biodégradation dans les sols.

 

Existe-t-il des plastiques dont les déchets ne sont pas problématiques ?

Les seuls plastiques vraiment inoffensifs en termes de déchets sont les matériaux biodégradables en conditions naturelles qui ne constituent qu’une petite partie de la grande famille des bioplastiques. Ils sont marqués du label « Ok compost home ». Ce sont par exemple les PHAs (polyhydroxyalcanoates) qui non seulement sont biodégradables mais aussi recyclables et que l’on peut produire à partir de ressources non alimentaires (résidus agricoles et effluents des industries alimentaires). Ce sont aussi les matériaux cellulosiques, tels les papiers et cartons, et les composites issus du mélange de ces deux types de matières premières : PHA et celluloses. Ces derniers sont acceptables à condition qu’ils ne nécessitent pas la mise en œuvre de solvants controversés ou l’utilisation trop importante d’énergie et d’eau pour leur production. Il ne faut surtout pas les confondre avec les plastiques compostables en conditions industrielles qui, tel le PLA (acide polylactique), nécessitent de mettre en place une filière spécifique de collecte, tri et traitement de déchets qui ne doit interférer ni avec celle des plastiques conventionnels pour ne pas perturber leur recyclage, ni avec celle des déchets organiques pour ne pas perturber leur biodégradation.

 

Alors, quelles solutions privilégier pour réduire les risques liés à la contamination de notre environnement par les déchets plastiques ?

Il existe des centaines de plastiques différents. La mise en œuvre de solutions multiples est à favoriser, la solution « miracle » n’existe pas. Le recyclage chimique ou enzymatique, permettant une réutilisation infinie des matières plastiques, ou le développement de substituts universels biodégradables sont deux horizons qui font rêver et sur lesquels nous travaillons. Mais ces solutions ne sont pour l’instant pas implémentables ou pas encore mûres pour répondre à l’ampleur du phénomène. Les plastiques ont des fonctions et des usages si divers que prétendre pouvoir les remplacer ou les traiter efficacement aujourd’hui est néfaste car cela ne nous encourage pas à essayer de mettre un terme à leur utilisation effrénée.

 

Ainsi, la première et la plus importante des solutions est la baisse de notre consommation. Nous sommes inondés de plastiques. Nous ne pourrons pas venir à bout de cette inondation de plastiques en recyclant, avec une efficacité plus que discutable, sans fermer le robinet.

 

Comment limiter la surconsommation des plastiques ?

Certains plastiques voient leur utilisation réduite ou encadrée mais ne correspondent qu’à une infime quantité du volume total. Les mesures proposées sont parfois contournables comme par exemple l’interdiction de certains plastiques à usage unique. L’épaisseur des gobelets en plastique est aujourd’hui simplement augmentée pour les faire basculer dans la catégorie des « réutilisables ». Il faudra certainement en passer par une sensibilisation des industriels aux impacts sur le long terme pour les inciter à changer leurs pratiques. Il faut réfléchir à chaque utilisation des plastiques, savoir si on peut les substituer par d’autres matériaux, s’en passer complètement, ou gérer les déchets sans compromettre l’avenir de nos petits-enfants. Du côté du consommateur comme des producteurs, nous n’avons pas d’autre choix que de prendre ce virage. Prenons-le de manière raisonnée.

 

À l’occasion du nouveau rapport de l’IPBES sur l’état de la biodiversité mondiale prévu pour mai 2019, la FRB donne chaque mois la parole à des scientifiques qui travaillent sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité, mais aussi sur les solutions pour y remédier. Juristes, économistes, biologistes de la conservation sont autant de chercheurs qui offriront chacun un éclairage précis sur l’état et le devenir des espèces et de leurs écosystèmes. Le quatrième thème abordé est celui de l’exploitation directe des ressources, 5e cause de perte de biodiversité dans le monde.