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mai 2019  I  Article  I  Efese  I  État et tendance

Écosystèmes rocheux et de haute-montagne français : une évaluation dans le cadre du programme EFESE

Auteurs : Sandra Lavorel, directrice de Recherche au Laboratoire d’Ecologie Alpine (LECA) et Emilie Crouzat, chercheuse au Laboratoire d’Ecologie Alpine (LECA).
Relecteurs : Marilda Dhaskali (FRB) et Julie de Bouville (FRB).

Entre changement climatique, développement touristique et mutations de l’agriculture, que savons-nous de l’évolution des écosystèmes de haute montagne ? Le rapport de l’EFESE pointe le manque de connaissance sur ces risques cumulés, alors que 93 % de la surface de ces écosystèmes est reconnue comme d’intérêt pour la biodiversité. Sauvegarder les services que rendent ces milieux uniques est une préoccupation majeure pour le développement durable de ces régions.

Écosystèmes rocheux et de haute-montagne français : une évaluation dans le cadre du programme EFESE © Nathan Horrenberger
Les écosystèmes de haute-montagne et rocheux accueillent une biodiversité exceptionnelle

Les écosystèmes de haute montagne couvrent les milieux naturels terrestres non forestiers des étages subalpins, alpins et nivaux1 dans les Alpes, les Pyrénées et la Corse. Ils représentent 2% de la surface de la France métropolitaine. Les écosystèmes altimontains de la Réunion et les écosystèmes rocheux entrent dans le champ du rapport et ont fait l’objet d’approfondissements spécifiques, mais ne seront pas abordés dans cet article. Ces écosystèmes ont une très forte valeur patrimoniale et fournissent de nombreux bénéfices économiques et immatériels aux habitants des régions de montagne comme à toute la société nationale. S’ils ne couvrent que 3% de la superficie européenne, ils abritent pourtant 20% de sa diversité végétale. Ces écosystèmes, dont 93% de la surface sont reconnus comme d’intérêt pour la biodiversité et 57% sont couverts par un statut de protection, doivent la variété de leurs espèces à leur énorme diversité topographique, géologique et climatique ainsi qu’aux interactions avec leur gestion historique, en particulier pastorale.

 

Malgré la haute qualité environnementale globale des écosystèmes de haute montagne, des menaces importantes pèsent par exemple sur les milieux humides d’altitude ou les écosystèmes nivaux. Changement climatique, développement touristique, mutations de l’agriculture telle que la déprise agricole ou le surpâturage sont autant de pressions qu’ils subissent alors même qu’on ne mesure pas encore tous les services qu’ils rendent. L’ensemble des valeurs de ces écosystèmes uniques sont une préoccupation majeure pour un développement durable des régions de haute montagne reposant sur leur biodiversité et leurs services écosystémiques et sur leur patrimoine naturel.

Les biens des écosystèmes de haute montagne offrent des avantages à une multiplicité de bénéficiaires

Les prairies et pelouses gérées par le pastoralisme accueillent une biodiversité élevée et offrent toute une série de bénéfices économiques, de santé et de bien-être. Leurs paysages ouverts et les espèces emblématiques telles que la Reine des Alpes, diverses orchidées, le chamois, le mouflon en Corse ou des papillons comme le grand apollon sont intimement liés aux modes d’élevage passés et actuels (transhumance, fauche, etc.). Ainsi les activités de production, souvent soutenues par des labels, et leurs valeurs culturelles sont fortement interdépendantes. La durabilité de l’élevage en haute montagne est tributaire des évolutions des politiques publiques agricoles et de biodiversité, du maintien et de l’amélioration des conditions d’emploi en montagne ainsi que du développement de la pluriactivité, de l’innovation et des infrastructures. Des activités économiques complémentaires sont en pleine revalorisation. La cueillette des plantes sauvages à visée commerciale alimente de nombreuses filières médicinales, aromatiques, cosmétiques ou alimentaires. Mais la cueillette – commerciale ou amatrice – n’est pas sans conséquence sur les espèces à faibles effectifs, particulièrement convoitées, ou dont la cueillette peut détériorer les capacités de survie2.

La couverture végétale offre de multiples services de régulation

Si la couverture végétale des espaces pastoraux et des autres écosystèmes de haute montagne, tels que leurs milieux humides, offre de nombreux avantages économiques à nos sociétés, elle leur rend aussi de multiples autres services. Même si ces fonctions et leurs bénéfices ne sont pas toujours bien quantifiés, les écosystèmes de haute montagne, dont les milieux humides, contribuent significativement – de par leur position en tête de bassins versants – à une diversité de régulations hydrologiques, climatiques ou des risques naturels.

 

Leur couverture végétale régule significativement la quantité et la qualité des flux de l’eau. Dans les Alpes suisses, françaises et autrichiennes, des expérimentations3 ont caractérisé l’influence du couvert végétal et de l’activité de pâturage sur les bilans hydriques. Elles ont montré que les flux d’eau étaient principalement régulés par la biomasse aérienne de la végétation, et ce d’autant que le climat était plus humide. Par ailleurs, les précipitations ruisselaient bien plus sur les alpages pâturés que sur les prairies abandonnées depuis 20 à 30 ans, suggérant un rôle bénéfique des ligneux bas. Les zones humides d’altitude assurent le ralentissement des ruissellements en surface, la recharge des nappes par infiltration de l’eau dans les sols, le soutien d’étiage des cours d’eau en aval ainsi que la rétention des sédiments et des particules solides. Elles contribuent également à l’épuration des eaux par l’assimilation végétale des nutriments (azote, phosphore) et leur transformation (dénitrification par exemple). Les effets cumulatifs du fonctionnement de plusieurs zones humides interconnectées en tête de bassin versant restent cependant méconnus.

 

Autre effet bénéfique de cette régulation hydrologique par le couvert végétal : la rétention des sédiments et donc le contrôle de l’érosion des sols. En limitant la force d’impact des précipitations sur les sols et en piégeant leurs particules grâce à la morphologie de leurs racines, les prairies et pelouses de haute montagne contribuent à l’atténuation de l’érosion. Des chercheurs ont estimé que, pour maîtriser les risques d’érosion, la couverture végétale minimale sur des terrains peu compacts devait être de 40%4 . La revégétalisation des sols dégradés, en particulier avec des semences locales, permet d’atténuer les impacts de la sur-utilisation agricole ou touristique. Ce contrôle de l’érosion est essentiel pour le maintien des activités pastorales mais aussi pour limiter les flux de particules vers les barrages hydroélectriques. En outre, limiter le flux de sédiments participe à préserver les importants stocks de carbone des sols qui eux -mêmes participent à la régulation du climat global.

 

L’atténuation par la végétation et les sols des risques naturels, comme les avalanches de fond ou les crues torrentielles, est critique pour les populations locales et pour les touristes. Les différentes classes de couverture végétale (prairies, landes et broussailles, forêts, etc.) modifient la rugosité de la surface et fournissent des points d’ancrage au manteau neigeux réduisant les avalanches. Les crues torrentielles sont quant à elles freinées par la végétation. À l’inverse, les déclenchements des laves torrentielles sont favorisés lorsque les sols sont nus et soumis à des phénomènes d’érosion d’origine naturelle ou anthropique comme les aménagements de pistes de ski ou la sur-fréquentation touristique.

La haute-montagne et l’écosystème rocheux, support de connaissances et de loisirs

Les écosystèmes de haute montagne sont le support de multiples activités récréatives et touristiques en toutes saisons, qui peuvent entrer en conflit avec la conservation de la biodiversité qui contribue en partie à leur attractivité. Cela concerne les sommets emblématiques dotés de glaciers et de neiges éternelles, mais aussi l’étage subalpin qui abrite des espèces sensibles en période hivernale comme le tétras lyre. Ces interactions sont régulées par l’encadrement réglementaire des pratiques, la formation des professionnels et l’éducation mais demandent de consolider la concertation entre les acteurs.

 

Le manque de connaissances fines et de données sur les effets des différents types de couverts végétaux limite la capacité à quantifier les services de régulation. L’évaluation des services culturels et du patrimoine naturel, dont les valeurs sont centrales pour les écosystèmes de haute montagne, demande le renforcement des recherches interdisciplinaires. Enfin, la complexité des dynamiques des espèces, des écosystèmes et de leur résilience en réponse à des facteurs de changement combinés et cumulés souligne la nécessité d’évaluations intégrées, y compris par des scénarios englobant les dimensions économiques et sociales, les politiques publiques et la gouvernance.

 

Pour accéder au rapport complet : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/EFESE

 

Encadré sur les services écosystémiques et dimensions patrimoniales instruits dans cette étude :

 

 

À l’occasion de la publication des rapports de l’Évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE) consacrés aux six grands types d’écosystèmes présents à l’échelle nationale, la FRB a synthétisé les principaux biens et services associés à chacun d’eux. A l’échelle de la France, le programme EFESE, porté par le ministère en charge de l’environnement, constitue une démarche analogue à celle de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques.

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1. Fait référence aux étages recouverts de neiges
2. Une liste des principales espèces cueillies au niveau national synthétisera les contributions de nombreux acteurs, notamment cueilleurs individuels, CBN Pyrénées et Midi-Pyrénées, CBN Massif central, agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et partenaires du projet FloreS (http://wp.unil.ch/flores/). Des fiches de bonnes pratiques pour la cueillette de plantes à enjeu sont prévues.
3. Leitinger et al. 2010, Obojes et al. 2015
4. Rey et al. 2004
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