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août 2018  I  Synthèse  I  FRB  I  État et tendance

Les données de la biodiversité : biais taxonomiques en lien avec les préférences sociétales

Références : Julien Troudet, Philippe Grandcolas, Amandine Blin, Régine Vignes-Lebbe & Frédéric Legendre (2017). Taxonomic bias in biodiversity data and societal preferences. Nature – Scientific Reports 7:9132

www.nature.com/articles/s41598-017-09084-6

Synthèse par Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB)

Relectures par Philippe Grandcolas (membre du conseil scientifique de la FRB) et Jean-François Silvain (président de la FRB )

Moora et al. (2011) ont estimé à 11 millions le nombre total d’espèces peuplant notre planète. Seules 1,4 étant décrites, la majorité d’entre elles (plus de 99 %) est toujours inconnue, peu étudiée ou ignorée. Il reste donc un travail titanesque pour les connaître toutes et les décrire.

Les données de la biodiversité : biais taxonomiques en lien avec les préférences sociétales Figure 1 : Classification scientifique (Source Wikipedia)

Alors que la protection de la biodiversité s’impose de plus en plus comme un enjeu majeur tant pour les décideurs politiques que pour les acteurs de la société civile (des entreprises aux associations), les discussions autour de la biodiversité se concentrent uniquement sur un petit sous-ensemble d’espèces et la majorité des Eucaryotes reste inconnue ou ignorée. C’est ce qu’on appelle un biais taxonomique et, quoiqu’omniprésent dans la recherche sur la biodiversité, il est peu étudié, peu compris et donc peu ou pas pris en compte dans les conclusions de la recherche alors même qu’il est connu et que ses conséquences peuvent empêcher d’élaborer des conclusions couvrant l’ensemble du vivant et de mettre en place des programmes de protection efficaces.

 

Ainsi, certains organismes – principalement des plantes et des vertébrés – sont surreprésentés dans divers domaines scientifiques, car ils sont considérés comme écologiquement plus importants que d’autres et de ce fait sont plus susceptibles de lever des fonds. Or, il a été scientifiquement démontré que les espèces rares, petites ou non charismatiques, jouent parfois un rôle essentiel dans les écosystèmes et ne pas les considérer, par manque de connaissances, représente une entrave à la compréhension globale de la biodiversité à l’échelle mondiale, nuit à la mise en place de plans de conservation efficaces et ralentit la découverte de nouveaux produits ou propriétés chez les espèces sauvages.

 

L’étude de la biodiversité est une tâche ardue et nécessite de déployer une main-d’œuvre considérable pour rassembler et analyser les données sur la biodiversité. Cependant, alors que la biodiversité diminue à un rythme sans précédent, le biais taxonomique représente un fardeau pour les études sur la biodiversité qu’il est urgent de prendre en compte et de dépasser pour avoir une idée plus exacte de la diversité du vivant.

 

Éléments de méthode

Les auteurs se sont attachés à mettre en évidence et qualifier précisément les biais d’attraction pour certaines espèces tant de la part des chercheurs que des gouvernements ou du grand public. Bien que certains éléments de la biodiversité soient plus difficiles à étudier que d’autres (habitats éloignés, espèces rares, microscopiques ou difficile à identifier), ces caractéristiques intrinsèques ne peuvent à elles seules expliquer le biais observé en science. Deux hypothèses sur le rôle de deux facteurs extrinsèques peuvent alors être avancées :

  • l’hypothèse de « recherche taxonomique » qui suppose que des considérations et limites scientifiques orientent la collecte de données sur la biodiversité,
  • l’hypothèse de « préférences sociétales » qui suggère que les intérêts sociétaux influencent et biaisent le choix des organismes d’étude.

 

Les auteurs ont choisi comme base d’étude des biais taxonomiques le Système d’information sur la biodiversité (GBIF, la plus grande base mondiale de données primaires sur la biodiversité en libre accès) car sa constitution, qui résulte de la bonne volonté des contributeurs et non d’un protocole d’échantillonnage bien planifié, reflète de ce fait l’hétérogénéité des données collectées, l’état de notre connaissance et les pratiques d’étude au niveau mondial.

En utilisant 626 millions d’occurrences, couvrant 1,01 million d’espèces (sur les 2,2 que compte le GBIF) et 24 classes d’organismes, les auteurs ont caractérisé les lacunes dans la connaissance de la biodiversité et quantifié les biais taxonomiques et les imprécisions dans l’enregistrement des données. Ils ont enfin fait des recommandations pour l’élaboration de stratégies d’échantillonnages plus représentatives de la biodiversité.

 

 QUELQUES DÉFINTIONS

Classification scientifique des espèces

Classification traditionnelle des espèces selon une hiérarchie fixe de catégories, définie tel que présenté sur la figure 1.

 

Occurences d’une espèce

Nombre de données enregistrées dans le GBIF concernant une espèce. Il peut s’agir d’observations dans la nature, ou de prélèvements de spécimen. Chaque espèce dans une classe est caractérisée par un nombre d’occurrences enregistrées dans le GBIF.

 

Nombre médian d’occurrences par espèce au sein d’une classe

Le nombre médian d’occurrence par espèce est le nombre qui partage les espèces de la classe en deux groupes égaux, le premier étant composé de 50% des espèces de la classe avec autant ou moins d’occurrences enregistrées dans le GBIF et le second de 50% des espèces de la classe avec autant ou plus d’occurrences enregistrées dans le GBIF.

 

Précision taxonomique

Niveau de la classification traditionnelle jusqu’auquel l’organisme a été classé.

 

Résultats
• Répartition des occurrences de biodiversité dans le GBIF

Répartition des occurrences de biodiversité dans le GBIF

Figure 2. Proportion des espèces par classe enregistrées dans le GBIF avec au moins une occurrence (vert clair), avec plus de 20 occurrences (vert médian) et avec plus de 20 occurrences spatialement distinctes (vert foncé). (Source : Troudet et al., 2017 – Nature scientific report)

 

  • Plus de la moitié des enregistrements (53%) sont des occurrences d’oiseaux (345 millions d’occurrences) avec un nombre médian de 371 occurrences par espèce*, alors même que les espèces d’oiseaux ne représentent que 1 % des espèces répertoriées dans le GBIF.
    (* La moitié des espèces présente un nombre d’occurrences supérieur à 371.)

 

  • Par contraste, avec trois fois plus d’espèces, les arachnides présentent seulement 2,17 millions d’occurrences et l’un des plus bas nombre médian par espèce (3).

 

  • Les classes présentant les nombres médians les plus bas, inférieurs à 7, sont les classes d’arthropodes (Insectes, Maxillopodes, Arachnides, Crustacés supérieurs), certains champignons (Agaricomycetes) et diatomées (Bacillariophyceae), alors que les plantes dicotylédones et les Insectes sont deux classes avec un grand nombre d’espèces enregistrées.

 

  • Seules six des 24 classes ont un nombre médian d’occurrences par espèce supérieure à 20.

 

  • 20 des 24 classes étudiées comptent plus de 50% de leurs espèces référencées au moins une fois dans le GBIF et, pour 14 d’entre elles, ce pourcentage avoisine 70% ou plus. En revanche, seuls 35% des espèces d’insectes et 36% des espèces d’Arachnides sont référencées au moins une fois dans le GBIF.

 

  • Par ailleurs, le nombre d’occurrences par espèces est variable : 21% ont une seule occurrence (c’est-à-dire 212 911 espèces), 44% avaient entre 2 et 19 occurrences (c’est-à-dire 446 643 espèces) et 35% ont 20 occurrences ou plus (c’est-à-dire, 353 843 espèces dans trois classes : les oiseaux, les amphibiens et les poissons à nageoires rayonnées). Pour toutes les classes, sauf celle des oiseaux, moins de 1/3 des espèces sont échantillonnées « décemment » (c’est-à-dire avec 20 occurrences spatialement distinctes). Cela contraste avec les classes d’arthropodes, où, au mieux, 9% des espèces ont été échantillonnées « décemment ».

 

• Précision taxonomique
  • 94% des occurrences du GBIF ont été identifiées au moins au niveau de l’espèce • Les niveaux les plus bas de précision taxonomique ont été trouvés pour les Maxillopodes et les Cnidaires (58% et 59% des occurrences, respectivement)

 

  • Les plus hauts niveaux ont été trouvés dans les différentes classes de plantes (91 à 95% des occurrences chez les dicotylédones, les monocotylédones et les conifères), de champignons (93% chez les Agaricomycètes et les Ascomycètes) et d’oiseaux (99%).

 

 

 

• Origine des données (Troudet et al., 2018)

La façon d’acquérir des données d’occurrence de biodiversité a évolué, passant de la collecte de spécimens sur le terrain (vivants ou conservés, y compris fossiles) à des observations dématérialisées qui génèrent une masse importante de données stockées et partagées plus rapidement qu’auparavant (Bisby 2000, Kitchin 2014). Cette modification dans les origines des données peut avoir de fortes conséquences en systématique et en biologie évolutive, car les nouvelles données collectées, quoique plus nombreuses et donc de valeur statistique supérieure, n’ont pas toujours la même “qualité” que les données anciennes, basées sur des spécimens souvent stockés en collection (Troudet et al., 2018). Par exemple, il existe un écart bien connu, entre les espèces décrites et le nombre réel d’espèces qui nécessite, selon plusieurs auteurs, la collecte d’échantillons (Ceríaco et al., 2016 ; Dubois 2017; Pine et Gutierrez, 2018 ; Troudet et al., 2018).

 

Origine des données (Troudet et al., 2018)

Figure 3. Origine de l’occurrence pour chaque classe. Les classes avec une forte proportion d’occurrences basées sur des spécimens sont bleues (spécimen vivant ou conservé, échantillons matériels ou fossiles). En orange, il s’agit des classes avec des occurrences majoritairement basées sur l’observation (observation de la machine ou de l’homme, littérature). Les barres grises montrent les occurrences où la base d’enregistrement est inconnue. (Source : Troudet et al., 2017 – Nature scientific report)

 

Certaines classes, comme les amphibiens, les gastéropodes, les reptiles et les mollusques bivalves ont une forte proportion d’occurrences basées sur des spécimens alors que d’autres, comme les oiseaux ont des occurrences principalement basées sur l’observation (94%).

 

  • Pour plusieurs raisons (difficultés à obtenir des permis de collecte, augmentation des espèces en voie de disparition, déclin des populations, etc.), de moins en moins de données de biodiversité sont basées sur des spécimens.

 

  • Les classes des amphibiens, des gastéropodes et des reptiles sont les trois classes avec les proportions les plus élevées d’occurrences basées sur des spécimens. Elles sont également les classes ayant une tendance décroissante ou stabilisatrice dans l’accumulation des données. 

 

  • Cette tendance en fonction de l’origine des données (spécimens ou observation) devrait se confirmer avec un écart d’autant plus grand que certains enregistrements sont vieux ou obsolètes et que la production de données nouvelles est faible.

 

• Incertitudes spatiale et temporelle

Généralement, une occurrence de biodiversité, quelle que soit sa nature, contient une identification taxonomique (nom scientifique), une localisation et une date (Ariño, 2010). Certaines occurrences du GBIF manquent de précision, par exemple absence de coordonnées géographiques ou encore de mois ou année de collecte ou d’observation.

 

La proportion d’inexactitudes spatiale et temporelle diffère grandement entre les classes :

 

  • Seuls 4% des occurrences d’oiseaux présentent des inexactitudes temporelles et/ou spatiales,

 

  • Les classes présentant le plus d’incertitudes sont les gastéropodes, les amphibiens, les mollusques bivalves et les reptiles, classes qui par ailleurs présentent la proportion la plus élevée d’occurrences fondées sur des spécimens.

 

Incertitudes spatiale et temporelle

Figure 4. Incomplétude des données. Proportion d’occurrences avec un manque de données de localisation géographique, par exemple sans coordonnées spatiales (violettes) ou temporelles, par exemple sans précision de mois ou d’années (jaune). (Source : Troudet et al., 2017 – Nature scientific report)

 

Des analyses de correspondances multiples réalisées sur ces données ont démontré que les données enregistrées avant 1975 étaient majoritairement corrélées avec des occurrences basées sur des spécimens et des occurrences ayant des problèmes de localisation. Inversement, les données plus récentes étaient corrélées avec des occurrences complètes et basées sur l’observation. Ainsi, les classes taxonomiques dont les occurrences sont les plus anciennes et les plus incomplètes sont les amphibiens, les reptiles et les algues rouges. Alors que les oiseaux bénéficient de données récentes et plus complètes, essentiellement basées sur l’observation.

• Corrélation entre l’intérêt public, la collecte de données et la recherche taxonomique

L’étude suggère que les préférences sociétales, et non la recherche taxonomique, orientent les données de biodiversité recueillies. Un effet significatif de l’opinion publique sur la collecte de données de biodiversité, donc sur les productions scientifiques et les décisions de gestion, a ainsi pu être mis en évidence. Les analyses n’ont malheureusement pas pu identifier les relations de causes à effets de ces liens.

L’intérêt du public a été déduit du nombre de pages Web avec le mot-clé “espèces” ajouté au nom scientifique de l’espèce et l’effort de recherche a été déduit du nombre de publications dans la base de publications scientifiques Web of Science.

 

  • Les espèces les plus populaires sur le web sont les espèces les plus enregistrées dans le GBIF : le nombre de pages Web variait de 0 à 1,8 million avec un nombre médian de 1 480 pages pour les 24 000 espèces les mieux représentées (1 000 espèces pour chaque classe).

 

  • Le nombre de publications comptabilisées pour 453 ordres, variait de 0 (pour huit ordres) à 72 426 pour les coléoptères, avec un nombre médian de 229 publications.

 

  • Pour la plupart des classes, les analyses suggèrent une corrélation positive et significative entre l’intérêt du public et le nombre d’occurrences dans le GBIF. Quelques corrélations négatives ont été trouvées mais n’ont jamais été significatives.

 

  • A contrario, la quantité de travaux de recherche n’était pas significativement corrélée avec le nombre d’occurrences pour la plupart des classes et, lorsqu’une corrélation a été trouvée, elle était soit positive (par exemple pour les mammifères), soit négative (par exemple, pour les champignons à chapeaux).

 

  • Une corrélation forte a été trouvée entre l’intérêt public et la quantité de de travaux de recherche pour 10 cas sur 47.

 

  • Les interactions entre les scientifiques, les citoyens et les organismes de financement sont complexes et les mécanismes sous-jacents influençant ne sont pas clairs, néanmoins, confirmant des travaux antérieurs, cette étude confirme que les recherches sur les taxons auxquels le public est sensibilisé sont plus susceptibles d’être financés et reçoivent plus de financements.

 

  • Le développement récent de la science citoyenne a peut-être accru l’impact de préférences sociétales en favorisant la collecte des données pour certains taxons “populaires”. Par exemple, une des plus grosses bases de données sur les oiseaux est eBird (211 millions d’occurrences), en partie basée sur la science citoyenne.
• Biais taxonomiques

Un biais taxonomique est la mise en évidence que certains taxons sont plus étudiés que d’autres, alors que ceci n’est pas lié à leur abondance ou leur importance écologique.

 

  • En analysant les données du plus grand référentiel de données sur la biodiversité disponible, les auteurs mettent en évidence l’existence d’un fort biais taxonomique sur toutes les classes dans les données sur la biodiversité avec deux extrêmes, les oiseaux et les insectes. Ce biais se manifeste par une absence de proportionnalité entre les données enregistrées et le nombre réel d’espèces connues ou supposées. Des travaux antérieurs l’avaient déjà démontré pour des catégories définies de biodiversité, par exemple Wilson et al. (2007) sur les espèces exotiques envahissantes.

 

  • Les oiseaux sont surreprésentés dans les données sur la biodiversité, mais aussi dans les disciplines scientifiques allant de l’écologie comportementale à l’évolution et la conservation. Le nombre sans cesse croissant des observations naturalistes amateurs amplifient indubitablement le biais.

 

  • D’autres classes de vertébrés (les poissons à nageoires rayonnées rayonnées, les mammifères et, dans une moindre mesure, les reptiles et les amphibiens) sont relativement bien représentés dans le GBIF.

 

  • Les classes de plantes, en particulier monocotylédones et dicotylédones, sont surreprésentées.

 

  • A contrario, les arthropodes (Insectes, Arachnides, crustacés supérieurs et Maxillopodes) et les mollusques (Gastéropodes et Bivalves) sont sous-représentés, particulièrement les insectes.

 

  • Le biais taxonomique est encore plus évident lorsqu’on considère la qualité des échantillonnages (les espèces échantillonnées au moins en 20 points différents du globe). Le champ d’investigation des études qui reposent sur les échantillonnages (par exemple la modélisation de niches écologiques) se limite aux vertébrés et aux plantes, les invertébrés et les champignons ayant pratiquement été exclus en raison de données insuffisantes à l’échelle de la planète. Étant donné que ces organismes négligés ont une grande diversité et jouent des rôles cruciaux dans divers écosystèmes, cette situation entraînera inévitablement un déséquilibre fondamental dans les connaissances de la biodiversité induisant des erreurs dans les décisions de gestion. Le même biais est présent entre les différents ordres des 24 classes étudiées.

 

  • Ce biais taxonomique dans les données sur la biodiversité est, bien que connu depuis quelques décennies, resté globalement le même depuis les années 1950. Même si la plupart des classes sont mieux enregistrées aujourd’hui qu’auparavant, l’écart entre les oiseaux et le reste de la biodiversité (soit ~ 99% de la biodiversité connue) augmente avec le temps. Ainsi, alors que la majeure partie de la biodiversité reste à décrire, les mêmes taxons sont préférentiellement étudiés et enregistrés.

 

  • L’évolution des biais taxonomiques au fil du temps a rarement fait l’objet d’étude et jamais à grande échelle.

 

Biais taxonomiques

Figure 5. Les biais taxonomiques dans les données de biodiversité. En vert, les classes avec un excès de données et en rouge les classes avec un manque de données par rapport au nombre idéal d’occurrences qui devraient être enregistrées dans le GBIF (représentées par la barre verticale noire). Ce nombre idéal est fonction du nombre d’espèces connues qui composent la classe. (Source : Troudet et al., 2017 – Nature scientific report)

 

Ce biais taxonomique était déjà apparent il y a plus de 50 ans, ce qui signifie que les classes qui étaient sur- ou sous-représentés dans les années 1950 sont encore sur- ou sous-représentés aujourd’hui. Toutefois, les auteurs ont constaté une augmentation des biais taxonomiques au fil du temps, principalement en raison de l’accumulation plus rapide de données pour les oiseaux comparés à d’autres classes (283 millions d’occurrences d’oiseaux enregistrées entre 2000 et 2016). Aujourd’hui bien que les données s’accumulent à grande vitesse pour la plupart des classes, pour les amphibiens, les reptiles et les algues rouges, le nombre d’occurrences enregistrées par an a stagné ou même a diminué au cours des 40 dernières années.

Ce biais taxonomique au niveau des classes se retrouve à des échelles taxonomiques plus fines : certains ordres sont mieux représentés dans la base de données du GBIF que d’autres avec un nombre d’occurrences parfois plus de 50 fois supérieurs à ceux des autres ordres de la même classe.

 

LIMITES DE L’ÉTUDE

 

Une des limites de l’étude a été de considérer toutes les espèces comme équivalentes et directement comparables, ce qui n’est pas le cas. Par ailleurs, ce travail n’a pas pris en compte l’effet de la richesse en espèces : chez les insectes elle est si grande que, quel que soit les moyens mis en œuvre, cette classe sera toujours à risque d’être sous-étudiée. Enfin, des biais inévitables se produisent lors de l’utilisation des recherches sur Internet, comme la difficulté à distinguer un page scientifique d’une page non académique. De nombreuses pages Web (30-80%) contenant les noms scientifiques des espèces ont peu ou rien à voir avec la recherche académique.

 

• Recommandations et principes généraux pour des stratégies efficaces d’acquisition de connaissances sur la biodiversité

La chaîne de connaissance de la biodiversité est complexe et les scientifiques y jouent un rôle clé. Cependant, les présents résultats montrent qu’ils ne sont pas seuls responsables de la pertinence des échantillonnages ou du choix des espèces et que les préférences sociétales sont trop importantes pour être ignorées.

 

Quelques recommandations peuvent aider à dépasser ce biais taxonomique :

  • Les causes sous-jacentes du biais taxonomique doivent être identifiées afin de s’en prémunir, autant que possible.

 

  • Dans certains cas, le biais taxonomique observé peut être corrigé. Shine & Bonnet (2000) ont montré comment les serpents, qui étaient sous-représentés en écologie chez les vertébrés terrestres jusqu’en 1990, ont gagné en popularité et donc en accumulation de données.

 

  • De même, l’accumulation de données pour la plupart des classes croît à un rythme beaucoup plus rapide maintenant qu’il y a 50 ou 30 ans et est une tendance encourageante. De toute évidence, cette tendance peut générer des changements dans les pratiques de partage des données, dans les pratiques de partage des données, mais atteindre l’exhaustivité et la meilleure qualité possible pour la collecte des données de biodiversité reste une gageure.

 

  • Les scientifiques doivent communiquer largement sur les besoins de recherche y compris sur les organismes sous représentés et en faire la promotion auprès du public. Par exemple, le rôle crucial des protistes dans l’écosystème mériterait des recherches, mais cette classe est actuellement trop obscure et pas assez médiatisée pour susciter l’intérêt du grand public.

 

  • De nouvelles pratiques ou méthodes comme les méthodes d’analyse génétique (métagénomique), par une collecte rapide, non ciblée de données. Le gain attendu serait colossal et irait au delà d’un échantillonnage bien équilibré de la biodiversité en favorisant de nouvelles vocations scientifiques, des programmes de science citoyenne plus efficaces et une plus grande influence sur les financements et décisions politiques.

 

  • Les programmes de science citoyenne pourraient considérablement contribuer à notre connaissance de la biodiversité, notamment si des programmes spéciaux étaient dédiés aux taxons négligés. Ils pourraient avoir d’autant plus d’impacts et d’influences sur les décisions politiques qu’ils sont développés conjointement par les acteurs et les scientifiques. La science citoyenne et la collecte de données par des non professionnels pourraient être décisives dans un proche avenir et il a notamment été démontré qu’un programme de science citoyenne bien conduit pouvaient produire en deux ans la même quantité de données qu’un scientifique en une décennie.

 

  • Différents domaines de recherche de l’ingénierie moléculaire à la science quantique et aux neurosciences ont grandement bénéficié de l’implication de non-professionnels. Pourtant, l’utilisation de la science citoyenne pour étudier les taxons qui ne sont pas aussi charismatiques que les oiseaux ou les mammifères en est encore à ses débuts.

 

  • Des efforts doivent être faits pour développer la science citoyenne au bénéfice des taxons méconnus, probablement en s’appuyant sur de nouvelles technologies comme les téléphones intelligents et les applications dédiées. La science citoyenne ne peut pas et ne doit pas remplacer la recherche scientifique ; ce sont des approches complémentaires avec des forces et des limites différentes.

 

Glossaire

 

Agaricomycetes :

Une des classes d’un des deux embranchement des champignons, les basidiomycètes, ou « champignons à chapeaux »

 

Ascomycètes :

Un des deux embranchements de champignons comprenant notamment les levures, les morilles, les truffes

 

Bacillariophyceae :

Micro algues unicellulaires planctoniques des eaux douces et marines

 

Eucaryotes :

Organismes unicellulaires ou pluricellulaires qui se caractérisent par la présence d’un noyau dans les cellules

 

Grylloblattodea :

Un sous-ordre d’insectes peu décrit dont on ne connaît que 28 espèces et 5 genres (Wikipédia)

 

Lecanoromycetes :

Une des classes des champignons ascomycètes

 

Mantophasmatodea :

Un ordre des insectes vivant en Afrique, dont les individus sont dotés d’un exosquelette segmenté

 

Maxillopodes :

Crustacés caractérisés par un abdomen et des appendices réduits, comme les bernacles et les copépodes

 

Monocotylédones :

Plantes à fleurs ne présentant qu’un seul cotylédon ou pré-feuille après la germination. Ce sont essentiellement les graminées, les orchidées, les palmiers, les bananiers et les joncs

 

Monotrèmes :

ordre animal défini par Charles-Lucien Bonaparte en 1838, regroupant des espèces caractérisées par le fait d’être à la fois ovipares et mammifères : ils pondent des œufs mais allaitent leurs petits, comme les ornithorynques

 

Notoryctidés :

famille de mammifères marsupiaux qui vivent dans les déserts de l’Ouest australien

 

Odonates :

Un des ordres des insectes, appelé familièrement les libellules

 

Orthoptères :

Un des ordres des insectes comprenant notamment les grillons, les sauterelles et les criquets

 

Périssodactyles :

Un des ordres des mammifères ongulés possédant un nombre impair de doigts aux membres postérieurs

 

Plantes dicotylédones :

Plantes à fleurs présentant deux cotylédons ou pré-feuilles après la germination

 

Poissons à nageoires rayonnées :

Cette classe comprend la quasi-totalité des poissons communs

 

Psocodea :

Un des ordres des insectes comprenant notamment les poux

 

Siphonaptères :

Un des ordres des insectes comprenant les puces

 

Strepsiptères :

Un des ordres des insectes dont les membres sont parasites